CA Bordeaux, ch. soc. sect. 1, 23 mars 1987, n° 1895-85
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Établissements Scrocco (SA)
Défendeur :
Taillefer
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lataste
Conseillers :
MM. Grange, Besset
Avocats :
Mes Rustmann, Diet.
FAITS ET PROCEDURE
LA COUR est saisie de l'appel formé par la société Établissements Scrocco à l'encontre du jugement prononcé le 18 mars 1985 par le Conseil de Prud'hommes qui, dans un différend prud'homal opposant l'appelante à Monsieur Bernard Taillefer, rendait la décision suivante :
Condamne la SA Etablissements Scrocco payer à Monsieur Bernard Taillefer :
- 12 391,45 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, somme portant intérêt au taux légal à dater du 15 septembre 1983 ;
- 2 753,65 F par mois au titre de la contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale prévue par l'article 17 de la Convention Collective Nationale des VRP au titre de la clause d'interdiction de concurrence pour la période du 16 août 1983 au 15 août 1985 ;
- 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement pour un montant de 37 000 F ;
Condamne la SA Etablissements Scrocco aux entiers dépens.
Les faits de la cause et ceux de la procédure ont été relevés dans la décision critiquée.
A l'appui de sa voie de recours, dans ses conclusions déposées le 2 mars 1987, la société Scrocco, reprenant son argumentation de première instance, prie la Cour :
- de réformer la décision déférée et de débouter Monsieur Taillefer de ses demandes ;
- de condamner Monsieur Taillefer aux entiers dépens.
Pour sa part, Monsieur Taillefer, réitérant ses moyens déjà exposés devant les premiers juges, dans ses écritures remises le 5 mars 1987, demande à la Cour :
- de déclarer la société Scrocco irrecevable, en tout cas mal fondée en son appel ;
- de confirmer la décision déférée ;
- de condamner la société Scrocco à lui payer 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
DECISION DE LA COUR :
Sur les données du litige:
Attendu que l'examen des pièces du dossier fait apparaître :
- que Monsieur Taillefer était engagé en qualité de représentant exclusif par la société Scrocco, par lettre du 1er décembre 1982, pour vendre des bouchons de liège dans 6 départements du Sud-Ouest ;
- que cette lettre était confirmée par contrat du 16 décembre 1982 prévoyant notamment :
* une période d'essai de 3 mois, avec un salaire minimum mensuel de 5 000 F ;
* par la suite, un salaire mensuel brut de 3 500 F et une commission de 4 % dans la limite du quota de 1 200 000 bouchons par mois et de 5 % au-dessus du quota ;
* une clause de non-concurrence portant sur une période de 2 ans en cas de rupture du contrat ;
* que par lettre du 2 juin 1983, la société Scrocco rappelait à Monsieur Taillefer qu'il aurait dû vendre depuis le 1er janvier 1983 6 000 000 de bouchons et qu'il n'en avait en fait vendu que 368 300 ; qu'elle décidait alors de fixer " irrévocablement " le quota pour les mois de juin, juillet, août et septembre à 600 000 bouchons par mois, " en fixant un objectif mensuel ferme et définitif de 1 200 000 bouchons par mois à compter du mois d'octobre 1983 " ;
- que par courrier du 18 juin 1983, Monsieur Taillefer sollicitait l'autorisation de prendre des congés du 14 juillet au 31 août 1983 ; que son employeur lui répondait le 22 juin, 1983 qu'il ne pouvait bénéficier au titre des congés payés que de la période du 1er au 14 août 1983 ;
- que pour les périodes allant du 13 au 31 juillet et du 15 au 28 août, il serait considéré comme se trouvant en congé sans solde ;
- que par courrier du 28 juillet 1983, l'employeur licenciait Monsieur Taillefer à compter du 15 août 1983, précisant notamment : " ... Cette mesure résulte du non-respect des quotas que nous vous avions fixés et que vous aviez acceptés ; vous comprendrez aisément que la confiance que nous placions en vous se trouve aujourd'hui fortement ébranlée, au vu des résultats obtenus ... "
- qu'après avoir réclamé en vain diverses sommes à son employeur, Monsieur Taillefer saisissait le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux le 28 février 1984 et que dans ces conditions intervenait le 18 mars 1985 la décision déférée ;
Sur l'indemnité compensatrice de préavis:
Attendu que le contrat de travail du 16 décembre 1982 prévoyait un préavis réciproque de 3 mois et un quota de 1 200 000 bouchons par mois;
- qu'il n'est pas contesté que Monsieur Taillefer n'a jamais respecté ce quota; qu'il n'a pas davantage respecté le quota accordé par la société Scrocco dans sa lettre du 2 juin 1983, soit 600 000 bouchons, notamment pour le mois de juin 1983;
- qu'il n'est pas expressément contesté qu'en 7 mois d'activité, Monsieur Taillefer n'a vendu que 493 500 bouchons sur les 7 500 000 initialement prévus;
- qu'il convient de relever qu'en s'engageant à respecter le quota fixé initialement, Monsieur Taillefer devait connaître les possibilités du marché puisqu'il résulte de son curriculum vitae remis à la société Scrocco qu'il était particulièrement informé sur le milieu vinicole pour avoir travaillé :
* de 1956 à 1964 en qualité de voyageur inspecteur aux Etablissements Laurens Rhum SARL,
