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Décisions

CA Rennes, 8e ch., 16 décembre 1999, n° 98-03316

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Doriant (SARL)

Défendeur :

Perrier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme L'Hénoret, M. Patte

Avocats :

Mes Chenede, Alexandre.

Cons. prud'h. Vannes, du 28 avr. 1998

28 avril 1998

I - FAITS ET PROCEDURE CIVILE

Madame Renée Perrier exerçant depuis de nombreuses années une activité de VRP multicartes sur le secteur Grand Ouest dans le domaine de la bijouterie a, courant 1993, développé l'opportunité d'un marché dans le secteur des bijoux en ambre importés de Pologne, en collaboration avec la SARL Doriant.

Le 1er décembre 1994, cette société lui proposait un contrat de VRP multicartes qu'elle ne signait pas.

Les relations se sont toutefois poursuivies jusqu'en 1996.

Le 22 novembre 1996 elle était convoquée à un entretien préalable au licenciement auquel elle ne se présentait pas.

Le 18 novembre 1996, elle était licenciée pour faute grave et plus précisément pour refus d'application des consignes de la Direction et absence totale d'information sur son activité commerciale.

Prétendant avoir le statut de VRP et contestant son licenciement, elle saisissait le 4 février 1997 le Conseil de Prud'hommes de Vannes lequel, par jugement rendu le 28 avril 1998 a :

- dit qu'elle avait le statut de VRP ;

- dit que le licenciement n'a pas le caractère de faute grave mais qu'il est justifié par un motif réel et sérieux ;

- dit que la procédure de licenciement a été respectée ;

- dit que la somme de 3.424 F a fait l'objet d'une rétention abusive de la part de l'employeur ;

- condamné la SARL Doriant à lui verser :

* 25.904,46 F au titre du préavis

* 2.590,44 F au titre des congés payés

* 72.510 F au titre de l'indemnité de clientèle

* 3.424 F au titre de rétention abusive de salaires

* 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

La SARL Doriant a, le 14 mai 1998 relevé appel de ce jugement ; Madame Perrier en a ultérieurement relevé appel incident.

II - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Au soutien de son appel, la SARL Doriant fait valoir par conclusions déposées le 28 mai 1999 reprises à l'audience :

* Sur le statut de Madame Perrier

- que les conditions réelles d'activité de l'intimée démontrent qu'elle n'avait pas le statut de VRP, puisque non seulement elle prospectait très peu la clientèle mais encore elle pratiquait la vente en laisser-sur-place ou le dépôt-vente sans transmission de bons de commande,

- qu'elle n'a pas ratifié le contrat proposé

- qu'elle ne s'est vue proposer aucun secteur géographique de prospection

- qu'elle n'adressait pas de comptes-rendus de visite

* Sur les conséquences

- qu'en ce qui concerne le préavis qu'il n'est pas du à raison de la faute grave et n'est que de 2 mois si la Cour estime le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- qu'en ce qui concerne l'indemnité de clientèle, qu'elle n'est pas due faute de statut de VRP et en présence d'une faute grave ; que de surcroît Madame Perrier ne remplit pas les conditions pour en bénéficier compte tenu de la chute de son chiffre d'affaires, qu'elle n'a subi aucun préjudice du fait de la rupture de son contrat de travail et que la charge de la preuve pèse sur elle

* Sur le motif de la rupture

- que la réalité des fautes alléguées résulte des correspondances restées sans réponse et de l'absence d'application des recommandations

- qu'il était impossible de concevoir un maintien des relations contractuelles pendant l'exécution du préavis, les mêmes problèmes risquant de se renouveler

Elle demande en conséquence à la Cour de :

* Sur l'application de l'article L. 122-42 du Code du Travail, qu'elle ne demande pas la restitution de la somme de 3.424 F qu'elle convient ne pas pouvoir retenir.

