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Décisions

CA Pau, ch. soc., 15 novembre 1995, n° 94004062

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dispar (SARL)

Défendeur :

Caille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Khaznadar

Conseillers :

MM. Laville, d'Uhalt

Avocats :

Me Jouet, SCP Esposito.

Cons. prud'h. Pau, du 19 sept. 1994

19 septembre 1994

En date du 5 février 1987, Mme Andrée Caille a été engagée par la SARL Dispar, Jean-Claude Monier, comme agent technico-commercial à temps partiel ;

Mme Andrée Caille devait visiter tous les instituts de beauté du département des Pyrénées-Atlantiques, sa rémunération était uniquement à la commission pour un temps partiel, sur les [ventes] directes et indirectes ;

A compter du 1er novembre 1988, Mme Andrée Caille s'est vue attribuer les secteurs : 64, 65, Sud 40, éventuellement Sud 32, avec frais de route : 3.500 F/mois ;

En date du 1er octobre 1990, Mme Andrée Caille signe un contrat de VRP multicartes avec M. Jean-Claude Monier, gérant de la SARL Dispar ; elle est chargée de prospecter et de vendre la gamme de produits et matériels destinés aux instituts de beauté sur les départements des Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, et le Sud du département des Landes ;

En date du 29 novembre 1991, un nouveau contrat de VRP monocarte à temps partiel est signé entre les parties ;

Il est précisé entre autres sur ce contrat :

"Le règlement des commissions sera effectué chaque fin de mois, ou au plus tard le 15 du mois suivant. Afin de vérifier ses comptes, la société lui fera parvenir les doubles de ses factures".

"En plus de sa rémunération, Mme Caille recevra une allocation forfaitaire de frais de route de 3.500 F par mois de travail effectif. Cette allocation sera au prorata des jours de travail, et ne pourra se cumuler avec les jours de congés".

"Mme Caille est autorisée à stocker, à livrer, à facturer et à encaisser pour le compte de la société".

"Les commissions de Mme Caille seront calculées sur le montant HT des ordres passés et payés. Tout ordre non formellement refusé dans un délai de 8 jours sera réputé accepté."

Par courrier en date du 15 novembre 1993, Mme Caille fait observer à Monsieur Monier :

"Après vérification de mes états de commissions, j'ai constaté beaucoup d'anomalies..."

Le 3 décembre 1993, la société Dispar répond à Mme Caille.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 décembre 1993, Mme Caille écrit à M. Monier :

" En conséquence, je considère que vos agissements ne me permettent pas d'effectuer mon travail dans des conditions normales et me contraignent à cesser mon activité dans votre entreprise.

Tous ces faits (retards dans les paiements, absence de justificatifs des ordres directs et indirects, refus de mettre à ma disposition de la marchandise, passage d'une autre personne dans mon secteur) constituent des fautes représentatives de la rupture de votre fait de mon contrat de travail " ;

Mme Caille saisit le conseil de prud'hommes de Pau et demande :

- 4.232,91 F pour rappel de commissions sur la période d'octobre 1990 à mars 1991,

- 3.265,50 F retenue sans explication au mois d'août 1991,

- 2.990 F sur la commande passée par Mme Vacquier en mars 1993,

- 7.556,42 F au titre de l'indemnité de maladie ;

Disant par ailleurs que la rupture du contrat est imputable à l'employeur et revêt de ce chef un caractère abusif :

- 19.807,04 F à titre d'indemnité de préavis,

- 5.942,11 F au titre des congés payés, sous réserve de ce qui a pu lui être versé à la fin des relations contractuelles,

- 5.000 F de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 158.456,28 F au titre de l'indemnité de clientèle.

Subsidiairement,

- 100.000 F de dommages et intérêts au titre de l'indemnité spéciale de rupture,

- 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Le Conseil :

Juge que la rupture du contrat est imputable à la SARL Dispar et revêt un caractère abusif ;

Il condamne la SARL Dispar à payer à Madame Andrée Caille les sommes suivantes :

- 4.232,91 F brut au titre de rappel de commissions sur la période d'octobre 1990 à mars 1991,

- 7.756,42 F brut au titre de l'indemnité maladie,

- 19.807,04 F brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 5.118,80 F brut au titre de l'indemnité de congés payés,

- 5.000 F net au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 38.293,57 F net au titre de l'indemnité spéciale de rupture,

Déboute Mme Caille du surplus de ses demandes, Condamne la SARL Dispar aux entiers dépens.

La société Dispar interjette un appel limité aux condamnations suivantes :

- 7.756,82 F brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 19.807,04 F brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 5.000 F net à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 38.293,57 F net au titre de l'indemnité spéciale de rupture.

Elle indique que le conseil ne pouvait allouer une indemnité spéciale de rupture dans la mesure où celle-ci est subordonnée à l'accord des parties.

Elle ajoute :

- qu'il résulte de la convention collective concernant les VRP que le complément maladie n'est dû par l'employeur que lorsque la suspension du contrat se prolonge au-delà de deux mois, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque l'absence pour maladie de Madame Caille n'a été que d'un mois et demi (du 12 octobre au 1er décembre 1991).

Elle demande la réformation de la décision et la condamnation de Mme Caille au paiement de 5.000 F sur l'article 700.

Madame Caille réplique :

* que la SARL Dispar a :

- prospecté elle-même des clientes du secteur dans lequel elle exerçait son activité, la privant ainsi de commissions,

- engagé sur son secteur Mademoiselle Ducastin,

- obligée à se rendre, contre son gré, à Fleurance pour y chercher les produits nécessaires alors qu'auparavant ils lui étaient livrés à son domicile, ce qui l'a obligée à un temps supplémentaire de travail et à une augmentation des dépenses de transport,

- refusé de mettre des marchandises à sa disposition, chez elle, "pour une meilleure gestion des stocks", alors qu'elle savait très bien que sans marchandises, elle n'avait plus rien à présenter à la clientèle ;

- réglé irrégulièrement les commissions dues.

