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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 10 janvier 1997, n° 5020-95

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Centre Régional Anti Feu (SARL)

Défendeur :

Barale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roger

Conseillers :

Mme Triot-Laspiere, M. Saint Ramon

Avocats :

Mes Suard, SCP Baudet Aupin Scotet.

Cons. prud'h. Foix, du 11 sept. 1995

11 septembre 1995

I - FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Yves Barale a été embauché le 1er janvier 1990 par la SARL Centre Régional Anti-Feu (CRAF) en qualité de VRP exclusif. Il a démissionné le 30 janvier 1994 et a exécuté son préavis jusqu'au 30 avril 1994. Il a ensuite travaillé du 2 mai 1994 au 14 juin 1994 pour le compte de la société Arve puis du 1er juillet 1994 au 31 décembre 1994 pour la société CPIS date à laquelle il a donné sa démission.

Ces deux sociétés ont le même secteur d'activités que la SARL CRAF.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date des 8 juin 1994 et 11 juillet 1994, la société CRAF a mis en demeure Monsieur Barale de cesser toute activité concurrentielle.

Le 21 juillet 1994, la société a saisi le Conseil des Prud'hommes de Foix pour faire constater la violation par Monsieur Barale de la clause de non-concurrence qui figurait dans son contrat de travail et obtenir sa condamnation au paiement des indemnités contractuelles.

Par jugement en date du 11 septembre 1995, le Conseil des Prud'hommes a considéré que la clause de non-concurrence était insuffisamment précise, car elle ne définissait pas le secteur géographique dans lequel elle avait vocation à s'appliquer, qu'en conséquence cette clause était caduque, qu'en outre les moyens mis en cause par la société CRAF pour en imposer le respect par Monsieur Barale avait entraîné pour ce dernier une perte importante de revenu l'ayant contraint à donner sa démission de la société CPIS qui l'employait.

Le Conseil des Prud'hommes a débouté la société CRAF de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à Monsieur Barale la somme de 46 181,14 F à titre de dommages-intérêts compensatoires du préjudice qu'il a subi et 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société CRAF a relevé appel de ce jugement.

II - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L'appelante déclare qu'avant son départ de l'entreprise, Monsieur Barale exerçait les fonctions de VRP exclusif dans le département de l'Ariège et qu'il visitait également quelques clients dans les communes de l'Aude limitrophes de ce département, que Monsieur Barale connaissait parfaitement son secteur géographique puisqu'à la suite de la première mise en demeure délivrée le 8 juin 1994, il s'était engagé à cesser tout démarchage dans le département de l'Ariège. La société CRAF conclut que la clause de non-concurrence qui comportait une double limitation dans le temps (1 an) et dans l'espace (secteur géographique où le VRP exerçait son activité) ne pouvait avoir pour effet d'empêcher Monsieur Barale d'exercer son activité professionnelle et qu'elle était donc parfaitement valable. La société soutient qu'en démarchant sur son ancien secteur, les propres clients de la société CRAF en se gardant de leur signaler qu'il travaillait désormais pour des sociétés concurrentes, Monsieur Barale a délibérément violé la clause de non-concurrence. La société CRAF prétend qu'elle se trouve dès lors fondée à demander l'application des dispositions contractuelles qui prévoient dans ce cas au bénéfice de l'employeur le versement d'une indemnité forfaitaire minimum de 100 000 F à laquelle s'ajoute une pénalité de 1 000 F par jour lorsque l'activité concurrentielle persiste malgré mise à demeure. La société fait observer à cet égard que malgré la mise à demeure qui lui a été délivrée à cet effet le 8 juin 1994, Monsieur Barale n'a cessé de travailler pour le compte de la société CPIS qu'au 15 décembre 1994, qu'il lui est donc dû au titre des pénalités journalières la somme de 155 000 F. Elle sollicite en outre l'octroi de la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Barale fait observer que le secteur géographique n'était pas précisé dans son contrat de travail et que la société CRAF pouvait le modifier à tout moment.

Il soutient qu'en se bornant à faire référence au secteur géographique dans lequel il exerçait son activité, la clause de non-concurrence ne satisfait pas aux exigences de la loi et de la jurisprudence qui imposent une double limitation dans l'espace et dans le temps.

Il déclare que l'imprécision de cette clause l'a mis dans l'impossibilité d'exercer son activité, qu'embauché en juin 1994 par la société Arve, il a quitté cette entreprise après avoir reçu la mise en demeure de la société CRAF de cesser toute absence dans l'Ariège, qu'il a par la suite travaillé dans l'Aude pour le compte d'une autre société et s'est vu également interdire d'exercer dans ce département.

Qu'il a donc été contraint de démissionner et de se recycler à 54 ans dans un autre secteur d'activité.

Monsieur Barale indique également que pendant la durée de son préavis son ancien employeur a mis immédiatement en place son successeur, de telle sorte que ses commissions ont baissé de façon importante pendant 3 mois.

Il conclut à titre principal à la confirmation du jugement dont appel.

A titre subsidiaire, pour le cas où la clause de non-concurrence serait reconnue valable, il demande à la Cour de considérer que la sanction prévue au contrat de travail constitue une clause pénale et de la réduire au remboursement de la contre partie financière de la clause de non-concurrence, soit 1 678,86 F.

