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Décisions

CA Colmar, ch. soc., 4 avril 1991, n° 540-90

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lévy

Défendeur :

Alem Sièges (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Eschrich

Conseillers :

Mme Bernard, M. Jurd

Avocats :

Mes Cahn, Zimmermann, Crehange.

Cons. prud'h. Colmar, du 19 janv. 1990

19 janvier 1990

FAITS ET PROCEDURE

M. Pierre Lévy, né le 16 décembre 1923, a travaillé en qualité de représentant pour le compte de la SA Alem Sièges du 1er mars 1960 au 31 décembre 1988, bénéficiant du statut de cadres ;

Au cours de l'année 1987, la direction de la société ayant changé, M. Lévy a été par deux fois invité en raison d'un marché difficile, à plus de rigueur dans son travail devant effectuer quatre jours de tournées par semaine et un rapport hebdomadaire, et il a clairement contesté par courrier du 12 octobre 1987 la première de ces directives ;

Après un entretien, qui eut lieu le 18 avril 1988, la société Alem a par courrier du 26 mai 1988 fait connaître à M. Lévy que son départ à la retraite se ferait au 31 décembre 1988, date à laquelle il pourrait faire valoir ses droits à une pension au taux plein, et ce conformément à la législation en vigueur concernant les cadres de la société et qu'il percevrait "environ six mois de salaire en indemnité de départ" ;

Après échange de courrier, dont l'objet portait encore sur la teneur des rapports, et le rythme des tournées, la société Alem a par lettre recommandée (avec avis de réception) du 13 juin 1988 ordonné à M. Lévy de ne plus prospecter ni visiter quelque clientèle que ce soit, s'engageant pour ne pas lui causer préjudice, à lui verser " l'ensemble de ses commissions habituelles jusqu'à son 65e anniversaire", ce qui a été fait jusqu'au 31 décembre 1988 ;

Par courrier du 15 septembre 1988, M. Lévy a demandé à la société Alem de lui envoyer les formulaires pour sa cessation d'activité ce qui fut fait et elle lui a versé une indemnité de départ à la retraite correspondant à 3 mois de salaire, soit 33 889,33 F ;

Contestant avoir été régulièrement mis en retraite (procédure pas respectée) et s'estimant par contre abusivement licencié, M. Lévy a saisi le Conseil de Prud'hommes de Colmar d'une demande tendant à condamner la société Alem à lui payer :

- 166 110,67 F à titre d'indemnité de clientèle, (y substituant subsidiairement sa demande d'indemnité de départ à la retraite de 6 mois),

- 60 000 F à titre d'indemnité pour rupture abusive de son contrat de travail,

- 50 000 F à titre de préjudice moral, et

- 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement prononcé le 19 janvier 1990, ledit Conseil de Prud'hommes a :

- condamné la société Alem à payer à M. Lévy la somme de 33 889,33 F à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite,

- débouté M. Lévy de toutes ses autres demandes et,

- condamné la défenderesse aux frais et dépens.

Selon déclarations du 14 février 1990, M. Pierre Lévy a régulièrement interjeté appel à l'encontre de ce jugement, qui lui a été notifié le 26 janvier 1990, il a aussi réclamé l'exécution provisoire du jugement mais fut débouté de cette demande par ordonnance de référé du 3 mai 1990 ;

A l'appui de son recours, l'appelant fait valoir qu'il a fait l'objet d'un licenciement intempestif et illégal par lettres des 26 mai et 13 juin 1988 avec effet au 1er janvier 1989 et nullement d'un départ à la retraite car à aucun moment il n'a manifesté l'intention de prendre sa retraite ;

Il précise que les reproches que l'employeur a formulé à son égard (absence de rapports hebdomadaires, baisse du chiffre d'affaires) ne sont nullement caractérisés ;

Il maintient qu'en conséquence il a droit à une indemnité de 60 000 F pour rupture abusive de son contrat de travail, une indemnité de 200 000 F (dont il déduit la somme de 33 889,33 F déjà perçue pour départ à la retraite) à titre d'indemnité de clientèle, (ce montant étant inférieur à celui des commissions perçues sur deux années) et ce même dans l'hypothèse d'un départ à la retraite dès lors que la rupture du contrat de travail ne lui est pas imputable, se référant à l'article L. 751-9 du Code du Travail ;

Ses conclusions tendent à infirmer le jugement entrepris et condamner la SA Alem Sièges à lui payer :

- 116 110,67 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 60 000 F à titre d'indemnité pour rupture abusive du contrat de travail,

- 50 000 à titre de préjudice moral, avec les intérêts légaux à compter du jour de la demande,

ainsi que :

