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Décisions

CJCE, 6 mars 1974, n° 6-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Istituto Chemioterapico Italiano (Spa), Commercial Solvents Corporation

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecourt

Présidents de chambre :

MM. Donner (rapporteur), Sorensen

Avocat général :

M. Warner.

Juges :

MM. Monaco, Mertens de Wilmars, Pescatore, Kutscher, O' Dalaigh, Mackenzie Stuart

CJCE n° 6-73

6 mars 1974

LA COUR,

1. Attendu qu'il est constant que, après consultation de la société Commercial Solvents Corporation, régie par les lois de l'Etat de Maryland et établie à New York (ci-après: CSC), la société Istituto Chemioterapico Italiano, de Milan (ci-après: Istituto) s'est déclarée dans l'impossibilité de fournir de l'aminobutanol à la société Laboratorio Chimico Farmaceutico Giorgio Zoja (ci-après: Zoja), à laquelle elle avait, au cours des années 1966-1970, fourni des quantités importantes d'aminobutanol, matière première pour la fabrication d'éthambutol par Zoja;

2. Que Zoja ayant demandé à la Commission de constater qu'il y avait une infraction aux articles 85 et 86 du traité CEE, celle-ci a, par lettre du 25 avril 1972, engagé, en application de l'article 3 du règlement n° 17-62, une procédure pour violation présumée de l'article 86 du traité contre CSC et Istituto en leur notifiant, conformément à l'article 19 du règlement n° 17-62 et l'article 3 du règlement n° 99-63, les griefs retenus;

3. Que, par décision du 14 décembre 1972 (JO n° L 299 du 3 décembre 1972, p. 51), la Commission a constaté que la cessation à partir de novembre 1970 des fournitures à la société Zoja de matières premières pour la production d'éthambutol constituait, à la charge des sociétés CSC et Istituto, une infraction à l'article 86;

4. Qu'elle a dès lors ordonné les mesures qu'elle estimait nécessaires pour mettre fin à l'infraction et infligé solidairement aux deux sociétés en cause une amende de 200 000 unités de compte;

5. Que, par requêtes déposées au greffe le 17 février 1973, Istituto et CSC ont introduit des recours contre cette décision; que les deux affaires ayant, par ordonnance du 8 mai 1973, été jointes aux fins de la procédure, il convient de les juger par un seul arrêt, prononcé dans la langue de procédure de l'affaire 7-73;

I - Quant à l'application de l'article 86

6. Attendu qu'il est constant qu'en 1962 CSC a acquis une participation de 51 % des actions d'Istituto; qu'au sein du comité exécutif et du conseil d'administration d'Istituto les représentants de CSC détiennent 50 % des sièges, le président du conseil, qui a voix prépondérante en cas de partage des voix au sein du conseil, étant un représentant de CSC; que si les administrateurs délégués (consiglieri delegati) ayant plein pouvoir pour l'administration d'Istituto ont été les mêmes personnes avant et après 1962, ils doivent cependant, depuis cette année, obtenir l'approbation du comité exécutif pour les investissements d'une certaine importance;

7. Attendu que CSC procède entre autres à la fabrication et à la vente de produits obtenus par la nitration de la paraffine parmi lesquels le nitropropane et un de ses dérivés, l'aminobutanol, produit intermédiaire dans la fabrication de l'éthambutol; que jusqu'en 1970 Istituto a agi en tant que distributeur de nitropropane et d'aminobutanol fabriqués par CSC aux Etats-Unis; que CSC, ayant au début de 1970 décidé de ne pas continuer à approvisionner le Marché commun en ces produits, a informé Instituto que ceux-ci ne pourraient lui être fournis que pour les quantités qu'elle s'était engagée à revendre; qu'elle a depuis cette date changé de politique et fourni à Istituto exclusivement du dextro-aminobutanol, aux fins de sa transformation en éthambutol en vrac pour la vente dans la CEE et ailleurs et pour ses besoins propres, Istituto ayant entre-temps développé ses propres spécialités à base d'éthambutol;

