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Décisions

CJCE, 11 décembre 1980, n° 31-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Oréal (NV), L'Oréal (SA)

Défendeur :

De Nieuwe AMCK (PVBA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mertens de Wilmars

Avocat général :

M. Reischl.

Juges :

MM. Mackenzie Stuart, O'Keefe, Bosco, Touffait

CJCE n° 31-80

11 décembre 1980

LA COUR,

1 Par ordonnance du 17 janvier 1980, parvenue à la Cour le 23 janvier, le Rechtbank van koophandel de l'arrondissement d'Anvers a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 85 et 86 du traité.

2 Ces questions sont posées à l'occasion d'une action intentée par la société belge L'Oréal NV et la société française SA L'Oréal devant le président du Rechtbank van koophandel d'Anvers statuant en référé, contre la société "De Nieuwe AMCK". Les sociétés L'Oréal ont établi en Belgique un réseau de distribution sélective pour les produits de soins capillaires Kérastase dont la société "De Nieuwe AMCK" ne fait pas partie. L'action intentée tend notamment à ce qu'il soit dit pour droit que le fait pour la défenderesse d'offrir à la vente ou de vendre des produits Kérastase sur lesquels figure la mention expresse qu'ils peuvent être vendus seulement par des coiffeurs-conseils Kérastase, et que, le cas échéant, le fait de s'approvisionner en ces produits en se faisant le complice d'une violation de contrat constituent des actes contraires aux usages loyaux en matière commerciale. Ladite action tend en outre à ce qu'il soit interdit à la défenderesse d'offrir à la vente, de vendre les produits visés ci-dessus ou de s'approvisionner en ces produits.

3 La partie défenderesse au principal a invoqué, devant la juridiction nationale, l'illégalité du réseau de distribution sélective de L'Oréal, qui serait contraire aux règles communautaires de concurrence. En réponse, les demanderesses au principal ont fait état d'une lettre adressée par la Commission à la SA L'Oréal le 22 février 1978. Par cette lettre, la Commission informait la société qu'étant donné la part peu importante du marché des produits de parfumerie, de beauté et de toilette qu'occupe L'Oréal dans les différents pays et le grand nombre d'entreprises concurrentes de taille similaire, la Commission estimait ne pas devoir intervenir sur la base de l'article 85, paragraphe 1, du traité à l'égard du système de distribution L'Oréal et que l'affaire avait par conséquent été classée.

4 Le Rechtbank van koophandel a dès lors décidé de surseoir à statuer et a adressé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1. Le système d'accords parallèles de distribution exclusive entre producteur et importateur exclusifs, couplé à des réseaux de distribution sélective entre les importateurs nationaux et les détaillants choisis par eux, fondé sur de prétendus critères de sélection qualitatifs et quantitatifs, au profit de quelques articles de parfumerie parmi toute une gamme, entre-t-il en ligne de compte pour une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité de Rome, et est-ce le cas en l'espèce, du point de vue du droit communautaire pour L'Oréal NV (Bruxelles) et L'Oréal SA (Paris) ?

2. Une décision de classement émanant d'un fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, comme celle contenue dans la lettre du 22 février 1978, signée par le directeur J E Ferry, de la Direction Générale de la Concurrence, Direction ententes et abus de position dominante et adressée à la première demanderesse au principal, a-t-elle force obligatoire ?

3. Les exemptions accordées en application de l'article 85, paragraphe 3, doivent-elles être considérées comme une tolérance ou bien créent-elles un droit qui, du point de vue du droit communautaire, est opposable aux tiers, et est-ce le cas pour L'Oréal ?

4. Les comportements de L'Oréal à l'égard de tiers peuvent-ils être considérés comme un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité de Rome?"

5 Il convient d'abord de rappeler que, dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l'article 177 du traité, la Cour n'est pas compétente pour connaître de l'application du traité à une espèce donnée. La Cour n'est pas, dès lors, en mesure de répondre à la deuxième partie de la première question. C'est au juge national qu'il appartient, à l'occasion des litiges qui lui sont soumis et au vu des faits de la cause et éventuellement des réponses données aux questions d'interprétation qu'il a pu juger nécessaire de poser à la Cour, de décider s'il y a lieu de faire application des articles 85 et 86 du traité.

