CJCE, 2 mars 1983, n° 7-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gesellschaft zur Verwertung von Leitungsschutzrechten mbH
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mertens de Wilmars
Présidents de chambre :
MM. Pescatore, O'Keeffe, Everling
Avocat général :
M. Reischl
Juges :
MM. Mackenzie Stuart, Bosco, Koopmans
Avocats :
Mes Mailänder, Winkler
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la cour le 8 janvier 1982, la société à responsabilité limitée GVL Gesellschaft zur Verwertung von Leistungsschutzrechten mbH, établie à Hambourg (ci-après GVL), a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 29 octobre 1981, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité (IV-29.839 - GVL), notifiée à la requérante le 9 novembre 1981 et publiée au Journal Officiel (JO L 370, 1981, p. 49).
2. La requérante est la seule société de gestion de droits d'auteurs qui s'occupe, en République fédérale d'Allemagne, de la protection des droits d'auteur et des droits dits voisins des droits d'auteur des artistes exécutants. Elle se charge, en particulier, de la perception et de la répartition des redevances auxquelles les artistes exécutants ont droit, en vertu des dispositions de la loi allemande sur le droit d'auteur (Urheberrechtsgesetz), lorsque la prestation qui a été enregistrée avec leur assentiment sur support visuel ou support de son, est radiodiffusée ou communiquée au public de toute autre façon (deuxième exploitation).
3. Jusqu'au 21 novembre 1980, la requérante a refusé de conclure des contrats de gestion avec les artistes exécutants n'ayant ni la nationalité allemande ni un domicile en République fédérale d'Allemagne, ou de protéger de toute autre façon les droits de ces artistes en Allemagne. A partir de cette date, elle a mis fin à cette pratique, en modifiant ses statuts et son contrat type de gestion en ce sens que tout artiste exécutant établi sur le territoire de l'un des États membres de la Communauté européenne serait admis à conclure un contrat de gestion et recevrait, même avec effet rétroactif, sa part du produit des redevances.
4. La décision attaquée constate que le refus opposé par la GVL jusqu'au 21 novembre 1980 de conclure des contrats de gestion avec des artistes étrangers n'ayant pas de domicile en République fédérale d'Allemagne, ainsi que de gérer d'une autre façon les droits d'auteur dont ces artistes étaient titulaires en Allemagne, a constitué un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité, dans la mesure où ces artistes étaient ressortissants d'un autre État membre ou y avaient leur domicile.
5. La décision explique dans ses considérants (n° 71) qu'à partir du 21 novembre 1980 la GVL, en modifiant ses statuts et son contrat type de gestion, a mis fin à la discrimination qu'elle exerçait à l'égard des artistes n'ayant pas la nationalité allemande, pour autant qu'il s'agissait de ressortissants d'États membres ou d'artistes domicilies dans l'un de ces États membres. Le nouveau système de répartition serait désormais le même pour les artistes allemands et pour les artistes étrangers.
6. À l'appui de son recours, la requérante invoque les cinq moyens suivants :
- premier moyen : au cours de la procédure administrative ayant précédé la décision attaquée, la Commission aurait violé des formes substantielles ;
- deuxième moyen : la Commission n'aurait pas compétence pour prendre une décision ayant pour seul objet de " constater " une infraction, déjà terminée, de l'article 86 du traité ;
- troisième moyen : l'article 86 ne serait pas applicable à la requérante, celle-ci devant être considérée comme une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité ;
- quatrième moyen : le comportement que la Commission reproche à la requérante ne serait pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres ;
- cinquième moyen : ce comportement ne saurait être qualifié d'exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité ; en particulier, la requérante n'aurait pas appliqué à l'égard de ses partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes (art. 86, alinéa 2, sous c).
Premier moyen : violation de formes
7. La requérante allègue d'abord la violation, par la Commission, de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, p. 204) et de l'article 4 du règlement n° 99-63 de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, p. 2268), en ce que la Commission aurait fondé sa décision sur d'autres griefs que ceux au sujet desquels la requérante avait eu l'occasion de faire connaître son point de vue.
