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Décisions

CCE, 26 juillet 1976, n° 76-743

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Reuter / BASF

CCE n° 76-743

26 juillet 1976

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 1er et 3, vu la demande présentée, conformément à l'article 3 du règlement nº 17, par lettre du 27 janvier 1975, par M. Gottfried Reuter à Lemförde et visant la société BASF à Ludwigshafen, après avoir entendu les entreprises intéressées conformément à l'article 19 paragraphes 1 et 2, du règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 et aux dispositions du règlement nº 99-63 de la Commission du 25 juillet 1963 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes, recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17, le 15 juin 1976,

I. Les faits

Considérant que les faits sont les suivants :

Par lettre du 27 janvier 1975, M. Gottfried Reuter a présenté à la Commission une demande au sens de l'article 3 du règlement nº 17. Cette demande concerne une obligation contractuelle de non-concurrence qui lui a été imposée par BASF au moment où il lui a cédé le groupe d'entreprises Elastomer, spécialisé dans la fabrication de polyuréthanes. Le contrat de cession a été signé en juin 1971. Aux termes du contrat, l'obligation de non-concurrence est valable pendant huit ans, c'est-à-dire jusqu'en juin 1979.

1. Le produit

Les polyuréthanes sont une matière plastique utilisée pour la fabrication de nombreux produits finis qui sont employés dans un grand nombre de secteur tels que l'industrie automobile, les industries du bâtiment, du meuble et de la chaussure (cuirs synthétiques), l'industrie électrique (matériel d'isolation), les industries des peintures et vernis et de la colle et les constructions navale et mécanique. Le marché de cette matière plastique connaît des taux de croissance continus qui ont dépassé 15 % dans certains secteurs au cours des dernières années. La fabrication des polyuréthanes comporte schématiquement les stades suivants :

Les matières premières les plus importantes entrant dans la fabrication des polyuréthanes sont les polyols et les isocyanates. Les principaux polyols sont le polyester et le polyéther et les principaux isocyanates sont le diisocyanate de diphénylméthane (MDI), le diisocyanate de toluylène (TDI) et le diisocyanate d'hexaméthylène (HMDI). Ces produits sont eux-mêmes obtenus de la manière suivante :

- les polyesters, à partir de polyalcools (butandiol, hexanediol, néopentylglycol, triméthylolpropane, acides de dicarbone et caprolactane),

- les polyéthers, à partir de propylène-oxyde de propylène,

- les isocyanates, à partir d'aniline, de formaldéhyde et de diamines (naphtylendiamine, hexaméthylendiamine).

Les matières de base sont formulées en polyuréthanes semi-finis, à savoir :

- en composants cellulaires,

- en élastomères,

- en granulés destinés à la transformation thermoplastique,

- en rognures et en prépolymères.

Les produits semi-finis sont transformés à leur tour en un grand nombre de produits finis de forme et de nature différentes : mousses souples, mousses rigides, peintures et vernis, matériaux solides, pièces détachées, etc.

En résumé, on peut donc distinguer quatre stades de production :

- stade 1 : les produits de base : glycols, polyalcools, amines, acide de dicarbone, formaldéhyde et oxyde de propylène,

- stade 2 : les alcools de polyester et de polyéther et les diisocyanates,

- stade 3 : les produits semi-finis formulés à base de polyuréthane,

- stade 4 : la transformation en produits finis.

Les produits du stade 1 ne sont pas des composants spécifiques des polyuréthanes étant donné qu'ils servent aussi à fabriquer d'autres substances. Ils sont également fabriqués par des entreprises n'appartenant pas au secteur de la chimie des polyuréthanes.

La formulation des polyuréthanes s'effectue essentiellement selon deux méthodes : a) la méthode des composants multiples : les alcools de polyester et de polyéther sont mélangés dans des proportions précises au diisocyanate en une seule opération par un système d'injection.

Cette méthode a été mise au point par Bayer. Dans le domaine de la formulation des élastomères, Bayer était titulaire de brevets qui sont venus à expiration en 1969.

b) La méthode à deux composants : les alcools de polyester et de polyéther sont mélangés à l'avance en stock ; le diisocyanate n'est ajouté selon un dosage précis qu'au moment de la fabrication de la mousse.

C'est cette méthode qui a été choisie par le groupe Elastomer.

La différence essentielle entre ces deux méthodes réside dans le fait que dans la première, les produits du stade 2 sont transformés en produits finis, ce qui exclut l'intervention d'autres entreprises au stade 4 (transformation finale), alors que la seconde méthode permet à l'utilisateur final de formuler lui-même les polyuréthanes.

D'après les renseignements disponibles, environ 75 % des produits finis de polyuréthane sont fabriqués selon la méthode des composants multiples et 25 % selon la méthode à deux composants.

2. La structure du marché

Le fournisseur de loin le plus important dans le domaine des polyuréthanes dans le marché commun est Bayer. C'est le cas pour les produits de base du stade 1, en particulier pour l'aniline (importante dans le domaine des polyuréthanes en tant que matière première utilisée pour la fabrication de MDI), mais aussi au stade 2 où Bayer est la seule entreprise à offrir un éventail complet d'alcools de polyester, d'alcools de polyéther, de diisocyanates (MDI et TDI) ainsi que d'agrandisseurs et de ramificateurs de chaîne. Bayer a sensiblement amélioré sa position au niveau des stades 3 et 4 notamment en acquérant des entreprises du groupe Metzler.

Le nombre de concurrents est limité : outre BASF, les fournisseurs les plus importans dans le marché commun sont ICI, Rhône-Poulenc (liée à Bayer par l'intermédiaire de Progil-Bayer-Ugine, Paris), Shell (liée à Bayer par l'intermédiaire de Bayer-Shell-Isocyanates, Anvers), Ugine-Kuhlmann (liée à BASF par l'intermédiaire de BASF-Ugine Eurane, Anvers) Dow Chemicals (liée à BASF aux États-Unis par l'intermédiaire de DOW-Badische), Union Carbide Corporation (UCC) Henkel, Montedison, Upjohn et Società Italiana Resine (SIR). On peut y ajouter Du Pont, qui n'est réellement important dans le marché commun que pour la fabrication de fibres élastomères.

BASF est un producteur important de produits de base du stade 1. BASF a renforcé sa position aux autres stades :

- par la création de la filiale commune BASF-Ugine Eurane (isocyanates et polyéthers),

- par la construction ou l'extension d'installations propres (par exemple dans le domaine des agrandisseurs de chaîne),

- par l'acquisition du groupe Elastomer.