8. Attendu qu'il y a donc lieu d'examiner successivement les questions de savoir:

a) s'il y a position dominante au sens de l'article 86;

b) quel marché doit être pris en considération pour la détermination de la position dominante;

c) s'il y a eu en l'espèce exploitation abusive d'une telle position;

d) si cette exploitation abusive était susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres; et

e) si les requérantes se sont en effet comportées comme une unité économique;

que les moyens de violation des règles de procédure et de motivation insuffisante de la décision seront examinés dans ce cadre;

a) Quant à la position dominante

9. Attendu que les requérantes contestent les constatations de la décision attaquée selon lesquelles le groupe CSC-Istituto "détient une position dominante dans le Marché commun pour la matière première nécessaire à la production de l'éthambutol", ce groupe jouissant en effet "d'un monopole mondial pour la production et la vente de nitropropane et d'aminobutanol";

10. Qu'elles s'appuyent à cette fin sur des documents dont il ressortirait que l'aminobutanol est produit par au moins une autre société italienne en partant de butanone, qu'une troisième société italienne fabriquerait de l'éthambutol en partant d'autres matières premières, qu'une société française produirait du nitropropane de façon indépendante et qu'une autre entreprise encore aurait mis sur le marché du thiophénol, produit qui, selon ses dires, serait utilisé actuellement dans l'Europe de l'Est pour produire de l'éthambutol;

11. Qu'enfin CSC a produit la déclaration d'un expert selon laquelle il existerait au moins une méthode praticable permettant de produire du nitropropane par un autre procédé que celui utilisé par CSC et au moins trois procédés connus permettant de produire de l'aminobutanol sans utiliser du nitropropane;

12. Attendu qu'au cours de la procédure administrative, les requérantes se sont déjà basées sur une partie de ces données pour demander qu'avant d'adopter une décision la Commission procède à une expertise afin de vérifier le prétendu monopole de CSC en ce qui concerne la production des matières premières pour la fabrication de l'éthambutol; que la Commission a rejeté cette demande, estimant que les éléments invoqués, même s'ils étaient établis, n'affecteraient pas l'essence de son exposé des griefs; que dans la présente procédure les requérantes ont renouvelé leur demande d'expertise sur le point contesté;

13. Attendu que la Commission a répondu, sans avoir été sérieusement contestée, que la production de nitropropane par la société française ne se trouverait actuellement qu'au stade expérimental et que les recherches de cette société ne se seraient développées qu'après les faits incriminés; que les informations quant à la possibilité de fabriquer de l'éthambutol en utilisant du thiophénol seraient trop vagues et incertaines pour être sérieusement prises en considération; que la déclaration d'un expert produite par CSC ne ferait état que des procédés bien connus dont on n'aurait pu prouver qu'ils se prêteraient à une utilisation à l'échelle industrielle et à des prix permettant la commercialisation; que la production des deux sociétés italiennes citées serait d'une envergure modeste et destinée à leur propres besoins, de sorte que les procédés utilisés ne se prêteraient pas à une commercialisation importante et rentable;

14. Que la Commission a produit un rapport d'expert provenant de Zoja selon lequel la production d'aminobutanol, en partant du butanone à une échelle industrielle considérable, ne serait possible qu'à grands frais et accompagnée de dangers, ce que contestent les requérantes qui s'appuyent sur deux expertises selon lesquelles une telle production ne présenterait pas de difficultés ou de frais excessifs;

15. Attendu que ce débat est sans grande portée pratique puisqu'il s'agit principalement de procédés de nature expérimentale, non éprouvés à l'échelle industrielle, et donnant lieu pour les autres à des productions modestes; qu'il ne s'agit pas de savoir à ce sujet si Zoja, en adaptant ses installations et ses procédés de fabrication, aurait pu éventuellement continuer sa production d'éthambutol à partir d'autres matières premières, mais si CSC avait une position dominante sur le marché des matières premières pour la fabrication d'éthambutol; que c'est seulement la présence sur le marché d'une matière première substituable sans grandes difficultés au nitropropane ou à l'aminobutanol pour la fabrication de l'éthambutol, qui serait susceptible d'invalider la thèse que CSC détient une position dominante au sens de l'article 86; que, par contre, l'invocation de procédés alternatifs potentiels et de nature expérimentale ou pratiqués à petite échelle, n'est pas de nature à réfuter les motifs de la décision attaquée;