8. À cet égard, la requérante fait valoir que la Commission n'avait pas précisé avec suffisamment de clarté, dans la communication des griefs, que ceux-ci visaient non seulement le refus de conclure des contrats de gestion avec des ressortissants des autres États membres, mais également des cas ou les artistes avaient leur domicile dans un État membre sans en être ressortissants. Ce manque de clarté serait d'autant plus gênant que la plainte ayant donné lieu à la communication des griefs, soit celle déposée par Interpar à Londres, ne mettait pas en jeu la position des artistes domiciliés dans un État membre sans en être ressortissants.
9. Cet ensemble d'allégations ne trouve pas de justification dans les faits. Avant de faire état de la plainte déposée par Interpar, la communication des griefs décrivait le comportement de la requérante de la façon suivante : "La GVL refuse de conclure des contrats de gestion avec des artistes étrangers non domiciliés en Allemagne, qu'il s'agisse ou non d'artistes ressortissants d'États membres de la Communauté, ou de protéger de toute autre façon les droits de ces artistes en Allemagne" (n° 27). Les considérations juridiques du même document invoquent notamment la discrimination que la GVL aurait opérée entre, d'une part, les artistes allemands ou les artistes étrangers domiciliés en Allemagne et, d'autre part, les " artistes étrangers non domiciliés en Allemagne " (n° 51, 52 et 55).
10. En termes plus généraux, rien dans la communication des griefs ne pouvait permettre à la requérante de penser que le seul reproche formule par la Commission concernait la position des artistes ayant la nationalité des autres États membres.
11. La requérante soutient ensuite que la décision attaquée ne fait que répéter les considérations de la communication des grief et que, dès lors, la Commission n'a accordé aucune importance aux arguments avancés par la requérante ou compris dans les avis juridiques que celle-ci avait fait parvenir à la Commission. Ce faisant, la Commission aurait violé le droit de la GVL à être entendue (" rechtliches Gehör ") garanti par le règlement n° 99-63.
12. S'il est vrai que le règlement n° 99-63 a pour objet d'assurer aux entreprises le droit de présenter des observations à l'issue des instructions au sujet de l'ensemble des griefs que la Commission se propose de retenir contre elles, il n'oblige pas la Commission à discuter toutes ces observations dans les motifs de sa décision, si ceux-ci sont, en eux-mêmes, de nature à justifier les conclusions auxquelles la Commission arrive.
13. Il y a lieu d'ajouter que la décision attaquée expose et discute, dans ses considérants, l'essentiel des observations faites au nom de la GVL au cours de l'audition de cette entreprise le 12 février 1981.
14. La requérante fait enfin valoir que le refus de la Commission de tenir compte des observations présentées aurait conduit à plusieurs erreurs de fait dans la décision. Ces griefs ne peuvent toutefois être examinés que dans le cadre des moyens matériels auxquels ils se rapportent.
15. Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.
Deuxième moyen : défaut de compétence
16. Par ce moyen, la requérante soutient que la Commission n'a pas le pouvoir de constater, par voie de décision, une infraction aux règles de concurrence à laquelle l'entreprise concernée a mis fin. Un tel pouvoir ne résulterait ni des dispositions du traité ni de celles du règlement n° 17.
17. La requérante fait observer à cet égard que la communication des griefs, ainsi que les plaintes d'Interpar sur lesquelles cette communication était fondée, portaient sur la pratique que la GVL suivait avant le 21 novembre 1980. A la suite de l'intervention de la Commission, la GVL a modifié cette pratique, de telle façon que l'infraction qui lui était reprochée avait pris fin et que, dès lors, la procédure administrative engagée par la Commission était devenue sans objet.
18. La requérante souligne qu'en adoptant le règlement n° 17, le Conseil aurait fixé de façon exhaustive les pouvoirs de décision de la Commission dans le domaine de l'application des articles 85 et 86 du traité. Ces pouvoirs ne comportent pas celui de prendre une décision visant uniquement à constater une infraction ayant eu lieu dans le passé. En particulier, l'article 3 du règlement n° 17 ne se réfère à la constatation d'une infraction que dans le cadre d'une décision visant à la cessation de l'infraction.
