CCE, 23 décembre 1970, n° 71-22
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Supexie
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 2, 5 et 7, vu la demande d'attestation négative et la notification à toutes fins utiles présentées le 30 octobre 1962 par Supexie, société à responsabilité limitée ayant son siège à Paris, concernant l'accord par lequel les associés confient à Supexie la vente en commun à l'exportation des engrais phosphatés qu'ils produisent, vu l'avis du Comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli conformément à l'article 10 du règlement n° 17, le 9 novembre 1970,
I -
1. Considérant que le 22 février 1962 a été constituée à Paris, sous la dénomination de Supexie et pour une durée de 50 ans, une société à responsabilité limitée de droit français ayant pour objet l'importation et l'exportation de tous engrais et produits nécessaires à l'agriculture ;
Considérant que, actuellement, les statuts de Supexie, tels qu'ils ont été modifiés par les assemblées générales extraordinaires des 15 avril 1969 et 12 février 1970, prévoient que "la société a pour objet l'exportation de tous engrais et produits nécessaires à l'agriculture, dans tous pays ne faisant pas partie du Marché commun et l'importation en France de tous engrais et produits nécessaires à l'agriculture en provenance de ces pays" ;
Considérant que l'accord en cause, tel qu'il résulte des contrats de mandat conclus avec Supexie dans le cadre de ses statuts par les entreprises membres, concerne seulement la vente en commun des engrais phosphatés dans les pays situés en dehors de la CEE et non l'importation éventuelle de ces produits en France ;
2. Considérant que les parties à cet accord sont actuellement la société Supexie et les 4 entreprises ci-après :
- Société Péchiney Saint-Gobain, à Paris,
- Société Ugine-Kuhlmann, à Paris,
- Société des fertilisants de l'Ouest, à Paris,
- Société des établissements Linet, à Paris,
et que cet accord prévoit ce qui suit.
Les produits visés par l'accord sont en fait les superphosphates simples. Supexie est chargée de vendre ces produits sous ses propres marques et sans exclusivité de droit dans les pays situés hors du Marché commun, pour le compte des entreprises ci-dessus.
Avant le début de la campagne agricole, les mandants communiquent à Supexie les tonnages qu'ils souhaitent voir exporter par son intermédiaire. Les exportations sont, en principe, réalisées au départ des usines les mieux situées géographiquement. Les prix et les conditions de vente sont fixés par Supexie.
A la fin de chaque exercice, Supexie procède à une péréquation des recettes entre ses membres, de sorte qu'ils perçoivent tous finalement un même prix départ usine portuaire, quelle que soit la destination des produits. Aucune péréquation n'a lieu entre le montant des ventes effectuées directement par les associés à l'intérieur du Marché commun et de celles effectuées par Supexie en dehors de celui-ci ;
Considérant que l'essentiel du contenu de la demande a été publié au Journal officiel des Communautés européennes (2) en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, et qu'aucune opposition de la part de tiers ne s'est manifestée ;
II -
3. Considérant que l'attestation négative demandée peut être délivrée, conformément aux dispositions de l'article 2 du règlement n° 17, si la Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité à l'égard de l'accord par lequel les membres de Supexie confient à cette société la vente en commun à l'exportation dans les pays situés en dehors du Marché commun de leurs engrais phosphatés et plus spécialement des superphosphates simples ;
Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1 du traité, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;
Considérant que l'accord en cause est un accord entre entreprises au sens de l'article 85 du traité ;
4. Considérant que, dans sa version en vigueur au moment de la présentation de la demande d'attestation négative, l'accord contenait des dispositions et donnait lieu à des pratiques qui, de l'avis de la Commission, étaient susceptibles d'affecter le commerce entre États membres de la CEE et qui avaient pour objet et pour effet de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;
Que, en particulier, le fait que l'activité de vente de Supexie s'étendait à tous les pays du Marché commun autres que la France avait pour effet de restreindre la liberté d'action des mandants dans leurs exportations vers ces pays, puisque c'était Supexie qui décidait, pour les quantités mises à sa disposition, s'il y avait lieu de les vendre à l'intérieur du Marché commun ou en dehors de celui-ci, à quels prix et à quelles conditions, sans que les mandants puissent prendre des décisions individuelles à ce sujet ; que cette restriction était d'autant plus sensible que Supexie jouissait pratiquement d'une exclusivité de fait, étant donné que les mandants, bien que libres, en principe, de vendre directement à l'exportation, n'ont jamais effectué d'exportation à destination des pays du Marché commun ; que, en outre, Supexie procédait à une péréquation annuelle globale du montant des ventes effectuées tant à l'intérieur du Marché commun qu'en dehors de celui-ci, de sorte que tous les membres percevaient le même prix départ usine portuaire quelle que fût la destination des produits ; que cette pratique était de nature à modifier artificiellement la rentabilité des livraisons des membres et à décourager les exportations individuelles à l'intérieur du Marché commun, aussi longtemps que, comme l'affirmait Supexie, les prix qu'ils auraient dû consentir à l'exportation dans le Marché commun restaient inférieurs aux prix obtenus dans les pays tiers ; qu'en effet, en exportant dans le Marché commun par l'intermédiaire de Supexie, ils obtenaient, grâce à la péréquation des recettes réalisées pour toutes les ventes, tant à l'intérieur de la Communauté qu'en dehors de celle-ci, un prix plus élevé que s'ils avaient exporté individuellement ;
