Décisions

CJCE, 8 juin 1982, n° 258-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

PARTIES

Demandeur :

LC Nungesser (KG), Kurt Eisele

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mertens de Wilmars

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Touffait, Due

Avocat général :

Mme Rozes

Juges :

MM. Mackenzie Stuart, O'keeffe, Koopmans, Everling, Chloros

Avocats :

Mes Gündisch, Ullrich, Jacob, Funck-Brentano.

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 novembre 1978, la société en commandite LC Nungesser KG et M. Kurt Eisele, unique commandité et sociétaire majoritaire de cette société, établis à Darmstadt, ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation partielle de la décision de la Commission, du 21 septembre 1978, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité (IV/28.824 - droit d'obtention - semences de maïs), notifiée aux requérants le 27 septembre 1978 et publiée au Journal Officiel (JO 1978, n° L. 286, p. 23).

2. Le droit d'obtention est, d'après l'article 5 de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales du 2 décembre 1961 (Recueil des Traités des Nations Unies n° 815, p. 89), dont les dispositions ont inspiré les législations des Etats membres en la matière, le droit accordé à l'obtenteur d'une variété nouvelle, ou à son ayant cause, de soumettre à son autorisation préalable la production, à des fins d'écoulement commercial, du matériel de reproduction ou de multiplication végétative, en tant que tel, de cette variété nouvelle, ainsi que la mise en vente et la commercialisation de ce matériel.

3. La décision attaquée constate que le contenu et l'application de certaines dispositions de deux contrats, conclus entre l'Institut national de la recherche agronomique (ci-après INRA), établi à Paris, et M. Eisele en 1960 et 1965 et concernant, respectivement, la cession, pour le territoire de la République fédérale d'Allemagne, du droit d'obtention végétale sur certaines variétés de semences de maïs hybride développées par l'INRA et l'exclusivité de multiplication et de vente de ces mêmes semences sur ce territoire, constituent une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle constate en outre que le contenu et l'application de la transaction intervenue en 1973 entre M. Eisele et l'entreprise Louis David KG, établie à Meisenheim en Allemagne, et tendant à empêcher cette entreprise d'importer et de vendre des semences INRA en Allemagne constituent également une infraction à cette disposition du traité (article 1 de la décision).

4. Cette même décision rejette la demande d'exemption de l'interdiction des ententes, conformément à l'article 85, paragraphe 3, du traité, qui avait été introduite par M. Eisele (article 2 de la décision).

5. A l'appui de leur recours, les requérants invoquent les cinq moyens suivants:

Premier moyen: la décision attaquée serait sans objet pour autant qu'elle vise le contrat conclu en 1960 entre l'INRA et M. Eisele, ce contrat ayant été remplacé par d'autres contrats entre les mêmes parties intervenus en 1961;

Deuxième moyen: la décision attaquée violerait le règlement n° 26-62 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO n° 30 du 20 avril 1962, p. 993), dont les dispositions feraient obstacle à l'application de l'article 85 du traité aux contrats litigieux;

Troisième moyen: la décision attaquée violerait l'article 85, paragraphes 1 et 2, ainsi que les articles 30 et 36 du traité, en ce que:

A. la Commission aurait méconnu la nature particulière du droit d'obtention végétale, dont l'exercice exigerait une observation stricte de la protection territoriale;

B. la Commission aurait considéré à tort que tout licence exclusive d'un brevet d'obtention relèverait par définition de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité;

Quatrième moyen: la décision attaquée violerait l'article 85, paragraphe 3, du traité, les conditions pour l'octroi d'une exemption au titre de cette disposition étant réunies en l'espèce, et, en tout état de cause, les motifs invoqués pour refuser cet octroi étant entachés d'erreurs de fait et de droit;

Cinquième moyen: la décision attaquée serait illégale pour excès de pouvoir dans la mesure où elle s'applique à la transaction intervenue entre la firme David et M. Eisele, cette transaction devant être considérée, d'après le droit allemand, comme un acte judiciaire.

6. Le recours ne vise pas les parties de l'article 1 b de la décision qui concernent les obligations résultant des articles 2 et 3 du contrat de 1965, et de l'article 1 de ce contrat pour autant qu'il s'agit de l'obligation pour le licencié de ne pas produire ou vendre de semences d'autres variétés de maïs que celles de l'INRA.

7. Les interventions des gouvernements britannique, allemand et français, ainsi que celle de la Caisse de gestion des licences végétales, concernent principalement les troisième et quatrième moyens. Le gouvernement français a en outre fait valoir que l'INRA est un établissement public, investi d'une mission d'intérêt général, et que c'était donc à bon droit que les requérants avaient invoqué l'article 90, paragraphe 2, du traité au cours de la procédure administrative devant la Commission.

8. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, d'après l'article 90, paragraphe 2, du traité, les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence du traité dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie.

9. La décision attaquée constate, et le gouvernement français ne l'a pas contesté, que la mission particulière qui, d'après la législation française, est confiée à l'INRA est celle d'organiser, d'exécuter et de publier tous travaux de recherche scientifique intéressant l'agriculture, notamment ceux relatifs à l'amélioration et au développement de la production végétale, ainsi qu'à la conservation et à la transformation des produits agricoles. L'accomplissement d'une telle mission n'est pas mis en échec par l'application des règles de concurrence du traité à un ensemble de contrats qui ont principalement pour objet, non l'obtention, c'est-à-dire la création ou le développement de nouvelles variétés, mais la commercialisation de semences de maïs qui sont issues des lignées de base déjà précédemment obtenues et développées par l'INRA à la suite d'une activité de recherche, lesquelles semences sont destinées, suite à leur commercialisation, à être livrées aux agriculteurs. Le recours à l'article 90, paragraphe 2, du traité n'est, dès lors, pas pertinent en l'espèce.

