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Décisions

CA Aix-en-Provence, 18e ch. soc. et civ., 24 juin 1997, n° 93-3221

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tejeans Kepper France (SARL)

Défendeur :

Talrich

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Toulza

Conseillers :

Mmes Blin, Baetsle

Avocats :

Mes Minassian, Bougue.

Cons. prud'h. Marseille, sect. encadr., …

10 décembre 1992

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Par jugement du 10 décembre 1992, le Conseil de Prud'hommes de Marseille, statuant après expertise, a déclaré imputable à la société Tejeans la rupture du contrat de travail de son VRP Jean-Pierre Talrich en raison du défaut de paiement des commissions qui lui étaient dues, et l'a condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 60.040 F à titre de commissions ;

- 6.004 F à titre de congés payés sur commissions ;

- 7.200 F à titre de préavis ;

Ces sommes avec intérêts au taux légal du jour de la demande ;

- 85.000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

- 1.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelant de cette décision, l'employeur expose que, contrairement aux dires de M. Talrich, il a toujours été commissionné sur la facturation et non sur la base de simples bons de commande dont certains ne comportaient même pas l'identification ou la signature du client, et qu'il a été rempli entièrement de ses droits ; que, par voie de conséquence, sa démission qui ne repose sur aucun motif valable met la rupture à sa charge ; qu'en toutes hypothèses il ne justifie pas d'un préjudice alors que l'entreprise occupait moins de dix salariés.

Il conclut par ailleurs au débouté de la demande d'indemnité de clientèle en faisant valoir que le salarié, qui était multicartes, n'avait aucune clientèle personnelle et avait été embauché exclusivement pour vendre les articles de la marque Kepper, et qu'après avoir bénéficié de la phase de lancement de cette marque son chiffre d'affaires a régulièrement décru car elle n'était plus à la mode et que la clientèle qui y était attachée avait disparu.

M. Talrich sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a mis la rupture des relations contractuelles à la charge de l'employeur, ainsi que sur les sommes allouées à titre de dommages-intérêts et préavis ; il indique qu'en effet il a été contraint de l'initier du fait qu'il ne lui payait plus ses commissions en dépit de ses réclamations réitérées, alors que les justificatifs produits révèlent qu'elles lui étaient dues incontestablement.

En revanche, il conteste le mode d'évaluation retenu par le premier juge en ce qu'il a soustrait de son chiffre d'affaires des clients douteux ou défaillants, et demande à la Cour de condamner la société à lui payer, à titre de commissions et congés payés correspondants, les sommes respectives de 91.322,30 F et 9.122, 20 F ; subsidiairement de confirmer les sommes allouées.

Critiquant par ailleurs le débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle, il fait valoir que celle-ci a bien progressé et que, si son chiffre d'affaires a diminué à partir de 1988, cela ne résulte que de la nouvelle politique commerciale de la société Tejeans et du non-respect par elle des délais de livraison. Il sollicite à ce titre le paiement de la somme de 212.000 F.

Enfin, il réclame 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur les commissions

Attendu qu'il résulte des pièces produites et des constatations de l'expert que pendant toute la durée d'exécution du contrat de travail, M. Talrich a été payé à la livraison avec facturation simultanée, ce qui témoigne d'un consensus des parties sur ce mode de rémunération ;

Attendu que c'est à bon droit que le premier juge, se fondant sur conclusions de ce rapport qui est précis et complet et ne fait au demeurant l'objet d'aucune critique sérieuse, a calculé le montant des commissions et congés payés dus à M. Talrich aux sommes respectives de 60.040 F et de 6.004 F, ce qui en effet correspond à un chiffre d'affaires calculé en fonction des commandes qui ont été livrées et facturées et dont l'encaissement n'a donné lieu à aucune difficulté particulière, tandis qu'en ont été exclues à juste titre celles n'ayant pas été suivies d'effet pour des raisons tenant à l'insolvabilité ou à la défaillance des clients ;

Sur la rupture du contrat de travail

Attendu que compte tenu de l'importance des sommes dues à M. Talrich, l'abstention injustifiée de l'employeur de s'en acquitter en dépit de ses réclamations réitérées constituait une violation de ses obligations contractuelles essentielles qui autorisait le salarié à initier la rupture le 30 août 1990 sans que celle-ci lui soit cependant imputable;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il l'analysée en un licenciement abusif et de nature en conséquence à donner lieu à une indemnité de préavis justement calculée à la somme de 7.200 F, ainsi qu'à des dommages-intérêts compensatoires du préjudice causé à M. Talrich par la perte de son emploi;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail que l'indemnité due en ce cas ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, excepté lorsque, ainsi que le prévoit l'article L. 122-14-5, le salarié licencié a moins de deux ans d'ancienneté ou que l'employeur occupait habituellement moins de onze salariés ;

