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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 25 octobre 2001, n° 00-00363

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cybèle (Sté)

Défendeur :

Normandie Boissons (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

M. Perignon, Mme Bousquel-Mangialavori

Avoués :

Me Couppey, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault.

T. com. Rouen, du 28 déc. 1999

28 décembre 1999

FAITS ET PROCEDURE :

Par acte sous seing privé en date du 31 juillet 1997, intitulé "mise à disposition de matériel", la société Normandie boissons a prêté à la société Cybèle, "pour la durée d'achat exclusif d'achat de marchandises commercialisées par la société Normandie boissons SNC le matériel ci-dessous désigné qui est et restera la propriété de Normandie boissons SNC et ne fera en aucun cas partie du patrimoine de la SARL Cybelle", soit une somme de 20.400 F hors taxes, à titre de participation sur des travaux intérieurs effectués dans son fonds de commerce de bar.

Ce contrat précise que "le matériel est accepté par la SARL Cybelle à titre de prêt à usage" et que "les dispositions de droit commun des articles 1975 à 1988 du Code civil régissent les rapports des parties les obligations particulières du débitant étant ci-après indiquées au verso".

L'exemplaire du contrat produit par la société Normandie boissons précise dispose au verso, sous l'intitulé "obligations du débitant":

"En cas d'infraction à l'une des clauses du contrat d'achat exclusif conclu par les présentes, l'entrepositaire pourra exiger, outre le paiement de l'indemnité prévue au dit contrat:

- soit la restitution du matériel mis à la disposition (du) débitant en bon état d'usage,

- soit le remboursement de la valeur du matériel, sous déduction d'un amortissement de 425 F par mois écoulé".

L'exemplaire du contrat produit aux débats par la société Cybèle comporte une seule face imprimée, concernant uniquement la "mise à disposition de matériel". Le verso de l'imprimé est vierge, les "obligations du débitant" n'y figurant pas.

Au mois de septembre 1998, la société Cybèle a vendu son fonds de commerce et a cessé tout approvisionnement auprès de la société Normandie boissons.

Considérant que la société Cybèle n'avait pas respecté ses engagements et qu'elle était en droit d'invoquer la clause d'amortissement "du matériel", la société Normandie boissons lui a fait sommation d'avoir à payer la somme de 17.916,66 F, outre les intérêts.

Par ordonnance du 12 janvier 1999, le président du tribunal de commerce de Rouen a fait injonction à la société Cybèle d'avoir à payer la somme de 20.027,73 F, avec les intérêts au taux légal, à la société Normandie boissons.

La société Cybèle a formé opposition à cette ordonnance.

Par jugement rendu le 28 décembre 1999, le tribunal de commerce de Rouen, après avoir considéré que le contrat prévoyait qu'en cas d'arrêt d'achat de marchandises, il serait demandé le remboursement de cette somme sous déduction d'un amortissement de sa valeur de 425 F par mois, a condamné la société Cybèle à payer à la société Normandie boissons la somme principale de 17.916,66 F, celle de 2.039,54 F au titre des frais de procédure et celle de 2.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

La société Cybèle a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 18 mai 2000, la société Cybèle soutient qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir cessé ses relations avec la société Normandie boissons après la vente de son fonds de commerce dès lors que la convention ne prévoit aucune durée d'achat exclusif de marchandises et qu'il n'est pas contesté qu'elle s'est toujours approvisionnée auprès de la société Normandie boissons tant qu'elle a été propriétaire du bar.

Elle conclut donc à l'infirmation du jugement, au rejet des demandes de la société Normandie boissons et à la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 23 février 2001, la société Normandie boissons soutient que la convention prévoit expressément l'obligation de rembourser la somme mise à la disposition de la société Cybèle en cas de rupture du contrat d'achat exclusif, sous déduction d'un amortissement de 425 F par mois. Elle invoque le devoir de bonne foi dans l'exécution du contrat et fait valoir que l'équilibre de la convention tend à obliger la société Cybèle à se fournir exclusivement chez elle pendant toute la durée d'amortissement de la somme prêtée, sur la base de 425 F par mois écoulé.

Elle conclut donc à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Cybèle à lui payer la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que, selon les conclusions de la société Normandie boissons, sa demande a uniquement pour objet le paiement d'une indemnité à la suite de l'arrêt d'approvisionnement, et non le remboursement de la somme prêtée; qu'à cet égard et au surplus, il convient d'observer qu'en dépit de la qualification donnée par les parties, le prêt d'une somme d'argent ne peut constituer qu'un prêt à consommation et non un prêt à usage;

Attendu qu'en toute hypothèse, la convention, dont l'acte est produit et invoqué par la société Normandie boissons, n'oblige nullement la société Cybèle à acheter, dans un temps déterminé, une quantité de marchandises fixée à l'avance, mais seulement à se fournir exclusivement auprès de la société Normandie boissons;

Qu'aux termes de l'acte invoqué par la société Normandie boissons, la société Cybèle ne s'est donc obligée qu'à ne pas se fournir ailleurs qu'auprès de la société Normandie boissons, sans prendre aucun autre engagement;

Qu'elle ne s'est pas obligée à continuer l'exploitation de son débit de boissons etqu'il lui était loisible de le céder à tout moment ou même de cesser la vente des marchandises fournies par la société Normandie boissons;

Que la vente du fonds de commerce ne peut être assimilée à une infraction à l'obligation d'approvisionnement exclusif; qu'en cédant son fonds de commerce et en cessant son approvisionnement, la société Cybèle n'a pas contrevenu à son obligation d'approvisionnement exclusif;

Qu'il s'ensuit que les dispositions du jugement ayant condamné la société Cybèle au paiement de l'indemnité réclamée par la société Normandie boissons doivent être infirmées;

Que la demande de la société Normandie boissons, qui selon ses conclusions, ne tend pas au remboursement de la somme d'argent prêtée, mais au paiement d'une indemnité, ne peut qu'être rejetée ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société Cybèle les frais qu'elle a exposés dans la présente instance en marge des dépens, à hauteur de la somme fixée dans le dispositif;

Par ces motifs, Infirme le jugement rendu le 28 décembre 1999 par le tribunal de commerce de Rouen ; Déboute la société Normandie boissons de ses demandes ; Condamne la société Normandie boissons à payer à la société Cybèle la somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Normandie boissons à payer les dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.