CA Besançon, ch. soc., 18 février 2000, n° 98-2737
BESANÇON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Michelin
Défendeur :
CRPS Extincteurs (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gauthier
Conseillers :
Mm. Perron, Valtat
Avocat :
Me Lhomme.
LA COUR
FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SARL CRPS Extincteurs a embauché Didier Michelin le 12 janvier 1991 suivant contrat de travail à durée indéterminée.
Selon M. Michelin, il a été engagé en qualité de VRP en dépit de l'absence de carte d'identité professionnelle tandis que la SARL CRPS Extincteurs conteste cette qualification en soutenant qu'il était vendeur.
Le 23 avril 1997, M. Michelin a saisi le conseil de prud'hommes de Lure pour obtenir la somme de 84 533,20 F au titre des dispositions de l'article 5 de la convention collective interprofessionnelle des VRP conclue le 5 octobre 1975.
La société CRPS Extincteurs, quant à elle, a formulé une demande reconventionnelle en raison du fait que M. Michelin avait manqué à son obligation de non-concurrence.
Le Conseil de prud'hommes de Lure a, le 19 novembre 1998:
- condamné la SARL CRPS Extincteurs à payer à M. Michelin la somme de 62 134,43 F outre intérêts au taux légal à compter du 23 avril 1997;
- condamné M. Michelin à cesser son activité en ce qu'elle s'exerce en contradiction à son obligation de non-concurrence, sous astreinte de 300 F par jour de retard constaté;
- condamné M. Michelin à payer à la SARL CRPS Extincteurs la somme de 44 276,74 F au titre de la clause pénale;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La SARL CRPS Extincteurs est à la fois intimée et appelante incidente.
Elle conclut en expliquant les modalités du contrat de travail signé le 12 janvier 1991 avec M. Michelin en qualité de vendeur, coefficient 150, catégorie employé:
* rémunération composée d'une commission en fonction du chiffre d'affaires réalisé et d'un fixe mensuel de 3 000 F puis de 3 300 à 3 520 F pour 22 jours travaillés;
* contrat ayant prévu l'application expresse de la convention nationale des commerces de gros, à l'exclusion de l'application du statut de voyageur représentant placier tel que défini aux articles L. 751-1 et suivants du Code du travail;
* des rapports hebdomadaires et le cas échéant journaliers doivent être établis;
La société CRPS se rendait compte rapidement que M. Michelin ne réalisait pas le chiffre d'affaires requis, que de nombreux impayés intervenaient suite à ses commandes et qu'il n'établissait pas de rapports journaliers obligatoires.
Le 5 novembre 1996, M. Michelin l'informait qu'il entendait quitter la société.
a) Sur la demande principale de M. Michelin
Elle reprend l'analyse du contrat de travail en soulignant que celui-ci avait la qualité de vendeur et s'appuyait sur l'article 4 "secteur d'activité" pour en déduire que son activité s'effectuait sur tel ou tel secteur en fonction de l'organisation décidée par elle ; que M. Michelin ne disposait pas d'un secteur concédé précis comme l'ont admis les premiers juges.
Elle soutient que M. Michelin ne satisfait pas aux conditions du statut de VRP puisque M. Michelin tournait trois ou quatre semaines avec un fichier et que sa zone d'activité variait effectivement.
La société appelante répond ensuite à l'objection selon laquelle la mention VRP figurait sur les avenants du contrat de travail et sur les bulletins de salaire en expliquant qu'il y a eu confusion dans l'emploi des dénominations aboutissant à des contradictions sans volonté éclairée de faire bénéficier M. Michelin des dispositions du statut exclues expressément par l'article 1 du contrat.
Elle fait valoir ensuite que pour bénéficier de la rémunération minimale forfaitaire le représentant doit appartenir à une entreprise assujettie à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, avenant n° 3 du 12 janvier 1982.
Or une société dont le secteur d'activité est la profession de la vente et du service à domicile, est exclue du champ d'application de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 du fait de l'annulation par arrêt du Conseil d'Etat du 17 janvier 1986 de l'arrêté d'extension dudit accord.
En l'espèce, n'ayant jamais été adhérente au syndicat national de la vente et service à domicile, ni membre d'une organisation adhérente au CNPF, elle ne répond pas aux exigences invoquées par M. Michelin qui pratiquait la vente à domicile ; celui-ci ne saurait réclamer l'allocation d'un rappel de salaire.
Elle rappelle que son activité s'adresse autant à des particuliers qu'à des professionnels et que M. Michelin exerçait son activité dans le cadre des dispositions de la loi du 10 janvier 1972.
B) Sur la demande reconventionnelle
Elle expose avoir compris les raisons pour lesquelles M. Michelin réalisait un chiffre d'affaires si peu élevé, lorsqu'elle a eu en sa possession une étiquette de vérification d'extincteur émanant d'une société concurrente et signée par lui dont les dates remontaient à février 1993.