Le groupe Elastomer est l'un des principaux "formulateurs de systèmes" et compte, avec les entreprises du groupe Metzeler récemment acquises par Bayer, parmi les entreprises allemandes les plus importantes dans le domaine de la transformation des polyuréthanes. En 1971, le groupe comprenait cinquante sociétés dans onze pays - dont la République fédérale d'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie en ce qui regarde le marché commun - et son chiffre d'affaires global atteignait 200 millions de marks allemands. Ses activités incluent la fabrication même du polyuréthane sa distribution, ainsi que l'ingénierie et le montage d'installations destinées à la fabrication de polyuréthanes. Le groupe est particulièrement important dans le domaine de la formulation au stade 3 de la transformation (technique de mélange des composants de base du polyuréthane). Cette importance s'est accrue à partir de 1969 lorsque les brevets qui protégeaient la technique de mélange de Bayer sont arrivés à expiration et que la dépendance des transformateurs de polyuréthanes à l'égard de Bayer s'en est trouvée atténuée.

L'influence de BASF dans le secteur des polyuréthanes, même après l'acquisition du groupe Elastomer, n'atteint cependant pas celle de Bayer qui reste la première entreprise de la branche.

3. La cession de l'entreprise M. Reuter effectue des recherches dans le domaine des polyuréthanes. En 1969, il détenait, par l'intermédiaire de la société Reuter Holding GmbH, à Zürich, 50 % des actions de la société Elastomer AG, de Chur (Suisse), société de portefeuille pour les sociétés étrangères du groupe Elastomer. Celui- ci comprenait d'autre part la société Elastogran GmbH, à Lemförde, holding des sociétés allemandes sur lesquelles reposait l'essentiel de l'importance économique du groupe. Les 50 % restants de la société Elastomer AG appartenaient à l'Investitions-und-Handelsbank Zürich (IHB). M. Reuter possédait un droit d'option sur ces parts.

a) Par contrat du 12 mars 1969, M. Reuter s'engageait vis-à-vis de la société BASF à exercer, au plus tard le 12 juin 1969, ledit droit d'option à l'égard de l'IHB et à transférer à BASF les actions de la société Elastomer AG ainsi acquises. En outre, M. Reuter accordait à la BASF le droit irrévocable d'acheter avec effet au 2 janvier 1972 les 50 % restants des actions de la société Elastomer AG qu'il détenait par l'intermédiaire de la Reuter Holding. Cette option devait être exercée le 30 juin 1971 au plus tard. Compte tenu de l'acquisition des actions et de l'option prise sur les autres actions de la société Elastomer AG, BASF a accordé à M. Reuter un prêt qui devait lui permettre d'éteindre ses obligations et celles d'Elastomer AG à l'égard de IHB.

En vertu de ce contrat, M. Reuter restait directeur du groupe Elastomer, mais se soumettait à diverses limitations de son activité, tant avant qu'après l'exercice du droit d'option (entre autres à une obligation de non-concurrence pendant dix ans à dater de la cession des derniers 50 % d'action) ; toutefois ces limitations ont été annulées et remplacées par d'autres, dans un contrat ultérieur signé le 25 juin 1971.

M. Reuter a exercé le droit d'option à l'égard de l'IHB et transféré les actions à BASF conformément au contrat du 12 mars 1969.

b) Par contrat du 25 juin 1971 (ci-après dénommé contrat d'achat), M. Reuter vendait à BASF les autres 50 % d'action de la société Elastomer AG qu'il détenait par l'intermédiaire de la Reuter Holding GmbH. Par ce contrat, BASF devenait ainsi propriétaire des entreprises du groupe Elastomer dont les activités étaient les suivantes (domaine contractuel) :

Recherche, développement, fabrication, application et commercialisation de :

a) produits chimiques utilisés dans la fabrication de polyuréthanes. Ces produits chimiques comprennent notamment les alcools de polyester, dans leurs applications aux polyuréthanes, ainsi que tous les mélanges préalables de produits pouvant servir à la fabrication de produits à base de polyuréthane. Ils comprennent en outre les granulés, prépolymères et produits d'addition, utilisés par exemple dans la transformation des thermoplastiques, les enduits pour textiles, les plastifiants à base de chlorure de polyvinyl, les laques, colles et masses isolantes. Sont cependant exclus les résultats de la recherche sur la fabrication des diisocyanates et des polyéthers-polyols;

b) tous les demi-produits qui en dérivent, tels que feuilles, plaques, produits d'extrusion etc.;

c) les produits finis inclus lors de la conclusion du contrat, dans le programme de fabrication des firmes LKG, KKM, et OVG. Le programme de fabrication comprend des demi-produits et des produits finis destinés aux machines et véhicules, ainsi qu'aux équipements de levage, d'extraction et de transport de toute espèce. Y sont également inclus les produits du secteur de la consommation énumérés à l'annexe XI. En sont exclus les agrégats finis dont le polyuréthane ne forme pas un composant essentiel, tels qu'amortisseurs, rotules et éléments de transmission;

d) tous procédés, dispositifs et appareillages destinés à la transformation des produits énumérés sous a), y compris le cas échéant les agrandisseurs et ramificateurs de chaînes, isocyanates, substances auxiliaires et additionnelles, appliqués à la fabrication de produits contenant du polyuréthane. En sont exclues les machines courantes utilisées dans la fabrication de produits thermoplastiques, telles que les automates de moulage par injection, les presses à extrusion, les calandres.

Peu importe, en l'espèce, que ces produits, procédés etc. soient ou non protégés par des droits de propriété industrielle.

Les sociétés acquises par BASF forment le noyau des activités du groupe Elastomer dans le domaine des polyuréthanes ; elles sont établies tant en République fédérale d'Allemagne qu'en dehors de ce pays. M. Reuter a conservé les entreprises du groupe Elastomer spécialisées dans d'autres domaines, en particulier celui des techniques de montage d'installations (CAF Chemie Anlagenbau GmbH & Co., etc.).

Le 25 juin 1971 fut également conclu entre la Reuter Holding GmbH et la Glasurit-Werke M. Winkelmann GmbH de Hambourg, filiale de BASF (ci-après dénommée Glasurit), un contrat (ci-après dénommé contrat de savoir-faire) auquel M. Reuter s'est associé. Ce contrat portait sur la cession par la Reuter Holding à Glasurit de tous les procédés, connaissances techniques et expériences de ladite société dans le domaine contractuel. Il s'agissait notamment d'une documentation décrite dans le détail et représentant une part notable de l'information scientifique et technique à la base du savoir-faire de l'Elastomer AG.