Monsieur Barale s'est porté demandeur reconventionnel en paiement de la somme de 100 000 F en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé par le fait de la société CRAF d'exercer normalement son activité de VRP du 1er mai 1994 au 31 décembre 1994. Il réclame enfin le versement de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

III - MOTIFS DE LA DECISION

Attendu qu'aux termes de son contrat de travail, Monsieur Barale était lié à la société Centre Régional Anti-Feu par une clause de non-concurrence lui interdisant "pendant une période d'un an suivant la cessation de ses activités de représenter, de participer de façon directe ou indirecte et en quelques manière que ce soit une entreprise ou société ayant en tout ou en partie une activité concurrente de celle de la société" ;

Que cette interdiction s'appliquait sur le secteur géographique où s'exerçait son activité, qu'il était stipulé que toute infraction à cette clause l'exposerait au paiement d'une indemnité forfaitaire représentant deux ans de commissions, mais ne pouvait être inférieure à 100 000 F ;

Qu'en outre, pour le cas où le représentant continuerait une activité interdite malgré mise en demeure d'y mettre fin par lettre recommandée avec accusé de réception, il devrait également verser à la société une indemnité journalière également forfaitaire fixée à 1/100e de la pénalité ci-dessus;

Attendu que Monsieur Barale a exercé les fonctions de VRP pour le compte de la société Centre Régional Anti-Feu du 1er janvier 1990 au 30 avril 1994, date à laquelle son préavis de 3 mois à pris fin après qu'il ait donné sa démission le 30 janvier 1994 ;

Attendu qu'au moment de la rupture, il avait donc 4 ans et 4 mois d'ancienneté ;

Attendu que s'agissant d'un VRP statutaire, la validité de la clause de non-concurrence est subordonnée à l'existence d'une contre partie pécuniaire et à une double limitation dans le temps (elle ne peut excéder 2 ans) et dans l'espace (l'interdiction ne pouvant porter que sur le secteur et la catégorie de clients que le représentant devait visiter);

Attendu que la clause litigieuse limite l'interdiction à 2 ans, qu'en se référant au secteur géographique dans lequel Monsieur Barale exerçait son activité, le contrat est suffisamment précis quant au lieu où s'applique cette interdictionla situation devant en principe être appréciée suivant la CCN interprofessionnelle des VRP au jour de la notification de la rupture;

Attendu qu'à cette date, Monsieur Barale exerçait son activité pour le compte de la SARL Centre Régional Anti-Feu sur le département de l'Ariège et prospectait quelques clients des communes de l'Aude limitrophes de l'Ariège;

Attendu que Monsieur Barale qui avait cessé ses fonctions le 30 avril 1994, a été embauché le 2 mai 1994 au service d'une société concurrente : la société Arve, qu'après avoir reçu notification par son ancien employeur d'avoir à cesser toute activité concurrentielle dans son ancien secteur, Monsieur Barale a répondu par courrier du 10 juin 1994 qu'il s'engageait à ne pas démarcher directement ou indirectement la clientèle sur le département de l'Ariège, qu'il avait donc une parfaite connaissance du secteur sur lequel s'appliquait la clause de non-concurrence;

Attendu que le 14 juin 1994, Monsieur Barale a cessé de travailler pour la société Arve et s'est mis au service de la société Centre de Production Incendie et Sécurité (CPIS) à compter du 1er juillet 1994 ;

Attendu que cette dernière société spécialisée dans la distribution d'extincteurs est également concurrente de la société Centre Régional Anti Feu (CRAF) ;

Attendu que cette société établit par la production du fichier client de la société CPIS et par une attestation de Monsieur Denis représentant ayant remplacé Monsieur Barale que malgré une nouvelle mise à demeure qui lui a été délivrée le 11 juillet 1994, ce dernier a continué à prospecter jusqu'au 31 décembre 1994 les clients de son ancien employeur pour le compte de la société CPIS et que de nombreux clients sont ainsi passés à la concurrence;

Attendu que la preuve est ainsi rapportée que Monsieur Barale a sciemment violé la clause de non-concurrence à laquelle il était tenu et doit donc réparation à son ancien employeur du préjudice qu'il a subi ;

Attendu que le contrat de travail fixe forfaitairement l'indemnité revenant à l'employeur en cas de violation de la clause de non-concurrence;

Attendu que cette stipulation contractuelle s'analyse en une clause pénale soumise au pouvoir modérateur du juge en application de l'article 1152 du Code civil;

Attendu que la Cour relève que la CRAF n'a réglé intégralement à Monsieur Barale la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence représentant la somme modique de 1 658,86 F que le 30 juin 1994 sur la demande expresse et par écrit adressée par l'intéressé le 25 mai 1994 ; qu'à la date de la première mise en demeure, sans réponse de son employeur, Monsieur Barale était dans l'incertitude quant à la décision de la société CRAF relative à l'application de la clause de non-concurrence;

Attendu que l'activité véritablement concurrentielle s'est exercée du 1er juillet 1994 au 31 décembre 1994, soit pendant 6 mois, que les bulletins de salaire de Monsieur Barale établissent que l'intéressé n'en a retiré qu'un revenu extrêmement modique, que l'indemnité conventionnelle apparaît dès lors comme étant manifestement excessive et sera réduite à la somme de 10 000 F ;

Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société CRAF les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer, qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 5 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement du Conseil des Prud'hommes de Foix du 11 septembre 1995, Dit qu'il y a eu violation par Monsieur Barale de la clause de non-concurrence qui le liait à son ancien employeur la société CRAF, Condamne Monsieur Barale à payer à la société CRAF la somme de 10 000 F à titre de dommages-indemnités et 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Monsieur Barale aux dépens.