Premier moyen: les contrats visés par la décision attaquée

10. Le contrat de 1960 se situe au début de la collaboration entre l'INRA et M. Eisele. Aux termes de ce contrat, M. Eisele était chargé de représenter l'INRA auprès du Bundessortenamt, qui est l'institution fédérale allemande compétente pour procéder à l'enregistrement des droits d'obtention, en vue de l'inscription des variétés de semences de maïs développées par l'INRA qui étaient déjà protégées par des droits d'obtention en vertu de la législation française. En outre, M. Eisele s'engageait à informer l'INRA de toutes les questions relatives à la commercialisation de ces variétés en République fédérale d'Allemagne.

11. Les parties au contrat se sont aperçues qu'en vertu de la législation allemande applicable à l'époque, un titulaire de droits d'obtention ayant son siège en dehors du territoire allemand ne pouvait pas procéder à l'inscription de ces droits auprès du Bundessortenamt. Pour faire face à cette situation, l'INRA a cédé à M. Eisele, par quatre déclarations intervenues en janvier et février 1961, mais avec effet à la date de la signature du contrat de 1960, ses droits d'obtention pour le territoire allemand pour quatre variétés de semences de maïs INRA.

12. L'article 1 de la décision attaquée, sous a, fait référence à l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité que constitueraient le contenu et l'application de certaines dispositions du contrat de 1960, sans faire référence à des contrats intervenus en 1961. Dans leur premier moyen, les requérants soutiennent que la décision est sans objet pour autant qu'elle vise le contrat de 1960, celui-ci ayant été "annulé pour l'essentiel " par les cessions.

13. Il ressort cependant du dossier que les déclarations de cession comportaient toutes la clause suivante:

" Dans la mesure où le contenu de la présente déclaration déroge à la convention conclue, ces déclarations valent accord sur la modification de la convention. "

14. Il en résulte que le contrat de 1960 se trouvait modifié, et non pas abrogé, par les déclarations de cession. La Commission a, d'ailleurs, fait sienne cette interprétation du contrat, en faisant valoir, dans les considérants de la décision (I. D, n° 1.1) que c'est "sur la base de ce contrat ", c'est-à-dire celui de 1960, que "M. Eisele a fait inscrire à son nom, auprès du Bundessortenamt, les variétés de maïs créées par l'INRA et est donc devenu le titulaire en République fédérale d'Allemagne des droits d'obtention sur ces variétés ", et en faisant référence, dans le dispositif de la décision (art. 1er, sous a), au contrat de 1960 concernant "la cession par l'INRA à MK Eisele du droit aux obtentions allemandes ".

15. Une telle interprétation est d'autant plus justifiée que le contrat de 1960, et sa modification par les déclarations de cession, ne constituaient que le début de la collaboration entre l'INRA et les requérants, collaboration qui devait s'intensifier par la suite, notamment par l'effet du contrat de 1965 qui a confié à M. Eisele l'exclusivité de l'organisation de vente des semences de maïs INRA sur le territoire allemand. Les cessions s'inséraient ainsi dans une série d'opérations ayant pour objet d'organiser la distribution des semences de maïs INRA en Allemagne.

16. Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

Deuxième moyen: l'applicabilité du règlement n° 26-62

17. Aux termes de l'article 2 du règlement n° 26-62, pris en vertu de l'article 42 du traité, l'article 85, paragraphe 1, du traité est inapplicable aux accords, décisions et pratiques relatifs à la production et au commerce des produits agricoles, s'ils font partie intégrante d'une organisation nationale de marché ou s'ils sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune énoncés à l'article 39 du traité.

18. A cet égard, la décision fait d'abord observer que les accords entre l'INRA et M. Eisele ne font pas partie intégrante et ne sont pas le prolongement d'une organisation nationale du marché des semences de maïs (II, n° 5, premier tiret). Depuis 1973, l'INRA aurait confié l'exploitation commerciale des semences de maïs INRA, en France et ailleurs, à la Frasema, société française de droit privé, dont les actionnaires sont les fournisseurs principaux de semences certifiées de toutes variétés utilisées par l'agriculture française. La spécificité des semences de maïs INRA ne serait pas telle que l'organisation de ce marché puisse être distinguée de celle du marché des semences de maïs en général. Par conséquent, les conventions liant l'INRA et la Frasema ne pourraient pas être considérées comme constituant une organisation nationale du marché des semences de maïs. Ce marché des semences de maïs serait, d'ailleurs, régi par les dispositions du règlement n° 2358-71 du Conseil, du 26 octobre 1971, portant organisation commune des marchés dans le secteur des semences (JO n° L. 246, p. 1).

19. La décision constate ensuite que les accords litigieux ne sont pas nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité (II, n° 5, deuxième tiret). Les moyens nécessaires à cette réalisation auraient été déterminés par le règlement n° 2358-71, précité, et les accords ne pourraient, d'aucune façon s'insérer dans le cadre des dispositions de ce règlement. Par ailleurs, les accords auraient permis aux requérants d'éliminer toute concurrence sur le marché allemand pour ce qui concerne les semences de maïs INRA, et ils auraient eu pour résultat que les prix de ces semences en Allemagne auraient été très supérieurs aux prix pratiqués en France, résultat qui serait contraire à deux des objectifs de l'article 39 du traité: assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture, et assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Enfin, en limitant la production des semences de maïs INRA en Allemagne, les accords auraient été de nature à s'opposer à l'objectif de l'article 39 du traité concernant la sécurité de l'approvisionnement, en restreignant de façon non négligeable la dispersion géographique de cette production dans les zones de la Communauté où elle aurait été possible.