Considérant que, dans le but d'obtenir l'attestation négative demandée, les intéressés ont décidé de renoncer aux dispositions et pratiques ci-dessus après avoir été informés par la Commission que celle-ci les considérait comme visées par l'article 85 paragraphe 1 du traité et ne remplissant pas les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 ; qu'à cet effet, les membres de Supexie, réunis en assemblée générale extraordinaire les 15 avril 1969 et 12 février 1970, ont modifié l'objet social de Supexie et les mandats de vente à l'exportation qui sont confiés à cette société, de manière à limiter son activité de vente aux seuls pays situés en dehors du Marché commun ;
5. Considérant que l'accord en cause, dans sa teneur actuelle, ne permet plus d'organiser la vente en commun des engrais phosphatés qu'à destination seulement des marchés situés en dehors de la CEE de sorte que la liberté des membres de Supexie d'exporter individuellement à l'intérieur du Marché commun n'est plus soumise à aucune restriction du fait de l'accord en cause ; que bien que celui-ci confère à Supexie le pouvoir de répartir entre ses membres les commandes destinées aux pays tiers, chaque membre reste néanmoins libre de déterminer lui-même les quantités qu'il met à la disposition de Supexie pour la vente en commun et celles qu'il réserve pour ses ventes individuelles dans les États membres de la CEE, étant donné que ce n'est qu'à titre indicatif qu'il doit faire connaître à Supexie les quantités qu'il souhaite exporter par son intermédiaire; que la péréquation effectuée par Supexie, ne portant que sur le montant des ventes faites hors du Marché commun, n'est plus de nature à influer sur le comportement des membres en ce qui concerne leurs exportations individuelles à l'intérieur du Marché commun ; que, par ailleurs, à la connaissance de la Commission, Supexie n'exerce pas d'influence sur la liberté de ses acheteurs d'exporter les produits en cause à destination des pays du Marché commun;
6. Considérant par conséquent que l'accord en cause, dans sa teneur actuelle, ne porte atteinte, ni de manière directe ni de manière indirecte, à la liberté d'action à l'intérieur du Marché commun des membres de Supexie, ni à celle des tiers; qu'il n'a donc ni pour objet ni pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun au sens de l'article 85 paragraphe 1 du traité; que l'une des conditions d'application de cet article n'étant pas remplie, l'attestation négative peut être délivrée;
III -
7. Considérant que les conditions d'application de l'article 7 paragraphe 1 du règlement n° 17 sont réunies ; qu'il s'agit, en effet, d'un accord existant à la date d'entrée en vigueur du règlement n° 17 (13 mars 1962), notifié à toutes fins utiles le 30 octobre 1962, soit dans les délais fixés à l'article 5 paragraphe 1 du règlement n° 17, ne remplissant pas les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 3 et que les entreprises intéressées ont modifié à deux reprises, le 15 avril 1969 et le 12 février 1970, de telle sorte que, comme il a été exposé ci-dessus, il n'est plus visé par l'interdiction édictée par l'article 85 paragraphe 1 du traité ; considérant que cette interdiction ne s'applique, conformément à l'article 7 paragraphe 1 du règlement n° 17, aux versions de l'accord antérieures aux modifications, que pour la période fixée par la Commission ; qu'à cet égard, il y a lieu, dans le cas d'espèce, de tenir compte du fait que les intéressés, se conformant aux observations qui leur ont été faites, ont modifié l'accord dans un délai raisonnable de manière à mettre fin aux dispositions et pratiques jugées incompatibles avec l'article 85 du traité ; que ces circonstances sont suffisantes pour justifier la non-application de l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 pour toute la période qui s'est écoulée entre le 13 mars 1962, date d'entrée en vigueur du règlement n° 17, et le 12 février 1970,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir, en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne, à l'égard de l'accord de vente en commun entre la société Supexie et ses mandants, dans sa teneur actuelle.
Article 2
L'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 1 ne s'applique pas aux versions antérieures de l'accord pour la période comprise entre le 13 mars 1962 et le 12 février 1970.
Article 3
La présente décision est destinée aux entreprises ci-après :
1. Supexie, à Paris,
2. Péchiney Saint-Gobain, à Paris,
3. Ugine-Kuhlmann, à Paris,
4. Société des fertilisants de l'Ouest, à Paris,
5. Établissements Linet, à Paris.
(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204-62.
(2) JO n° C 79 du 26.6.1970, p. 1.