16. Attendu qu'il n'est pas contesté que les grands fabricants d'éthambutol pour le marché mondial, à savoir CSC elle-même, Istituto, American Cyanamid et Zoja n'emploient que les matières premières fabriquées par CSC; que comparée à la production et la vente de l'éthambutol de ces entreprises celle des quelques autres fabricants est d'importance mineure; que la Commission pouvait donc conclure "qu'à l'heure actuelle il n'est pas possible de recourir, dans des conditions de compétition économique, à des méthodes de fabrication sur une échelle industrielle de l'éthambutol basées sur l'emploi de matières premières différentes";

17. Que dès lors elle était justifiée à rejeter la demande d'expertise;

18. Que pour les mêmes raisons la demande faite au cours de la présente procédure doit être rejetée, le fait que CSC détenait une position dominante sur le marché mondial pour la production et la vente des matières premières en cause étant établi à suffisance de droit;

b) Quant au marché à prendre en considération

19. Attendu que les requérantes se basent sur le chapitre II-C, 6e considérant, de la décision attaquée pour conclure que, d'après la Commission, le marché à prendre en considération pour la détermination de la position dominante serait celui de l'éthambutol; qu'un tel marché n'existerait pas, l'éthambutol ne faisant partie que du marché plus large des médicaments antituberculeux, où il se trouverait en compétition avec d'autres médicaments dans une large mesure substituables; que le marché de l'éthambutol n'existant pas, il serait impossible de construire un marché séparé des matières premières pour la fabrication de ce produit;

20. Attendu que la Commission répond qu'elle a pris en considération la position dominante dans le Marché commun pour les matières premières nécessaires à la production de l'éthambutol;

21. Attendu qu'en effet, tant le chapitre II-B que dans la partie du chapitre II-C de la décision qui précède la constatation, que le comportement des requérantes "constitue dès lors un abus de position dominante au sens de l'article 86" (II-C, 4e considérant), il n'est question que du marché des matières premières pour la fabrication de l'éthambutol; qu'en considérant que "le comportement en cause limite les débouchés de la matière première ainsi que la production de l'éthambutol et constitue donc l'une des pratiques abusives expressément interdites par ledit article", la décision attaquée n'envisage le marché de l'éthambutol qu'afin de déterminer les effets du comportement visé; que si un tel examen est de nature à permettre une meilleure appréciation des effets de l'infraction alléguée, il est cependant sans relevance en ce qui concerne la détermination du marché à prendre en considération pour la constatation d'une position dominante;

22. Qu'en effet, contrairement aux thèses des requérantes, il est possible de distinguer le marché des matières premières nécessaires à la fabrication d'un produit et le marché sur lequel ce produit est écoulé; qu'un abus de position dominante sur le marché des matières premières peut donc avoir des répercussions restrictives sur la concurrence dans le marché où s'écoulent les produits dérivés, qui sont à prendre en considération dans l'appréciation des effets de l'infraction, même si le marché des dérivés ne constitue pas un marché en soi; que les arguments des requérantes à cet égard et, partant, leur demande qu'une expertise à ce sujet soit ordonnée manquent donc de pertinence et doivent être rejetés;

c) Quant à l'exploitation abusive de la position dominante

23. Attendu que les requérantes affirment que la cessation des fournitures d'aminobutanol à Zoja ne saurait leur être imputée, mais s'expliquerait par le fait qu'au printemps de 1970, Zoja elle-même aurait fait savoir à Istituto qu'elle renonçait à l'achat des quantités importantes d'aminobutanol convenues dans un contrat alors en vigueur entre Istituto et Zoja; que lorsqu'à la fin de 1970, Zoja s'adressait de nouveau à Istituto pour obtenir ce produit, celle-ci aurait été obligée, informations prises auprès de CSC, de lui répondre qu'entre temps CSC avait changé de politique commerciale et que le produit n'était plus disponible; que le changement de politique de CSC aurait été inspiré par la considération légitime de l'avantage pour elle d'étendre sa production à la fabrication de produits finis et de ne pas se limiter à celle des matières premières ou des produits intermédiaires; qu'en conformité avec cette politique, elle aurait décidé d'améliorer son produit et de ne plus fournir dorénavant de l'aminobutanol, exception faite des engagements déjà pris par ses distributeurs;

