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Décisions

CA Basse-Terre, 27 avril 1992, n° 558-91

BASSE-TERRE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Philippe

Défendeur :

Noury

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lecomte

Conseillers :

MM. Doppia, Bessy

Avocats :

Mes Criquebec, Maricosu.

CA Basse-Terre n° 558-91

27 avril 1992

Par acte sous seing privé en date du 23 septembre 1989, Monsieur Pierre-Jean Noury et Madame Magdeleine Philippe ont signé un compromis de vente portant sur un fonds de commerce de restauration exploité à Marigot dans l'île de Saint-Martin sous l'enseigne "Kathy's Burger".

Ce compromis était consenti pour une durée de 3 ans soit jusqu'au 1er octobre 1992.

En cas de réalisation, le prix était fixé à la somme de 630 000 F. Il était en outre prévu que la vente serait effectuée par la signature de l'acte définitif et dans l'hypothèse où celle-ci n'interviendrait pas que la totalité des sommes versées par Madame Philippe à Monsieur Noury et notamment celle de 170 000 F réglée dès le 23 septembre 1989 à titre d'arrhes seraient intégralement acquises à ce dernier sous la qualification d'indemnité de gérance-libre.

Par acte sous seing privé en date du même jour, Monsieur Noury a donné en location-gérance à Mme Philippe le fonds de commerce ci-dessus désigné.

Cette location-gérance était consentie pour une durée de un an à compter du 1er octobre 1989, renouvelable par tacite reconduction.

Le locataire-gérant, Mme Philippe devait acquitter les loyers dus par le propriétaire du fonds afférant aux locaux soit la somme de 10 000 F ainsi qu'une redevance mensuelle, payable d'avance, d'un montant de 13 000 F.

Le 31 janvier 1990, Mme Philippe a fait connaître à M. Noury qu'elle renonçait à acquérir le fonds. Elle demeurait cependant dans les lieux sans s'acquitter du loyer ni de la redevance.

Le 5 juillet 1990, M. Noury a fait délivrer à Mme Philippe un commandement de payer pour une somme de 220 000 F représentant le montant des loyers échus depuis octobre 1989 et restés impayés ainsi qu'une facture d'eau.

Par exploit d'huissier en date du 6 août 1990, Mme Philippe a fait assigner M. Noury devant le Tribunal mixte de commerce de Basse-Terre afin que soit prononcée la nullité des deux actes en date du 23 septembre 1989, que M. Noury soit condamné à lui payer la somme principale de 213 000 F, celle de 5 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 12 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a formé opposition à l'encontre du commandement de payer à elle délivré le 5 juillet 1990.

Par jugement en date du 14 novembre 1990, le tribunal saisi a:

- annulé le compromis de vente passé le 23 septembre 1989,

- ordonné la restitution à Mme Philippe des sommes versées à titre d'arrhes,

- validé le contrat de location-gérance conclu le 23 septembre 1989 sur le fonds de commerce "Kathy's Burger",

- condamné Mme Philippe à payer la somme de 205 000 F et celle de 3 968 F outre intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 1990,

- constaté la résiliation du contrat de location-gérance à la date du 5 août 1990,

- ordonné l'expulsion de Mme Philippe et de tous occupants de son chef dans les quinze jours de la signification du jugement sous astreinte de 500 F par jour de retard,

- condamné Mme Philippe à payer à M. Noury la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts.

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 22 avril 1991, Mme Philippe a interjeté appel de cette décision et sollicité de la cour:

- la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant annulé le compromis de vente du fonds de commerce,

- la reconnaissance de ce que le compromis de vente et le bail du fonds de commerce à titre de location-gérance ne constituent qu'une seule et même convention et la requalification en ce sens de ces conventions en vertu des articles 1156 du Code civil et 12 du nouveau Code de procédure civile,

- l'annulation de la convention dite de bail du fonds de commerce à titre de location-gérance en raison de la violation de l'article 12 de la loi du 29 juin 1935,

- la reconnaissance de la nullité du commandement de payer délivré le 5 juillet 1990,

- la condamnation de M. Noury à lui payer la somme de 213 000 F à titre principal, celle de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de son recours, elle soutient:

- que la commune intention des parties en signant les deux actes litigieux du 23 septembre 1989 était de procéder à une vente pure et simple du fonds de commerce, qu'en effet le compromis de vente s'analyse comme un acte de cession et comporte tous les éléments nécessaires à savoir l'accord des parties sur la chose et le prix, que la somme de 13 000 F payable mensuellement, prévue à acte intitulé "bail de fonds de commerce à titre de location-gérance" et qualifiée de redevance ne représente qu'un moyen de paiements du fonds,

- que les mentions obligatoires prévues à l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 régissant la vente des fonds de commerce n'ont pas été portées sur les actes litigieux, notamment les chiffres d'affaires réalisés pendant les trois années ayant précédé la signature ou depuis l'ouverture du fonds, les bénéfices commerciaux réalisés ou les déficits engendrés pendant la même période, le bail, sa date, sa durée et l'adresse du bailleur, que dès lors l'absence de ces mentions ayant vicié son consentement la nullité est encourue et doit être prononcée,

- que le commandement de payer délivré le 5 juillet 1990 en vertu d'une convention nulle ne saurait avoir aucun effet.

