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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 21 octobre 1994, n° 4758-93

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dias

Défendeur :

Sofeb (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roger

Conseillers :

Mme Mettas, M. Bourdiol

Avocats :

Mes Favriau, Grosbois.

Cons. prud'h. Toulouse, sect. encadr., d…

11 octobre 1993

FAITS ET PROCEDURE

Dias Elisio, embauché comme VRP cadre par contrat du 1er septembre 1989, a été licencié le 24 juillet 1992 pour insuffisance de résultats, manque d'activité commerciale personnelle, attitude conflictuelle avec les clients, initiatives aberrantes et refus de signer le nouveau contrat.

Il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Toulouse qui, par jugement du 11 octobre 1993, a estimé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la société Sofeb à payer à Dias Elisio 20.000 F restant dus sur le préavis, 16.000 F de rappel de salaire, 27.952 F de rappel de commissions, les congés payés afférents à ces sommes et a condamné Dias Elisio à payer à la société Sofeb la somme de 279.755,57 F au titre de la violation de la clause de non-concurrence.

Le jugement a ordonné la compensation entre les sommes dues par chacune des parties.

Dias Elisio a relevé appel de cette décision.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dias soutient tout d'abord que les faits reprochés ont été sanctionnés par deux fois, par deux lettres d'avertissement des 10 et 13 juillet 1992 et par le licenciement du 24 juillet 1992 ; il fait plaider qu'un même motif ne peut donner lieu à deux sanctions et conteste au surplus la réalité des motifs allégués.

Il sollicite une somme égale à six mois de salaire sur la base de la moyenne des trois derniers mois de salaire soit 181.269,78 F calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire incluant le fixe mensuel, l'indemnité forfaitaire du véhicule, la moyenne des commissions et la moyenne des primes.

Dias explique son refus du nouveau contrat du 1er février 1992 par la modification de la clause de non-concurrence et la modification de sa rémunération qui, selon lui, par une modification structurelle, devenait inférieure à celle en vigueur.

Il fait valoir que dès lors qu'il n'a pas accepté les modifications incluses dans son nouveau contrat, l'employeur devait exécuter le contrat initial passé le 1er janvier 1989 et qui avait été modifié par les avenants du 25 juillet 1990 et du 1er janvier 1991 portant la partie fixe de la rémunération à 16.000 F mensuels.

Il sollicite un rappel de rémunération sur cette base et propose un calcul aboutissant à un crédit de 34.652,92 F.

Dias sollicite en outre un rappel de commissions résultant de la réorganisation qui lui a été imposée et se fonde sur la moyenne des commissions perçues durant l'année 1991 pour solliciter la condamnation de la société Sofeb au paiement d'une somme de 79.952,40 F pour la période de février à octobre 1992.

Il fait valoir en outre qu'il a perçu au titre de sa rémunération une prime sur objectif pour les années 1990 et 1991 et que pour l'année 1992 il est en droit de percevoir la somme de 27.163,90 F calculée au prorata.

Dias demande enfin un rappel sur prime de véhicule en faisant valoir que cette prime est la contrepartie de l'entretien, amortissement et assurance et qu'elle est assujettie aux cotisations sociales, qu'elle est une partie intégrante de la rémunération et qu'elle est due quelles que soient les circonstances de l'exécution du contrat de travail ainsi que durant la période des congés payés et du préavis.

Il demande pour les années 1990, 1991 et 1992 la somme totale de 18.453,53 F.

S'agissant de la clause de non-concurrence, Dias soulève sa nullité en raison du fait qu'elle n'est pas limitée dans l'espace mais doit recevoir application sur tous les secteurs de travail de la société ainsi que ses filiales ; il fait valoir que le caractère indéfini de la rédaction de cette clause la rend abusive.

Il demande à la Cour de prononcer la nullité de la clause de non-concurrence et réplique qu'il n'y a pas lieu de retenir les lettres de l'employeur du 21 juillet 1992 et du 3 août 1992 qui réduisent la clause aux départements 31, 81, 82 et 09 pendant une période d'un an à compter de la fin du préavis de trois mois dès lors que ces lettres font référence au contrat du 1er février 1992 qu'il a refusé.