6 Toutefois, la compétence des juridictions nationales étant susceptible d'être influencée par l'action de la Commission, il convient d'examiner en priorité la deuxième question relative à la nature juridique et aux conséquences à attacher à la lettre envoyée par la Commission à la SA L'Oréal.

Quant à la nature juridique de la lettre en cause

7 Comme la Cour a eu l'occasion de le dire dans ses arrêts du 10 juillet 1980 (Lancôme, affaire 99-79; Guerlain e.a., affaires 253-78 et 1 à 3-79; Marty, affaire 37-79), l'article 87, paragraphe 1, du traité a habilité le Conseil à arrêter tous règlements ou directives utiles en vue de l'application des principes figurant aux articles 85 et 86. Conformément à cette habilitation, le Conseil a arrêté des règlements, et, notamment, le règlement n° 17 du 6 février 1962 (JO n° 13, p. 204), qui ont donné compétence à la Commission pour adopter diverses catégories de règlements, décisions et recommandations.

8 Parmi les instruments mis ainsi à la disposition de la Commission pour accomplir sa mission figurent les décisions d'attestation négative et les décisions d'application de l'article 85, paragraphe 3. En ce qui concerne les décisions d'attestation négative, l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil prévoit que la Commission peut constater, sur demande des entreprises intéressées, qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard d'un accord, d'une décision ou d'une pratique en vertu des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, ou de l'article 86 du traité. En ce qui concerne les décisions d'application de l'article 85, paragraphe 3, les articles 6 et suivants du règlement n° 17 précité prévoient que la Commission peut adopter des décisions déclarant les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, inapplicables à un accord déterminé pour autant que celui-ci lui ait été notifié, à moins qu'il ne soit dispensé de notification en vertu de l'article 4, paragraphe 2, dudit règlement. Les destinataires d'une telle décision se voient ainsi reconnaître le droit de mettre en œuvre, dans les conditions éventuellement fixées par la Commission, un accord, une entente ou une pratique concertée, et ils peuvent se prévaloir de ce droit à l'égard de tout tiers qui, devant les juridictions nationales, évoquerait la violation de l'article 85, paragraphe 1, par l'accord, l'entente ou la pratique concertée en cause.

9 Le règlement n° 17 et ses règlements d'application déterminent les règles qui doivent être suivies par la Commission pour l'adoption des décisions précitées. Lorsque la Commission se propose de délivrer une attestation négative en vertu de l'article 2 précité ou de rendre une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, elle est notamment tenue, en vertu de l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, de publier l'essentiel du contenu de la demande ou de la notification en cause en invitant les tiers intéressés à lui faire connaître leurs observations dans le délai qu'elle fixe. Comme prévu par l'article 21, paragraphe 1, du règlement, les décisions d'attestation négative et d'exemption doivent être publiées.

10 Il est manifeste qu'une lettre, telle que celle qui a été adressée à la société L'Oréal par la Direction générale de la concurrence, qui a été expédiée sans que les mesures de publicité prévues à l'article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 aient été effectuées et qui n'a fait l'objet d'aucune publication en vertu de l'article 21, paragraphe 1, dudit règlement, ne constitue ni une décision d'attestation négative ni une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, au sens des articles 2 et 6 du règlement n° 17. Comme la Commission le souligne elle-même, il s'agit seulement d'une lettre administrative portant à la connaissance de l'entreprise intéressée l'opinion de la Commission qu'il n'y a pas lieu, pour elle, d'intervenir à l'égard des contrats en cause en vertu des dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que l'affaire peut, dès lors, être classée.

11 Fondée sur les seuls éléments dont la Commission a connaissance, une telle lettre, qui reflète une appréciation de la Commission et termine une procédure d'examen par les services compétents de la Commission, n'a pas pour effet d'empêcher les juridictions nationales, devant lesquelles l'incompatibilité des accords en cause avec l'article 85 est invoquée, de porter, en fonction des éléments dont elles disposent, une appréciation différente sur les accords concernés. Si elle ne lie pas les juridictions nationales, l'opinion communiquée dans une telle lettre constitue néanmoins un élément de fait que les juridictions nationales peuvent prendre en compte dans leur examen de la conformité des accords ou comportements en cause avec les dispositions de l'article 85.