19. La défenderesse est d'avis que sa compétence pour arrêter la décision attaquée résulte, d'une part, de l'interprétation des dispositions du traité et du règlement n° 17 et, d'autre part, du fait que de puissants motifs d'ordre pratique militent en faveur de cette conception, dont la Commission s'est d'ailleurs constamment inspirée dans son action.
20. Les dispositions du règlement n° 17 devraient être interprétées, selon la défenderesse, à la lumière des pouvoirs dont le traité investit la Commission dans le domaine de la concurrence et qui sont concrétisés par le règlement. Celui-ci prévoit une gamme de pouvoirs plus ou moins étendus, notamment dans ses articles 3, paragraphes 1 et 3, 15, paragraphes 2 et 6, et 16. La décision constatant une infraction déjà terminée relèverait de cet ensemble de pouvoirs ; elle se placerait entre deux décisions expressément prévues par le règlement, celle infligeant une amende en raison d'une infraction constatée mais déjà terminée et celle qui constate, après examen provisoire, que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, sont réunies.
21. Du point de vue pratique, la défenderesse signale que, si la Commission n'avait pas le pouvoir de simple constatation, elle serait obligée de toujours infliger une amende pour empêcher que l'entreprise concernée, après avoir mis fin à l'infraction peu de temps avant l'adoption d'une décision l'obligeant à y mettre fin, retombe ensuite dans l'infraction.
22. Il convient d'observer d'abord que, comme la défenderesse l'a remarqué à juste titre, les dispositions du règlement n° 17, et notamment celles qui prévoient les mesures à prendre par la Commission pour veiller à l'application des articles 85 et 86 du traité, doivent être interprétées dans le cadre des règles de concurrence du traité. Celles-ci sont basées sur l'idée, exprimée notamment par les articles 87, paragraphe 2, sous d), et 89, qu'il appartient à la Commission de veiller à l'application des règles de concurrence par les entreprises et de constater, le cas échéant, qu'il y a infraction à ces règles.
23. Le règlement n° 17 a pour objet, comme il résulte de ses considérants, ainsi que de l'article 87, paragraphe 2, sous a), du traité, d'assurer le respect des règles de concurrence par les entreprises et d'habiliter, à cet effet, la Commission à obliger les entreprises à mettre fin à l'infraction constatée ainsi qu'à infliger des amendes et des astreintes en cas d'infraction. Le pouvoir de prendre des décisions à cet effet implique nécessairement celui de constater l'infraction dont il s'agit.
24. Le problème soulevé par le présent moyen n'est donc, en réalité, pas celui de la compétence de la Commission pour constater, par voie de décision, une infraction aux règles de concurrence, mais celui de savoir si la Commission avait, en l'espèce, un intérêt légitime à prendre une décision constatant une infraction à laquelle l'entreprise concernée avait déjà mis fin.
25. La décision attaquée expose à cet égard que, même après la modification de ses statuts et de son contrat type en novembre 1980, la GVL estime, eu égard à la complexité de la situation juridique, pouvoir continuer à exclure de son activité de gestion les artistes qui n'ont pas la nationalité allemande ou un domicile en République fédérale d'Allemagne ; une décision serait donc nécessaire pour clarifier la situation juridique, notamment pour les plaignants, et pour éviter que des infractions analogues ou semblables ne se reproduisent à l'avenir (n° 74).
26. Si la GVL a fait connaître au cours du présent litige qu'elle considérait comme irrévocable la modification de ses statuts et de son contrat type intervenue en novembre 1980, elle n'en a pas moins déclaré, tant dans la procédure administrative devant la Commission que dans la procédure devant la cour, qu'elle ne se considérait pas tenue à cette modification en ce qui concerne la conclusion de contrats de gestion avec des artistes ressortissants de pays tiers mais domiciliés dans un autre État membre. En plus, elle a insisté au cours de ces procédures sur le fait qu'elle ne serait pas obligée, par le droit communautaire, d'introduire la modification et qu'elle serait donc tout à fait libre de revenir à sa pratique antérieure.