Dias fait enfin valoir que la société s'est rendue coupable d'agissements à son encontre postérieurement à son licenciement en envoyant des circulaires le dénigrant et sollicite une somme de 200.000 F au titre de l'indemnisation des préjudices moraux et commerciaux qu'il a subis du fait de l'attitude de dénigrement systématique de la part de la société Sofeb auprès de ses clients potentiels.

La société Sofeb réplique tout d'abord que les faits pour lesquels Dias a été licencié n'ont jamais été sanctionnés ; que la lettre du 10 juillet 1992 reproche à Dias ses atermoiements à propos de la signature du nouveau contrat qui lui avait été proposé le 1er février 1992 et ne constitue qu'une mise au point et non une sanction.

L'employeur ajoute que la lettre du 13 juillet 1992 constitue la convocation à l'entretien préalable au licenciement quel que soit son libellé.

Sur le caractère réel et sérieux des motifs de celui-ci, la Sofeb fait valoir que la marge bénéficiaire brute réalisée par M. Dias pour l'année 1991 s'est élevée à 25.624 F tandis que de janvier à juillet 1992 elle n'a été que de 12.534 F au total, soit une moyenne mensuelle de 1.791 F.

L'employeur indique que le licenciement du salarié trouve ainsi sa justification principale dans l'absence de résultats au cours du premier trimestre 1992, ajoute que durant le premier semestre 1992 plusieurs clients importants qui étaient suivis par lui ont résilié le contrat qui les liait à la société et lui reproche encore le prêt gratuit à EDF pendant six mois d'un photocopieur qui lui a permis de réaliser gratuitement près de 20.000 photocopies, ce qui représente un préjudice global d'environ 29.680 F.

Par ailleurs, l'employeur conteste formellement le préjudice subi par Dias en tirant argument du fait qu'il a retrouvé un emploi identique chez un concurrent et ce au mépris de la clause de non-concurrence qui lui a permis de détourner à son profit une partie de la clientèle de la société.

Sur les rappels de salaire, l'employeur indique qu'il était parfaitement en droit de revenir au salaire fixe mensuel de 12.000 F prévu par le contrat du 1er septembre 1989 lors du refus de Dias d'accepter le nouveau contrat du 1er février 1992.

Il fait valoir qu'il a appliqué le nouveau contrat à 20.000 F jusqu'au 30 avril 1992 et que l'avenant du 25 juillet 1990 qui portait le salaire fixe mensuel de 12.000 F à 16.000 F était provisoire.

L'employeur s'oppose donc à toute demande de rémunération complémentaire sur le salaire fixe.

S'agissant des commissions, l'employeur affirme que l'extention du secteur géographique comme l'augmentation du nombre des attachés commerciaux qu'elle entraîne nécessairement n'ont eu aucune incidence sur la méthode de calcul des commissions auxquelles pouvait prétendre M. Dias ; l'employeur fait valoir que l'équipe qu'animait le salarié n'a jamais réalisé le seuil au delà duquel il pouvait prétendre à commissions et soutient que c'est sans aucune motivation que les premiers juges lui ont alloué à ce titre une somme de 27.952,40 F.

L'employeur soutient que n'est due aucune commission pour la période de janvier à juillet 1992, pas plus qu'une prime d'objectif qui n'était pas prévue au contrat et qui, au surplus, était liée à la réalisation préalable par le salarié des objectifs qui lui ont été assignés.

Sur l'indemnité d'utilisation du véhicule personnel, la société Sofeb fait valoir qu'une telle indemnité versée au VRP en cas d'utilisation de sa voiture personnelle ne constitue pas un salaire même si elle est assujettie au calcul des charges sociales mais un remboursement forfaitaire de frais exceptionnels ; que dès lors cette indemnité ne peut lui être versée pendant les périodes où il n'a pas utilisé son véhicule à titre professionnel c'est-à-dire pendant les vacances et pendant la période de préavis qu'il a été dispensé d'effectuer.

La Sofeb demande à la Cour de confirmer la décision déférée qui a débouté Dias de cette réclamation.

L'employeur indique que l'indemnité compensatrice à laquelle peut prétendre Dias s'élève à la somme brute de 57.418,88 F et que la créance du salarié au titre du rappel de salaire toutes rémunérations confondues s'élève à 27.655,64 F résultant d'un tableau présenté en page 14 des conclusions.