Le 9 septembre 1991, M. Pierre-Jean Noury, intimé a conclu:

- à la confirmation du jugement en ce qu'il a validé le contrat de location-gérance du 23 septembre 1989, condamné Mme Philippe à lui payer la somme de 205 000 F et celle de 3 968 F, constaté la résiliation du contrat de location-gérance à la date du 5 juillet 1990, ordonné l'expulsion sous astreinte de Mme Philippe et l'a condamnée à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts,

- à la réformation pour le surplus du jugement entrepris et au débouté de toutes les demandes, fins et conclusions présentées par Mme Philippe,

- à l'expulsion de Mme Philippe sous astreinte définitive de 30 000 F par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt,

- à la condamnation de l'appelante à lui payer les sommes de 28 000 F en sus de celles allouées par les premiers juges, celle de 2 500 F correspondant au coût d'une chaîne stéréo, celle de 6 032 F relative à des factures d'eau, celle de 8 000 F au titre des polices d'assurances souscrites pour l'exploitation du fonds litigieux, celle de 200 000 F en réparation du préjudice commercial lié à la perte de valeur du fonds, celle de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, celle de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 35 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir à cet effet:

- que le compromis de vente litigieux étant un projet qui n'a été ni régularisé ni authentifié ne saurait valoir vente et que dès lors l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 relatif au règlement du prix de vente des fonds de commerce ne saurait trouver application en l'espèce, qu'au demeurant il n'était pas tenu d'énoncer les mentions de l'article 12 précité dans la mesure où il a crée lui-même le fonds de commerce, qu'au surplus il ne l'a pas exploité personnellement depuis décembre 1988, qu'enfin il convient de rechercher si l'omission des énonciations a pu vicier le consentement de l'acquéreur et était pour lui une cause de préjudice,

- que la validité du contrat de location-gérance ne saurait sérieusement être discutée,

- que l'opposition à commandement ayant été formée plus d'un mois après sa signification et en tout cas la saisine du tribunal ayant été opérée tardivement, la forclusion est encourue et doit être prononcée,

- que l'appelante ayant gravement manqué à ses obligations contractuelles notamment en ne réglant pas les loyers et les redevances et en transformant l'agencement des locaux et la destination du fonds doit être condamnée à lui verser les sommes dues en exécution des conventions du 23 septembre 1989 outre diverses sommes à titre de dommages et intérêts.

Motifs

Sur la qualification des conventions du 23 septembre 1989

Attendu que Mme Philippe reproche aux premiers juges de ne pas avoir en recherchant la commune intention des parties restituer aux actes litigieux du 23 septembre 1989 leur exacte qualification à savoir leur volonté de procéder à une vente pure et simple du fonds de commerce et en conséquence après avoir prononcé l'annulation du compromis de vente de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de cette annulation quant aux prétendus redevances et loyers qui lui sont réclamées;

Attendu que la vente d'un fonds de commerce est parfaite à l'égard des parties dès que celles-ci sont tombées d'accord sur la chose et le prix;

Attendu qu'en l'espèce il ressort des débats et documents soumis que M. Noury a entendu vendre à Mme Philippe son fonds de commerce sous la forme de conventions licites;

Que la chose a été livrée et le prix en partie payé tant par le versement d'espèces, qualifiées arrhes que par les prétendues redevances mensuelles de location-gérance lesquelles ne représentent pas véritablement un loyer mais une fraction du prix convenu ;

Attendu que quelle que soit la qualification donnée par les parties à leurs conventions, il appartient aux juridictions saisies de restituer à ces conventions leur véritable nature;

Qu'en l'espèce il échet de constater que les parties ont réalisé une vente parfaite ;

Qu'il s'avère en effet qu'à la signature des actes Mme Philippe a versé 27 % du prix total fixé à 630 000 F le solde devant être payé en 35 mensualités de 13 000 F chacune et une de 5 000 F;

Sur la validité des conventions du 23 septembre

Attendu qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce consentie même sous condition et sous la forme d'un autre contrat, le vendeur est tenu d'énoncer notamment le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de chacune des trois dernières années d'exploitation ou depuis son acquisition s'il ne l'a pas exploité depuis plus de trois ans, les bénéfices commerciaux réalisés dans le même temps, le bail, sa durée, le nom et l'adresse du bailleur;

Attendu que contrairement à ce que soutient l'intimé, cette obligation existe même à l'égard du créateur du fonds qui cède celui-ci dès lors qu'aucune dispense n'est prévue par la loi;

Attendu en outre que même si le fonds litigieux a été exploité avant la cession par un locataire-gérant, l'obligation susvisée, mise à la charge du propriétaire subsiste pour la durée de son exploitation personnelle dans la limite des trois années qui ont précédé la vente;

