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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 10 décembre 1992, n° 90-3423

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Alric Automobiles (SA)

Défendeur :

Établissements Pujol (SA), Pujol Sorgauto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gadel

Conseillers :

MM. Derdeyn, Thibault-Laurent

Avoués :

SCP Estival-Divisia, SCP Touzery-Cottalorda

Avocats :

SCP Larguter-Aimonett, SCI Bismes-Rainero.

T. com. Millau, du 5 juin 1990

5 juin 1990

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES DES PARTIES

A la date du 1er janvier 1983, la SA Gérard Alric et Fils était concessionnaire de la marque " Peugeot " pour la ville de Millau et un certain nombre de cantons du sud Aveyron et bénéficiait de ce fait de l'exclusivité de la vente des véhicules de cette marque sur ce territoire.

A la même date, la SA Henri Pujol était concessionnaire de la marque " Talbot " et bénéficiait d'une même exclusivité d'implantation.

Les véhicules des deux marques " Peugeot " et " Talbot " étant distribués par le même groupe, PSA, un accord intervenait entre les deux sociétés, Alric et Pujol. A la date du 3 janvier 1983, un contrat d'agence était conclu aux termes duquel la société Alric devenait agent " Talbot " jusqu'au 31 décembre 1983. A la même date, un autre contrat d'agence était signé aux termes duquel la société Pujol devenait agent " Peugeot " jusqu'au 31 décembre 1983.

Dans chacun des deux contrats, la société agent s'engageait à transmettre à la société concessionnaire l'intégralité des commandes de véhicules neufs de la marque passées à la société agent avec un minimum de vingt véhicules en faveur du concessionnaire " Talbot " et de cinquante véhicules au profit du concessionnaire " Peugeot ".

Au cours de l'année 1983, la société Pujol ne faisait parvenir à la société Alric que six commandes de véhicules " Peugeot " dont cinq véhicules de démonstration.

Ayant appris que de nombreuses commandes de véhicules " Peugeot " passées par des clients domiciliés sur son territoire avaient été transmises par la SA Pujol à la SARL Pujol Sorgauto, concessionnaire " Peugeot " de Saint-Affrique, la société Alric faisait délivrer un certain nombre de sommations interpellatives à des acquéreurs de véhicules " Peugeot ".

Sur l'action en responsabilité introduite à la requête de la société Alric et à l'encontre tant de la SA Pujol que de la SARL Pujol Sorgauto, le Tribunal de Commerce de Millau a, par jugement du 16 avril 1985, sursis à statuer dans l'attente du sort réservé à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la SA Pujol pour infraction à la loi du 6 janvier 1978 dite " informatique et Liberté " entre les mains du Doyen des Juges d'Instruction de Millau.

Le 17 mars 1986, le Juge d'Instruction de Millau rendait une ordonnance de non-lieu qui était confirmée par arrêt prononcé le 3 septembre 1986 par la Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Montpellier.

Saisi à nouveau, le Tribunal de Commerce de Millau a, par jugement avant dire droit du 10 mars 1987, rejeté la demande d'enquête présentée par la société Alric et a ordonné une expertise confiée à M. Trabe.

A la suite du dépôt du rapport d'expertise, la même juridiction, saisie par la société Alric d'une nouvelle assignation complémentaire, a ordonné un complément d'expertise confié au même expert.

Par ordonnance du 15 mars 1989, la mission de l'expert était étendue.

A la suite du dépôt du deuxième rapport d'expertise, le Tribunal de Commerce de Millau a, par jugement du 5 juin 1990, homologuant le rapport de l'expert Trabe :

- dit que la SA Pujol avait, avec la complicité (sic) de la SARL Pujol Sorgauto, violé les obligations contractuelles contenues dans les conventions réciproques du 3 janvier 1983,

- condamné solidairement les deux sociétés Pujol à payer à la société Alric la somme de 150 000 F en réparation de son préjudice, avec les intérêts de droit à compter du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire de sa décision,

- condamné solidairement les sociétés Pujol à payer à la société Alric la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts complémentaires et celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Alric a, par déclaration visée le 25 juin 1990, portant constitution de la SCP Estival-Divisia, avoués associés, relevé appel cette décision.

Les sociétés Pujol forment appel incident.

Connaissance prise des conclusions des parties, en leurs moyens, leurs demandes respectives s'établissent ainsi qu'il suit :

La SA Alric, appelante demande à la Cour de :

- considérant les chiffres résultant du journal des commandes des sociétés Pujol pour les années 1982, 1983 et 1984,

- considérant que l'année de référence doit être l'année 1984 où les situations des deux concessionnaires étaient normales et non l'année 1982 où la fraude des sociétés Pujol était déjà organisée,

- condamner solidairement et conjointement les sociétés Pujol à l'indemniser du préjudice souffert par elle sur l'exercice 1983, soit :

* au titre des pertes de commissions sur la base de 125 véhicules, la somme de 375 000 F TTC dont il conviendra de défalquer la TVA, et avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

* au titre des dommages et intérêts complémentaires pour compenser l'érosion monétaire de 1983 à 1990, 20 % de la somme susvisée, soit 93 000 F,

* au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive la somme de 50 000 F,

* en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 70 000 F.