27. Dans ces conditions, la Commission pouvait estimer que le danger d'un retour à cette pratique était réel si l'obligation de la GVL d'y mettre fin n'était pas formellement confirmée et que, dès lors, une clarification de la situation juridique s'imposait.
28. Il résulte de ce qui précède que l'intérêt légitime de la défenderesse de constater, par la décision attaquée, l'infraction aux règles de concurrence jusqu'à la modification des statuts de la requérante a été suffisamment établi et que le deuxième moyen doit, dès lors, être rejeté.
Troisième moyen : application de l'article 90 du traité
29. Selon ce moyen, la GVL constitue une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Les règles de concurrence ne lui seraient donc applicables que dans la mesure où l'application de ces règles ne ferait pas échec à l'accomplissement de sa mission particulière.
30. À cet effet, la requérante invoque la loi allemande du 9 septembre 1965 sur la gestion des droits d'auteur et des droits voisins (BGB1 I, S 1294) dont les dispositions prévoient, entre autres, qu'une société de gestion telle que la GVL doit être agréée par les pouvoirs publics, qu'elle est assujettie à une tutelle exercée par l'office des brevets et qu'elle est obligée de conclure certains contrats de gestion.
31. Un examen de la loi précitée montre, toutefois, que la législation allemande ne confie pas la gestion des droits d'auteur et des droits voisins à des entreprises déterminées mais qu'elle définit de manière générale les règles applicables aux activités de sociétés qui se proposent d'assurer l'exploitation collective de tels droits.
32. S'il est vrai que le contrôle des activités de ces sociétés tel qu'il est organisé par ladite loi va plus loin que le contrôle public de beaucoup d'autres entreprises, cette circonstance ne suffit cependant pas à faire rentrer ces sociétés dans la catégorie d'entreprises visée par l'article 90, paragraphe 2, du traité.
33. Par conséquent, le troisième moyen ne peut être accueilli.
Quatrième moyen : affectation du commerce entre États membres
34. La requérante allègue, par ce moyen, que l'infraction aux règles de concurrence que lui reproche la décision attaquée, même si elle avait existé, n'était pas susceptible d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 86, alinéa 1, du traité.
35. La décision expose à cet égard (n° 63) qu'en refusant de prendre en charge l'exploitation des droits des artistes étrangers domiciliés dans un État membre autre que la République fédérale d'Allemagne, la GVL a fait obstacle à la réalisation d'un marché unique des services dans la Communauté. Ces étrangers n'auraient pas pu recourir aux services de la GVL ; la libre circulation des services à l'intérieur de la Communauté, qui aurait pu se développer sans ce refus de la GVL, avait donc été rendue impossible. Cette entrave à la libre circulation de services aurait d'ailleurs été sensible, puisqu'un grand nombre de titulaires étrangers auraient été empêchés de faire valoir leurs droits en Allemagne.
36. La requérante conteste le caractère sensible de l'atteinte au commerce entre les États membres. Elle fait valoir que, lors de l'introduction de la procédure administrative, Interpar avait été le seul à se plaindre ; un seul cas supplémentaire avait ensuite été porte à la connaissance de la Commission, celui concernant un choeur d'alpinistes italiens. Les neuf artistes présentés en tant que plaignants dans la décision relèveraient d'un même groupe. La requérante elle-même n'aurait été précédemment saisie que dans des cas très particuliers d'une demande de gérer des droits en provenance d'artistes étrangers. L'influence de la pratique antérieure de la GVL sur le commerce entre États membres aurait donc été minime.
37. Il y a lieu de rappeler que, pour apprécier si le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté par l'abus d'une position dominante sur le marché concerne, au sens de l'article 86 du traité, il faut prendre en considération les conséquences pour la structure de la concurrence effective dans le Marché commun (arrêt du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico et Commercial Solvents, 6-7-73, Rec. p. 223).