12 Il faut, dès lors, répondre à la seconde question qu'une lettre signée par un fonctionnaire de la Commission indiquant qu'il n'y a aucune raison pour celle-ci d'intervenir au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE contre un système de distribution qui lui a été notifié n'est pas opposable aux tiers et ne lie pas les juridictions nationales. Elle constitue seulement un élément de fait dont les juridictions nationales peuvent tenir compte dans leur examen de la compatibilité du système en cause avec le droit communautaire.

Quant à l'application de l'article 85 au système de distribution en cause

13 Au vu de la première question posée à la Cour par la juridiction nationale et relative à la possibilité pour le système de distribution en cause de bénéficier d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 17 précité, la Commission a compétence exclusive, sous réserve du contrôle de la Cour, pour déclarer les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité inapplicables, conformément à l'article 85, paragraphe 3, du traité. La compétence des juridictions nationales se limite à apprécier la conformité de l'accord, entente ou pratique concertée qui leur est soumis avec l'article 85, paragraphe 1, et à constater éventuellement la nullité, aux termes de l'article 85, paragraphe 2, de l'accord, entente ou pratique en cause.

14 C'est donc par rapport à ces dispositions que le juge national devra examiner la validité du système de distribution de L'Oréal. Il appartient à la Cour de lui fournir à cet effet les éléments d'interprétation du droit communautaire qui lui permettront de se prononcer.

15 Ainsi que la Cour l'a observé dans son arrêt du 25 octobre 1977 (Metro, affaire 26-76, Recueil, p. 1875), les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire.

16 Afin de déterminer l'exacte nature de ces critères de sélection "qualitatifs" des revendeurs, il est aussi nécessaire d'examiner si les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un système de distribution sélective, et s'il n'est pas déjà satisfait à ces objectifs par une réglementation nationale de l'accès à la profession de revendeur ou des conditions de vente du produit en cause. Enfin, il convient de vérifier si les critères imposés ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire. A ce propos, il convient de rappeler que, dans l'affaire 26-76, Metro, précitée, la Cour a considéré que l'obligation de contribuer à la mise en place d'un système de distribution, les engagements relatifs à la réalisation de chiffres d'affaires, ainsi que les obligations d'achat minimum et de stockage, dépassent les nécessités d'un système de distribution sélective basé sur des exigences qualitatives.

17 Lorsque l'accès à un réseau de distribution sélective est subordonné à des conditions allant au-delà d'une simple sélection objective de caractère qualitatif, en particulier lorsqu'il est fondé sur des critères quantitatifs, le système de distribution tombe en principe sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, pour autant, ainsi que la Cour l'a observé par son arrêt du 30 juin 1966 (LTM, affaire 56-65, Recueil, p. 337), que l'accord remplisse diverses conditions dépendant moins de sa nature juridique que de ses rapports, d'une part avec le " commerce entre les États membres ", d'autre part avec " le jeu de la concurrence ".

18 Pour apprécier, d'une part, si un accord est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, il y a lieu de déterminer, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait et, particulièrement au vu des conséquences de l'accord en cause sur les possibilités d'importation parallèle, si cet accord permet d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle sur les courants d'échange entre États membres.

19 Pour apprécier, d'autre part, si un accord doit être considéré comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l'objet ou l'effet, il y a lieu d'examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l'accord litigieux. A cet effet, il y a lieu de prendre en considération notamment la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l'objet de l'accord, la position et l'importance des parties sur le marché des produits concernés, le caractère isolé de l'accord litigieux ou, au contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d'accords. A cet égard, la Cour a précisé dans son arrêt du 12 décembre 1967 (Brasserie de Haecht, affaire 23-67, Recueil, p. 525), que l'existence de contrats similaires, sans nécessairement être déterminante, est une circonstance qui, avec d'autres, peut constituer un contexte économique et juridique dans lequel l'accord doit être apprécié.

20 Il appartient à la juridiction nationale, sur la base de toutes les données pertinentes, de déterminer si l'accord remplit, en fait, les conditions pour tomber sous l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1.