Sur la validité de la clause de non-concurrence, l'employeur fait valoir que Dias ne conteste pas l'avoir délibérément violée ; il affirme que cette clause est parfaitement valable, qu'au surplus, dès le 4 août 1992 elle a été limitée à quatre départements et pour une durée d'un an, que la violation de la clause n'est nullement contestée par Dias et a été établie par constat d'huissier, par des lettres de clients et des attestations des collaborateurs de la Sofeb et que dès le 1er octobre 1992 c'est-à-dire avant même le terme du préavis dont il avait été dispensé il a repris son activité de VRP au profit d'une entreprise concurrente de son employeur.

La société demande en conséquence la condamnation de Dias au paiement d'une somme de 279.755,57 F représentant le montant de la pénalité conventionnelle, montant qui n'est pas contesté par Dias.

Sur les dommages-intérêts pour des faits postérieurs au licenciement, l'employeur soulève l'irrecevabilité de cette demande en faisant valoir que statuant en matière prud'homale, la Cour ne peut connaître d'une accusation de dénonciation calomnieuse pour des faits postérieurs à la rupture du contrat de travail et qu'il appartient au salarié de saisir la juridiction compétente pour en connaître.

La société Sofeb demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle reconnaît devoir à M. Dias la somme de 27.657,64 F au titre des rémunérations qui lui sont dues, demande la compensation de cette somme avec celle qui lui est allouée et la condamnation du salarié au paiement d'une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

MOTIFS DE LA DECISION

1) SUR LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE

Attendu que la clause de non-concurrence est ainsi rédigée :

"M. Dias s'interdit expressément pendant une durée de deux mois à partir de la date de la rupture du présent contrat ... de s'intéresser ..., à tout poste ou à toute affaire créés ou en voie de création susceptibles de concurrencer la société Repro Conseil sur le secteur de travail de Repro Conseil et de ses filiales".

Qu'un deuxième paragraphe prévoit le matériel sur lequel porte l'interdiction tandis qu'un troisième paragraphe envisage l'hypothèse d'un changement de secteur ou de clientèle ; que l'avant dernier paragraphe de cette clause réserve la possibilité pour l'employeur dans un délai de 15 jours suivant la notification de la rupture, de signifier par lettre recommandée avec accusé de réception au salarié son désir de ne pas faire application de la clause de non-concurrence ou de la limiter à une période inférieure à deux ans.

Attendu que par lettre du 3 août 1992, l'employeur a usé de la faculté qui lui était donnée et ce faisant, a validé la clause qui à l'origine ne comportait pas de limitation géographique et encourait de ce fait la nullité.

Attendu qu'en effet la société ne peut soutenir que "la clause de non-concurrence qui figure au contrat reprend mot à mot le texte du premier paragraphe de l'article 17 de la convention collective" alors que la rédaction n'est pas du tout la même ; que dans les hypothèses voisines produites devant la Cour, l'interdiction porte sur les secteurs dont le VRP avait la charge et non sur le secteur de travail de la société.

Attendu que dans ces conditions la clause de non-concurrence doit produire tous ses effets; qu'il n'est pas contesté que Dias s'est embauché le 1er octobre 1992 chez un concurrent et que c'est donc à juste titre que les premiers juges l'ont condamné à rembourser la contrepartie conventionnelle de 279.755,57 F.

2) SUR LE LICENCIEMENT

Attendu que c'est à tort que Dias prétend que les motifs du licenciement avaient déjà été sanctionnés par deux précédents avertissements ; que la lettre du 13 juillet 1992 vise un avertissement du 6 mai 1992 et souligne que deux mois après la situation ne s'est pas améliorée et que Dias est toujours à 50 % des objectifs ; que cette lettre constitue uniquement une convocation à un entretien préalable auquel a succédé un licenciement pour des faits bien précis ; que ces faits n'ont jamais été sanctionnés et que ce moyen doit être rejeté.

Attendu, sur les résultats de Dias, que la mauvaise volonté de celui-ci à remplir ses objectifs n'est pas établie ; qu'il apparaît que la même lettre de reproches a été adressée aux autres salariés occupant le même poste et que les tableaux fournis par l'employeur n'établissent pas de manière certaine une insuffisance de résultats imputable à la mauvaise volonté du salarié.

Attendu qu'il convient dès lors, fût-ce au bénéfice du doute, de dire que le grief n'est pas suffisamment établi.