24. Attendu qu'il ressort des documents et des débats que les fournitures de matières premières se sont, en ce qui concerne la CEE, limitées à Istituto, qui avait, comme exposé dans la requête de CSC, commencé à développer en 1968 ses propres spécialités à base d'éthambutol, obtenu le visa du gouvernement italien nécessaire à la fabrication en novembre 1969 et commencé la production de ses spécialités en 1970; que lorsque Zoja s'est informée des possibilité d'obtenir de nouvelles fournitures d'aminobutanol, il lui a été opposé une réponse négative; que CSC a décidé de limiter, sinon de faire cesser totalement, ses fournitures en nitropropane et en aminobutanol à des tiers, afin de faciliter son propre accès au marché des produits dérivés;

25. Que cependant une telle entreprise, disposant d'une position dominante pour la production des matières premières et de ce chef en mesure de contrôler l'approvisionnement des fabricants de produits dérivés, ne saurait, parce qu'elle a décidé de commencer elle-même la production de ces dérivés, décision par laquelle elle devenait le concurrent de ses clients antérieurs, adopter un comportement de nature à éliminer la concurrence de ceux-ci, en l'espèce à éliminer l'un des principaux producteurs d'éthambutol dans le Marché commun;qu'un tel comportement étant contraire aux objectifs énoncés à l'article 3, lettre f, du traité, explicités par les articles 85 et 86, il s'ensuit que le détenteur d'une position dominante sur le marché des matières premières qui dans le but de les réserver à sa propre production des dérivés, en refuse la fourniture à un client, lui-même producteur de ces dérivés au risque d'éliminer toute concurrence de la part de ce client, exploite sa position dominante d'une façon abusive au sens de l'article 86; que dans ce contexte il importe peu de savoir si la cessation des fournitures au printemps 1970 a été le fait d'une annulation des achats par Zoja, parce qu'il ressort de l'exposé des requérantes mêmes qu'à la fin des fournitures prévues au contrat la vente d'aminobutanol aurait été en tout cas terminée;

26. Qu'il n'est pas non plus nécessaire d'examiner, comme les requérantes l'ont demandé, si les besoins d'aminobutanol de Zoja étaient urgents en 1970 et 1971, ou si cette société disposait encore de grandes quantités de ce produit lui permettant de réorganiser sa production en temps utile, cette question n'étant pas relevante pour l'appréciation du comportement des requérantes;

27. Attendu enfin que CSC a encore exposé que sa production de nitropropane et d'aminobutanol devait être appréciée dans le cadre de la nitration de paraffine, dont le nitropropane ne serait qu'un des dérivés et que, pareillement, l'aminobutanol ne serait qu'un des produits dérivés du nitropropane; que dès lors les possibilités de produire les deux produits en cause ne seraient pas illimitées, mais dépendraient en partie des possibilités d'écouler les autres produits dérivés;

28. Attendu cependant que n'est pas sérieusement contestée par les requérantes l'affirmation dans la décision attaquée que "la capacité de production des installations de CSC permet d'affirmer qu'elle peut satisfaire à la demande de Zoja, étant donné que cette dernière représente un pourcentage assez faible (approximativement 5-6 %) de la production globale de nitropropane de CSC"; qu'il faut en conclure que la Commission était justifiée à estimer que de telles affirmations ne pouvaient être prises en considération;

29. Que ces moyens doivent donc être rejetés;

d) Quant aux effets sur le commerce entre Etats membres

30. Attendu que les requérantes ont exposé qu'en l'espèce il s'agirait principalement du marché mondial, Zoja écoulant 90 % de sa production en dehors du Marché commun, notamment dans les pays en voie de développement, qui constitueraient un marché beaucoup plus intéressant pour les médicaments antituberculeux que les pays de la Communauté, où la tuberculose aurait en grande partie disparu; que les débouchés de Zoja dans le Marché commun seraient en outre réduits du fait que, dans plusieurs Etats membres, elle se heurterait à des brevets d'autres sociétés, notamment d'American Cyanamid, qui l'empêcheraient de vendre ses spécialités à base d'éthambutol; que dès lors l'abus de position dominante, à le supposer établi, n'entrerait pas dans le cadre de l'article 86, qui n'interdit un tel abus que "dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté";

