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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. civ., 3 mars 2000, n° 98-00727

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Arkopharma (SA), Laboratoires Arkomedika (SA), Homeopathie Ferrier (SARL)

Défendeur :

Gravier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Carrie

Président de chambre :

M. Darolle

Conseiller :

M. GroS

Avocats :

Mes Sers, Deijr, SCP Selarl Juris Dom.

TGI Saint-Denis, du 7 avr. 1998

7 avril 1998

Le 8 novembre 1993, deux contrats d'agent commercial ont été conclus pour une durée déterminée de un an entre Mlle Lucia Gravier et les Stés Arkopharma et Arkochim.

Ils ont été renouvelés jusqu'au 31 décembre 1996.

En janvier 1996, un contrat d'agent commercial d'une durée de un an a été passé entre la Sté Homeopathie Ferrier et Mlle Gravier.

Invoquant des résultats inférieurs aux prévisions, les Stés Arkochim et Homeopathie Ferrier ont, par courrier du 19 novembre 1996, informé Mlle Gravier du non-renouvellement des contrats.

La Sté Arkopharma a, par courrier du 14 novembre 1996, indiqué à Mlle Gravier qu'elle était disposée à lui confier un nouveau mandat pour l'année 1997 à des conditions à définir dans une nouvelle convention.

Sur assignation de Mlle Gravier, le tribunal de grande instance de Saint-Denis a, par jugement du 7 avril 1998:

- Dit que la rupture des trois conventions ouvre droit à indemnité au bénéfice de Mlle Gravier;

- Condamné:

- La Sté Arkopharma à lui payer 822.299 F, outre 2.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- La Sté Arkomedika venant aux droits de la Sté ARKOCHIM, 89.445 F outre 2.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

- La Sté Homeopathie Ferrier, 13.869 F outre 2.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Les trois sociétés ont relevé appel de la décision.

Elles s'opposent à la condamnation solidaire sollicitée par l'intimée en faisant valoir que si elles appartiennent au même groupe, chacune d'elles dispose d'une personnalité juridique distincte et autonome.

La Sté Arkopharma fait valoir que contrairement à ce que soutient l'intimée, le contrat à durée déterminée dont le terme était fixé au 31 décembre 1996 n'a pas été nové en contrat à durée indéterminée au motif, inexact, que les relations contractuelles auraient continué postérieurement au terme du contrat.

Les trois sociétés appelantes soulignent que chacun des contrats assimile la non-atteinte des objectifs à une faute grave.

La détermination de la faute grave n'a pas reçu de définition légale et peut en conséquence, être précisée contractuellement conformément à l'article 1134 du code civil.

Cette clause n'est pas contraire à l'ordre public.

Il est patent que Mlle Gravier n'a pas atteint les objectifs fixés pour l'année 1996.

Elle doit être déboutée de ses demandes indemnitaires.

Subsidiairement, les sociétés appelantes observent que la loi du 25 juin 1991 a instauré le principe d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Mlle Gravier ne justifie d'aucun préjudice financier, alors, qu'au contraire, elle a fait part de sa satisfaction d'avoir créé sa propre entreprise.

Les sociétés appelantes demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a accordé une indemnisation à Mlle Gravier et de condamner cette dernière à leur payer 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Mlle Lucia Gravier réplique que les trois sociétés constituent un groupe économique homogène et qu'ainsi elles sont engagées solidairement à son égard.

Concernant le contrat avec la Sté Arkopharma, elle observe que cette société a attendu le 30 décembre 1996, veille de la date d'échéance du contrat, pour lui soumettre un nouveau projet auquel elle a répondu une semaine plus tard.

Dans l'intervalle, la collaboration s'est poursuivie et ce n'est que le 20 janvier 1997 que le mandant a retiré sa proposition.

Le contrat a donc été nové en contrat à durée indéterminée.

Elle fait valoir que la non-atteinte des objectifs fixés n'est pas susceptible de justifier une rupture du mandat sans indemnité.