20. Le deuxième moyen conteste la seconde partie de cette argumentation. Les requérants font d'abord valoir que les prix des semences INRA en Allemagne n'ont pas été sensiblement supérieurs à ceux pratiqués en France. Ils soutiennent ensuite qu'une licence territoriale exclusive portant sur un droit d'obtention est le moyen par excellence pour atteindre les objectifs de l'article 39 du traité. D'une part, les contrats de licence exclusive permettraient de diffuser les connaissances acquises par le producteur de semences et d'accroître ainsi la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, ce qui entraînerait un relèvement du revenu individuel des agriculteurs (article 39, paragraphe 1, sous a et b). D'autre part, seul le preneur de licence exclusive pourrait pratiquer, de concert avec le donneur de licence, une politique à long terme visant à satisfaire les besoins de semences sur le territoire qui lui est réservé, et assurer ainsi la stabilisation du marché et la sécurité des approvisionnements (art. 39, paragraphe 1, sous c et d).

21. Il apparaît, dès lors, que le deuxième moyen est fondé sur la thèse selon laquelle les contrats litigieux, en établissant une licence exclusive du droit d'obtention des semences de maïs INRA pour le territoire allemand, constitueraient le moyen approprié pour parvenir à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune, étant donné les exigences particulières inhérentes à la production et à la commercialisation de ces semences. Cette thèse sera examinée dans le cadre du troisième moyen.

22. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner séparément le deuxième moyen.

Troisième moyen, A: la nature particulière du droit d'obtention végétale

23. Les requérants expliquent d'abord que M. Eisele était le titulaire des droits d'obtention qui lui avaient été transmis par l'INRA pour le territoire allemand. D'après la législation allemande en la matière, un tel droit confère à son titulaire le droit exclusif de produire en vue de leur commercialisation et de commercialiser des semences de la variété protégée, et celui d'interdire que soient importées sans son accord de telles semences (article 15, paragraphe 1, de la Sortenschutzgesetz, loi allemande sur la protection des espèces végétales).

24. Ils font valoir ensuite que le principe de la territorialité de la protection procurée par le droit d'obtention en vertu de cette législation se justifie par la nature particulière des espèces végétales qui en font l'objet. D'une part, la culture des semences dépendrait des conditions climatiques et de la nature du terrain; les semences devraient être adaptées aux conditions particulières du pays où elles seront utilisées. D'autre part, les semences hybrides, une fois créées, devraient être constamment reproduites par un processus biologique pour être conservées; le risque de déstabilisation de la variété serait tel qu'une commercialisation qui ne serait pas contrôlée par un obtenteur ou son licencié pourrait provoquer des dégâts considérables à toute l'agriculture dans le territoire en question.

25. Ces arguments sont également mis en relief par le gouvernement français et par la Caisse de gestion de licences végétales, qui font notamment valoir que la promotion de l'innovation technique dans le domaine des espèces végétales dépend de la possibilité de bénéficier d'une protection territoriale absolue. Il faudrait de très longues périodes pour mettre au point les lignées de base qui sont génératrices des semences certifiées faisant l'objet du droit d'obtention et l'immobilisation financière considérable qui en résulte ne serait consentie que si l'obtenteur et son licencié sont assurés de la jouissance paisible de leurs droits.

26. Les requérants et ces deux parties intervenantes déduisent de ces arguments que la décision attaquée est illégale dans la mesure où elle considère les contrats litigieux comme visant une répartition des marchés, alors que la protection territoriale dont bénéficiait M. Eisele serait le fait de l'exercice légitime des droits d'obtention dont il était titulaire en Allemagne.

27. Il y a lieu de souligner d'abord que la décision attaquée censure expressément le contenu et l'application du contrat de 1960 dans la mesure où celui-ci permettait à M. Eisele "d'invoquer ses propres droits d'obtention pour s'opposer à toute importation en République fédérale d'Allemagne, ou à toute exportation vers un autre Etat membre de la Communauté, de semences de maïs des variétés INRA " (art. 1, sous a).

28. Il convient de rappeler ensuite que, d'après la jurisprudence de la Cour (arrêt du 15 juin 1976, EMI Records, 51/75, Rec. p. 811), un droit de propriété industrielle ou commerciale, en tant que statut légal, échappe aux éléments contractuels ou de concertation envisagés par l'article 85, paragraphe 1, du traité, mais que son exercice peut tomber sous les prohibitions du traité s'il apparaît comme étant l'objet, le moyen ou le conséquence d'une entente.

29. Un tel exercice d'un droit de propriété industrielle ou commerciale prohibé par les dispositions du traité, en particulier par l'article 85, paragraphe 1, se présente notamment, comme la Cour l'a souligné dans son arrêt du 20 juin 1978 (Tepea, 28-77, Rec. p. 1391), lorsque la combinaison d'un accord consistant en la concession du droit exclusif d'utiliser un droit de propriété industrielle ou commerciale dans un certain territoire et d'un accord reconnaissant au licencié la qualité de distributeur exclusif sur ce même territoire, a pour effet d'assurer au licencié une protection territoriale absolue en empêchant les importations parallèles.

30. Les arguments invoqués à l'appui du troisième moyen, sous A, soutiennent en substance que cette jurisprudence, développée au regard du droit de la marque et du brevet industriel, ne saurait s'appliquer s'il s'agit d'un droit d'obtention, étant donné les caractéristiques particulières propres à ce droit et aux produits qui en font l'objet.

31. A cet égard, il y a lieu de constater que, en l'espèce, la décision attaquée vise les semences de maïs INRA faisant l'objet des droits d'obtention dont l'INRA était le titulaire en France et, suite aux cessions intervenues, M. Eisele le titulaire en République fédérale d'Allemagne, et qui étaient officiellement certifiées et susceptibles d'être importées, vendues et produites en Allemagne en vue d'être mises à la disposition des agriculteurs-utilisateurs.

32. Il est vrai que, d'après l'article 3 du contrat de 1965, M. Eisele recevait également, de la part de l'INRA, des lignées de base pour cultiver lui-même des semences certifiées, sous condition de ne pas produire plus du tiers des semences certifiées nécessaires aux besoins des utilisateurs allemands, et d'importer de France la partie complémentaire. La décision constate que cette obligation de M. Eisele de ne pas produire plus du tiers des semences vendues est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité (article 1 sous b de la décision, sur le contrat de 1965, article 3), mais les requérants n'ont pas attaqué cette partie de la décision. Les autres parties de la décision ne concernent pas le développement ou l'importation des lignées de base mais la commercialisation et, accessoirement, la production des semences certifiées.