Conformément au contrat d'achat, M. Reuter a abandonné la direction du groupe cédé. Les limites imposées à ses activités futures dans le domaine contractuel sont définies aux articles IX à XI de ce contrat :

"Article IX

Sous réserve des dispositions de l'article X du présent contrat, M. Reuter est tenu pendant huit ans à compter de la signature du contrat de n'exercer aucune activité dans le domaine contractuel ni sur le territoire national ni à l'étranger, ni directement ni indirectement, et notamment de ne fonder aucune société propre, de ne posséder et de n'acquérir aucune société ou part de sociétés, de ne conserver et de ne conclure aucune communauté d'intérêts avec des tiers ainsi que de n'exercer aucune fonction d'employé, de conseiller ou aucune fonction similaire dans ce domaine. Cet engagement ne s'applique pas aux opérations portant sur des valeurs admises à la cote officielle dans la mesure où M. Reuter ne vise pas ainsi à exercer une activité commerciale.

Article X 1.M. Reuter a le droit d'exercer une activité dans la partie du domaine contractuel délimitée

a) conformément aux dispositions de l'annexe IX, à savoir dans le domaine de la fabrication de pièces finies,

et

b) conformément aux dispositions de l'annexe X, à savoir dans le cadre de l'exécution des contrats conclus avec VEB - Synthesewerk Schwarzheide.

M. Reuter se réserve la recherche et la mise au point de procédés de fabrication d'isocyanates et de polyétherpolyols et l'exploitation commerciale des résultats éventuels par la concession de licences pouvant inclure le montage d'installations. M. Reuter ne prendra toutefois pas de participations dans des sociétés dont les installations fonctionnent selon leurs propres procédés. Pour le reste, ses activités devront se limiter aux possibilités prévues au contrat. M. Reuter communiquera à la société Glasurit les résultats obtenus dans le domaine de la dissociation physique des diisocyanates et des polysocyanates.

2. Dans l'exercice des droits qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 1, M. Reuter respectera les intérêts légitimes du groupe Elastomer dans le domaine contractuel ainsi que ceux de ses filiales et des sociétés dans lesquelles le groupe détient une participation.

Article XI

M. Reuter s'engage, pour une durée de huit ans à compter de la signature du présent contrat, à ne pas divulguer ou rendre accessibles à des tiers les connaissances techniques et expériences protégées ou non, acquises dans le domaine contractuel, ni les événements, situations ou faits antérieurs à la conclusion du présent contrat et concernant notamment les questions techniques, commerciales et financières ainsi que les questions de personnel relatives aux sociétés membres du groupe Elastomer, dans la mesure où ils ne seront pas déjà publics ou ne rentrent pas dans le cadre de l'activité visée à l'article X. M. Reuter s'engage en particulier à ne pas permettre à des tiers de prendre connaissance des dessins d'installations et de machines du domaine contractuel."

L'annexe IX visée à l'article X prévoit ce qui suit :

"M. Reuter a le droit, après son retrait du groupe Elastomer, de développer, d'organiser et de fonder des entreprises de fabrication de pièces finies et de prendre une participation en capital dans celle-ci même si elles utilisent également des polyuréthanes.

Ces entreprises peuvent par exemple être : des entreprises de fabrication de chaussures, des entreprises de construction de véhicules, de bateaux, d'éléments de construction finies et de meubles ainsi que des entreprises de fabrication de cuirs synthétiques et de films.

M. Reuter accorde la priorité au groupe Elastomer pour la fourniture de toutes les matières premières, installations et dispositifs du domaine contractuel aux entreprises dans lesquelles il détient une participation en capital, à condition que les prix et la qualité soient concurrentiels.

Pour ces fournitures, le groupe Elastomer accorde à M. Reuter jusqu'au 31 décembre 1974 le traitement du client le plus favorisé.

M. Reuter transmettra au groupe Elastomer, contre paiement d'une commission appropriée, les affaires relevant du domaine contractuel dont il aura eu connaissance dans le cadre de son activité commerciale."

L'annexe X concernait l'exécution des opérations avec la République démocratique allemande qui sont maintenant terminés.

L'annexe XI, selon l'interprétation qu'en donnent BASF et M. Reuter, comporte aussi l'obligation de ne pas effectuer de recherches.

Un contrat de licence conclu le 26 juin 1971 entre la société Elastogran GmbH, d'une part, et M. Reuter et la société CAF qu'il contrôle, d'autre part, avait pour but de permettre l'exécution des contrats conclus avec la République démocratique allemande. Il autorisait M. Reuter à exercer dans le domaine contractuel une activité toutefois limitée dans le temps et dans l'espace (pays de l'Est).

4. Les griefs formulés

a) M. Reuter s'élève contre l'obligation de non-concurrence énoncée aux articles IX et X du contrat du 25 juin 1971 et fait valoir ce qui suit :

l'obligation de non-concurrence menacerait son existence professionnelle et économique. Elle porterait sur un domaine de recherches qui couvre l'activité du groupe Elastomer cédé dans le domaine de la recherche relative aux polyuréthanes. C'est uniquement sur ce domaine qu'auraient porté toutes ses propres recherches pendant vingt ans. Le maintien de l'obligation lui ferait perdre le contact avec ce domaine scientifique dans lesquels il est spécialisé et lui ôterait ainsi à jamais la possibilité d'y reprendre une activité. L'obligation de non-concurrence reviendrait donc à lui interdire définitivement d'exercer sa profession à l'avenir.

L'obligation de non-concurrence revêtirait une grande importance au plan du droit de la concurrence. BASF aurait eu l'intention, même sans reprendre le groupe Elastomer, d'étendre son champ d'activité à celui de ce groupe, c'est-à-dire aux polyuréthanes. En acquérant le groupe, elle éliminait un concurrent et obtenait en même temps, grâce à l'obligation de non-concurrence, que M. Reuter ne lui fasse plus concurrence sur le marché des polyuréthanes.

Cette obligation de non-concurrence exclurait en outre toute possibilité d'atténuer la dépendance vis-à-vis de Bayer des transformateurs de polyuréthanes au stade 3 de la transformation. Plus grave encore serait l'interdiction de communiquer à des tiers les connaissances nécessaires pour mettre en place ses systèmes de production totalement intégrés et leur permettre ainsi de devenir des concurrents sérieux de Bayer et de BASF. L'obligation de non-concurrence serait illicite, au moins en raison de sa durée de huit ans. Cette obligation ne serait admissible que dans la mesure où elle est indispensable pour assurer la marche de l'entreprise au moment de sa cession et elle ne pourrait être maintenue plus longtemps qu'il n'est absolument nécessaire.

