CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 28 juin 2001, n° 98-7204
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brasserie du Pont Neuf "La Taverne du Pont Neuf" (SARL)
Défendeur :
Brasseries Heineken (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte (Conseiller faisant fonction)
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Lefevre-Tardy, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes Ifrah, Bouchery- Ozanne.
FAITS ET PROCEDURE :
Selon acte en date du 22 janvier 1993, la SARL Brasserie du Pont Neuf a conclu avec la SA Brasseries Heineken, venant aux droits de la SNC Brasseries Heineken, un contrat d'approvisionnement exclusif portant sur 17 bières en fût et en bouteilles pour une durée de 84 mois.
Arguant de la violation de cette convention par la société Brasserie du Pont Neuf résultant de la distribution de bières concurrentes en dépit d'une vaine mise en demeure du 19 septembre 1996, d'y mettre fin, la société Brasseries Heineken a assigné la société Brasserie du Pont Neuf devant le Tribunal de Commerce de Nanterre en paiement de l'indemnité contractuelle de rupture.
Par jugement rendu le 5 mai 1998, cette juridiction a condamné la société Brasserie du Pont Neuf à verser à la société Brasseries Heineken la somme de 85.482,29 F avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 1996 et le bénéfice de l'exécution provisoire outre une indemnité de 5.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens.
Appelante de cette décision, la société Brasserie du Pont Neuf fait grief au Tribunal de n'avoir pas caractérisé l'applicabilité du paragraphe 3 de l'article 85 du Traité de Rome du 25 mars 1957 et en déduit que seuls les paragraphes I et 2 de ce texte doivent recevoir application ainsi que la sanction de la nullité de plein droit de la convention qui y est édictée.
Elle reproche encore aux premiers juges de ne pas avoir répondu à son moyen tiré de la violation des règles de droit interne sur le fondement des articles 1134 et 1165 du Code Civil au mépris des dispositions des articles 5, 12 et 455 du nouveau code de procédure civile.
Elle fait valoir à cet effet que la société Brasseries Heineken ayant mandaté la SNC Maine Boisson en qualité de distributeur ne pouvait ignorer ses pratiques et activité et qu'en raison de ses liens avec cette société, elle ne saurait se retrancher derrière l'article 1165 du Code Civil.
Elle estime qu'en toute hypothèse l'intimée ne peut invoquer la clause pénale de l'article 8 du contrat pour violation du caractère exclusif et que son action est abusive.
Elle soulève, en conséquence, ta nullité de la convention du 22 janvier 1993 et l'entier débouté de la société Brasseries Heineken, subsidiairement le rejet de sa demande formée au titre de l'article 8 de cette convention sauf à la réduire au franc symbolique par application des dispositions de l'article 1152 du Code Civil.
Elle réclame, en tout état de cause, 20.000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ainsi qu'une indemnité de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Brasseries Heineken conclut à la confirmation du jugement déféré sauf à lui allouer une indemnité complémentaire de 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Réfutant l'argumentation de l'appelante, elle soutient que la convention d'approvisionnement exclusif conclue le 22 janvier 1993 est licite tant au regard du droit communautaire qu'à celui du droit interne.
Elle oppose que la société Brasserie du Pont Neuf ne disconvient pas avoir violé la clause d'exclusivité en sorte que l'article 8 du contrat a vocation à s'appliquer et dément toute renonciation de sa part à s'en prévaloir.
Elle considère le montant de l'indemnité conventionnelle justifié.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur la validité du contrat du 22 janvier 1993 :
Considérant que ta société Brasserie du Pont Neuf conteste la licéité du contrat d'approvisionnement exclusif liant les parties au regard des dispositions de l'article 85 § 1 et 2 du Traité de Rome devenu 81 CE ;
Considérant toutefois que le paragraphe 3 de ce texte réserve la faculté d'accorder des exemptions à l'interdiction des ententes visées au paragraphe 1, soit à tout accord, soit à toute catégorie d'accord entre entreprises et que la Commission a reçu pouvoir d'octroyer, sous la forme de règlements, des exemptions par catégories fixant des conditions permettant à certaines stipulations d'échapper ainsi, malgré leur caractère restrictif de la concurrence, à la prohibition de telles ententes ;
Considérant notamment que la commission a édicté le 22 juin 1983 un règlement n° 1984/83 d'exemption par catégories concernant les accords d'achat exclusif et en particulier les accords de fourniture de bière faisant l'objet du titre 2 ;
Considérant que l'article 6 conformément aux conditions énoncées aux articles 7 à 9, déclare inapplicable l'article 81 § 1 aux accords auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels l'une, le revendeur s'engage vis à vis de l'autre, le fournisseur, en contrepartie de l'octroi d'avantages économiques ou financiers, à n'acheter qu'à celui-ci, à une entreprise liée à lui ou à une entreprise tierce qu'il a chargée de la distribution de ses produits, dans le but de la revente dans un débit de boissons désigné dans l'accord, de certaines bières ou de certaines bières et boissons spécifiées à l'accord
Que l'article 8 du même règlement précise que l'article 6 n'est pas applicable lorsque :
D) " L'accord est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée excédant dix ans dans la mesure où l'obligation d'achat exclusif ne concerne que certaines bières ".