33. Cette constatation permet de mieux apprécier les arguments tirés de la promotion de l'innovation technique dans le domaine agricole. Si le développement de nouvelles semences peut entraîner des sacrifices financiers considérables, ce risque se situe plutôt au niveau de la production des semences de base. En revanche, lorsque la variété nouvellement développée a trouvé sa forme définitive, en ce sens qu'elle donne lieu à la production de semences susceptibles d'être officiellement certifiées et d'être commercialisées, les règles relatives au commerce de produits, y inclus le droit de la concurrence, doivent en principe être appliquées à cette commercialisation.

34. Les semences certifiées qui font l'objet des contrats litigieux sont des semences de maïs hybride, représentant une variété de semences dont la stabilité ne peut être assurée que si elles sont chaque fois de nouveau cultivées à partir des lignées de base. Selon les requérants, la reproduction de ces semences pose donc un problème particulier par rapport à la reproduction de produits protégés par un droit de marque ou par un brevet industriel, notamment en ce sens que le procédé pour y parvenir serait plus compliqué et que la reproduction dépendrait de façon très marquée des aléas du climat et du sol.

35. Cette argumentation méconnaît cependant que beaucoup de produits susceptibles de faire l'objet d'un droit de marque ou d'un brevet industriel, en particulier certains produits alimentaires et pharmaceutiques, se trouvent dans une situation semblable.Les motifs avancés par les requérants, bien que reposant sur des constatations de fait exactes, ne suffisent pas pour réserver un régime spécial au droit d'obtention par rapport aux autres droits de propriété industrielle ou commerciale.

36. L'argument principal que les requérants ont fait valoir à l'appui de leur moyen consiste à soutenir que le titulaire d'un droit d'obtention allemand est garant, envers le Bundessortenamt, de la stabilité de la variété protégée. La responsabilité qui incomberait ainsi à ce titulaire exigerait un contrôle absolu de sa part de toute commercialisation des semences de la variété protégée sur le territoire allemand. C'est précisément pour cette raison que la nature même du droit d'obtention, telle qu'elle résulterait du droit allemand applicable en l'occurrence, ferait obstacle aux importations parallèles qui seraient effectuées en dehors du contrôle par le titulaire.

37. Il convient d'observer, à cet égard, qu'il résulte des articles 12 et 15 de la loi allemande sur la protection des espèces végétales (Sortenschutzgesetz, version codifiée Bundesgesetzblatt 1977, I, p. 105) que le droit d'obtention revient à l'auteur de la sélection d'origine ou inventeur d'une variété ou à ses ayants droit et qu'il a pour effet que seul le titulaire du droit est compétent pour produire ou commercialiser, à titre professionnel, du matériel de reproduction de la variété protégée. En ce qui concerne le maintien de la variété, l'article 16 de la même loi prévoit que le titulaire du droit d'obtention est obligé de fournir tous les renseignements nécessaires pour l'examen de la variété par le Bundessortenamt, de permettre à celui-ci de vérifier les mesures prises pour assurer le maintien de la variété et de lui envoyer tout le matériel nécessaire à cet effet.

38. Ainsi qu'il a été expliqué par le gouvernement allemand dans ses réponses aux questions posées par la Cour, cette loi ne régit pas l'admission des semences à la commercialisation et les contrôles connexes, matière qui fait l'objet de la loi allemande sur le commerce des semences (Saatgutverkehrsgesetz, version codifiée Bundesgesetzblatt 1975, I, p. 1453). D'après l'article 4, paragraphe 1, de cette loi, des semences ne peuvent en principe être commercialisées qu'après avoir été agréées, notamment en tant que semences de base ou semences certifiées. Cette agréation présuppose en particulier que la variété en question ait été inscrite sur la liste des variétés (Sortenliste, article 7, paragraphe 1, de la loi), à l'initiative du cultivateur de la variété ou, s'il s'agit d'une variété protégée, du titulaire du droit d'obtention. Ni l'inscription sur la liste des variétés, ni l'agréation des semences ne comportent un droit exclusif sur la production ou la commercialisation du matériel de reproduction.

39. En vertu de l'article 38, paragraphe 1, de la Saatgutverkehrsgesetz, une variété ne peut être inscrite sur la liste des variétés que si elle est distincte, suffisamment homogène et stable, si elle a une valeur culturale et si elle peut être caractérisée par une dénomination susceptible d'être enregistrée. Il incombe au Bundessortenamt de vérifier si les conditions requises pour l'inscription sur la liste sont réunies (article 57, paragraphe 1, de la loi). L'inscription peut être supprimée d'office si l'une de ces cinq conditions précitées ne se trouve pas ou plus remplie (article 62, paragraphe 2, de la loi).

40. La Saatgutverkehrsgesetz prévoit en outre que le cultivateur qui a fait inscrire la variété sur la liste des variétés est tenu de maintenir cette variété telle qu'elle a été inscrite, et que le Bundessortenamt veille au maintien des variétés inscrites (articles 67 à 68 de la loi).

41. Cet aperçu de la législation allemande fait ressortir que les semences certifiées et admises à la commercialisation font l'objet d'un contrôle de qualité de la part des autorités publiques et que ce contrôle inclut celui de la stabilité de la variété. Le droit d'obtention, en revanche, n'a pas pour objet de substituer un contrôle du titulaire à celui des autorités compétentes, mais de fournir au titulaire une protection dont la nature et les effets s'insèrent dans le cadre du droit privé. De ce point de vue, la situation juridique d'un obtenteur de semences n'est pas différente de celle du titulaire d'un brevet ou d'un droit de marque sur un produit soumis à un contrôle strict des autorités publiques, comme c'est le cas d'un produit pharmaceutique.