Aussi prie-t-elle la Cour de réformer le jugement et de juger que Madame Perrier ne relève pas du statut des VRP, de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui restituer 24.135,18 F outre le paiement d'une somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Renée Perrier répond :

* Sur le statut de VRP, qu'il résulte d'un faisceau d'indices qu'elle avait bien ce statut :

- affiliation aux organismes sociaux

- cotisation de la SARL Doriant

- proposition d'un contrat de VRP statutaire

- attestation ASSEDIC

- bulletins de paye

- attestations multiples

* Sur le licenciement, qu'elle ne refusait pas d'appliquer les consignes mais bénéficiait d'une très grande souplesse d'activité et communiquait avec la Direction qui lui faisait confiance

* Sur l'indemnité de clientèle, qu'elle est fondée à réclamer une somme de 200.000 F compte tenu du chiffre d'affaires réalisé, du fait qu'elle a créé une clientèle qui n'existait pas et du fait qu'elle a été spoliée

* Sur l'indemnité de préavis, qu'elle est de trois mois compte tenu de son ancienneté.

- débouter la SARL Doriant de son appel sauf à lui donner acte de ce qu'elle se reconnaît débitrice de la somme de 3.424 F abusivement retenue sur le salaire de Madame Perrier.

- constater que la SARL Doriant n'a pas communiqué ses bordereaux de commission comme elle s'y était engagée lors de l'audience de conciliation,

- confirmer le jugement du Conseil des Prud'hommes de Vannes en ce qu'il a dit et jugé que Madame Perrier avait le statut de VRP et le réformer pour le surplus,

- condamner la SARL Doriant à lui verser les sommes suivantes :

- 200.000 F au titre de l'indemnité de clientèle

- 103.617,88 F pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 25.904,46 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférent à cette période

A titre infiniment subsidiaire, condamner la SARL Doriant à lui verser l'indemnité légale de licenciement conformément aux dispositions légales

Lui donner acte qu'elle accepte de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle à la condition que lui soit allouée, sous le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, une somme supérieure à celle prévue par le barème légal soit 2.869,60 F TTC

Condamner la SARL Doriant aux entiers dépens.

III - MOTIFS

A - Sur le statut de VRP

Considérant qu'en l'absence de contrat écrit, les personnes exerçant la représentation sont présumées être des voyageurs, représentants ou placiers, soumis aux règles du statut;

Considérant que cette présomption peut être renversée par l'employeur s'il prouve que le représentant n'exerce pas son activité dans les conditions définies par la loi pour bénéficier du statut légal;

Considérant que la SARL Doriant rapporte en l'espèce la preuve que, malgré l'affiliation de Madame Perrier aux caisses de retraite et de prévoyance des VRP, malgré les cotisations versées, malgré les termes de l'attestation Assedic et malgré le mode de calcul de sa rémunération et le libellé de ses feuilles de paie, celle-ci n'exerçait pas dans les faits une activité de VRP conforme aux exigences du statut;

Considérant en effetque, détentrice d'un stock de bijoux ou bien elle laissait ceux-ci en dépôt à la clientèle qui la payait lorsqu'elle repassait la visiter ou bien elle vendait directement le produit en établissant une facture; qu'en tous cas, il n'existait aucune transmission de bons de commande à la SARL Doriant, aucun document de cette nature n'étant versé aux débats; qu'au surplus Madame Perrier ne conteste pas cette pratique, renvoyant simplement son adversaire aux usages de la vente de bijoux en ambre telle que pratiquée par de nombreuses personnes dont elle verse aux débats les attestations ; qu'ainsi l'élément de prise d'ordre nécessaire à l'application du statut n'existe pas en l'espèce;

Considérant par ailleurs que l'élément tout aussi nécessaire à l'application du statut de secteur géographique à prospecter n'existe pas davantage; qu'en effet la SARL Doriant soutient sans être démentie par Madame Perrier que, n'ayant pas de secteur, celle-ci pouvait prospecter librement hors de sa situation géographique de rattachement à savoir Sarzeau, lieu de son domicile; que l'article L. 751-l du Code du travail subordonnant l'application du statut professionnel de VRP à l'existence d'une zone stable de prospection précisément défini, il est manifeste que Madame Perrier ne peut bénéficier du statut;

Considérant enfin que la SARL Doriant prouve par de nombreux courriers restés sans réponse que Madame Perrier, ne lui adressait aucun compte rendu d'activité, de simples et irrégulières communications téléphoniques ne pouvant en tenir lieu ;

Qu'en conséquence, contrairement à ce qu'ont admis les Premiers Juges, Madame Perrier ne peut bénéficier du statut et partant, de l'indemnité de clientèle et de 3 mois d'indemnité de préavis.