La SA Pujol, intimée, demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- dire que si elle n'a pas exécuté les obligations mises à sa charge par le contrat d'agence de 1983, est du seul fait du comportement de la SA Alric,

- dire que, au surplus, la Sté Alric ne peut exciper d'aucun préjudice et qu'en conséquence aucune responsabilité contractuelle ne peut être mise à sa charge,

- débouter la Sté Alric de toutes ses demandes,

subsidiairement,

- dire que la Sté Alric ne pourrait prétendre à aucun dommage et intérêt pour défaut de mise en demeure de la Sté Pujol conformément à l'article 1146 du Code Civil,

très subsidiairement,

- dire qu'en aucun cas le préjudice subi par la Sté Alric ne pourrait être supérieur à la somme de 113 710,87 F,

- débouter la Sté Alric pour le surplus, de toutes ses demandes accessoires,

- la condamner à lui payer une somme de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SARL Pujol Sorgauto, autre intimée, demande à la Cour de :

- débouter la Sté Alric de toutes ses demandes,

- la condamner à lui payer une somme de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

SUR L'ACTION ENGAGEE A L'ENCONTRE DE SARL PUJOL-SORGAUTO :

Attendu que la SARL Pujol Sorgauto étant étrangère aux conventions réciproques du 3 janvier 1983, ne pouvait être recherchée que sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle; qu'un tiers peut voir engager sa responsabilité quasi-délictuelle lorsqu'il participe, de mauvaise foi, à l'inexécution d'un contrat;

Attendu qu'en l'espèce il ressort du dossier que la SARL Pujol-Sorgauto a vendu des véhicules " Peugeot ", au cours de l'année 1983, en sa qualité de concessionnaire à des acheteurs domiciliés dans la zone de première responsabilité de la SA Alric, autre concessionnaire " Peugeot "; que ce seul fait n'est pas une preuve de complicité ou de fraude pouvant engager sa responsabilité " in solidum " avec SA Pujol;

Attendu, en effet, que, dans son contrat de concessionnaire, il est bien précisé que tout constructeur charge le concessionnaire de déployer principalement son activité commerciale dans une zone, dite de première responsabilité, délimitée, dans laquelle il bénéficiera de l'exclusivité d'implantation directe ou indirecte de tous établissements commerciaux de vente ou d'après-vente à caractère permanent ou provisoire ; que le concessionnaire peut vendre des véhicules hors de cette zone de première responsabilité à condition de ne pas créer une implantation commerciale telle que sus-décrite;

Attendu qu'il n'est pas démontré que la SARL Pujol-Sorgauto ait créé des établissements commerciaux hors de cette zone ;

Attendu que si différents acheteurs, n'ayant pu être servis par la SA Pujol se sont adressés à la SARL Pujol Sorgauto, personne morale distincte, il ne peut leur en être fait grief, et cette dernière, société concessionnaire, n'a pas commis de faute au vu des contrats de concession existant en leur vendant des véhicules; que, si la SARL Pujol-Sorgauto a pu bénéficier des difficultés ayant existé, au cours de l'année 1983, entre la SA Pujol et la SA Alric et en tirer profit, il n'y a là aucune fraude commerciale ;

Attendu qu'il s'ensuit que les premiers juges, qui semblent s'être érigés en juridiction pénale, en retenant la " complicité " de la SARL Pujol Sorgauto et la " fraude orchestrée par la SARL Pujol-Sorgauto ", se fondant en cela sur le premier rapport de l'expert Trabe, ont fait une inexacte application du droit aux faits de la cause en retenant la responsabilité quasi-délictuelle de celle-ci que la décision entreprise, sera réformée, la SA Alric étant déboutée de son action à l'égard de la SARL Pujol-Sorgauto ;

SUR L'ACTION ENGAGEE A L'ENCONTRE DE SA PUJOL :

Attendu que c'est à juste titre, par contre, et par des motifs pertinents, que la Cour adopte, que les premiers juges ont retenu la responsabilité contractuelle de la SA Pujol; que, d'ailleurs, celle-ci, dans ses écritures d'appel, ne conteste pas formellement sa responsabilité, mais estime qu'elle doit en être exonérée du fait de l'inexécution par la société Alric de ses obligations, le contrat ayant été suspendu en vertu du principe de l'exception d'inexécution;

Attendu, en effet, que la SA Pujol ne peut sérieusement invoquer des manquements de la Sté Alric pour s'exonérer de sa propre responsabilité contractuelle; que la société Alric n'a pas manqué à ses obligations, d'une part, en exécutant fidèlement le contrat qui lui imposait de transmettre à la SA Pujol les commandes de véhicules " Talbot " avec un minimum de vingt commandes et, d'autre part dans la mesure des possibilités d'approvisionnement et de livraison, en honorant les quelques commandes transmises par la SA Pujol;

