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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 18 janvier 1994, n° 92-20835

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hittinger (époux)

Défendeur :

Yachenko

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaubert

Conseillers :

Mme Guerin, M. Morel

Avoués :

SCP Verdun Gastou, Me Bolling

Avocats :

Mes Varin, Azzopard

CA Paris n° 92-20835

18 janvier 1994

LA COUR statue sur l'appel formé par les époux Hittinger à l'encontre du jugement rendu le 17 septembre 1992 par le Tribunal de Commerce de Corbeil Essonnes qui, dans le litige opposant les appelants, propriétaires du fonds de café-restaurant sis à Nainville les Roches (91) à Madame Yachenko, au titre du contrat de location-gérance accompagné d'une promesse de vente du fonds, consenti à cette dernière, a :

- constaté que Madame Yachenko était devenue propriétaire du fonds de commerce à compter du 30 mai 1990, date de la levée d'option,

- lui a donné acte de ce qu'elle offrait de payer le prix de 150.000 francs indexé,

- dit que le jugement vaudrait acte de vente à défaut de signature de la vente par les époux Hittinger,

- condamné ces derniers à payer à Madame Yachenko

1) la somme de 10.000 francs de dommages-intérêts pour résistance abusive,

2) celle de 5.000 francs en application de l'article 700 du NCPC

- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

- et condamné les époux Hittinger aux dépens ;

Pour un complet exposé des faits de la cause et de la procédure la Cour se réfère aux énonciations du jugement déféré ;

Il suffit de rappeler :

- que le contrat de location-gérance assorti d'une promesse de vente du fonds a été conclu le 19 août 1988 avec effet au 1er septembre suivant pour une durée de une année, renouvelable d'année en année par tacite reconduction, faute par l'une des parties d'y mettre fin, en prévenant l'autre trois mois à l'avance ;

- que la clause intitulée "promesse de vente" stipulait que ladite promesse pourrait être levée par lettre recommandée avec avis de réception ou par acte extrajudiciaire adressé au bailleur "au plus tard trois mois avant l'expiration du présent contrat" ;

- qu'ayant levé l'option le 30 mai 1990, Madame Yachenko n'a pu obtenir la réalisation de la vente, les époux Hittinger ayant alors subordonné la vente du fonds à celle conjointe de la maison d'habitation ;

Pour accueillir les prétentions de Madame Yachenko et rejeter les demandes des époux Hittinger le Tribunal a essentiellement considéré :

- que le contrat de location-gérance était valable au regard des délais prescrits par l'article 4 de la loi du 20 mars 1956,

- que la promesse de vente était également valable au regard d'un objet parfaitement déterminé et d'un prix parfaitement déterminable,

- que le dol, non établi, devait être écarté comme cause de nullité de la promesse,

- qu'enfin, la promesse empruntait sa durée effective à celle du contrat de location-gérance qui lui sert de support et dont elle apparaît comme l'accessoire, de sorte que la tacite reconduction du contrat de location-gérance s'appliquait également à la promesse de vente ;

Appelants, les époux Hittinger, prient la Cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- de débouter Madame Yachenko de l'ensemble de ses prétentions et notamment de sa demande en paiement de 150.000 francs à titre de dommages-intérêts,

- de constater que cette dernière n'est pas devenu~ propriétaire du fonds,

- d'ordonner en tout état de cause son expulsion des locaux occupés,

- et de la condamner au paiement :

1) de la somme de 50.000 francs pour procédure abusive

2) et de celle de 15.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC

Ils soutiennent désormais à titre principal que l'option a été levée tardivement après l'expiration du délai contractuellement prévu et que de ce fait la promesse est devenue caduque ;

A cet égard, ils relèvent encore qu'en l'absence d'accord sur le maintien de la promesse pendant la période de reconduction de la location-gérance, Madame Yachenko s'est trouvée déchue du droit d'en demander la prorogation ;

Subsidiairement, ils excipent toujours de la nullité :

A) du contrat de location-gérance pour violation des dispositions de l'article 4 de la loi de 1956,

B) de la promesse de vente

1) en raison de l'indétermination du prix et de l'inexistence de tout bail commercial

2) et pour cause de dol

Intimée, Madame Yachenko, conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris, y ajoutant :

- la condamnation des époux Hittinger à lui restituer le trop perçu par eux depuis la date de la vente, soit la somme de 2.000 francs par mois depuis juin 1990, au titre des redevances de location-gérance ;

- la condamnation des mêmes au paiement des sommes complémentaires de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts et de 10.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.