21 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que les accords sur lesquels repose un système de distribution sélective, fondé sur des critères d'admission allant au-delà d'une simple sélection objective de caractère qualitatif, réunissent les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec l'article 85, paragraphe 1, lorsque ces accords, soit isolément, soit simultanément avec d'autres, dans le contexte économique et juridique dans lequel ils sont intervenus et sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et ont, soit pour objet, soit pour effet, d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Il est de la compétence exclusive de la Commission, sous réserve du contrôle de la Cour, de faire bénéficier de tels accords d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3.

Quant à l'opposabilité aux tiers d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3

22 Il a déjà été souligné à l'occasion de l'examen de la nature de la lettre évoquée dans la deuxième question qu'une exemption aux termes de l'article 85, paragraphe 3, lorsqu'elle est accordée par la Commission, confère au bénéficiaire un droit opposable aux tiers.

23 Il y a, dès lors, lieu de répondre à la troisième question que les décisions d'exemptions au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE créent des droits en ce sens que les parties à une entente ayant fait l'objet d'une telle appréciation peuvent s'en prévaloir à l'égard de tiers invoquant la nullité de l'entente sur la base de l'article 85, paragraphe 2, mais que, compte tenu de la réponse apportée à la question relative à la nature juridique de la lettre de la Commission, cette lettre ne constitue pas une telle exemption.

Quant à l'application de l'article 86

24 L'article 86 du traité interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

25 Dans l'examen de la position, éventuellement dominante, d'une entreprise, la délimitation du marché, ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 21 février 1973 (Europemballage et Continental Can, affaire 6-72, Recueil, p. 215), est d'une importance fondamentale. Les possibilités de concurrence doivent en effet être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits qui en fonction de leurs caractéristiques sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits.

26 Dans le marché ainsi défini, l'on se trouve en présence d'une position dominante lorsque, ainsi que la Cour l'a précisé en dernier lieu dans l'arrêt du 13 février 1979 (Hoffmann-La Roche, affaire 85-76, Recueil, p. 461), une entreprise détient une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de se comporter, dans une mesure appréciable de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement, des consommateurs.

27 En ce qui concerne la notion d'abus, celle-ci a été définie par la Cour dans l'affaire 85-76, Hoffmann-La Roche, précitée, comme une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence.

28 Quant à l'affectation du commerce entre États membres, il s'agit d'une notion commune aux articles 85 et 86 du traité qui a été explicitée ci-dessus.

29 Tout comme pour l'article 85, il appartient à la juridiction nationale, sur la base de l'ensemble des données du comportement en cause, de décider si l'article 86 trouve à s'appliquer.

30 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la quatrième question que le comportement d'une entreprise peut être considéré comme un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité lorsque cette entreprise détient dans un marché déterminé la possibilité de se comporter, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs et que son comportement sur ce marché fait obstacle par des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale basée sur les prestations des opérateurs économiques, au maintien ou au développement de la concurrence et est susceptible d'affecter le commerce entre États membres.

Sur les dépens

Les frais exposés par le gouvernement français, le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle posées par le Rechtbank van koophandel d'Anvers par ordonnance du 17 janvier 1980, dit pour droit :

1) Les accords sur lesquels repose un système de distribution sélective, fondé sur des critères d'admission allant au-delà d'une simple sélection objective de caractère qualitatif, réunissent les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec l'article 85, paragraphe 1, lorsque ces accords, soit isolément, soit simultanément avec d'autres, dans le contexte économique et juridique dans lequel ils sont intervenus et sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et ont soit pour objet, soit pour effet, d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Il est de la compétence exclusive de la Commission, sous réserve du contrôle de la Cour, de faire bénéficier de tels accords d'une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3.

2) Une lettre signée par un fonctionnaire de la Commission indiquant qu'il n'y a aucune raison pour celle-ci d'intervenir au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE contre un système de distribution qui lui a été notifié n'étant pas une exemption au sens de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas opposable aux tiers et ne lie pas les juridictions nationales. Elle constitue seulement un élément de fait dont les juridictions nationales peuvent tenir compte dans leur examen de la compatibilité du système en cause avec le droit communautaire.

3) Le comportement d'une entreprise peut être considéré comme un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité lorsque cette entreprise détient dans un marché déterminé la possibilité de se comporter, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs et que son comportement sur ce marché fait obstacle par des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale basée sur les prestations des opérateurs économiques, au maintien ou au développement de la concurrence et est susceptible d'affecter le commerce entre États membres.