- deux fois une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

La SA Alem Sièges réplique que M. Lévy n'a rien perdu jusqu'au 31 décembre 1988 en matière de revenus et le problème porte sur la qualification de la rupture du contrat de travail qui s'est pourtant faite par un départ à la retraite, exposant qu'elle a parfaitement respecté les textes en vigueur, se référant à la loi du 30 juillet 1987 à l'article L. 122-14-13 du Code du Travail et à la convention collective, précisant que le départ en retraite à l'initiative de l'employeur était valable et qu'il ne s'agit donc nullement d'un licenciement, elle ajoute que les motifs des reproches qu'elle a adressés à M. Lévy sont incontestables au vu des pièces produites mais qu'il n'en est pas question en l'espèce, M. Lévy ayant été mis en retraite et non licencié ;

Elle fait observer que c'est à tort qu'elle a été condamnée à lui payer un complément d'indemnité de départ en retraite car celle qu'il a perçue est calculée conformément à l'article 33 de la convention collective de l'industrie de l'ameublement qui s'applique ;

Elle ajoute que s'agissant d'un départ en retraite et non d'un licenciement, les demandes de dommages et intérêts et de réparation de préjudice moral ne sont pas fondées et que l'indemnité de clientèle n'est pas due car la mise à la retraite correspondant à un mode spécifique de cessation du contrat de travail, institué par la loi du 30 juillet 1987 et l'article L. 751-9 qui vise le cas ou l'employeur use de la faculté de mettre fin à un contrat de travail par un licenciement et applicable avant la loi du 30 juillet 1987 ne saurait s'appliquer, très subsidiairement elle observe que même si la Cour suivait la jurisprudence antérieure à la loi du 30 juillet 1987, la mise à la retraite n'est assimilable à un licenciement que si le VRP accomplit ponctuellement ses fonctions, ce qui n'était pas le cas de M. Lévy, qui ne faisait pas de vrais rapports, ne tournait pas au rythme demandé et dont le montant des commandes directes était faible ;

Elle relève enfin la contradiction de M. Lévy qui soutient avoir été licencié et que la société Alem n'a pas respecté son engagement dans le cadre d'un départ à la retraite ;

Ses conclusions tendent :

- à voir rejeter l'appel principal, confirmer le jugement entrepris en ce q'il a débouté M. Lévy de ses demandes,

- à recevoir son appel incident, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. Lévy une indemnité complémentaire de départ à la retraite et statuant à nouveau, à la décharger de cette condamnation et condamner M. Lévy aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

MOTIF DE LA DECISION

1) SUR LA QUALIFICATION DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Attendu qu'il résulte des éléments du dossier et des débats que M. Lévy, dont les méthodes de travail (rapports, tournées) avaient déjà fait l'objet de multiples courriers (remontant même à octobre 1985, soit sous l'ancienne direction) et qui atteignait l'âge de 65 ans en décembre 1988, a été convoqué par lettre recommandée avec avis de réception à un entretien, qui eut lieu le 18 avril 1988 et au cours duquel il fut question de la fin de son activité professionnelle à l'approche de ses 65 ans (16 décembre 1988) et de sa retraite (M. Schuller Gérard attestant même lui avoir alors exposé toutes les démarches à suivre auprès de la Sécurité Sociale et de la Caisse des cadres) ;

Qu'à la suite de cet entretien et par lettre recommandée avec avis de réception au 26 mai 1988, la société l'informait que son "départ à la retraite se ferait conformément à la législation en vigueur concernant la société" au mois de décembre 1988 et qu'il percevrait environ 6 mois de salaire en indemnité de départ ;

Enfin qu'ultérieurement et par courrier du 13 juin 1988, il a été dispensé de poursuivre son activité, l'employeur s'engageant cependant à lui verser l'ensemble de ses commissions habituelles jusqu'à son "65e anniversaire" ;

Qu'il résulte clairement des démarches de l'employeur et de la procédure qu'il a suivie qu'il n'a point licencié M. Lévy mais qu'il a pris l'initiative d'une mise à la retraite, celle-ci étant érigée par la loi du 30 juillet 1987 comme un mode spécifique de cessation du contrat de travail, distinct du licenciement et de la démission ;

2) SUR LES CONDITIONS D'APPLICATION DE LA LOI DU 30 JUILLET 1987

Attendu qu'aux termes de l'article L. 122-1-13 du Code du Travail, qui définit la mise à la retraite, cette mesure peut relever d'une décision unilatérale de l'employeur, qui peut être prise en dehors ou dans un cadre conventionnel ou contractuel dès lors que les conditions fixées par la loi sont remplies ;

Que la condition de fond est que le salarié ait acquis le droit à une pension vieillesse au taux plein et satisfasse aux conditions requises pour l'ouverture du droit à pension à taux plein, ce qui est le cas de tout salarié atteignant l'âge de 65 ans et donc de M. Pierre Lévy, né le 16 décembre 1923, VRP, qui dans une note en délibéré postérieure aux débats soutient absolument à tort qu'étant VRP payé par commissions il ne serait pas salarié confondant VRP et agents commerciaux, (persistant cependant en sa demande pour rupture abusive d'un contrat de travail !) ;