42. Il convient d'observer, par ailleurs, que les semences de maïs importées de France et qui ont déjà fait l'objet d'une agréation dans cet Etat membre peuvent être commercialisées en Allemagne sans faire l'objet d'une nouvelle procédure d'agréation. Le gouvernement allemand a en effet expliqué qu'il a adopté des règlements à cet effet, sur la base des articles 23 et 24 de la Saatgutverkehrsgesetz et des directives communautaires concernant la commercialisation des semences de céréales.

43. Il n'y a donc pas lieu de considérer que le droit d'obtention est un droit de propriété industrielle et commerciale présentant des caractéristiques tellement spécifiques qu'elles exigent, par rapport aux règles de concurrence, un traitement différent de celui des autres droits de propriété industrielle et commerciale. Cette conclusion n'affecte pas la nécessité de prendre en considération, pour l'application des règles de concurrence, la nature spécifique des produits qui font l'objet du droit d'obtention.

Troisième moyen, B: l'application de l'article 85 du traité aux licences exclusives

44. Par ce moyen, les requérants reprochent à la Commission d'avoir considéré à tort qu'une licence exclusive d'un droit d'obtention doit, par sa nature même, être assimilée à un accord interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cette opinion de la Commission serait mal fondée, dans la mesure où, pour des semences qui ont été récemment développées dans un Etat membre, et qui n'ont pas encore pénétré sur le marché d'un autre Etat membre, la licence exclusive constituerait le seul moyen de promouvoir la concurrence entre le nouveau produit et les produits comparables dans cet autre Etat membre. En effet, aucun cultivateur ou commerçant ne prendrait le risque de lancer le nouveau produit sur un nouveau marché s'il n'était pas protégé contre la concurrence directe du titulaire du droit d'obtention et de ses autres licenciés.

45. Ce moyen a été appuyé par les gouvernements allemand et britannique, ainsi que par la Caisse de gestion des licences végétales. Les deux gouvernements font notamment valoir que le caractère général de la motivation de la décision attaquée est incompatible avec les termes de l'article 85 du traité et contraire à une saine politique de concurrence. La motivation partirait de la thèse non fondée selon laquelle toute licence exclusive d'un droit de propriété industrielle ou commerciale, quelle qu'en soit la nature, devait être considérée comme un accord interdit par l'article 85, paragraphe 1, et qu'il appartiendrait, par conséquent, à la Commission d'apprécier si, dans un cas concret, les conditions pour l'octroi d'une exemption en vertu de l'article 85, paragraphe 3, étaient réunies.

46. Au cours de la procédure, l'utilisation de la notion "licence exclusive" a été contestée au motif qu'en l'espèce, les requérants avaient le droit exclusif de commercialiser les semences litigieuses en République fédérale d'Allemagne sur la base des droits d'obtention dont M. Eisele était le titulaire dans cet Etat membre. Dès lors, ce droit exclusif ne serait fondé ni sur la concession, de la part de l'INRA, d'un droit exclusif d'utiliser sur le territoire allemand des droits de propriété industrielle ou commerciale revenant à l'INRA, ni sur le contrat de 1965 qui reconnaissait à M. Eisele la qualité de distributeur exclusif des semences en question sur ce territoire.

47. Cette thèse méconnaît cependant que, du point de vue du droit de la concurrence, le contrat de 1960 instaurant la collaboration entre l'INRA et M. Eisele, les "cessions" des droits d'obtention intervenues en 1961 et le contrat de 1965 organisant la distribution des semences INRA sur le territoire allemand forment un tout indissociable. En termes économiques, la position de M. Eisele sur le marché allemand était celle d'un licencié exclusif, étant donné notamment que l'autorisation donnée par l'INRA à M. Eisele de faire enregistrer, à son nom, en Allemagne les droits d'obtention dont l'INRA était titulaire en France, résultait de la circonstance que cette institution ne pouvait pas faire enregistrer, à l'époque, ses propres droits d'obtention auprès du Bundessortenamt, et que cette opération s'inscrit dans le cadre de la concession de l'exclusivité de l'organisation de vente des semences INRA en Allemagne à M. Eisele.

48. La motivation de la décision invoque deux séries de circonstances pour justifier l'applicabilité de l'article 85, paragraphe 1, à la licence exclusive en question (II, n° 3). La matérialité des faits ainsi rapportés n'a pas été contestée.

49. La première série de circonstances est décrite comme suit:

" en concédant à une seule entreprise l'exploitation de ses droits d'obtention dans un territoire déterminé, le donneur de licence se prive pour toute la durée du contrat de la faculté de concéder dans ce même territoire une licence à d'autres entreprises"; "en s'engageant à ne pas produire et vendre lui-même dans le territoire concédé, le donneur de licence s'élimine lui aussi, et élimine également la Frasema et les membres de celle-ci en tant qu'offreurs dans ce territoire".

50. A cette partie de la motivation correspond l'article 1, sous b, premier et deuxième tirets, de la décision, qui déclare l'exclusivité de la licence prévue dans le contrat de 1965 contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant qu'elle implique:

" - l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas faire produire ou faire vendre par d'autres licenciés en République fédérale d'Allemagne,

l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas produire ou vendre eux-mêmes en République fédérale d'Allemagne".

51. La deuxième série de circonstances invoquée par la décision est décrite de la façon suivante:

" l'impossibilité pour les tiers, sans autorisation de l'INRA ou de M. Eisele, d'importer en République fédérale d'Allemagne ou d'exporter de ce pays les mêmes semences", c'est-à-dire celles faisant l'objet de la licence, "en provenance ou en destination d'autres pays du Marché commun, contribue à une répartition de débouchés et prive les agriculteurs-utilisateurs allemands de toute possibilité de discussion réelle puisque ces semences leur sont proposées par le canal obligatoire d'un offreur unique au départ".

