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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 22 septembre 1994, n° 94-13917

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Esso (Sté)

Défendeur :

Saint-Marceaux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fevre

Avoués :

SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, Me Ribaut

Avocats :

Mes Damerval, Jourdan.

CA Paris n° 94-13917

22 septembre 1994

La société Esso a été autorisée le 8 juin 1994 à plaider à jour fixe à l'audience du 30 juin suivant en son appel d'une ordonnance prononcée le 25 mai 1994 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris [qui] lui a dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande d'expulsion de la société Saint Marceaux des locaux d'une station service appartenant à la société Esso et situés à Reims.

Dans sa requête signifiée à la société Saint Marceaux la société Esso oppose aux contestations sérieuses invoquées par le juge des référés pour justifier le renvoi des parties à se pourvoir devant les juges du fond l'existence d'un trouble manifestement illicite qui l'autoriserait selon elle à demander l'expulsion immédiate du mandataire gérant sous astreinte définitive quotidienne de 10 000 francs à l'issue du contrat à durée déterminée de trois années signé les 25 et 29 avril 1991 avec effet au 1er Mai ;

Il importe peu en effet selon l'appelante que la société Saint Marceaux ait saisi le Tribunal de Grande Instance de Reims par assignation du 29 avril 1994 afin de se voir reconnaître le bénéfice de la propriété commerciale puisqu'une telle prétention est contraire à la jurisprudence de la Cour de Cassation ;

Subsidiairement, la société Esso soutient que la contestation soulevée n'est pas sérieuse ;

Elle demande 15 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

La société à responsabilité limitée Saint Marceaux soutient qu'après dix années d'exploitation selon contrats reconduits elle pouvait encore légitimement croire à une nouvelle reconduction du dernier contrat d'avril 1991 ;

La soudaineté de la cessation de tout approvisionnement en carburants et la légitimité de sa prétention devant le Tribunal de Grande Instance de Reims à se voir reconnaître le double bénéfice de la propriété commerciale sur une clientèle fidélisée et sur des activités crées à son initiative et d'une indemnité d'éviction fondée sur l'article 8 du décret du 30 septembre 1953, constituent une contestation sérieuse permettant au juge des référés de se déclarer incompétent pour statuer sur la demande d'expulsion ;

L'intimée conclut en conséquence à la confirmation de l'ordonnance critiquée ;

MOTIFS DE LA COUR

Considérant que les rapports contractuels des parties conclus depuis 1984 lors de la création de la station service, renouvelés et régis depuis le 1er Mai pour trois années par le contrat pour l'exploitation d'une station service des 25 et 29 avril 1991, se caractérisent par la mise à la disposition de la société Saint Marceaux sous le régime juridique de la location-gérance d'un fonds de commerce appartenant à la société Esso ;

Qu'en application de l'article 16 de cette convention, à l'expiration de la période convenue la société Saint Marceaux doit "libérer les lieux sans pour autant bénéficier d'un droit au maintien dans les lieux " et " ne peut prétendre à aucune indemnité pour le développement les améliorations ou les adjonctions apportées au fonds de commerce " ; que le locataire-gérant reçoit mandat de vendre les carburants de marque Esso déposés en cuve et doit s'approvisionner auprès de la société Esso en lubrifiants qu'il revend pour son propre compte ; qu'il peut fournir d'autres prestations aux clients de la station avec l'autorisation du propriétaire du fonds ; qu'en vertu de l'article 19,"le contrat n'est ni divisible, ni cessible, sous quelque forme que ce soit " ;

Considérant qu'en décidant de ne pas poursuivre ses relations contractuelles avec la société Saint Marceaux au delà du 30 avril 1994, et en informant sa locataire-gérante de sa décision par courrier du 29 mars 1994, la société Esso n'a fait qu'exercer son droit de reprendre possession de son fonds de commerce tel qu'il est défini par les clauses contractuelles sus rappelées ; qu'elle n'était pas tenue de justifier sa décision ; que la brièveté du préavis ne pourrait légitimer qu'une demande de dommages-intérets mais certainement pas un sursis à expulsion ;

Considérant que la prétention de la locataire-gérante à se voir reconnaître par les juges du fond un droit à la propriété commerciale susceptible de faire obstacle à l'expulsion réclamée par la bailleresse ne pourrait porter que sur l'activité de la " boutique " qui aurait été créée par l'exploitante, et non sur la totalité des activités de la station service dont, faut il le rappeler, les locaux les aménagements et les approvisionnements en carburants Esso restent la propriété de la Compagnie pétrolière ;

Que l'indivisibilité en effet du contrat de mandat et de location-gérance a pour conséquence, quand bien même les juges du fond reconnaîtraient l'existence de la propriété commerciale partielle alléguée, d'interdire à la société Saint-Marceaux de se maintenir dans les lieux au delà du 30 avril 1994 ; que la poursuite de l'exploitation de la station-service après cette date en masquant partiellement ou totalement les enseignes " Esso ", en s'approvisionnant en carburants auprès de la concurrence, en personnalisant plus que jamais les services offerts à la clientèle et en y adjoignant un manège pour enfants, ne saurait faire obstacle à l'engagement pris de libérer les lieux au terme convenu ;

Qu'ainsi, même en présence des contestations actuellement soumises au Tribunal de Grande Instance de Reims dont le sérieux importe peu, la société Saint-Marceaux provoque par son refus de libérer les lieux et les installations confiées, un trouble manifestement illicite au regard du contrat et au sens de l'article 873 du nouveau code de procédure civile ; qu'elle interdit à la bailleresse de disposer de son bien et de l'exploiter comme elle l'entend ; que l'occupante doit en conséquence en être expulsée ;

Considérant que la démonstration d'un éventuel abus de droit imputable à la société Esso relève de l'appréciation des juges du fond ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable que les parties conservent à leur charge les frais irrépétibles exposés pour leur défense dans le cadre de cette procédure de référé ;

Par ces motifs : Infirmant totalement l'ordonnance du 25 mai 1994 ; Ordonne l'expulsion immédiate, dès la signification du présent arrêt, de la société Saint-Marceaux des locaux exploités 11 boulevard Saint-Marceaux à Reims (51100) sous astreinte provisoire de 6.000 francs par jour de retard ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Saint-Marceaux aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la société civile professionnelle Taze Bernard Belfayol Broquet titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice contre la société Saint-Marceaux du recouvrement direct défini par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.