B - Sur le licenciement

Considérant que l'existence d'un contrat de travail entre les parties ne fait l'objet d'aucune contestation de leur part ;

Considérant que Madame Perrier a été licenciée pour faute grave aux motifs suivants :

* refus d'application des consignes de la Direction,

* absence totale d'information sur ses activités commerciales

* acceptation de remises accordées à titre personnel ainsi que de délais de paiement anormalement longs à des clients sans autorisation préalable de la Direction ;

Considérant que la lettre de licenciement ajoute que le cumul de ces trois éléments ne permet plus à la SARL Doriant de garder confiance pour l'avenir en Madame Perrier "et notamment pendant l'exécution du préavis" ;

Considérant que l'attestation de la comptable de la société, la photocopie du grand livre clients, la photocopie des étiquettes de prix rectifiées de la main de Madame Perrier, les courriers et fax de l'employeur restés sans réponse ou bien même non retirés à la poste prouvent la réalité des griefs allégués ;

Considérant que Madame Perrier ne saurait utilement invoquer l'absence de consignes et de politique commerciale de la société ainsi que la grande liberté dont elle bénéficiait pour soutenir qu'elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles alors que la répétition des courriers de rappel de la Direction montre que celle ci est fondée à se prévaloir d'un refus d'application de ses consignes et d'une absence d'information mettant en cause son pouvoir de direction ;

Qu'ainsi les griefs avancés apparaissent-ils réels et sérieux ; qu'en revanche ils ne sauraient être constitutifs d'une faute grave dès lors que Madame Perrier n'avait pas le statut de VRP et ne peut se voir opposer la nécessité de faire immédiatement cesser les violations des obligations inhérentes à ce statut mais seulement l'irrespect des obligations imposées par son contrat de travail, lequel irrespect compte tenu de la spécificité de ce contrat, ne justifiait pas la privation de l'indemnité de préavis ;

Considérant dès lors que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement justifié par un motif réel et sérieux mais non par une faute grave.

C - Sur les demandes formées par Madame Perrier.

Considérant qu'en application de l'article L. 122-6 du Code du Travail, Madame Perrier a droit à un délai-congé de 2 mois dès lors qu'elle justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services d'au moins deux ans ;

Considérant qu'eu égard au salaire perçu dans les 12 mois précédents, il lui sera alloué de ce chef une somme de 51.809/12 = 4.317,41 F x 2 = 8.634,83 F outre 863,48 F au titre des congés payés sur préavis ;

Considérant que l'indemnité de clientèle sollicitée n'est pas due mais que Madame Perrier est fondée en sa demande subsidiaire tendant au paiement de l'indemnité légale de licenciement correspondant à ces trois années d'ancienneté dans l'entreprise; qu'en application de l'article R. 122-2 du Code du Travail et eu égard au fait que le salaire moyen des trois derniers mois est de 4.801 F, cette indemnité doit être fixée à la somme de 1.440 F ;

Considérant qu'il serait par ailleurs donné acte à la SARL Doriant de ce qu'elle ne conteste pas devoir la somme de 3.424 F abusivement retenue ;

Considérant qu'eu égard au montant des condamnations ci dessus prononcées Madame Perrier devra restituer 12.682,26 F à la SARL Doriant qui lui a versé la somme de 27.044,57 F au titre de l'exécution provisoire ;

Considérant que chacune des parties succombant partiellement conservera à sa charge ses dépens d'appel ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application au profit de l'une ou l'autre des parties des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile tant en première instance qu'en cause d'appel.

DECISION

Par ces motifs ; LA COUR, Réforme le jugement déféré ; Dit que Madame Perrier ne peut prétendre au statut de VRP dans ses relations avec la SARL Doriant ; Déclare son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ; Condamne la SARL Doriant à lui payer : 8.634,83 F à titre d'indemnité de préavis ; 863,48 F à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ; 1.440 F à titre d'indemnité de licenciement ; 3.424 F que la SARL Doriant reconnaît devoir à titre de rétention abusive de salaire ; Constate que la SARL Doriant a réglé 27.044,57 F dans le cadre de l'exécution provisoire ; Condamne Madame Perrier à lui restituer 12.682,26 F et dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la notification du présent arrêt ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens tant de première instance que d'appel.