52. A cette partie de la motivation correspond l'article 1, sous b, troisième et quatrième tirets, de la décision, qui déclare l'exclusivité de la licence prévue dans le contrat de 1965 contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant qu'elle implique:

" - l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit d'empêcher les tiers d'exporter les produits concernés en République fédérale d'Allemagne sans autorisation du licencié, pour les utiliser ou pour les vendre;

le recours par M. Eisele à la fois à son droit exclusif contractuel et à ses propres droits d'obtention pour s'opposer à toute importation en République fédérale d'Allemagne, ou à toute exportation vers un autre Etat membre des produits concernés".

53. Il y a lieu d'observer que ces deux séries de considérations concernent deux situations juridiques qui ne s'identifient pas nécessairement. Dans le premier cas, il s'agit d'une licence ou concession exclusive dite ouverte, où l'exclusivité de la licence ne vise que le rapport contractuel entre le titulaire du droit et le licencié, en ce sens que le titulaire s'engage seulement à ne pas octroyer d'autres licences pour le même espace territorial et à ne pas faire lui-même concurrence au licencié sur ce territoire. Dans le deuxième cas, par contre, il s'agit d'une licence ou concession exclusive à protection territoriale absolue, par laquelle les parties au contrat se proposent d'éliminer, pour les produits et le territoire en question, toute concurrence de la part de tiers, tels les importateurs parallèles ou les licenciés pour d'autres territoires.

54. Cette clarification faite, il convient d'examiner d'abord si, en l'espèce, l'exclusivité de la licence, pour autant qu'elle revêt le caractère d'une licence ouverte, a pour effet d'empêcher ou de fausser la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

55. A cet égard, le gouvernement allemand a souligné que la protection des innovations agricoles par le biais des droits d'obtention constitue un moyen d'encourager ces innovations et que l'octroi d'un droit d'exclusivité, limité dans le temps, est susceptible de créer une incitation additionnelle à la promotion de l'innovation. Il en déduit qu'une interdiction totale de toute licence exclusive, même ouverte, aboutirait à une diminution de l'intérêt des entreprises pour les licences, ce qui porterait préjudice à la diffusion des connaissances et des techniques dans la Communauté.

56. La licence exclusive qui fait l'objet de la décision attaquée concerne la culture et la commercialisation de semences de maïs hybride qui avaient été développées par l'INRA après des années de recherche et d'expérimentation et qui n'étaient pas connues des agriculteurs-utilisateurs allemands au moment où s'organisait la collaboration entre l'INRA et les requérants. Pour cette raison, les préoccupations manifestées par les parties intervenantes en ce qui concerne la protection d'une technologie nouvelle se trouvent justifiées.

57. En effet, dans le cas d'une licence d'un droit d'obtention pour des semences de maïs hybride nouvellement développées dans un Etat membre, une entreprise établie dans un autre Etat membre qui n'aurait pas la certitude de ne pas souffrir de concurrence de la part d'autres licenciés pour l'espace territorial qui lui a été concédé, ou de la part du titulaire du droit lui-même, pourrait être amenée à ne pas accepter le risque de la culture et de la commercialisation de ce produit, résultat qui serait nuisible à la diffusion d'une nouvelle technologie et qui porterait ainsi atteinte à la concurrence entre le nouveau produit et les produits existants semblables sur le territoire de la Communauté.

58. En tenant compte de la spécificité des produits en cause, la Cour conclut que, dans un cas comme celui de l'espèce, la concession d'une licence exclusive ouverte, c'est-à-dire d'une licence qui ne vise pas la situation des tiers, tels les importateurs parallèles et les licenciés pour d'autres territoires, n'est pas, en soi, incompatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité.

59. Le troisième moyen, sous B, est donc justifié pour autant qu'il concerne cet aspect de l'exclusivité de la licence.

60. En ce qui concerne la situation des tiers, la Commission reproche, en substance, aux parties au contrat d'avoir étendu la notion d'exclusivité aux importateurs qui ne sont pas liés au contrat, et notamment aux importateurs parallèles. Des importateurs ou exportateurs parallèles, telles les firmes David en Allemagne et Bomberault en France, ayant offert des semences INRA aux acheteurs allemands, auraient fait l'objet de procédures et de pressions de la part de l'INRA, de la Frasema et des requérants en vue d'assurer la position exclusive des requérants sur le marché allemand.

61. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour (Consten, 56 et 58-64, Rec. 1966, p. 429), la protection territoriale absolue en faveur d'un licencié destinée à permettre le contrôle et l'entrave des importations parallèles, aboutit au maintien artificiel des marchés nationaux distincts contraire au traité.

62. Le gouvernement britannique a défendu la thèse selon laquelle un contrat entre deux entreprises ne pourrait pas faire obstacle à la liberté des importateurs d'acheter des semences dans le pays du titulaire en vue de les exporter vers le pays du licencié, étant donné que, d'après la jurisprudence de la Cour, un droit de propriété industrielle et commerciale ne saurait être invoqué contre la commercialisation d'un produit qui a été licitement écoulé sur le marché d'un autre Etat membre par le titulaire de ce droit ou avec le consentement de celui-ci. Par conséquent, un tel contrat ne pourrait pas être considéré comme un accord interdit par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

63. Cette thèse méconnaît, toutefois, qu'il entre dans les attributions de la Commission de veiller, conformément à l'article 85 du traité et aux règlements pris pour son application, à ce que les accords et pratiques concertées entre des entreprises n'aient pas pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser la concurrence, et que ce pouvoir de la Commission ne se trouve pas diminué du fait que des personnes ou des entreprises frappées par de telles restrictions seraient en mesure de se prévaloir des dispositions du traité relatives à la libre circulation de marchandises pour se soustraire à ces restrictions.