M. Reuter ayant cédé à BASF une technologie parfaitement applicable ainsi que tout le savoir-faire c'est-à- dire un groupe d'entreprises parfaitement opérationnel, une période de deux ans serait tout au plus acceptable pour maintenir la clientèle et faciliter l'adaptation du groupe aux nouveaux propriétaires et à la nouvelle direction ; les clients étant principalement des entreprises allemandes, il aurait suffi pour cela de limiter l'obligation de non-concurrence au territoire allemand. L'extension de l'obligation de non-concurrence à des pays dans lesquels BASF ne vend pas, associée à une durée de huit ans, aurait donc pour but de mettre BASF à l'abri de toute concurrence et constituerait une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE. L'interdiction d'effectuer des recherches ne se justifierait nullement. M. Reuter fait observer qu'il ne conteste pas l'obligation de ne pas divulguer le savoir-faire, et qu'il existe des domaines dans lesquels il lui serait possible de procéder à des recherches sans violer cette obligation.

À la suite de la demande de M. Reuter et après examen des faits, la Commission a communiqué à BASF les griefs retenus contre elle.

b) À ces griefs, BASF a répondu comme suit :

Au stade 2, seuls les polyesterpolyols seraient couverts par l'obligation de non-concurrence. Dans la Communauté, douze entreprises fabriqueraient ces produits en vue de la vente. BASF cite 46 entreprises en Europe qui fabriquent les produits du stade 3. Elle-même ne serait représentée à ce stade que par Elastomer. BASF n'aurait exercé aucune activité dans ce domaine avant 1971.

L'étendue de l'obligation de non-concurrence correspondrait à la volonté exprimée par M. Reuter qui aurait vu son avenir professionnel dans les secteurs des polyétherpolyols et des isocyanates - secteurs exclus de l'interdiction - ainsi que dans la prise de participations ou l'exploitation d'entreprises spécialisées dans les techniques d'application ou la fabrication de produits finis. Les domaines exclus du champ de l'obligation de non-concurrence par les dispositions de l'article X du contrat d'achat laisseraient à M. Reuter la possibilité d'exercer librement son activité dans le domaine de la technologie des polyuréthanes, qui est de loin le plus important. En vertu de l'article 2 du contrat de licence du 26 juin 1971 conclu entre la société Elastogran GmbH, d'une part, et M. Reuter et la société CAF, d'autre part, M. Reuter aurait eu jusqu'au 31 décembre 1973 la possibilité de conclure des contrats dans le domaine contractuel. Il lui est permis d'exécuter ceux-ci et d'exercer ainsi une activité dans le domaine contractuel jusqu'au 31 décembre 1976, c'est-à-dire pendant cinq ans et demi.

Au demeurant, M. Reuter avait déjà accepté dans les contrats de 1969 une obligation de non-concurrence d'une durée de dix ans et d'une étendue similaire. L'étendue et la durée de l'obligation de non-concurrence sont d'ailleurs nécessaires. Le groupe Elastomer aurait certainement fait faillite en raison de sa mauvaise situation financière et aurait donc disparu en tant que concurrent si BASF n'avait pas repris et sauvé au moins le secteur des polyuréthanes du groupe. Outre le prix d'achat, BASF a dû pour cela reprendre à son compte pour plus de 130 millions de marks allemands d'engagements, dépenses qui ne sont pas couvertes par la seule valeur des entreprises et du savoir-faire. Le transfert et le redressement des entreprises auraient exigé que M. Reuter cessât toute activité dans le domaine contractuel pendant un certain temps, d'autant plus que s'il avait exercé à nouveau une activité dans ce domaine, il aurait dû nécessairement s'appuyer sur son ancienne clientèle.

Les mêmes arguments seraient applicables à l'interdiction d'effectuer des recherches. Il faudrait observer que l'affaire conclue avec M. Reuter consistait avant tout, non pas en une cession d'entreprises, mais en une cession de good-will et de savoir-faire technique. Or, l'acquéreur de savoir-faire serait tout comme l'acquéreur d'un brevet en droit d'en avoir l'usage exclusif. Il s'agirait là d'une protection légitime contre la concurrence puisque BASF a acheté ce secteur du marché.

M. Reuter n'est donc plus autorisé à utiliser les connaissances techniques cédées, sauf en vertu d'une permission spéciale d'utilisation.

Toute activité de recherche dans le domaine contractuel impliquerait l'utilisation du savoir-faire cédé. Des recherches profitables dans le domaine des polyuréthanes ne pourraient être entreprises aux stades 3 et 4, concernés en l'espèce, qu'en collaboration étroite avec le client. Seul le client peut vérifier dans ses installations si le produit mis au point dans le laboratoire de recherches possède les propriétés nécessaires à l'utilisation à laquelle il est destiné et proposer éventuellement des améliorations. Si des recherches non commercialisées sont en principe possibles même sans que les résultats en soient testés en pratique par les clients, un produit ainsi mis au point ne pourrait toutefois, si la composition n'en a pas déjà été divulguée, être vendu sans être accompagné au moins d'instructions précises relatives à son stockage et à sa transformation. Selon la documentation qu'il a rédigée lui-même, M. Reuter aurait possédé déjà en 1971 le savoir-faire relatif à tous les domaines d'application connus à l'heure actuelle. Toute communication de savoir-faire relatif au mélange ou à l'utilisation des produits porterait donc sur des connaissances qui ont été cédées avec les entreprises vendues.

Étant donné que M. Reuter fait effectuer les travaux de recherche par des spécialistes engagés à cette fin, il devrait nécessairement communiquer ses connaissances à ces collaborateurs, ce qui constituerait une violation de l'obligation de ne pas divulguer ni exploiter le savoir-faire cédé. La concurrence que M. Reuter exercerait dans le domaine contractuel après suppression de l'obligation réduirait la substance des actifs cédés.