Attendu que s'agissant de la remise d'un photocopieur pour un délai supérieur à la moyenne, aucune pièce n'assortit ce grief et qu'au surplus il ne pouvait à lui seul justifier le licenciement.

Attendu que les comportements aberrants reprochés au salarié ne résultent pas davantage du dossier et qu'il convient en conséquence de dire que le licenciement de Dias a eu lieu sans cause réelle et sérieuse.

Mais attendu que le calcul de la moyenne mensuelle de Dias doit être rectifié ; qu'il convient de prendre la moyenne mensuelle des douze derniers mois, d'en déduire les frais professionnels, ce qui donne un salaire mensuel de 17.326,54 F.

Attendu, sur cette base, qu'il y a lieu de fixer à la somme de 103.395 F arrondie à 104.000 F le montant des dommages-intérêts auxquels Dias est en droit de prétendre pour licenciement abusif.

3) SUR LE RAPPEL SUR FIXE

Attendu qu'un avenant du 25 juillet 1990 a porté à 16.000 F la partie fixe de la rémunération antérieurement d'un montant de 12.000 F ; que cet avenant comportait la mention suivante "cet avenant entrera en vigueur le 1er septembre 1990 et restera provisoire jusqu'au 31 décembre 1990".

Attendu que cette disposition est donc devenue définitive à partir du 1er janvier 1991, qu'elle a d'ailleurs été reconduite sans aucune réserve pour l'année 1991 par un avenant signé des deux parties et qui dès lors constituait leur loi. ; que l'employeur ne pouvait revenir sur cet accord pour fixer au taux antérieur de 12.000 F la partie fixe de la rémunération ; que c'est donc à juste titre que Dias sollicite un rappel de salaire que la Cour entérine et qui s'élève à la somme de 34.652,92 F plus les congés payés y afférents soit 3.465,29 F ;

Attendu, s'agissant d'un rappel sur commissions, que Dias n'apporte aucune preuve de ce que celles-ci lui seraient dues ; que la seule référence à la rémunération de l'année 1991 ne peut prospérer, le chiffre d'affaires effectué par ses soins devant seul lui permettre de prétendre à de nouvelles commissions ; qu'il doit être débouté de ce chef de demande comme de celle concernant le rappel sur prime sur objectif 1992 dont il ne justifie pas qu'il soit en droit d'y prétendre;

Attendu que pas davantage il ne peut prétendre à un rappel sur indemnité pour l'utilisation de son véhicule personnel pour les trois années antérieures ; que c'est à juste titre que l'employeur soutient qu'il ne s'agit pas d'un avantage salarial et que celui-ci ne peut être accordé lorsque le salarié n'utilise pas son véhicule ; qu'il convient de débouter Dias de ce chef de demande ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le préavis n'a pas été réglé jusqu'à son terme ; qu'il convient d'allouer à Dias la somme de 20.000 F qu'il réclame à ce titre ;

Attendu que les comptes entre les parties s'établissent en conséquence comme suit :

- contrepartie de la violation de la clause de non-concurrence à la charge du salarié : 279.755,57 F,

- dommages-intérêts et rappel de salaire en faveur du salarié : 158.653,00 F

Que Dias reste redevable envers l'employeur d'une somme de 121.102 F

Attendu que chacune des parties succombant partiellement dans l'instance, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du NCPC ;

Que chacune des parties devra en outre conserver la charge de ses propres dépens ;

Par ces motifs : LA COUR : Réformant partiellement le jugement entrepris, Dit et juge que la clause de non-concurrence doit recevoir pleine et entière application, Condamne en conséquence le salarié à payer à la société Sofeb une somme de 279.755,57 F, Dit et juge que le licenciement a eu lieu sans cause réelle et sérieuse, Condamne en conséquence la société Sofeb à payer à Dias une somme de 104.000 F de dommages- intérêts, Condamne encore la société Sofeb à payer au salarié des rappels de salaire d'un montant total de 54.652 F, Ordonne la compensation entre les sommes mises à la charge de chacune des parties, Dit que Dias est en conséquence redevable envers la société Sofeb d'un somme de 121.102 F, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes fins el conclusions, Déboute notamment Dias de sa demande en paiement d'une somme de 200.000 F pour l'indemnisation de son préjudice moral et commercial dont il ne justifie pas, Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.