38. Dans son arrêt du 25 octobre 1979 (Greenwich Films, 22-79, Rec. p. 3275), la Cour a déjà considéré que les activités des sociétés de gestion des droits d'auteur peuvent être aménagées de telle manière qu'elles auraient pour effet de compartimenter le Marché commun et d'entraver ainsi la liberté des prestations de services qui est l'un des objectifs du traité. La Cour a ajouté que ces activités seraient alors susceptibles d'affecter le commerce entre États membres au sens de l'article 86 du traité<
39. Or, le grief retenu par la Commission contre les activités passées de la requérante concernent précisément le fait que celles-ci étaient aménagées de telle façon qu'elles avaient pour effet de gêner la libre prestation de services à tel point que le Marché commun s'en trouvait compartimenté. En effet, la pratique de la requérante était de nature à empêcher la mise en valeur, sur le marché allemand, des droits d'exécutants non allemands domiciliés dans d'autres États membres<
40. Le quatrième moyen doit, dès lors, être rejeté.
Cinquième moyen : abus de position dominante
41. Ce moyen, relatif aux conditions de fond posées par l'article 86 du traité, comporte différentes branches, dont la première conteste la position dominante de la GVL sur le marché.
42. La requérante reconnaît que sa prestation de services consiste dans la gestion des droits d'auteur des artistes exécutants au titre de la deuxième exploitation et qu'elle est la seule entreprise à s'occuper de cette gestion en République fédérale d'Allemagne. Elle soutient, toutefois, qu'elle n'est pas le seul partenaire commercial des artistes exécutants, ceux-ci pouvant se prévaloir de leurs droits au titre de la première exploitation et ayant ainsi des échanges de services avec, par exemple, des entrepreneurs de spectacle ou des producteurs de supports de son.
43. La défenderesse fait valoir que ce raisonnement de la requérante méconnaît quel est le marché pertinent à prendre en considération. Selon elle, le marché en cause ne serait pas celui des échanges de services dans le domaine de l'exécution d'œuvres artistiques, mais celui de la gestion des redevances qui sont dues aux artistes exécutants à cause de la deuxième exploitation de leurs prestations. C'est sur ce marché que la GVL occuperait une position dominante.
44. La décision constate à cet égard (n° 45) que le marché sur lequel opère la GVL est le marché de services relatif à la protection des droits de deuxième exploitation des artistes interprètes ou exécutants en Allemagne, qui peut être délimité avec précision par rapport à l'activité d'autres sociétés d'exploitation. La GVL détiendrait un monopole de fait sur ce marché en Allemagne, soit dans une partie substantielle du Marché commun.
45. La Cour considère que ces constatations sont exactes et qu'il n'y a donc pas lieu d'accueillir la première branche du moyen.
46. La deuxième branche du cinquième moyen conteste l'exploitation abusive de la position dominante telle que la décision l'a retenue. En particulier, la Commission aurait reproché à tort à la requérante de traiter les artistes différemment en fonction de leur nationalité.
47. La décision attaquée considère, premièrement, que toute discrimination fondée sur la nationalité pratiquée par une entreprise en position dominante constitue une violation de l'article 86 (n° 46) et, deuxièmement, que le fait pour la GVL, en tant que détentrice d'un monopole de fait, de refuser de conclure des contrats de gestion avec des artistes étrangers n'ayant pas de domicile en Allemagne constitue une discrimination fondée sur la nationalité (n° 47).
48. C'est cette deuxième considération que la requérante conteste avec vigueur. Elle rappelle qu'elle a maintenu, tout au long de la procédure engagée contre elle, que la différence faite par elle entre les différents artistes n'est fondée que sur la nature des droits dont ils sont titulaires. Le véritable problème résiderait dans la disparité des législations nationales relatives aux droits d'auteur et aux droits voisins. Cette disparité aurait pour conséquence que les droits des artistes établis en dehors de la République fédérale d'Allemagne sont régis par des législations qui ne reconnaissent pas les redevances au titre de la deuxième exploitation du droit d'auteur.