64. Il ressort du dossier que les contrats litigieux ont effectivement eu pour objet de restreindre la concurrence des tiers sur le marché allemand. L'article 5 du contrat de 1965 prévoit en effet que l'INRA s'engage, et se charge d'engager ses ayants droit, à prendre "toutes les mesures nécessaires" pour empêcher toute exportation des variétés de semences en question vers le territoire allemand.

65. La décision interprète cette clause dans le sens qu'elle vise à empêcher les tiers, acheteurs de semences INRA en France, d'exporter ce produit en République fédérale d'Allemagne (II, n° 3 b). Il découle des obstacles que les parties aux contrats ont érigés vis-à-vis des efforts des firmes David et Bomberault pour vendre des semences INRA en Allemagne que cette interprétation est correcte.

66. L'article 1, sous b, de la décision vise expressément l'article 5 du contrat de 1965, ainsi que l'exercice des droits d'obtention par M. Eisele en vue d'empêcher la commercialisation des semences INRA en Allemagne par des tiers. Pour autant, le troisième moyen, sous B, n'est, dès lors, pas fondé.

67. L'examen du troisième moyen, sous B, conduit, par conséquent, à la conclusion que ce moyen est partiellement fondé et que l'article 1, sous b, de la décision doit être annulé pour autant qu'il vise l'article 1 du contrat de 1965 et dans la mesure où celui-ci comporte:

l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas faire produire ou faire vendre par d'autres licenciés en République fédérale d'Allemagne,

l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas produire ou vendre eux-mêmes en République fédérale d'Allemagne.

Quatrième moyen: l'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité

68. A l'appui du quatrième moyen, les requérants font valoir que la décision attaquée refuse l'octroi d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité parce qu'il n'y aurait pas, en l'espèce, de pénétration d'un marché nouveau ou de lancement d'un nouveau produit et que M. Eisele bénéficiait d'une protection territoriale absolue sur le territoire allemand. Ces deux motifs seraient inexacts. D'une part, le contrat de 1965 avait, au moment de sa notification à la Commission, précisément pour objet d'ouvrir un nouveau marché et d'introduire un nouveau produit; d'autre part, les liens d'exclusivité établis par ce contrat n'iraient pas au-delà de ce qui était nécessaire à la diffusion des espèces cultivables en dehors de leur pays d'origine et, dès lors, à l'amélioration de la production et de la distribution des produits.

69. Au soutien de ce moyen, le gouvernement britannique a fait observer que seul le bénéfice de la protection de la licence exclusive pourrait amener le licencié à exploiter les droits d'obtention en question et que cette protection servirait ainsi à l'amélioration de la production et de la distribution des produits, ainsi qu'à la promotion du progrès technique ou économique, au sens de l'article 85, paragraphe 3. Dès lors, les critères appliqués par la décision attaquée seraient excessivement sévères.

70. La Caisse de gestion des licences végétales allègue qu'il s'agit, dans la présente procédure, d'un produit fragile et techniquement élaboré et que, dans un tel cas, une sécurité d'approvisionnement ne peut être atteinte que par la mise en place d'un système sélectif de planification et de stabilisation du marché. En refusant l'octroi d'une exemption, la Commission aurait méconnu la nature spécifique des contrats litigieux.

71. Il importe de constater d'abord que la décision attaquée a laissé en suspens l'appréciation, au regard de l'article 85, paragraphe 3, de l'exclusivité de production par multiplication concédée à M. Eisele, et qu'elle se borne à constater que les conditions prévues pour l'exemption ne sont pas réunies en ce qui concerne l'exclusivité de vente et les interdictions d'exporter qui l'accompagnent (III, n° 1, b.).

72. Il convient de souligner ensuite que, après l'accueil partiel du troisième moyen sous B, l'appréciation par la Cour du refus de l'exemption peut se limiter à l'examen des arguments de la Commission relatifs à l'exclusivité de vente pour autant qu'elle procure une protection territoriale absolue.

73. Sur ce point, la décision rappelle que M. Eisele a bénéficié, pour distribuer en Allemagne les semences dont il avait l'exclusivité, d'une protection territoriale absolue, et qu'une telle protection a eu pour seule et directe conséquence, par son caractère absolu, d'empêcher toute importation par d'autres canaux des produits originaux, à savoir les semences INRA en provenance de France, malgré une demande persistante en République fédérale d'Allemagne pour de telles importations, ce qui en soi ne peut contribuer à une amélioration de la production ou de la distribution des produits au sens de l'article 85, paragraphe 3 (III n° 1, b, deuxième tiret).

74. La Caisse de gestion de licences végétales a contesté ce raisonnement. A son avis, la protection territoriale dont bénéficiait le licencié en l'occurrence aurait plutôt été une protection relative, en raison de la présence sur le marché de nombreuses variétés de semences de maïs qui seraient substituables aux variétés INRA et qui pourraient donc entrer en concurrence directe avec ses variétés.

75. La Commission a cependant répondu à juste titre que cette observation de la Caisse concerne le problème de la délimitation du marché, problème qui se pose lorsque la Commission doit vérifier si un accord donne "la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence (article 85, paragraphe 3, sous b), mais qui n'est pas pertinent pour l'examen de la question de savoir si un accord est susceptible d'améliorer la production ou la distribution des produits.

76. Il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 85, paragraphe 3, du traité une exemption de l'interdiction prévue à l'article 85, paragraphe 1, peut être octroyée à tout accord entre entreprises qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique, sans pour autant imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs.

77. Or, s'agissant de semences destinées à être utilisées par un grand nombre d'agriculteurs pour la production du maïs, produit important pour l'alimentation humaine et animale, une protection territoriale absolue va manifestement au-delà de ce qui est indispensable à l'amélioration de la production ou de la distribution ou à la promotion du progrès technique, comme le démontre notamment, en l'occurrence, l'interdiction, voulue par les parties à l'accord, de toute importation parallèle de semences de maïs INRA en Allemagne, même s'il s'agit de semences obtenues par l'INRA lui-même et mises en circulation en France.