Attendu qu'en ce qui concerne les demandes de dommages et intérêts formées par la SA Alric, c'est très exactement que les juges consulaires ont indemnisé le préjudice souffert au cours de la seule année 1983, période au cours de laquelle existait un lien contractuel entre la SA Pujol et la SA Alric, à l'exclusion des années 1982 et 1984 ;

Attendu que le montant des commissions détournées au préjudice de la société Alric, ledit préjudice étant réel malgré le fait que cette société ait vendu pour l'année 1983 plus de véhicules que ce qui était prévu au contrat signé avec le constructeur (252 au lieu de 240), a été très exactement fixé par l'expert Trabe dans ses deux rapports, très complets, des 26 février 1988 et 2 octobre 1989, pour l'année 1983 à une cinquantaine de véhicules, ce qui permet de retenir un préjudice évalué, selon lui, sur la base de 50 % des commissions revendiquées sur les commandes prises par la SA Pujol, soit 150 000 F ; que, toutefois, l'expert Trabe a commis une erreur puisqu'il a pris en compte la réclamation de la SA Alric TVA comprise, alors qu'en aucun cas la TVA ne peut être prise en compte, car la SA Alric facturait des commissions à la SA Pujol avec la TVA qu'elle devait rembourser au Trésor, TVA qui ne peut être assimilée à un bénéfice ; que le seul préjudice subi par la SA Alric est constitué de la moitié de ses commissions hors taxes, soit 113 710 ;

Attendu que la société Alric, qui a successivement demandé, en cours de procédure, les somme de 741 000 F, 465 000 F et en dernier lieu 357.000 tente d'extrapoler en fonction des chiffres de vente de la SA Pujol, de la SARL Pujol-Sorgauto et de sa propre société pour établir le montant de son préjudice ; que l'expert, dans son premier rapport confirmé par le second, a bien établi son calcul en fonction de la somme globale de 300 000 F TVA comprise, donnée par la SA Alric, qui, pour lui, était le maximum de sa réclamation et correspondait à la totalité des commissions de la centaine de yen tes qui aurait dû passer par sa concession ;

Attendu que la décision déférée sera donc réformée, la SA Pujol étant condamnée à payer à la SA Alric la somme de 113 710,87 F en réparation de son préjudice, la mise en demeure préalable, prévue par l'article 1146 du Code Civil étant suppléée par l'assignation qui vaut mise en demeure ;

Attendu que la SA Alric réclame à titre de complément de dommages et intérêts une somme de 93 000 F correspondant à 20 % de la somme de 465 000 F ; qu'elle ne fait pas la preuve d'un préjudice supplémentaire et que l'allocation des intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance du 6 septembre 1984 permette de compenser l'érosion monétaire subie ;

Attendu que la SA Alric sera également déboutée de sa demande de paiement de la somme de 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Qu'en effet, d'une part, il apparaît que c'est la SA Pujol qui a été assignée, d'autre part il ne peut lui être reproché d'avoir défendu ses intérêts, avec succès d'ailleurs et fait dégénérer en abus son droit de présenter tous moyens de défense ;

Attendu, enfin, que la décision querellée sera réformée en ce qu'elle a alloué à la SA Alric la somme exorbitante de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civil qu'il sera alloué à ce titre à la SA Alric la somme totale de 6 000 F pour les frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés tant en première instance qu'en appel ; que la SA Alric sera condamnée à payer à la SARL Pujol-Sorgauto par application de ce même article la somme de 3 000 F pour les frais non compris dans les dépens qu'elle s'est vue contrainte d'engager ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; Déclare la SA Alric Automobiles recevable mais mal fondée en son appel principal ; L'en déboute ; Déclare la SA Pujol et la SARL Pujol Sorgauto recevables et partiellement fondées en leur appel incident ; Confirme le jugement rendu le 5 juin 1990 par le Tribunal de Commerce de Millau en ses seules dispositions de reconnaissance de la responsabilité contractuelle de la SA Pujol ; L'infirme en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau ; Déboute la SA Alric de toutes ses demandes à l'égard de la SARL Pujol Sorgauto ; La condamne à payer à la SARL Pujol-Sorgauto la somme de 3 000 F TTC par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civil ; Condamne la SA Pujol à payer à la SA Alric, en réparation de son préjudice, la somme de 113 710,87 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1984 ; Déboute la SA Alric de ses autres demandes ; Condamne la SA Pujol à payer à la SA Alric la somme de 6 000 F TTC par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés, vu la succombance respective des parties, par moitié par la SA Alric et par la SA Pujol, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Estival-Divisia avoués associés et par la SCP Touzery-Cottalorda, avoués associés, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.