Livv
Décisions

CA Versailles, 13e ch., 4 mars 1998, n° 8556-97

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Technitrade (SA)

Défendeur :

Stereau (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

MM. Bardy, M. Pers

Avoués :

SCP GAS, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés

Avocats :

Mes De Saint Sernin, Bousquet

T. com. Versailles, du 5 sept. 1997

5 septembre 1997

La société Technitrade qui œuvre dans le commerce international et la coordination de projets industriels clé en main à l'exportation, s'est mise en relation en septembre 1993 avec la société Stereau, filiale du Groupe Bouygues, spécialisée dans l'ingénierie et la réalisation d'unités de traitement d'eau pour lui proposer ses services d'agent commercial exclusif pour le marché en projet de l'approvisionnement en eau de la ville de Dhaka au Bangladesh.

La société Technitrade soumettait à la signature de la société Stereau un projet de contrat d'assistance que cette dernière ne signait pas.

La société Stereau devait soumissionner en juillet 1994 pour le projet lors du lancement de l'appel d'offres en ayant recours à un tiers autre que la société Technitrade et était écartée d'emblée pour ne pas satisfaire aux critères de la préqualification définis au cahier des charges qui exigeait de la part des compétiteurs un seuil de 100 IMGD ramené à 50 IMGD et des références.

La société Technitrade estimant subir un préjudice à raison de comportement de la société Stereau l'assignait devant le Tribunal de commerce de Versailles aux fins d'entendre dire et juger qu'elle était liée à la société Stereau par un contrat d'agent commercial exclusif que la société Stereau avait rompu unilatéralement et que la société Stereau devait être condamnée à lui payer le montant du commissionnement prévu soit la somme de 12 000 000 F, subsidiairement à lui verser la même somme en réparation du préjudice moral et commercial résultant des agissements dolosifs et/ou en rémunération des diligences accomplies.

Le Tribunal de commerce de Versailles a par le jugement entrepris rendu le 5 septembre 1997 débouté la société Technitrade de toutes ses demandes aux motifs :

- qu'aucun contrat d'assistance n'avait été conclu entre les parties que la société Stereau n'étant tenue à aucune obligation contractuelle au sujet de cet appel d'offres était libre de soumissionner avec n'importe quel agent local,

- que son comportement n'était pas dolosif et que les diligences alléguées de la société Technitrade n'ayant pas eu le résultat à l'obtention duquel elles étaient destinées, à savoir la modification des critères de préqualification dont essentiellement la baisse de 100 IMGD à 50 puis 25 IMGD, ne pouvaient donner lieu à rémunération.

Appelante du jugement, la société Technitrade en sollicite l'infirmation et demande à la cour de condamner la société Stereau à lui payer la somme de 12 000 000 F à titre principal au titre du commissionnement prévu avec intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance et à titre subsidiaire en réparation du préjudice commercial et moral causé par les agissements de la société Stereau ou à titre de rémunération des importantes diligences accomplies, outre une indemnité de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Procédant à un historique des relations entre les parties entre septembre 1993 et juillet 1994 et en s'appuyant sur les courriers échangés entre les parties et avec des tiers dont le conseiller à l'ambassade de France au Bangladesh, la société Technitrade s'attache comme en première instance à tenter de démontrer qu'un contrat d'assistance a bel et bien existé sans aucune réserve de la société Stereau, que la condition suspensive qu'oppose la société Stereau sous-tend l'existence du contrat dont l'exécution seule s'est trouvée suspendue, que cela ressort de façon flagrante des écritures de première instance de la société Stereau, que la réserve émise par la société Stereau dans son courrier du 06/10/1993 s'est trouvée caduque immédiatement, que preuve en est que la société Stereau a soumissionné en connaissance de ce qu'elle ne remplissait pas les critères requis, que le motif invoqué pour l'évincer est fictif, qu'en réalité la société Stereau avait pour seul but de présenter une offre vouée à l'échec faute de satisfaire aux critères de préqualification requis, que ce but ne pouvait être atteint avec elle qui avait la possibilité de faire modifier ces critères pour les rendre accessibles à la société Stereau, qu'en réalité le soumissionnement de la société Stereau s'inscrivait dans le cadre d'un accord pris avec ses concurrents Degremont et OTV permettant à ces derniers d'afficher vis à vis des autorités Bangladesh que les régies d'une concurrence transparente et loyale étaient observées dans une compétition franco-française.

Elle se prévaut de toutes les diligences accomplies pour favoriser les intérêts de la société Stereau, soutient que tout ce travail effectué à une période antérieure à la concrétisation de l'accord mérite indemnisation, dénie à la société Stereau toute possibilité de lui opposer la clause du contrat qui exclut toute rémunération de l'agent au cas où Stereau ne serait pas retenue, du fait que Stereau a violé le contrat et que cette clause de non-rétribution se trouve caduque.

Enfin à titre subsidiaire elle argue du grave préjudice commercial et moral que la société Stereau lui a causé par son comportement dolosif justifiant l'octroi de dommages et intérêts à hauteur du commissionnement prévu ou en rémunération des diligences qu'elle a accomplies en pure perte.

La société Stereau intimée, conclut au mal fondé de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle fait valoir qu'elle n'a jamais signé le contrat qui lui était soumis et ce volontairement, que sa lettre du 06/10/1993 à la société Technitrade conditionnait explicitement son accord pour la désignation de cette dernière comme agent exclusif à la possibilité pour elle de répondre au cahier des charges et notamment à la modification des critères de préqualification, et donc à une condition suspensive qui n'a pas été remplie en dépit des prétentions de la société Technitrade d'y parvenir, que cette condition était substantielle pour elle, que la société appelante invoque vainement ses courriers à des tiers qui ne peuvent juridiquement valoir engagement de sa part à l'égard de la société Technitrade, que ses conclusions de première instance ne contiennent aucun aveu de l'existence du contrat d'assistance, qu'elle n'a pas poursuivi les pourparlers ayant pris conscience de ce que la société Technitrade n'était pas en mesure de lui apporter le concours promis.