78. Il en résulte que la protection territoriale absolue accordée au licencié, telle que la décision attaquée l'a constatée, constituait un motif suffisant pour justifier le refus d'octroyer une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Par conséquent, il n'est plus nécessaire d'examiner les autres motifs que comporte la décision pour refuser l'octroi d'une telle exemption.

79. Dès lors, le quatrième moyen doit être rejeté.

Cinquième moyen: la transaction intervenue entre la firme David et M. Eisele

80. Le cinquième moyen vise l'article 1, sous c, de la décision, par lequel la Commission déclare l'article 1 de la transaction intervenue, le 14 novembre 1973, entre la firme David et M. Eisele contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité, pour autant que cet article 1 prévoit l'obligation pour l'entreprise David de ne plus vendre ou mettre en circulation en République fédérale d'Allemagne, sans autorisation du licencié allemand, des semences des variétés INRA.

81. Il ressort du dossier que ladite transaction est intervenue dans le cadre d'une procédure engagée par M. Eisele devant le Landgericht Bad Kreuznach pour infraction à son droit d'exclusivité, après que la firme David eut importé de France et revendu en Allemagne, sans autorisation de M. Eisele, une quantité de semences certifiées de variétés INRA.

82. Les requérants font valoir que cette transaction était une transaction judiciaire au sens de l'article 794, paragraphe 1 n° 1, du Code de procédure civile allemand, conclue entre les parties pour régler dans son ensemble un litige devant un tribunal allemand. Une telle transaction, qui vaudrait titre exécutoire aux termes de la disposition citée, ne serait pas un simple contrat privé, mais un acte judiciaire.

83. Les requérants en déduisent que la Commission ne pourrait pas, sans empiéter sur la compétence juridictionnelle de la République fédérale d'Allemagne, annuler une telle transaction. Or, étant donné la nullité de plein droit prévue à l'article 85, paragraphe 2, du traité, la Commission aurait procédé à l'annulation de la transaction en cause lorsqu'elle a déclaré qu'une partie de celle-ci était contraire à l'article 85, paragraphe 1.

84. La Commission répond que, d'après le droit allemand, une transaction conclue aux fins de régler un litige doit respecter les exigences de droit matériel qui s'imposent à tout contrat civil, et en particulier celles qui découlent du droit de la concurrence. La transaction judiciaire serait un contrat de droit civil en même temps qu'un acte de procédure, et la nullité du contrat rendrait caduque toute la transaction.

85. La Commission ajoute que la jurisprudence allemande, notamment celle du Bundesgerichtshof, a confirmé ce point de vue. Selon cette jurisprudence, une partie à une transaction judiciaire ne saurait valablement invoquer des clauses de cette transaction contraires à la réglementation allemande sur les ententes. Il n'y aurait aucune raison pour porter une appréciation différente sur une transaction qui violerait les règles communautaires de concurrence.

86. La transaction litigieuse a été soumise à la Cour, qui a pu constater qu'elle est effectivement une transaction judiciaire au sens de l'article 794, paragraphe 1 n° 1, du Code de procédure civile allemand, à savoir une transaction conclue devant une juridiction allemande en vue de terminer le litige pendant devant celle-ci.

87. S'il est vrai que, comme les requérants le soutiennent, la transaction judiciaire constitue un titre exécutoire, elle n'a pas, en droit allemand, l'autorité de la chose jugée et ne peut donc sortir d'effet à l'égard d'autres juridictions, d'autorités publiques ou de tiers. Comme le souligne d'ailleurs la Commission, la jurisprudence allemande part de l'idée selon laquelle une transaction judiciaire doit respecter, sous peine de nullité, les dispositions légales d'ordre public et les bonnes moeurs et qu'elle ne saurait, dès lors, violer les règles impératives du droit de la concurrence.

88. Pour l'appréciation des moyens invoqués par les requérants, il n'est cependant pas nécessaire d'examiner la question de savoir si, et dans quelle mesure, une transaction judiciaire intervenue devant une juridiction allemande peut être frappée de nullité pour avoir violé les règles communautaires sur le droit de la concurrence. La décision attaquée ne fait en effet, que constater que l'obligation pour la firme David, résultant de la transaction, de ne plus vendre ou mettre en circulation en République fédérale d'Allemagne des semences INRA sans l'autorisation de M. Eisele, est contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

89. Par conséquent, l'effet de la décision se limite, à cet égard, à l'interdiction faite à M. Eisele de se prévaloir de l'article 1 de la transaction pour empêcher la vente ou la mise en circulation sur le territoire allemand de semences INRA par la firme David. Une telle interdiction est conforme à la conception, propre au droit allemand, selon laquelle une transaction judiciaire, au sens de l'article 794, paragraphe 1 n° 1, du Code de procédure civile, constitue en même temps un acte de procédure qui termine un litige et un contrat de droit privé qui ne permet pas aux parties d'ignorer les règles de droit impératif.

Le cinquième moyen doit, dès lors, être rejeté.

90. Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être accueilli pour autant qu'il vise l'article 1, sous b, relatif à l'article 1er du contrat de 1965, premier et deuxième tirets, et qu'il doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

91. Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut compenser les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En espèce, il y a lieu de compenser les dépens en ce sens que chaque partie et chaque partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) L'article 1, sous b, de la décision de la Commission du 21 septembre 1978, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/28.824 - droit d'obtention - semences de maïs; n° L. 286, p. 23) est annulé pour autant qu'il vise l'article 1 du contrat du 5 octobre 1965 et dans la mesure où celui-ci comporte:

l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas faire produire ou faire vendre par d'autres licenciés en République fédérale d'Allemagne,

l'obligation pour l'INRA ou ses ayants droit de ne pas produire ou vendre eux-mêmes en République fédérale d'Allemagne.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie, et chaque partie intervenante, supportera ses propres dépens.