Par application des articles 12 et 16 de la loi du 25 juin 1991, toute clause contractuelle prévoyant une telle résiliation doit être déclarée non écrite.

Concernant le contrat Arkopharma, elle soutient que la clause d'exclusivité stipulée à son profit a été violée.

Sur les indemnités, elle souligne que l'usage fixe à deux années de commissions leur quantum.

Elle se prévaut d'une baisse significative de ses revenus pour 1997 et 1998.

De surcroît, les fautes graves commises par les sociétés appelantes justifient une indemnisation supplémentaire.

Elle demande condamnation solidaire des sociétés appelantes à lui payer:

- 101.391 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis dans le cadre de la rupture du contrat Arkopharma ;

- 1.216.693 F à titre d'indemnité de rupture pour la cessation du mandat Arkopharma ;

- 110.092 F à titre d'indemnité de rupture pour la cessation du mandat Arkochim

- 41.607 F à titre d'indemnité de rupture pour la cessation du mandat Homeopathie Ferrier avec intérêt légal à compter de l'assignation, outre 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la novation du contrat à durée déterminée conclu avec la Sté Arkopharma en contrat à durée indéterminée :

Par courrier du 14 novembre 1996, la Sté Arkopharma a informé Mlle Gravier qu'elle ne renouvellerait pas le contrat, mais qu'elle était disposée à lui confier un nouveau mandat pour l'année 1997 à des conditions à définir.

Ce nouveau contrat lui a été proposé par un courrier reçu le 30 décembre 1996 et elle l'a refusé par lettre du 8 janvier 1997, en prétendant notamment que le contrat à durée déterminée s'étant poursuivi au-delà de son terme, il s'était transformé en contrat à durée indéterminée.

Or, par son courrier du 14 novembre 1996, la Sté Arkopharma a clairement manifesté sa volonté de ne pas renouveler la convention et son comportement postérieurement au 31 décembre 1996 ne démontre aucunement sa volonté de revenir sur sa décision et de poursuivre les relations contractuelles aux conditions antérieures.

Les seules pièces dont se prévaut Mlle Gravier sont des fax émanant du service commercial, dont rien ne permet de retenir qu'il connaissait le contentieux existant avec cet agent commercial, et relatifs à des problèmes purement techniques portant sur les commandes.

Au contraire, Mlle Gravier a reconnu dans un fax du 16 janvier 1997 que le responsable du secteur DOM-TOM avait refusé de lui remettre les nouveaux bons de commande, en l'absence d'un accord sur la nouvelle convention.

Sur les indemnités de rupture des trois contrats à durée déterminée :

L'article 12 de la loi du 25 juin 1991 dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'article 13 de la même loi prévoit que cette indemnité n'est pas due en cas de faute grave de l'agent commercial, de rupture du contrat à l'initiative de l'agent ou de cession par ce dernier du contrat à un tiers.

Ces dispositions sont d'ordre public.

Les sociétés appelantes font valoir que chacun des contrats prévoit dans l'article 6 que la clause relative au minimum de chiffre d'affaires à réaliser est une disposition déterminante et que dans l'hypothèse où l'agent n'aurait pas atteint ledit minimum, cela constituerait une faute grave de sa part justifiant le non-renouvellement du contrat sans indemnité.

La qualification des faits retenus comme fautes est une question de droit qu'il appartient au seul juge de trancher en l'absence d'une définition légale, comme c'est le cas en l'espèce.

Les parties ne peuvent donc contractuellement prévoir qu'un comportement déterminé constituera une faute grave.

La solution inverse conduirait à permettre à la partie la plus puissante d'inclure dans la notion de " faute grave " des faits communément considérés comme de légers manquements, contournant ainsi l'exigence de gravité de la faute voulue par le législateur.

La clause sus-mentionnée incluse dans l'article 6 des contrats dérogeant aux dispositions de l'article 13 de la loi du 25 juin 1991, doit être réputée non-écrite par application de l'article 16 de la loi.