La durée de l'obligation de non-concurrence, huit ans, correspondrait à la période nécessaire à BASF pour s'initier au domaine des polyuréthanes, qui est nouveau pour elle. Lorsque Bayer livrait des matières premières à M. Reuter, elle lui transmettait également le savoir-faire nécessaire à leur utilisation, ce qui ne serait pas le cas pour les matières premières livrées par Bayer à BASF. BASF a dû acquérir par elle-même ce savoir-faire relatif aux matières premières avant de pouvoir concurrencer réellement Bayer à partir du savoir-faire de Reuter. BASF aurait pris possession de la société Elastomer sans avoir effectué elle-même de véritables travaux préparatoires. Les formules cédées par M. Reuter constitueraient aujourd'hui encore la base essentielle des activités commerciales de BASF dans le secteur des polyuréthanes. Les recherches dans le secteur des polyuréthanes auraient pour objet l'élaboration d'une sorte de livre de formules pour les mélanges utilisés dans les différents domaines d'application. Les formules constitueraient un savoir-faire sensible qu'il est facile de transmettre à des concurrents ou à des clients avec le livre de formules et qui doit être particulièrement protégé. M. Reuter serait en mesure, grâce à sa connaissance du savoir-faire, des clients et de leurs besoins, et grâce éventuellement au savoir-faire relatif aux matières premières communiqué par Bayer, de soustraire à BASF l'ensemble du domaine commercial qu'elle a acheté au prix de dépenses importantes. BASF n'aurait pas pu renforcer sa position concurrentielle dans une mesure adéquate au cours des quatre dernières années et il ne serait pas certain qu'elle y parvienne en huit ans.

M. Reuter a déclaré lors de l'audition que à l'époque de la vente, Bayer ne lui avait communiqué aucun savoir-faire relatif aux matières premières. La valeur commerciale du groupe Elastomer reposerait en grande partie sur la mise au point d'un savoir-faire relatif aux matières premières indépendant de celui de Bayer.

Des recherches seraient constamment effectuées dans le domaine des matières plastiques réactives en vue d'améliorer leurs propriétés, chaque nouvelle matière première produite dans le monde obligeant à une mise à jour des formules ; dans les domaines où les recherches sont particulièrement intensives, les formules de tout procédé chimique seraient en principe reconsidérées au plus tard tous les deux ans.

Selon BASF, la modification des livres de formules constitue un acte formel de perfectionnement du savoir- faire qui est effectué par retouches successives. Il ne serait pas nécessaire de réécrire la formule chaque fois qu'une amélioration est apportée aux propriétés d'une matière première, étant donné que, grâce au produit amélioré, de meilleurs résultats sont obtenus souvent sans modification de la formule. Les recherches viseraient la mise au point d'un savoir-faire à utiliser non pas immédiatement mais dans l'avenir, c'est-à-dire appliqué à des produits qui seront commercialisés dans deux, cinq ou dix ans.

II. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE

Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun;

1. considérant que l'accord du 18 juin 1971 qui contient l'obligation de non-concurrence a été conclu entre des entreprises ; que M. Reuter est aussi un entrepreneur au sens de l'article 85, puisqu'il continue d'exercer des activités économiques à travers des sociétés du groupe Elastomer qu'il a conservées, en exploitant les résultats de ses recherches et en sa qualité de conseiller d'entreprises tierces;

2. que l'obligation de non-concurrence énoncée à l'article IX du contrat d'achat du 25 juin 1971 interdit à M. Reuter pour une durée de huit ans à compter de la conclusion du contrat, c'est-à-dire jusqu'en juin 1979, d'exercer en République fédérale d'Allemagne et à l'étranger une activité de fournisseur de services et de marchandises dans le domaine contractuel et de stimuler la concurrence sur le marché des polyuréthanes ; que cette interdiction s'applique à toutes les formes d'activités, y compris la prise de participation dans des entreprises tierces, la conclusion de communautés d'intérêts et l'exercice de fonctions de conseiller ou de fonctions similaires pour le compte d'entreprises tierces ; que l'obligation porte sur la recherche, le développement, la fabrication, l'application et la commercialisation, tous domaines dans lesquels, en l'absence de cette obligation de non-concurrence, M. Reuter, même après la cession d'une partie du groupe Elastomer à BASF, pourrait, grâce à ses connaissances techniques et à son expérience personnelle, exercer une activité et, par exemple, mettre au point et exploiter de nouveaux procédés d'application;

que l'exception relative à la fabrication de pièces finies conformément aux dispositions de l'annexe IX est limitée à l'exercice d'une activité productrice dans des secteurs dans lesquels les polyuréthanes ne sont utilisés qu'à titre accessoire;

que l'exécution des contrats conclus avec la République démocratique allemande était une réglementation transitoire, expirant le 31 décembre 1973 et limitée à certains pays de l'Est ; que le fait que M. Reuter soit autorisé en vertu du contrat de licence du 26 juin 1971 à exécuter jusqu'au 31 décembre 1976 les contrats éventuels conclus avant le 31 décembre 1973 ne modifie en rien, et souligne au contraire, le fait qu'il serait en mesure de stimuler la concurrence à l'intérieur du marché commun mais que la clause litigieuse l'en empêche;

que l'exception relative à la recherche, au développement et à l'exploitation de procédés de fabrication d'isocyanates et de polyétherpolyols porte sur un domaine d'activité qui n'était pas auparavant celui de M. Reuter et dans lequel il n'a jamais travaillé (stades 1 et 2);

que, même dans le cadre de ces exceptions autorisées, la liberté d'action de M. Reuter est restreinte par le fait qu'il est tenu de communiquer certains résultats de ses recherches à la société Glasurit et, en général, de sauvegarder les "intérêts légitimes" de BASF ; que ceci exclut déjà en fait toute possibilité de concurrencer BASF;

3. Considérant que le supplément de protection offert par une obligation de non-concurrence imposée au vendeur n'est nullement nécessaire pour garantir le transfert des biens corporels d'une entreprise ; qu'en l'espèce, toutefois, la cession porte non seulement sur les biens corporels mais aussi sur des éléments incorporels - clientèle, achalandage et savoir-faire - qui représentent même une partie substantielle des actifs de l'entreprise vendue ; que, pour décider si l'obligation de non-concurrence est visée par les dispositions de l'article 85 paragraphe 1, il convient en principe d'établir si elle est absolument indispensable - et le cas échéant, dans quelle mesure - pour garantir les valeurs cédées, ou si elle va au-delà des restrictions nécessaires à cet effet :

a) il peut être nécessaire, pour mieux garantir la réalisation de l'objet du contrat, d'imposer des obligations contractuelles de non-concurrence, dans les cas où non seulement les biens corporels mais aussi l'achalandage et la clientèle de l'entreprise sont cédés à l'acquéreur. Dans un cas de cette espèce, il faut pouvoir interdire au vendeur de l'entreprise d'attirer à nouveau vers lui son ancienne clientèle, immédiatement après la cession, que ce soit de façon directe ou indirecte, c'est-à-dire en collaborant avec les concurrents de l'acquéreur. À cet égard, respecter l'obligation de non-concurrence ne signifie rien d'autre pour le vendeur que respecter son engagement contractuel de céder la totalité de la valeur commerciale de l'entreprise. Dans ces conditions, l'article 85 paragraphe 1 n'est pas applicable à l'obligation contractuelle de non-concurrence, car une telle application aurait pour effet d'entraver ou même de rendre pratiquement impossible des opérations que l'ordre juridique considère généralement comme légitimes.