Elle relève qu'en tout état de cause et même à admettre qu'un accord soit intervenu, le projet établi par l'appelante excluait tout droit à commission en cas d'échec du soumissionnement et lui laissait l'entière faculté de soumissionner ou pas à l'appel d'offres.

Elle conteste le fait pour la société Technitrade de prétendre être à l'origine des modifications apportées au cahier des charges lesquelles sont le résultat des interventions de l'ambassade de France.

Elle dit avoir décidé de soumissionner bien que ne remplissant pas les critères requis à la demande de l'ambassade de France qui continuait d'intervenir auprès des autorités locales pour obtenir une revue à la baisse des conditions requises et dénie toute allégation d'une entente illicite entre elle et les autres compétiteurs dont la société Technitrade est impuissante à rapporter la preuve autrement que par insinuations et dénaturations de faits.

L'appel de la société Technitrade lui parait voué à l'échec faute par cette dernière de prouver l'existence d'un contrat, les démarches accomplies, le comportement dolosif allégué et le préjudice subi.

La société Stereau sollicite la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

SUR CE,

Considérant sur l'existence alléguée d'un contrat d'assistance, qu'en réponse aux courriers adressés les 23, 24 et 27 septembre 1993 par la société Technitrade faisant offre de ses services pour le projet d'approvisionnement en eau de la ville de Dhaka et informant du contenu du cahier des charges défini par les autorités locales, la société Stereau a adressé deux télécopies à la société Technitrade le 6 octobre 1993 dans lesquelles l'appelante voit la preuve de l'engagement de Stereau ;

Considérant que dans la première la société Stereau référence faite aux différentes entrevues, confirme son intérêt à répondre à l'appel d'offres sous réserve de son admission et de la possibilité de répondre au cahier des charges avec ses technologies, cette phrase figurant en caractères gras;

Considérant que dans la seconde télécopie, la société Stereau, référence faite à leur entretien, confirme que sous réserve de son admission et de la possibilité de répondre au cahier des charges, Technitrade sera son représentant exclusif pour l'affaire;

Considérant contrairement à la lecture dénaturée qu'en fait l'appelante, que ces lettres dont la seconde démontrent bien que la société Stereau conditionnait sa collaboration avec Technitrade à la possibilité de répondre aux critères de préqualification, qu'elle ne remplissait pas de l'aveu même de Technitrade, que la société Stereau réitérait dans une télécopie du 12 octobre 1993 son intention de ne soumissionner que si les modifications au cahier des charges étaient apportées, ce dont la société Technitrade faisait offre d'y parvenir ;

Considérant que la télécopie adressée par la société Stereau à l'ambassade de France le 26 octobre 1993 confirmant son intérêt pour le projet toujours sous la réserve de remplir les critères de préqualification, et son intention d'y participer avec le concours de Technitrade ne peut valoir engagement de Stereau de conclure sans réserve avec Technitrade pour être à l'intention d'un tiers, que si la télécopie de Stereau en date du 2 novembre 1993 à l'ambassade confirme certes que " Technitrade est son agent pour cette opération ", cette correspondance doit être lue dans le contexte de l'époque et au regard des courriers antérieurs auxquels elle fait suite et non d'une façon isolée ;

Considérant que l'énoncé des prestations à charge de l'agent contenu dans le projet de contrat d'assistance ne permet pas de suivre le raisonnement de l'appelante qui circonscrit la tache de l'agent à l'obtention de la préqualification et voit de ce fait, dans la condition mise par la société Stereau la preuve de l'existence du contrat dont seule l'exécution serait suspendue;

Considérant que les conclusions développées en première instance par la société Stereau ne corroborent nullement la démonstration de l'appelante de l'existence d'un contrat que la société Stereau dit soumise à la réalisation de la modification des critères de préqualification, condition qui n'a pas été réalisée, que le fait que la société Stereau a soumissionné sans aucune chance objective de succès à la dernière minute à la demande de l'ambassade ne remet pas en cause la réserve émise le 6 octobre 1993, qu'enfin aucune conséquence ne saurait être tirée du recours à un autre agent dès lors que la société Stereau n'était pas liée à la société Technitrade;

Considérant que la société Technitrade ne peut prétendre au paiement d'un commissionnement qui n'a aucune cause juridique, ni subsidiairement à l'indemnisation de frais avancés préalablement à la concrétisation de l'accord, faute de justifier de ses travaux ou de ce que la modification des critères de préqualification abaissés de 100 à 50 IMGD soit le résultat de ses interventions ;

Considérant qu'en tout état de cause le projet de contrat soumis par la société Technitrade excluait tout droit à rémunération si la société Stereau n'était pas soumissionnée quelques soient les prestations accomplies;

Considérant que les prétentions de l'appelante fondées sur la violation par l'intimée du contrat n'ont pas à être évoquées faute d'existence d'un contrat.

Considérant sur la demande subsidiaire en paiement de dommages et intérêts, que le comportement dolosif allégué n'est pas établi et ne repose que sur des affirmations gratuites et l'utilisation dévoyée d'informations relatives à des tiers ou à des faits étrangers à ceux de l'espèce ;

Considérant que pour tous ces motifs, il convient de débouter la société Technitrade de son appel et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée la totalité des frais irrépétibles exposés ;

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, condamne la SA Technitrade à payer à la SA Stereau la somme de 30 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC, condamne la SA Technitrade aux entiers dépens et accorde à la SCP Lissarrague-Dupuis & Associés, Avoués, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.