Or attendu que M. Talrich avait plus de deux ans de présence ; qu'il appartient à la société Tejeans qui soutient ne pas relever du droit commun de l'article L. 122-14-4 mais du cas particulier prévu par l'article L. 122-14-5, ce qui apparaît contesté, de rapporter la preuve qu'elle employait moins de onze salariés à la date du licenciement, alors qu'elle est la seule à pouvoir la fournir ; qu'elle ne produit à cet égard aucun élément objectif tel que le registre des entrées et des sorties du personnel ; que rien ne permet donc d'écarter en l'espèce l'application de l'indemnité minimale fixée par l'article L. 122-14-4 du Code du travail ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'expert que du 1er janvier 1990 au 30 août 1990, soit pendant ses huit derniers mois de travail, le salarié a réalisé un chiffre d'affaires de 533.272 F, et que durant cette période le taux de son commissionnement a été de 6 %, soit 31.996,32 F, ce qui correspond à. une rémunération mensuelle moyenne de 4.000 F ; que l'indemnité à laquelle il a droit en vertu du texte précité s'établit donc à 4.000 F X 6 = 24.000 F, dont les intérêts courront à compter de la décision dont le principe est confirmé ; que M. Talrich, qui était VRP multicartes, n'a versé aux débats aucune pièce justificative d'un préjudice plus important ;

Sur l'indemnité de clientèle

Attendu que l'indemnité de clientèle instituée par l'article L. 751-9 du Code du travail est destinée à réparer le préjudice que cause à un représentant de commerce son départ de l'entreprise, en le privant pour l'avenir du bénéfice de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ;

Attendu que M. Talrich a été embauché en septembre 1986 pour vendre exclusivement les articles de la marque Kepper ; qu'il résulte des constatations de l'expert que son chiffre d'affaires, s'il a dans un premier temps bénéficié de la phase de lancement de cette marque qui lui a permis d'atteindre en 1987 la somme de 4.861.371 F, a ensuite décru rapidement en fonction, essentiellement, de l'érosion de la demande de la clientèle, elle-même s'inscrivant dans le cadre d'un processus normal d'évolution de la mode, pour s'établir à 1.656.900 F en 1988, 697.319 F en 1989, et 533.272 F au cours des 8 premiers mois de 1990 ; que le salarié, qui n'apparaît pas avoir apporté une clientèle personnelle lors de son embauche, ne justifie donc pas avoir développé en nombre ou en valeur la clientèle initiale, dès lors qu'après un accroissement qui n'a été que temporaire, elle a au contraire connu une constante et importante régression; que dès lors il ne démontre pas avoir subi un préjudice de nature à justifier l'ouverture du droit à une indemnité de clientèle;

Attendu que, nonobstant l'annulation de certaines commandes pour retards de livraison, M. Talrich n'est pas fondé à imputer la responsabilité de cette situation à une faute de la société Tejeans, alors que celle-ci, afin de tenter de pallier les effets de la désaffection affectant les produits de la marque, a été amenée à rechercher d'autres sources d'approvisionnement pour diversifier ses collections, et n'a fait elle-même que subir les retards de ses nouveaux fournisseurs ; qu'ainsi la défection de ces quelques clients, laquelle ne se situe qu'au dernier trimestre de 1989, soit alors que le chiffre d'affaires du VRP avait déjà considérablement diminué, ne peut être tenue pour cause d'une telle régression, alors qu'elle n'apparaît en réalité que comme une incidence secondaire des mesures prises par l'employeur afin de tenter d'endiguer la fuite de la clientèle ;

Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef ;

Attendu que succombant même partiellement en son appel, l'employeur lui paiera en équité la somme de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sera débouté de sa propre demande à ce titre, et supportera tous les dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale ; Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages intérêts ; Le réformant et statuant à nouveau de ce seul chef ; le réduit à la somme de 24.000 F ; Condamne la société Tejeans and Co SARL à payer à Jean-Pierre Talrich la somme de 6.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société appelante aux dépens.