Ceci n'implique pas, cependant, que la protection de l'acquéreur puisse être illimitée dans le temps. En effet, l'achalandage et la clientèle d'une entreprise ne sont protégés par aucun droit absolu. Ils représentent plutôt une position concurrentielle de pur fait, qui est exposée à tout moment aux attaques de tiers concurrents. La protection de l'acquéreur contre la concurrence exercée par le cédant se justifie uniquement par le fait que, contrairement aux tiers extérieurs à l'entreprise, ledit cédant possède, en sa qualité d'ancien propriétaire, une connaissance particulière les données relatives à la production et aux ventes de l'entreprise vendue, ce qui le rend particulièrement dangereux par rapport aux autres concurrents. Cette protection doit toutefois être limitée à la période dont l'acquéreur a besoin pour reprendre intégralement, en menant une politique de concurrence active, la place que l'entreprise cédée occupait sur le marché. Il faut également tenir compte à cet égard des difficultés d'organisation que peut connaître l'entreprise cédée jusqu'à sa complète intégration dans l'entreprise ou dans le groupe d'entreprises de l'acheteur.

b) Une obligation de non-concurrence destinée à mieux garantir la finalité du contrat peut également s'imposer dans les cas où des connaissances techniques, représentant une partie substantielle des actifs de l'entreprise cédée, sont transmises à l'acquéreur. Conformément aux considérations susvisées concernant la clientèle et l'achalandage, on doit pouvoir interdire pendant un certain temps au vendeur de continuer à exploiter ces connaissances d'une manière qui empêche l'acquéreur de reprendre intégralement sur le marché la place qu'y occupait l'entreprise.

À cet égard également, la protection de l'acquéreur doit être limitée dans le temps, car la cession du savoir- faire, qui ne fait pas l'objet d'une protection légale, ne confère à l'acquéreur aucun droit d'exclusivité. Contrairement à l'opinion émise par BASF, la transmission de connaissances techniques à l'occasion d'une cession d'entreprise n'empêche en aucun cas automatiquement le vendeur d'exercer toute activité ultérieure basée sur ces connaissances.

La possibilité d'exploiter un savoir-faire dont les concurrents n'ont pas connaissance constitue, comme pour la clientèle et l'achalandage, une avance concurrentielle de fait que les tiers concurrents peuvent rattraper en mettant au point leur propre savoir-faire dans le domaine de recherche concerné. À la différence des tiers, le cédant de l'entreprise conserve la connaissance du savoir-faire cédé car il ne saurait aliéner ses connaissances. Il paraît dès lors justifié de protéger pour un certain temps l'acquéreur vis-à-vis du vendeur pour permettre à l'acquéreur d'entrer sur le marché dans la position concurrentielle qu'y occupait l'entreprise cédée. L'obligation de non-concurrence trouve à la fois sa justification et ses limites temporelles dans la nécessité de garantir cette entrée.

Pour déterminer la durée nécessaire de l'obligation de non-concurrence, il faut tenir compte plus particulièrement de la nature du savoir-faire cédé, de ses possibilités d'application acquises avec l'entreprise et des connaissances que possède l'acquéreur lui-même. Il faut aussi supposer un comportement actif de l'acquéreur. Il convient de distinguer en l'occurrence entre le savoir-faire existant au moment de la cession et les innovations ou perfectionnements éventuels apportés par le cédant sur la base du savoir-faire transmis ou en relation avec celui-ci. Une obligation de non-concurrence s'étendant à des innovations ou perfectionnements peut devoir être limitée à une période plus courte.

Du point de vue géographique et matériel, l'obligation de non-concurrence doit, en règle générale, être limitée aux marchés sur lesquels l'entreprise était active avant la cession ou au regard desquels elle apparaît comme un concurrent potentiel en raison d'efforts substantiels démontrables.

4. considérant que, compte tenu de toutes les circonstances, la Commission estime que, dans le cas échéant, l'obligation de non-concurrence va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir le transfert à l'acquéreur de toute la valeur commerciale de l'entreprise cédée, et que le maintien de l'obligation de non-concurrence à la date de la présente décision constitue une restriction sensible de la concurrence :

a) Dans la mesure où cette obligation de non-concurrence vise également la recherche et le développement non commercialisés, elle excède clairement ce qui peut être licitement stipulé pour garantir la cession de l'entreprise.

Le fait pour le vendeur d'élaborer de nouveaux résultats de recherche et de les développer jusqu'au stade de l'application industrielle sans violer l'obligation de garder le secret ne compromet pas la réalisation de l'objet légitime du contrat. Aussi longtemps que le vendeur n'utilise pas les résultats de ses activités de recherche et de développement pour faire directement ou indirectement concurrence à l'acquéreur de l'entreprise en exploitant ses résultats, il n'est pas porté atteinte à la position concurrentielle ni, partant, à la valeur commerciale acquise ; sous cette condition, le risque de débauchage de la clientèle n'existe pas non plus.

Il est vraisemblable que M. Reuter perdra contact avec le progrès scientifique et technique, s'il ne poursuit pas ses travaux de recherche et de développement dans le domaine des polyuréthanes où l'innovation est permanente. La poursuite de ses recherches sert l'intérêt que présente pour la Communauté en général le maintien d'une concurrence effective dans le marché commun. Si l'interdiction qui frappe ses travaux de recherche et de développement était maintenue, le vendeur risquerait d'être définitivement éliminé en tant que concurrent potentiel. Cette interdiction constitue donc une clause qui, dès l'origine, n'était pas justifiée par la nécessité de garantir la reprise du groupe d'entreprises et qui a pour objet et pour effet de restreindre sensiblement le jeu de la concurrence.

b) Une obligation de non-concurrence portant sur l'exploitation commerciale de connaissances techniques dans le domaine contractuel n'est admissible que dans la mesure où cette exploitation empêcherait le cessionnaire de prendre pleinement possession de la valeur de l'entreprise cédée, et réduirait de ce fait cette valeur elle-même.