La preuve était rapportée qu'il profitait de l'utilisation de moyens mis à sa disposition par elle pour exercer une activité concurrente pour le compte de Division incendie de l'Est, société pour laquelle il a travaillé officiellement dès le lendemain de sa démission.
II a ainsi violé son obligation de non-concurrence et de loyauté, pendant toute la durée de son contrat.
Par ailleurs, M. Tallec, gérant avait remarqué que M. Michelin avait effectué chez Mme Thibert deux vérifications sans établir de facture et se livrait à des détournements sur les règlements clients.
M. Michelin a démarché la clientèle de son ancien employeur au profit de la société DIE en effectuant des vérifications d'extincteurs un mois à l'avance et en induisant en erreur les clients puisqu'il portait lors de ses visites la tenue de travail de la société CRPS Extincteurs ; quatre factures établies par M. Michelin pour le compte de son nouvel employeur corroborent ces faits puisqu'elles ont été émises à l'ordre d'anciens clients de CRPS.
La société concluante demande la confirmation du jugement mais estime que son préjudice a été mal apprécié par le conseil de prud'hommes.
Faisant application de l'article XVII, alinéa 2 du contrat, elle réclame 300 F x 22 x 12 = 79 200 F.
La société CRPS Extincteurs sollicite une somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Didier Michelin est présent à l'audience.
Sur questions de la Cour, M. Michelin indique être toujours actuellement salarié de la société DIE et ceci de manière constante depuis le 1er janvier 1997.
Il confirme qu'au sein de la société CRPS, il démarchait une clientèle de particuliers à concurrence de 80 %.
Chez son nouvel employeur, M. Michelin précise qu'il ne travaille qu'avec des professionnels.
Il ajoute qu'il ne démarche une clientèle de particuliers qu'à partir du moment où ceux-ci l'ont sollicité.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la qualité de VRP revendiquée par M. Michelin
Attendu que le contrat signé entre la SARL CRPS Extincteurs et M. Michelin le 12 janvier 1991 dans son article 1 prévoyait qu'il exercerait ses fonctions dans les conditions exclusives de l'application du statut des VRP tels que définies aux articles L. 751-1 et suivants du contrat de travail;
Attendu qu'en son article IV "secteur d'activité" il était stipulé "Le collaborateur se verra confier des secteurs d'activités correspondants à des fractions précises du territoire auxquelles il se retrouvera rattaché territoires appelés secteurs, et dépendants de l'agence de Genlis. Les secteurs à prospecter lui seront attribués par le responsable de l'agence...";
Attendu qu'il résulte de cette disposition et des pièces versées aux débats que la zone d'activité de M. Michelin était variable et dépendait de l'organisation décrétée par l'employeur selon ses besoins;
Attendu que l'article L. 751-1 du Code du travail subordonne l'application du statut professionnel de VRP à l'existence d'une zone stable de prospection très précisément arrêtée ;
Que M. Michelin qui devait changer constamment de secteur et ne limitait pas ses activités à un territoire, ne satisfaisait pas aux conditions du statut;
Attendu que dès lors le jugement déféré sera infirmé et M. Michelin débouté de ses demandes présentées en application du minimum prévu par l'article 5 de l'accord interprofessionnel du 3 octobre 1975 ;
Sur la demande reconventionnelle de la société CRPS relative à des actes de concurrence pratiqués par M. Michelin
Attendu qu'il ressort des documents produits aux débats que M. Michelin a démarché la clientèle de son employeur la CRPS au profit de la société DIE;
Attendu que c'est à bon droit et par une motivation adoptée par la Cour que les premiers juges ont enjoint à M. Michelin de cesser son activité pour le compte de la société concurrente et a retenu le principe d'une indemnisation de la société CRPS;
Attendu que si le contrat prévoit dans son article XVII, alinéa 2, des modalités de réparations du préjudice de la société CRPS, celle-ci constituent une clause pénale qui peut être arbitrée par le juge (article 1152, alinéa 2 du Code civil);
Attendu que la Cour a les éléments suffisants pour fixer à la somme de 25 000 F le montant du préjudice de la SARL CRPS; que cette somme portera intérêt légal à compter de la date du jugement déféré;
Attendu qu'il y a lieu en outre d'allouer à la société CRPS Extincteurs la somme de 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire , après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit Didier Michelin en son appel principal et la SARL CRPS Extincteurs en son appel incident; Au fond; Infirme le jugement du 19 novembre 1998 en ce qu'il a reconnu le statut de VRP à M. Didier Michelin; Déboute M. Michelin de ses demandes; Confirme le jugement relatif à la violation par M. Michelin de son obligation de non-concurrence; Réforme le jugement quant au montant du préjudice revenant à la SARL CRPS Extincteurs; Condamne M. Michelin à payer à cette dernière la somme de 25 000 F (vingt cinq mille francs) à titre de dommages-intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 19 novembre 1998; Condamne M. Michelin à payer à la SARL CRPS la somme de 2 000 F (deux mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.