A titre subsidiaire, pour le cas où la nullité serait prononcée elle requiert la condamnation des appelants au paiement d'une somme de 150.000 francs de dommages-intérêts en réparation du grave préjudice résultant de leurs déclarations mensongères ;

Faisant sienne l'argumentation du Tribunal, elle conteste toute caducité de la promesse dont la durée effective est liée à celle du contrat-support de location gérance, conformément à la commune volonté des parties ;

CELA ETANT EXPOSE,

Considérant que la promesse de vente du fonds apparaît incontestablement en l'espèce comme l'"accessoire" du contrat-support de location-gérance ;

Que l'accessoire devant suivre le principal, il pourrait être admis, en l'absence de toute précision sur ce point, que la durée de validité de la promesse emprunte la durée contractuelle de la location-gérance ;

Mais considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque l'acte du 19 août 1988 précise que la levée de l'option devra intervenir "au plus tard trois mois avant l'expiration du présent contrat" c'est à dire au plus tard le 31 mai 1989 ;

Considérant que la reconduction du contrat principal a donné naissance à compter du 1er septembre 1989 à une nouvelle location-gérance qui ne pourrait imprimer sa prorogation à la promesse de vente que si les parties avaient formellement réaffirmé l'indivisibilité des deux opérations, à supposer - en l'absence de stipulation expresse en ce sens - qu'une indivisibilité non équivoque ait initialement existé ;

Qu'en effet il est de principe que les deux conventions de nature juridique totalement différente, sont indépendantes l'une de l'autre même si un instrument unique les constate ;

Considérant que la tacite reconduction s'étant opérée sans manifestation expresse de volonté commune d'indivisibilité, force est de constater la tardiveté de la levée d'option intervenue le 30 mai 1990 et partant, la caducité de la promesse de vente ;

Qu'il s'ensuit que Madame Yachenko n'est pas devenue propriétaire du fonds et que la location-gérance se poursuit actuellement par tacite reconduction depuis le 1er septembre 1993 ;

Que le jugement déféré sera donc réformé en toutes ses dispositions sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués ;

Considérant que Madame Yachenko qui a continué à régler la redevance de location-gérance ne peut prétendre à aucune restitution de sorte que sa demande formée à ce titre sera rejetée ;

Que de même, la demande d'expulsion des locaux ne peut en l'état être accueillie dès lors qu'il n'a pas encore été régulièrement mis fin à la tacite reconduction ;

Considérant que le caractère abusif de la procédure n'est pas établi dans la mesure où Madame Yachenko a pu de bonne foi se méprendre sur l'exacte étendue de ses droits ; que les époux Hittinger seront donc également déboutés de leur demande de dommages-intérêts ;

Considérant que Madame Yachenko qui succombe dans ses prétentions et qui sera en conséquence condamnée aux dépens de première instance et d'appel ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Que l'équité ne commande pas en revanche, sur ce même fondement sa condamnation au profit des appelants ;

Par ces motifs : LA COUR : Constate l'absence d'indivisibilité réaffirmée, lors de la reconduction de la location-gérance ; Dit que la promesse de vente du fonds était devenue caduque au moment de la levée d'option ; Dit que Madame Yachenko n'est pas devenue propriétaire du fonds et que la location-gérance se poursuit par tacite reconduction depuis le 1er septembre 1993 ; En conséquence, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau ; Déboute Madame Yachenko de l'ensemble de ses demandes, y compris de sa demande en restitution ; Déboute les époux Hittinger de leurs demandes en expulsion et en dommages-intérêts ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ; Condamne Madame Yachenko aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Verdun Gastou, avoués, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.