Pendant le temps nécessaire à BASF pour intégrer l'entreprise cédée à son groupe et établir ses propres relations avec la clientèle, il était pour elle justifié d'empêcher, par l'obligation de non-concurrence, que le cédant ne continue à exploiter avant tout auprès de l'ancienne clientèle de l'entreprise cédée le savoir-faire qu'il avait transmis. En effet, dans le cas d'espèce, ce savoir-faire consiste pour l'essentiel en formules de mélanges de composants des polyuréthanes, mélanges utilisés dans des domaines d'application concrets et par conséquent adaptés aux besoins de clients déterminés. Il faut par ailleurs tenir compte de ce que les entreprises cédées ont continué à faire usage du savoir-faire transmis, de sorte qu'on peut supposer que BASF, après avoir bénéficié pendant un laps de temps de plusieurs années d'une protection totale contre la "concurrence interne" de M. Reuter, maîtrise désormais ledit savoir-faire qui lui a été transmis et l'a exploité dans ses rapports avec la clientèle. Il n'y a donc plus lieu d'empêcher M. Reuter, par cette obligation de non-concurrence, de se présenter sur le marché en tant que concurrent avec innovations et des perfectionnements basés sur le savoir-faire cédé.

Quant au laps de temps nécessaire à la pleine intégration des entreprises acquises, rien n'indique que BASF, au moment de leur reprise, ait rencontré dans la réorganisation des installations parfaitement opérationnelles des difficultés qu'elle n'aurait pu surmonter par une gestion efficace dans un délai relativement court. Concernant l'organisation concrète de ses relations avec la clientèle, BASF a déclaré au cours de l'audition que, dans le secteur automobile par exemple, les contrats de livraison étaient résiliables à tout moment, avec préavis d'un an au plus, de six mois normalement. En l'espace de quelques années, les anciens clients ont donc eu plusieurs fois la possibilité de changer leur source d'approvisionnement. S'ils ont décidé de ne pas le faire, ils doivent être comptés au nombre des clients que BASF s'est attachés grâce à ses propres efforts concurrentiels. Elle a ainsi pleinement occupé la position concurrentielle des entreprises acquises. Il ne semble donc plus justifié de prolonger davantage la protection assurée par l'obligation de non-concurrence, puisque les relations qui existaient entre M. Reuter et sa clientèle ont été remplacées par de nouvelles relations entre celle-ci et BASF.

Compte est tenu en l'occurrence de ce que le champ d'activité des entreprises cédées est matériellement très vaste et que les relations en découlant avec la clientèle étaient difficiles à entretenir du fait que le groupe Elastomer comprenait en 1971 cinquante sociétés établies dans onze pays différents.

Toutefois, BASF est un groupe international, financièrement puissant, dirigé par une équipe ayant une expérience de la gestion internationale et qui possédait déjà une expérience propre dans le secteur d'activité qu'il s'est adjoint. De plus, le groupe d'entreprises acquis était parfaitement opérationnel.

S'agissant du savoir-faire transmis, il faut tenir compte que le progrès rapide des recherches dans le domaine des polyuréthanes ainsi que le constant développement de nouvelles matières premières entraînent un renouvellement permanent des processus industriels qui nécessite des efforts incessants d'adaptation.

Même si l'on considère que le perfectionnement du savoir-faire s'effectue par retouches successives, l'ensemble de ces progrès procure en l'espace de quelques années une avance concurrentielle considérable à l'entreprise qui est active dans ce domaine par rapport à celle qui ne l'est pas.

Compte tenu de tous ces aspects et malgré l'importance que représentaient la clientèle, l'achalandage et le savoir-faire dans les entreprises acquises par BASF, il faut considérer que, en tout état de cause, à la date de la présente décision, soit cinq ans après la cession, BASF n'a plus besoin d'une protection particulière contre la concurrence de M. Reuter.

c) On ne peut suivre l'argument avancé par BASF selon lequel l'obligation de non-concurrence serait nécessaire, dans l'ampleur convenue, pour garantir que le savoir-faire transmis ne soit pas divulgué.

On peut laisser pendante la question de savoir si l'obligation de garder le secret convenue entre les parties concernant le savoir-faire transmis, dans l'ampleur contractuellement fixée, est ou non compatible avec les dispositions du traité en matière de concurrence. Les considérations suivantes sont en tout état de cause applicables.

L'engagement de garder le secret vis-à-vis des tiers n'affecte pas en soi les rapports de concurrence entre le cédant et l'acquéreur. Un tel engagement est parfaitement compatible avec l'exercice par le cédant d'une activité dans le domaine contractuel. En l'espèce, les connaissances techniques cédées consistent, il est vrai, essentiellement en formules de mélanges de polyuréthanes adaptées aux besoins spécifiques des clients.

Il est cependant douteux, en raison de l'évolution technologique rapide dans le domaine de la chimie des polyuréthanes, que ce savoir-faire possède encore aujourd'hui une valeur économique qui puisse justifier le maintien de cette obligation.

Une obligation de garder le secret vis-à-vis des tiers concernant le savoir-faire transmis à l'occasion d'une cession d'entreprise ne saurait, en tout état de cause, être utilisée pour empêcher le vendeur d'entrer en concurrence avec l'acquéreur, à l'expiration de la période justifiée pour l'obligation de non-concurrence, en offrant des innovations et perfectionnements de ce savoir-faire.

d) Le montant élevé des dépenses engagées par BASF pour acquérir l'entreprise ne justifie pas davantage une durée particulièrement longue de l'obligation de non-concurrence. L'entreprise cédée étant parfaitement opérationnelle, les engagements repris ont certes pu avoir une incidence sur le prix d'achat, mais ils ne sauraient justifier une prolongation de la période pendant laquelle une protection contre la concurrence de M. Reuter était nécessaire.

e) L'obligation de non-concurrence devant uniquement - comme il est dit plus haut - permettre à l'acheteur d'occuper la position concurrentielle acquise par l'entreprise cédée, on ne peut retenir dans ce contexte l'argument de BASF selon lequel elle serait obligée d'élaborer elle-même le savoir-faire relatif aux matières premières, savoir-faire que Bayer transmettait chaque fois mis à jour à M. Reuter, lors de la livraison de ces matières premières, et que Bayer ne transmet plus à BASF.

S'agissant d'un savoir-faire possédé par un tiers, la seule question qui pourrait se poser en l'espèce serait de savoir si la relation avec Bayer en tant que fournisseur, dont dépend la possibilité d'utiliser le savoir-faire, peut être protégée par une obligation de non-concurrence imposée au vendeur pour une durée excédant celle nécessaire pour garantir le transfert de l'entreprise.