* de 1967 à 1969 en qualité d'attaché commercial à la société Veuve Paul Bur (Vins Mousseux et Champagne, Bordeaux et Reims),
* de 1970 à 1979 en qualité de cadre commercial à la société Descas Vins à Bordeaux,
- qu'en outre dans une lettre du 15 septembre 1983 adressée à l'employeur, Monsieur Taillefer déclare qu'il n'a visité en fait depuis son embauche que le département de la Gironde, et seulement en partie,
- qu'enfin, la demande de Monsieur Taillefer portant sur 1 mois 1/2 de congé dès la première année d'embauche apparaît particulièrement révélatrice du comportement de l'intéressé,
- qu'il apparaît ainsi que son insuffisance de rendement était consécutive à des négligences persistantes et délibérées et caractérisait une faute suffisamment grave pour le priver du droit à l'indemnité compensatrice de préavis,
- que dès lors Monsieur Taillefer doit être débouté de sa demande à cet égard et que la décision critiquée sera réformée sur ce point,
Sur la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence :
Attendu que Monsieur Taillefer était tenu aux termes de l'article 19 de son contrat de travail de respecter une clause de non-concurrence de 2 ans ;
que contrairement à ce qu'indique le Conseil de Prud'hommes, cette clause de non concurrence porte bien sur les 6 départements du Sud-Ouest visés dans le contrat du 16 décembre 1982 ;
qu'en effet ce contrat étant intervenu, sans restriction à cet égard, postérieurement à la lettre d'embauche du 1er décembre 1982, il y a lieu de considérer que la mention figurant dans cette lettre et limitant la prospection à un rayon de 100 kms autour de Bordeaux n'avait plus aucune portée à compter du 16 décembre 1982 ;
Attendu que la société Scrocco était soumise à l'Accord National Interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 ;
que l'article 17 alinéa 3 dudit accord prévoit que pendant l'exécution de l'interdiction de concurrence, l'employeur doit verser au représentant une contrepartie pécuniaire ;
qu'en l'espèce la clause de non-concurrence figurant au contrat de Monsieur Taillefer est sans aucune contrepartie;
que ce fait n'entraîne pas la nullité de cette clause, maisqu'il y a lieu de mettre à la charge de l'employeur la contrepartie pécuniaire prévue à la Convention Collective lorsque le salarié a respecté l'interdiction de concurrence;
Attendu qu'il n'est pas contesté que Monsieur Taillefer a respecté cette interdiction ; qu'une indemnité lui est donc bien dûe ;
qu'il convient de préciser que contrairement à ce que prétend l'employeur, le fait que Monsieur Taillefer n'ait pas prospecté pour la société dans tous les départements qui lui avaient été attribués, ne saurait rendre irrecevable la demande de l'intéressé ;
que l'indemnité réclamée doit être calculée sur la base de 2/3 de la rémunération moyenne mensuelle de la durée de l'emploi lorsque celle-ci a été inférieure à 12 mois, après déduction des frais professionnels, et ce pour une durée de 24 mois ;
qu'au vu des pièces produites l'indemnité litigieuse s'élève donc à 14 456,70 F/3,5 x 2/3 = 2 753,65 F x 24 = 66 087,60 F ;
qu'elle doit cependant être réduite de moitié, puisque la rupture est imputable au VRP;
qu'il sera ainsi alloué de ce chef à Monsieur Taillefer :
66 087,60 F/2 = 33 043,80 F avec intérêts au taux légal à compter du 18 mars 1985, date du jugement critiqué ;
que la décision déférée sera donc réformée quant au montant de la prétention de Monsieur Taillefer ;
Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'au regard des circonstances de la cause, il apparaît équitable à la Cour, non seulement de confirmer la décision déférée qui a alloué à Monsieur Taillefer la somme de 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mais encore d'attribuer la même somme à l'intéressé pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant sur l'appel formé par la société Etablissements Scrocco à l'encontre du jugement rendu le 18 mars 1985 par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux ; Confirme la décision déférée en ce qu'elle a : reçu Monsieur Taillefer en ses demandes d'indemnités au titre de la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; fixé à 1 500 F (mille cinq cents francs) l'indemnité allouée à Monsieur Taillefer pour les frais irrépétibles exposés en première instance ; condamné la SA Etablissements Scrocco aux dépens de première instance ; Réformant pour le surplus et statuant à nouveau ; Déboute Monsieur Taillefer de sa demande en indemnité compensatrice de préavis ; Fixe à 33 043,80 F (trente trois mille quarante trois francs quatre vingt centimes) l'indemnité à allouer à Monsieur Taillefer au titre de la contrepartie pécuniaire à la clause de non concurrence ; Condamne en conséquence la SA Etablissements Scrocco à verser à Monsieur Taillefer la somme de 33 043,80 F (trente trois mille quarante trois francs quatre vingt centimes) ; Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à partir du 18 mars 1985 ; Condamne la même société à verser à Monsieur Taillefer la somme de 1 500 F (mille cinq cents francs) pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; La condamne enfin aux dépens d'appel.