Attendu que l'omission de ces énonciations peut sur la demande de l'acquéreur formée dans l'année entraîner la nullité de l'acte de vente;

Attendu en l'espèce qu'aucune de ces énonciations ne figurent sur l'un ou l'autre des actes litigieux;

Attendu que Mme Philippe au bout de quelques semaines d'exploitation a pris la décision de ne pas poursuivre davantage la vente du fonds estimant celui-ci peu rentable, ce dont elle aurait pu se rendre compte si elle avait été en possession des documents énoncés;

Qu'ainsi il n'est pas contestable que l'omission de porter les mentions obligatoires de l'article 12 précité a vicié le consentement de l'acquéreur qui n'ayant pas été mis en mesure d'apprécier la valeur réelle du fonds en examinant les documents comptables susvisés a été trompé par le vendeur qui, au demeurant, n'établit pas avoir communiqué à Mme Philippe les informations nécessaires relatives à la situation comptable du fonds ni que celle-ci en ait eu connaissance;

Qu'il échet en conséquence de constater la nullité de l'ensemble des conventions qui s'analysent en une seule opération de vente de fonds de commerce et d'ordonner la restitution des sommes versées par Mme Philippe à M. Noury et s'élevant à 213 000 F;

Qu'il s'ensuit de même que le commandement de payer délivré le 5 juillet 1990 à Mme Philippe en vertu d'une convention dont la validité n'est pas reconnue doit être déclaré nul et de nul effet;

Sur les préjudices invoqués par M. Noury

Attendu que malgré son intention de ne pas poursuivre la vente Mme Philippe s'est maintenue plusieurs mois dans les lieux malgré les démarches entreprises par M. Noury pour la faire déguerpir;

Attendu que cette persistance injustifiée de Mme Philippe à se maintenir dans les lieux pendant de longs mois sans payer à M. Noury les loyers ni les charges a obligé ce dernier à faire face à un contentieux important développé par le propriétaire du local commercial;

Que ce préjudice résultant de la résistance abusive de Mme Philippe doit être réparé en allouant à ce dernier une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts;

Attendu en outre que Mme Philippe ne pouvant se prévaloir d'aucun titre d'occupation des locaux, il convient de faire droit à la demande de l'intimé et d'ordonner son expulsion sous astreinte de 3 000 F par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt;

Attendu que le changement de destination des lieux n'est pas établi non plus qu'il n'est démontré que le fonds ait perdu tout ou partie de sa clientèle depuis l'installation de Mme Philippe;

Qu'il n'y a donc pas lieu à allocation de dommages et intérêts en réparation du prétendu préjudice commercial;

Attendu enfin qu'en l'absence de justificatifs et en raison de l'annulation des conventions du 23 septembre 1989, les autres demandes de M. Noury doivent être rejetées;

Sur le préjudice invoqué par Mme Philippe

Attendu que Mme Philippe ne saurait se prévaloir de son maintien injustifié dans les lieux pendant de nombreux mois pour démontrer l'existence d'un préjudice qu'elle aurait subi en investissant à perte son temps et son argent;

Que dès lors sa demande en allocation de dommages et intérêts doit être rejetée;

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont dû exposer pour les besoins de la présente procédure.

Attendu enfin que l'une et l'autre des parties succombant respectivement dans certains de leurs chefs de demande, il convient de faire masse des dépens et de dire qu'ils seront supportés par moitié par chacune d'elles;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, en matière commerciale et contradictoirement, en dernier ressort, Déclare Mme Philippe recevable et bien fondée en son appel, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Dit et juge que le compromis de vente du fonds de commerce et le bail de ce même fonds à titre de location-gérance ne constituent qu'une seule et même convention de cession de fonds de commerce, Prononce l'annulation de la cession du fonds de commerce exploité à l'enseigne "Kathy's Burger" à Marigot, Condamne en conséquence M. Noury à payer à Mme Philippe la somme de 213 000 F (deux cent treize mille francs) avec intérêts à compter de l'assignation, Dit que le commandement de payer délivré le 5 juillet 1990 à Mme Philippe est nul et de nul effet, Déboute Mme Philippe de ses autres demandes de dommages et intérêts, Reçoit M. Noury en son appel incident et le dit partiellement fondé, Constate que Mme Philippe s'est maintenue dans les lieux de manière injustifiée pendant plusieurs mois, en conséquence, ordonne l'expulsion de Mme Philippe du local qu'elle occupe sans droit ni titre à Marigot Saint-Martin immeuble Pélican n° 1 sous astreinte de 3 000 F (trois mille francs) par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la signification du présent arrêt, Condamne Mme Philippe à payer à M. Noury la somme de 50 000 F (cinquante mille francs) pour résistance abusive, Déboute M. Noury de ses autres demandes de dommages et intérêts, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties, les avocats de la cause étant admis à recouvrer directement contre l'autre partie ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.