Ceci dit, il convient de rechercher si les insuffisances de résultats reprochées à Mlle Gravier ont pour cause sa défaillance et sont suffisamment importantes pour constituer une faute grave.

Concernant la Sté Arkopharma, Mlle Gravier a réalisé en 1996 un chiffre d'affaires de 3.362.622 F au lieu de 4.300.000 F prévu.

Il convient d'observer à la lecture des documents comptables produits par la Sté Arkopharma, qu'en septembre 1997, dernier état fourni, le nouvel agent commercial avait fait un chiffre d'affaires de 2.508.467 F, alors qu'à la même date, le chiffre d'affaires de Mlle Gravier était de 2.675.093 F.

Concernant la Sté Arkochim, le chiffre d'affaires réalisé en 1996 par Mlle Gravier s'est élevé à 323.598 F au lieu de 700.000 F et le nouvel agent commercial totalisant en septembre 1997 un résultat de 641.418 F, plus du double de celui obtenu par Mlle Gravier à la même date.

Il convient toutefois d'observer que le groupe a engagé deux agents commerciaux en remplacement de Mlle Gravier et que cette dernière avait, dans plusieurs courriers, attiré l'attention sur les difficultés rencontrées, tenant notamment aux conditions de vente moins avantageuses que celles proposées par des sociétés concurrentes, remarques qui ne paraissent pas avoir fait l'objet d'une contestation.

La convention passée entre la Sté Homeopathie Ferrier et Mlle gravier n'ayant duré que l'année 1996, le chiffre d'affaires dégagé n'est pas très éclairant, l'agent commercial ayant dû créer une clientèle pour ces nouveaux produits.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu que le défaut de réalisation des objectifs ne constituait pas des fautes graves privant l'agent commercial des indemnités de rupture.

Mlle Gravier justifie d'un préjudice puisque son revenu imposable était de 251.926 F pour l'année 1996, qu'en 1997 elle a déclaré un déficit de 23.266 F et qu'en 1998, son revenu a été de 85.120 F.

Ce préjudice résulte de la perte de la clientèle qu'elle avait constituée.

Compte tenu des commissions annuellement perçues, il convient, conformément à l'usage, de fixer à deux années de commissions brutes le montant de l'indemnisation pour les contrats Arkopharma et Arkochim devenue Arkomedika, soit 822.299 F et 89.445 F.

Compte tenu de la courte durée de la convention conclue avec la Sté Homeopathie Ferrier, le premier juge a justement décidé de fixer l'indemnité à un an de commissions, soit, 13.869 F.

Mlle Gravier ne justifie pas d'un préjudice distinct, aucun comportement injurieux ou vexatoire ne pouvant être retenu à l'encontre des sociétés qui étaient libres de ne pas renouveler les contrats à l'arrivée du terme contractuel, de contracter avec de nouveaux agents commerciaux et d'en informer sa clientèle.

Sur l'obligation solidaire des sociétés appelantes :

Le premier juge a justement retenu que si les sociétés appelantes appartiennent au même groupe, elles sont juridiquement distinctes, ont conclu des conventions indépendantes avec Mlle Gravier, qu'aucune confusion n'avait été entretenue au détriment de cette dernière, qu'en conséquence la demande de condamnation solidaire devait être rejetée.

Il apparaît équitable d'allouer à Mlle Gravier 10.000 F au titre des frais non répétibles supportés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,Y ajoutant, Déclare non-écrite la clause incluse dans l'article 6 des contrats qualifiant de faute grave la non-réalisation du chiffre d'affaires minimum contractuellement prévu, Dit que les sommes allouées porteront intérêt légal à compter de l'assignation, Condamne les sociétés appelantes à payer à Lucia Gravier dix mille francs (10.000 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Les condamne aux dépens de l'appel, distraits au profit de la Selarl Juris Dom sur son affirmation de droit.