Selon les déclarations de BASF, c'est un tiers, Bayer, qui, indépendamment du vendeur, a décidé de ne plus communiquer le savoir-faire. La relation avec Bayer en tant que fournisseur était grevée dès l'origine de toutes les incertitudes liées au comportement ultérieur de ce tiers. L'absence de protection à l'égard de Bayer en tant que "tiers" a donc été compensée par une obligation de non-concurrence imposée au vendeur qui est sans rapport avec le "danger particulier" représenté par ce dernier et, partant, excessive.

Il est par ailleurs établi que les matières premières changent constamment. Des divergences d'opinion entre les parties n'apparaissent qu'en ce qui concerne les incidences de ce phénomène sur la "modification des livres de formules". L'évolution constante des matières premières constitue pour BASF, tout comme pour Bayer, un élément nouveau. Le savoir-faire s'y rapportant ne saurait dès lors faire partie des actifs constituant la position concurrentielle préexistante de l'entreprise cédée. Au demeurant, le groupe Elastomer se livre, comme Bayer, chacun à son stade de production, à des recherches dont les développements peuvent s'orienter vers des directions différentes. C'est pourquoi il n'est pas prouvé, et ce même d'après les explications données par BASF, que celle-ci pourrait encore utiliser les matières premières de Bayer, même si le savoir-faire continuait de lui être communiqué. Le problème des matières premières résulte de façon générale des progrès rapides accomplis dans le domaine de la chimie des polyuréthanes.

La protection de ces progrès et, partant, de l'activité future ne saurait justifier une obligation de non- concurrence. Lors de l'entrée en possession des actifs cédés, les unités de production, qui étaient parfaitement opérationnelles, pouvaient en tout état de cause traiter les matières premières livrées par Bayer au moment de la cession. Or, il est constant que Bayer a continué de livrer ces matières premières.

5. Considérant que l'obligation de non-concurrence est susceptible d'affecter le commerce entre États membres étant donné qu'il s'agit de produits et de services qui, s'ils pouvaient être offerts par M. Reuter, feraient ou pourraient faire l'objet d'échanges entre les États membres ; que ceci est également applicable à la coopération qui pourrait s'instaurer entre M. Reuter et des entreprises de pays tiers, dans la mesure où celles-ci pourraient opérer dans le marché commun en tant que fournisseurs et concurrents, mais à laquelle l'obligation de non-concurrence fait obstacle ; qu'à travers les entreprises qu'il a conservées et de par ses activités de conseiller, M. Reuter serait parfaitement en mesure d'opérer en tant que concurrent sur le marché européen concerné ; que son importance se situe dans le secteur des 25 % de l'ensemble du marché européen des polyuréthanes sur lequel des produits du stade 3 sont transformés le plus souvent par les utilisateurs finals eux-mêmes pour leurs propres besoins ; que, dans ce domaine, M. Reuter était un fournisseur de systèmes d'application et qu'il pourrait le redevenir si l'obligation de non-concurrence était supprimée ; qu'il est évident que la fourniture d'un savoir-faire d'application pour la fabrication de mousses sur les lieux de leur utilisation dans les échanges transnationaux procure des avantages concurrentiels par rapport à la vente de mousses de polyuréthanes finies, ne serait-ce qu'en raison d'une réduction des coûts de transport ; que, comme BASF l'a elle-même souligné, la concurrence serait plus aisément activée, si M. Reuter, en qualité de conseiller, mettait ses vastes connaissances à la disposition d'entreprises concurrentes ; qu'il pourrait contribuer, grâce aux systèmes qu'il a mis au point, à une réduction sensible de la part représentée sur le marché par les produits du stade 2 qui sont transformés en produits finis d'après la méthode des composants multiples (environ 75 %) ; que l'ensemble du marché des polyuréthanes est déjà à l'heure actuelle très important ; qu'en raison de l'évolution constante des possibilités d'application des polyuréthanes, il est encore en expansion ; que, partant, la concurrence sur ce marché et le commerce entre États membres sont altérés de manière sensible par l'obligation de non-concurrence en cause;

III. Inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE

Considérant qu'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 ne peut être envisagée, l'accord n'ayant pas été notifié à la Commission bien qu'il fût soumis à notification (article 4 paragraphes 1 et 2 du règlement nº 17- 62) ; qu'en effet l'accord, en tant qu'il interdit à M. Reuter l'exercice de toute activité sur l'ensemble du territoire du marché commun, concerne l'importation et l'exportation entre États membres (article 4 paragraphe 2 premier alinéa ; que la dispense de notification prévue à l'article 4 paragraphe 2 deuxième alinéa sous b), ne joue pas, étant donné que des restrictions sont imposées à M. Reuter en tant que cédant de savoir-faire ; qu'au demeurant on ne voit pas comment une restriction de la concurrence aussi grave que l'interdiction de l'ampleur décrite ci-dessus, imposée en matière de recherche, de développement, de production et d'application, pourrait contribuer à promouvoir le progrès technique ou économique ou à améliorer la production ou la distribution des produits en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte ; que l'argument selon lequel la reprise d'engagements pour un montant de 130 millions de marks allemands exigerait une protection particulière de l'acheteur pendant une période de démarrage de huit ans ne constitue nullement une justification suffisante à cet égard, compte tenu de la puissance financière considérable de BASF sur laquelle s'appuie maintenant le groupe repris ; que l'obligation de non-concurrence, de l'ampleur décrite, n'entraîne aucun avantage objectif sensible, susceptible de compenser les graves inconvénients qu'elle entraîne pour la concurrence sur le marché concerné;

IV. Applicabilité de l'article 3 paragraphe 1 du règlement nº 17 du Conseil

Considérant qu'aux termes de l'article 3 paragraphe 1 du règlement nº 17-62, la Commission, si elle constate, sur demande ou d'office, une infraction aux dispositions de l'article 85 du traité instituant la CEE peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d'entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

Les articles IX et X du contrat d'achat conclu le 25 juin 1971 entre M. Gottfried Reuter et la société Gottfried Reuter-Holding GmbH, d'une part, et la BASF Aktiengesellschaft d'autre part, constituent une infraction aux dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité de la CEE.

Article 2

Les entreprises citées à l'article 3 sont tenues de mettre fin immédiatement à l'infraction constatée à l'article 1er.

Article 3

La présente décision est destinée aux entreprises suivantes :

1. BASF Aktiengesellschaft D-6700 Ludwigshafen;

2. Dr. Gottfried Reuter Bergstraße D-2844 Lemförde/Hann;

3. Gottfried Reuter - Holding GmbH Zürich.

(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.