Que si le texte ne stipule pas de condition de forme, il est cependant évident que lorsque la mise à la retraite est décidée par l'employeur, il ne peut se borner à prendre acte de la survenance du terme du contrat mais doit manifester sa volonté d'y mettre fin par une mise à la retraite et motiver sa décision, ainsi que respecter le préavis auquel il est tenu en cas de licenciement ;

Que ce fut le cas en l'espèce, la société Alem, ayant fait part de ses intentions à M. Lévy lors de l'entretien du 18 avril 1988 (attestation Schuller), lui ayant ensuite fait connaître sa décision de mise à la retraite de façon motivée (baisse d'activité et mauvaise qualité des rapports, motifs incontestables au vu des pièces produites), par lettre recommandée du 26 mai 1988 (avec avis de réception) soit plus de 6 mois avant la cessation du contrat, respectant ainsi un préavis plus long, que celui s'imposant à elle dans le cadre d'un licenciement ;

Qu'en conséquence la loi du 30 juillet 1987 était parfaitement applicable en l'espèce et c'est à bon droit que :

- les Premiers Juges ont dit qu'elle s'appliquait;

3) SUR LES CONSÉQUENCES DE CE MODE DE CESSATION DU CONTRAT DE TRAVAIL

- quant à la demande d'indemnité pour rupture abusive du contrat de travail.

Attendu que M. Lévy n'ayant pas été licencié, mais régulièrement mis à la retraite, sa demande d'indemnité pour rupture abusive du contrat de travail ne pouvait prospérer et la décision du Conseil de Prud'hommes qui l'en a débouté mérite confirmation ;

- quant à l'indemnité de clientèle :

Attendu que si M. Lévy invoque l'article L. 751-9 du Code du Travail, en faisant valoir que ce texte s'applique même en cas de mise à la retraite, dès lors qu'elle émane de l'employeur, il convient d'observer que la "résiliation d'un contrat de travail à durée indéterminée" telle que visée par l'article précité correspond à l'utilisation par l'employeur de la faculté de mettre fin à un contrat de travail par un licenciement alors que la mise à la retraite correspond une décision, mettant en œuvre un mode spécifique de cessation du contrat de travail distinct du licenciement; qu'en conséquence l'article L. 751,9 du Code du Travail ne peut plus s'appliquer en cas de mise à la retraite depuis la loi du 30 juillet 1987 car la décision de l'employeur de se prévaloir de ce mode de cessation spécifique du contrat a certes pour but d'écarter les conséquences pécuniaires d'un licenciement, une indemnité de départ à la retraite lui était cependant imposées;

Qu'en conséquence c'est en faisant une juste application du droit que les Premiers Juges ont débouté M. Lévy de sa demande d'indemnité de clientèle ;

- quant à l'indemnité de départ à la retraite :

Attendu qu'aux termes de l'article L. 122-14-13 du Code du Travail, sauf dispositions contractuelles instituant une indemnité plus favorable le salarié a droit à une indemnité de départ à la retraite, dont le montant est égal à celui de l'indemnité légale ou l'indemnité légalisée de licenciement ;

Qu'en l'espèce, si la société Alem estime avoir respecté ses obligations en versant à M. Lévy trois mois de salaire, se référant à l'article 33 de la convention collective de l'industrie et de l'ameublement qui s'applique à lui en sa qualité de représentant et cadre de la société, il résulte clairement de la lettre datée du 26 mai 1988, adressée par la société Alem Sièges à M. Lévy, pour l'informer de sa décision de le mettre à la retraite, qu'il percevra "environ 6 mois de salaire en indemnité de départ", ce qui constitue un engagement précis de sa part, peu importe qu'elle se soit dans ce même courrier référée à la législation moins large concernant les cadres de la société; que la société ayant en réalité versé une somme équivalente à trois mois de salaire à M. Lévy, c'est très justement que les Premiers Juges l'ont condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de départ à la retraite du même montant (33 889,33 F), décision qu'il y a lieu de confirmer.

- quant au préjudice moral ;

Attendu qu'au regard de la législation applicable et compte tenu de la procédure suivie par l'employeur, la demande de réparation d'un préjudice moral formée par M. Lévy est dénuée de tout fondement ;

4) SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Attendu que le jugement entrepris méritant entière confirmation, il y a lieu de faire masse des dépens d'appel, de condamner M. Pierre Lévy, appelant principal, à en supporter les 4/5e et la société Alem Sièges à en supporter 1/5e, en laissant à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles d'appel (au titre desquels, seul M. Lévy réclamait une indemnité) ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des Premiers Juges ; LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort : Déclare les appels principal et incident respectivement interjetés par M. Pierre Lévy et par la SA Alem Sièges contre le jugement prononcé par le Conseil de Prud'hommes de Colmar le 19 janvier 1990 réguliers et recevables en la forme ; Les dit mal fondés ; Confirme ce jugement en toutes ses dispositions ; Déboute les parties de toutes leurs conclusions plus amples et contraires ; Déboute M. Lévy de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Fait masse des dépens d'appel et condamne M. Pierre Lévy à en supporter les 4/5es et la SA Alem Sièges à en supporter 1/5e.