49. La requérante explique qu'elle ne peut gérer que les droits dont elle est en mesure de vérifier l'existence et de déterminer la portée. Tel est la cas des artistes de nationalité allemande qui jouissent, en vertu de l'article 125 de la loi allemande sur le droit d'auteur, de la protection juridique assurée par cette loi. La requérante a admis que cette même condition était remplie dans le cas des artistes étrangers ayant un domicile en République fédérale d'Allemagne, ce domicile constituant un lien de rattachement suffisant pour permettre l'application de la loi allemande dans ce domaine.
50. La requérante considère que cette conception juridique est confirmée par l'article 6, paragraphe 1, de la loi allemande sur la gestion de 1965. D'après cette disposition, une société d'exploitation est tenue de gérer les droits entrant dans son domaine d'activité sur demande des ayants droit, " lorsque ceux-ci sont Allemands au sens de la loi fondamentale ou ont leur domicile dans le champ d'application de la pressente loi ", c'est-à-dire en République fédérale d'Allemagne.
51. La défenderesse admet la disparité des législations nationales ainsi que le fait que la plupart des législations des autres États membres est moins élaborée que la loi allemande en ce qui concerne les droits au titre de la deuxième exploitation. Ces circonstances ne sauraient cependant justifier le refus de conclure des contrats avec les artistes étrangers non domiciliés en République fédérale d'Allemagne, étant donné que ce refus leur enlèverait la possibilité de prouver qu'ils sont réellement titulaire des droits allégués.
52. La Cour observe d'abord que l'article 6 de la loi sur la gestion, tout en obligeant les sociétés de gestion à gérer les droits de tous les artistes de nationalité allemande ou domiciliés en République fédérale d'Allemagne, ne les empêche pas d'exercer leurs activités pour le compte d'autres artistes. Cette interprétation de la loi a été confirmée implicitement par l'office des brevets lorsque cette institution a approuvé la modification des statuts de la GVL du 21 novembre 1980.
53. Il convient de remarquer ensuite que la liberté ainsi laissée à la GVL par la loi se trouve limitée par les dispositions du traité et notamment par celles dans le domaine de la concurrence. Tel est d'autant plus le cas que la GVL occupait une position dominante dans une partie substantielle du Marché commun.
54. Dans ces circonstances, il n'était en effet pas loisible à la GVL de réserver ses activités, même à défaut d'harmonisation des législations dans le domaine du droit d'auteur, aux seuls artistes dont elle avait la certitude que leurs droits étaient régis par la loi Allemande. Elle ne pouvait pas exclure la possibilité que certains artistes étrangers non domiciliés en République fédérale d'Allemagne pouvaient se prévaloir de droits à titre de deuxième exploitation ; en outre, elle savait qu'en refusant de gérer ces droits elle empêchait en fait ces artistes de percevoir les redevances auxquelles ils avaient droit.
55. La requérante a donc aménagé ses activités de telle façon qu'aucun artiste étranger non domicilié en République fédérale d'Allemagne soit à même de bénéficier des droits de deuxième exploitation, même si un tel artiste pouvait démontrer que ces droits lui reviennent soit parce que le droit allemand était applicable, soit parce qu'une autre législation nationale applicable reconnaissait les mêmes droits.
56. Un tel refus, par une entreprise ayant un monopole de fait, de prêter ses services à tous ceux qui peuvent en avoir besoin mais qui ne relevant pas d'une certaine catégorie que cette entreprise a circonscrite en se basant sur la nationalité ou sur le domicile, doit être considéré comme l'exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86, alinéa 1, du traité.
57. Il en résulte que c'est à juste titre que la Commission a jugé que l'article 86, alinéa 1, s'appliquait en l'espèce.
58. Cette constatation implique que le cinquième moyen ne peut être accueilli et qu'il n'est plus nécessaire d'examiner ses autres branches, et notamment celles qui concernent la discrimination alléguée au sens de l'article 86, alinéa 2, sous c), du traité.
59. Le recours doit, dès lors, être rejeté.
Sur les dépens
60. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.