31. Attendu que cette expression vise à délimiter la sphère d'application des règles communautaires par rapport aux législations nationales; qu'on ne saurait donc l'interpréter comme restreignant le champ d'application de l'interdiction énoncée aux seules activités industrielles et commerciales tendant à approvisionner les Etats membres;

32. Qu'en effet les interdictions des articles 85 et 86 sont à interpréter et à appliquer à la lumière de l'article 3, lettre f, du traité, prévoyant que l'action de la Communauté comporte l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le Marché commun et de l'article 2 du traité, qui donne pour mission à la Communauté de "promouvoir le développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble du Marché commun"; qu'en interdisant l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, l'article 86 vise dès lors tant les pratiques susceptibles de causer un préjudice direct aux consommateurs, que celles qui leur causent préjudice indirect en portant atteinte à une structure de concurrence effective, telle qu'envisagée à l'article 3, lettre f, du traité;

33. Que les autorités communautaires doivent donc considérer le comportement incriminé dans toutes les conséquences pour la structure de la concurrence dans le Marché commun sans distinguer entre les productions destinées à l'écoulement à l'intérieur du Marché commun et celles destinées à être exportées; que lorsque le détenteur d'une position dominante établi dans le Marché commun tend par l'exploitation abusive de celle-ci à éliminer un concurrent également établi dans le Marché commun, il est indifférent de savoir si ce comportement concerne les activités exportatrices de celui-ci ou ses activités dans le Marché commun, dès qu'il est constant que cette élimination aura des répercussions sur la structure de la concurrence dans le Marché commun;

34. Que d'ailleurs la thèse contraire conduirait pratiquement à faire contrôler les productions et les débouchés de Zoja par CSC et Istituto; qu'enfin ses prix de revient en auraient été affectés à un point tel que sa production d'éthambutol risquerait de n'être plus commercialisable;

35. Attendu d'ailleurs qu'il ressort des débats qu'actuellement Zoja peut en tout cas exporter et exporte en effet les produits en cause vers au moins deux Etats membres; que ces exportations sont mises en péril par les difficultés faites à cette société et que de ce fait le commerce entre les Etats membres est susceptible d'en être affecté;

e) Quant à l'unité économique entre CSC et Istituto

36. Attendu qu'invoquant la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts 48-69, 52-69 et 53-69 du 14 juillet 1972 (Recueil, 1972, p. 619, 787 et 845), les requérantes contestent que CSC exercerait effectivement son pouvoir de contrôle sur Istituto et qu'elles constitueraient une unité économique; que les deux sociétés auraient toujours agi de façon indépendante, de sorte que CSC ne saurait être rendue responsable des actes d'Istituto ni Istituto de ceux de CSC; que partant, à supposer que CSC détienne une position dominante sur le marché mondial des matières premières pour la fabrication d'éthambutol, elle n'aurait pas agi à l'intérieur de la Communauté, l'auteur du comportement incriminé ne pouvant donc être qu'Istituto qui, cependant, ne détiendrait pas une position dominante sur le marché en cause;

37. Attendu que, dans son chapitre II-A, la décision attaquée a exposé l'état de la participation de CSC dans le capital et l'administration d'Istituto, signalé que les rapports annuels de CSC indiquent qu'Istituto est une de ses filiales, déduit de l'interdiction faite en 1970 par CSC à ses distributeurs de revendre le nitropropane et l'aminobutanol pour la fabrication d'éthambutol que celle-ci ne s'abstient pas d'exercer son pouvoir de contrôle sur Istituto, et noté une tentative de la part d'Istituto d'absorber Zoja par la voie d'une fusion, à laquelle il serait invraisemblable que CSC ait été étrangère; qu'il en est conclu que "CSC détient le pouvoir de contrôle d'Istituto et l'exerce effectivement à tout le moins en ce qui concerne les rapports avec Zoja" et qu'il convient donc "de traiter les sociétés CSC et Istituto comme ne formant dans leurs relations avec Zoja et aux fins de l'application de l'article 86 qu'une seule et même entreprise ou entité économique";