Qu'eu égard aux termes du contrat litigieux, ces deux articles ont vocation à recevoir application en la cause ;
Considérant que le contrat conclu le 22 janvier 1993 répond à la définition de l'article 6 puisque le revendeur a accepté l'exclusivité d'approvisionnement portant sur certaines bières en contrepartie d'une subvention publicitaire de 25.000 francs, que l'obligation d'achat exclusif qui n'a pour objet que certaines bières expressément spécifiées par leur marque destinées à être revendues dans le café-bar-restaurant-brasserie licence IV exploité à Alençon 24 rue du Pont Neuf par la société appelante dont il est fait mention dans la convention, a été conclu pour une période de 7 ans, inférieure à celle de 10 ans, excluant l'application de l'article 8 et confortant celle de l'article 6 ;
Considérant que la société Brasserie du Pont Neuf ne peut utilement critiquer cette interprétation en invoquant, en l'espèce, l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes Delimitis du 28 février 1991 ainsi que la communication de la commission du 12 mai 1993 effectuée à la suite de cette décision ;
Considérant en effet que la société Brasserie du Pont Neuf ne démontre pas que le contrat du 22 janvier 1993 satisfasse aux conditions cumulatives exigées par l'arrêt précité pour estimer qu'un contrat de fourniture de bière est interdit par l'article 81 § 1 tirées en premier lieu de la difficulté d'accessibilité au marché national de la distribution de la bière dans les débits de boissons par des concurrents qui pourraient s'implanter sur ce marché ou y élargir leur part de marché, compte tenu du contexte économique et juridique du contrat litigieux, et en second lieu, de la contribution par le contrat litigieux de manière significative à l'effet de blocage produit par l'ensemble de contrats similaires produisant un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence, dans leur contexte économique et juridique ;
Considérant que la société appelante n'établit pas davantage que les critères quantitatifs et cumulatifs indiqués par la Commission dans la communication invoquée qui ne constitue pas, au demeurant, un acte normatif, aient pu être réunis, dès lors qu'elle se contente de soutenir qu'ils sont avérés ;
Considérant que le tribunal a donc estimé, à bon droit, que le contrat du 22 janvier 1993 n'était pas soumis aux dispositions de l'article 81 § 1 ;
Considérant, par ailleurs, que la société Brasserie du Pont Neuf ne peut valablement rechercher l'annulation du contrat en cause sur le fondement de l'article 1134 alinéa 3 du Code Civil dont la violation ne pourrait se résoudre, le cas échéant, qu'en l'octroi de dommages et intérêts qu'elle n'a pas sollicités de ce chef et alors que la société Brasseries Heineken n'a pas été partie au contrat qu'elle a elle-même conclu le 10 janvier 1992 avec la société Maine Boissons, qu'il n'est pas démontré que celle-ci en ait eu connaissance et que cette convention concernant tous les produits et une quantité de 20.000 cols par an était différente du contrat Heineken ne portant que sur la livraison de ses seules bières ;
Considérant que le contrat du 22 janvier 1993 est donc valable ;
- Sur la rupture de cette convention :
Considérant que la société Brasserie du Pont Neuf ne conteste pas avoir violé la clause d'exclusivité en distribuant des bières concurrentes, ce qui a été attesté par Monsieur Ollivier, le 2 décembre 1996, laquelle constituait un élément substantiel de l'accord conclu le 22 janvier 1993 ;
Considérant que la société Brasseries Heineken est donc en droit d'obtenir l'indemnité contractuelle prévue à l'article 8 de la convention "en cas de non-respect total ou partiel, volontaire ou involontaire par le débiteur de l'une ou l'autre de ses obligations", sans que la société Brasserie du Pont Neuf ne soit en mesure de prétendre que l'intimée aurait renoncé à l'invoquer, la preuve de la renonciation à un droit qui ne se présume pas, ne pouvant résulter des simples affirmations de l'appelante sur la connaissance par la société Brasseries Heineken, de l'existence du contrat antérieurement conclu le 20 novembre 1992, entre la société Brasserie du Pont Neuf et la société Maine Boisson et sur sa mauvaise foi ;
Considérant que les modalités d'évaluation du montant de l'indemnité conventionnelle ne sont pas discutées par l'appelante lequel n'apparaît pas manifestement excessif.
- Sur les autres prétentions des parties :
Considérant qu'à défaut d'établir un abus caractérisé du droit d'agir en justice, les parties seront déboutées de leurs demandes en dommages et intérêts ;
Considérant qu'il importe d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code Civil à compter de la demande par conclusions du 23 mars 1999 ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée une indemnité supplémentaire de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que la société Brasserie du Pont Neuf qui succombe en son appel, supportera les dépens.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts légaux à compter du 23 mars 1999, Rejette les demandes en dommages et intérêts des parties, Condamne la SARL Brasserie du Pont Neuf à verser à la SA Brasseries Heineken une indemnité supplémentaire de 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Jullien- Lecharny-Rol, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.