38. Attendu d'abord qu'il résulte des passages cités que n'est fondé et doit donc être rejeté le grief, selon lequel la Commission aurait changé d'attitude au cours de la présente procédure du fait qu'après avoir affirmé dans sa décision que les deux sociétés formeraient une unité économique à tous égards, elle aurait restreint sa position à la thèse qu'elles auraient en tout cas agi comme une telle unité dans leurs relations avez Zoja;

39. Attendu, quant au fond du moyen, qu'outre les éléments relevés au chapitre II-A, la décision attaquée contient d'autres éléments susceptibles de démontrer le bien-fondé de sa thèse de l'unité économique de CSC et Istituto dans leur comportement à l'égard de Zoja; qu'à cet égard est hautement significative la coïncidence, signalée au chapitre III-A, des époques où CSC a décidé de prolonger sa production jusqu'à un stade ultérieur de façonnement et où Istituto, ancien distributeur de nitropropane et d'aminobutanol, a commencé son activité de producteur d'éthambutol; qu'il est difficile de ne pas rapprocher la décision de CSC de ne plus vendre de nitropropane et d'aminobutanol avec l'exception faite pour Istituto qui, aux fins de sa propre production d'éthambutol et de spécialités à base de ce produit, a été fournie en dextro-aminobutanol;

40. Qu'est également significative la circonstances signalée au chapitre III-A de la décision, qu'Istituto a acheté des quantités de nitropropane encore disponibles sur le marché pour les revendre à des fabricants de peinture auxquels elle a interdit la revente pour usage pharmaceutique en dehors du Marché commun;

41. Qu'en ce qui concerne le marché de nitropropane et de ses dérivés, le comportement de CSC et d'Istituto a donc été caractérisé par une unité d'action évidente, ce qui, compte tenu du pouvoir de contrôle de CSC sur Istituto confirme les conclusions de la décision attaquée que les deux sociétés sont en ce qui concerne leurs relations avec Zoja à considérer comme une unité économique et que le comportement incriminé leur est imputable solidairement; que, dans ces circonstances, l'argument de CSC qu'elle n'aurait pas agi à l'intérieur de la Communauté et que, partant, la Commission manquerait de compétence pour lui appliquer le règlement n° 17-62, doit également être rejeté;

II - Quant aux mesures ordonnées et sanctions prononcées par la décision attaquée

42. Attendu que la décision attaquée a ordonné à CSC et Istituto, sous peine d'astreinte, de fournir à Zoja dans un délai de 30 jours, 60 000 kg de nitropropane ou 30 000 kg d'aminobutanol et de soumettre à l'approbation de la Commission, dans un délai de deux mois, des propositions relatives à l'approvisionnement ultérieur de Zoja et leur a infligé solidairement une amende de 200 000 unités de compte, soit 125 000 000 de lires;

43. Que les requérantes contestent en premier lieu que la disposition du règlement n° 17-62, article 3, en vertu duquel la Commission peut obliger les entreprises intéressées à mettre fin à une infraction constatée, l'habiliterait à ordonner des fournitures spécifiques et déterminées;

44. Qu'en second lieu elles font grief à la Commission d'avoir abusé des pouvoirs destinés à empêcher que la concurrence soit faussée dans le Marché commun, et donné aux dispositions de l'article 86 une application dépassant le territoire de la Communauté, en ordonnant des fournitures disproportionnées aux besoins de Zoja pour l'approvisionnement de ses clients dans la Communauté, mais correspondant plutôt à son activité sur le marché mondial;

45. Attendu, quant au premier moyen, qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 17 la Commission peut, si elle constate une infraction aux dispositions de l'article 86, "obliger par voie de décision les entreprises intéressées à mettre fin à l'infraction constatée", que l'application de cette disposition doit se faire en fonction de la nature de l'infraction constatée et peut aussi bien comporter l'ordre d'entreprendre certaines activités ou prestations, illégalement omises, que l'interdiction de continuer certaines activités, pratiques ou situations, contraires au traité; qu'à cette fin la Commission peut éventuellement obliger les entreprises intéressées à lui faire des propositions en vue de remettre la situation en conformité avec les exigences du traité;

46. Qu'ayant, en l'espèce, constaté un refus de vente incompatible avec l'article 86, la Commission pouvait donc ordonner tant la fourniture de certaines quantités de matières premières pour combler le refus de fournir constaté que la présentation de propositions tendant à prévenir la répétition du comportement incriminé; qu'afin d'assurer l'effet utile de sa décision la Commission pouvait fixer le minimum nécessaire pour assurer la réparation de l'infraction et sauvegarder Zoja de ses conséquences; qu'en choisissant pour la vérification des besoins de celle-ci le critère de la quantité des fournitures antérieures, la Commission n'a pas dépassé le pouvoir d'appréciation qui lui appartient à cet égard;

47. Que dès lors le premier moyen n'est pas fondé;

48. Attendu, quant au second moyen, qu'il a déjà été constaté ci-dessus qu'on ne saurait déduire de l'expression "dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté" que seuls les effets d'une infraction éventuelle pour le commerce intracommunautaire seraient à prendre en considération lorsqu'il s'agit de délimiter l'infraction et ses conséquences; que d'ailleurs une mesure restreinte conformément aux suggestions des requérantes aurait eu pour résultat de faire contrôler la production et les débouchés de Zoja par CSC-Istituto et de mettre celle-là dans une situation où son prix de revient aurait été affecté à un point tel que sa production d'éthambutol aurait risqué de ne plus être commercialisable; que, dans ces circonstances, la Commission a pu considérer que le maintien d'une structure de concurrence effective nécessitait les mesures en cause;

49. Attendu que si dans la décision attaquée et au cours de la présente procédure la Commission a constamment évité de rencontrer le grief en cause sur le terrain où celui-ci visait à engager le débat, elle a par contre depuis l'exposé des griefs maintenu que, le comportement incriminé visant à éliminer l'un des principaux concurrents dans le Marché commun, il importait avant tout de prévenir une telle atteinte à la concurrence communautaire par des mesures adéquates; que, tant dans la décision attaquée que dans la procédure écrite, les mesures prises ont été justifiées par la nécessité d'éviter que le comportement de CSC et Istituto puisse sortir l'effet dénoncé et éliminer Zoja en tant que l'un des principaux producteurs d'éthambutol dans la Communauté; que ce motif touche l'essence du litige et ne saurait donc être considéré comme insuffisant;

50. Que dès lors ce moyen ne saurait non plus être retenu;

III - Quant à l'amende infligée

51. Attendu que la décision attaqué a infligé solidairement aux sociétés CSC et Istituto une amende de 200 000 unités de compte, soit 125 000 000 lires; Attendu que si la gravité de l'infraction justifie une amende importante, il y a lieu de prendre en considération que sa durée, évaluée par la décision à plus de deux années, aurait pu être abrégée si la Commission alertée par la plainte de Zoja du 8 avril 1971, soit une demi-année après le premier refus de CSC-Istituto, était intervenue plus rapidement; qu'en outre les effets nocifs du comportement dénoncé ont été limités du fait que CSC-Istituto ont exécuté les fournitures ordonnées par la décision;

52. Attendu que compte tenu spécialement de ces circonstances, il convient de réduire l'amende et de la fixer à 100 000 unités de compte, soit 62 500 000 lires;

Quant aux dépens

53. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens que la requérante ayant succombé pour l'essentiel de ses conclusions, elle doit être condamnée aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs,

vu les actes de procédure; le juge rapporteur entendu en son rapport; les parties entendues en leurs plaidoiries; l'avocat général entendu en ses conclusions; vu le traité de la Communauté économique européenne, et notamment son article 86; vu le règlement financier du 30 juillet 1968, et notamment son article 17; vu les règlements n° 17-62 du Conseil et n° 99-63 de la Commission de la Communauté économique européenne; vu le protocole sur le statut de la Cour de justice de la Communauté économique européenne; vu le règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes,

LA COUR,

rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête:

1) Les recours en annulation dans les affaires 6 et 7-73 sont rejetés;

2) L'amende infligée solidairement aux requérantes par la décision de la Commission du 14 décembre 1972 (JO n° L 299, du 31 décembre 1972, p. 51 et suiv.) est réduite à 100 000 unités de compte, soit 62 500 000 lires;

3) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens de l'instance.