Madame Caille demande à la Cour de :

- constater tout d'abord que la Dispar a réglé sans réserve la somme mise à sa charge au titre des congés payés, calculée en tenant compte du délai de préavis ;

En conséquence, dire et juger que ce règlement constitue un acquiescement au jugement qui a considéré que la rupture était imputable à la Dispar ;

Statuant de nouveau, débouter la Dispar de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la Dispar à lui payer pour :

* rappel de commissions : 5.455,50 F,

* préavis : 19.807,04 F,

* congés payés : 5.664,36 F,

* rupture abusive : 100.000,00 F,

* indemnité de clientèle : 79.228,14 F,

La condamner également à payer 7.756,42 F d'indemnité maladie, 12.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamner la Dispar aux dépens de première instance et d'appel ;

SUR QUOI,

Attendu que, la SARL Dispar indique dans son courrier du 3 décembre 1993 : "Il est même possible que vous n'ayez plus de marchandises d'ici la fin de l'année pour une meilleure gestion de nos stocks". Que cela est contraire au contrat de VRP monocarte du 29 novembre 1991, "Mme Caille est autorisée à stocker, à livrer, à facturer et à encaisser pour le compte de la Société" ;

Attendu que de plus, le contrat de VRP monocarte du 29 novembre 1991 prévoit : "Mme Caille est chargée de prospecter et vendre toute la gamme de produits et matériels destinés aux Instituts de beauté des départements 64, 65 et 40 (Sud Landes) ;

Attendu qu'un contrat d'adaptation démonstratrice animatrice vendeuse a été signé le 1er octobre 1993 entre la SARL Dispar et Mlle Ducastin Anne sur le grand Sud-Ouest avec effet, trois mois après la signature. Cependant une attestation au dossier du Salon d'esthétique Caty à Lannemezan confirme que Mlle Ducastin Anne "présentait les produits Béatrice Braun mais surtout proposait une démonstration d'appareils Epilscan" ;

Attendu que l'employeur qui envoie un autre représentant dans le secteur du VRP viole une clause essentielle du contrat et prend la responsabilité de la rupture;

Attendu qu'il y a lieu de requalifier le contrat de VRP monocarte à temps partiel en un contrat de VRP exclusif et juger que si l'initiative de la rupture est du fait de Mme Caille, l'imputabilité en incombe à la SARL Dispar ; ce qui en fait s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a un caractère abusif;

- Rappel de commissions sur période octobre 1990 à mars 1991 : 4.232,91 F :

Attendu qu'au vu du pointage des commissions effectué par Fiducial Expertise, il est dû à Madame Caille la somme de 4.232,91 F ;

Attendu qu'aucun élément du dossier ne vient justifier la demande de Madame Caille concernant une "retenue sans explication au mois d'août 1991" ;

Qu'il en est de même en ce qui concerne la "commande passée par Madame Vacquier en mars 1993" ;

- Au titre de l'indemnité maladie : 7.556.42 F :

Attendu que l'article 8 de la Convention Collective des VRP mentionne :

"Après deux ans d'ancienneté dans l'entreprise, le représentant de commerce dont le contrat est suspendu du fait de maladie ou d'accident, dûment constaté par certificat médical et contre-visite éventuelle et donnant lieu à prise en charge par la Sécurité Sociale, bénéficie, lorsque la suspension du contrat se prolonge au-delà de trente jours, d'une indemnité journalière complémentaire de celle servie par la Sécurité Sociale et prenant effet rétroactivement à partir du 11e jour de suspension ;

Cette indemnité est égale, par jour civil d'absence indemnisable, à un pourcentage, déterminé au paragraphe "3" ci-après, de la rémunération moyenne mensuelle de l'intéressé au cours des douze derniers mois d'activité (déduction faite des frais professionnels) ;

Cette indemnité est servie au taux et pendant une durée maximale appréciée en fonction de l'ancienneté acquise au premier jour d'absence conformément au barème suivant :

- de 2 à 5 ans d'ancienneté : 1/60 de la rémunération (visée au 2 du présent article) pendant 45 jours,

- de 5 à 10 ans d'ancienneté : 1/60 de la rémunération pendant 45 jours, 1/20 de la rémunération pendant 15 jours" ;

Attendu que Madame Caille remplissant les conditions prévues par la convention collective est en droit de prétendre à une indemnité maladie de 7.556,42 F ;

Attendu que Madame Caille est fondée à solliciter le paiement d'une indemnité de préavis correspondant à 3 mois de salaire, soit 19.807,04 F ;

Qu'il lui est également dû une somme de 5.118,80 F à titre de congés payés ;

Attendu qu'il incombe au représentant qui sollicite le paiement d'une indemnité de clientèle, d'établir qu'une part lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur, de la clientèle qu'il prétend avoir apportée, créée ou développée ;

Que Madame Caille n'apporte pas cette preuve et qu'elle sera déboutée de sa demande de ce chef ;

Attendu que Madame Caille remplit les conditions prévues par la convention collective des VRP du 3 octobre 1975, pour bénéficier d'une indemnité spéciale de rupture ;

Que vu son ancienneté Madame Caille a droit à une indemnité de 38.293,57 F ;

Attendu qu'il convient enfin d'allouer à Madame Caille une somme de 39.615 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

Qu'il paraît équitable d'allouer à Madame Caille une somme de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et en dernier ressort, En la forme : Reçoit les appels principal et incident, Au fond : Réforme pour partie le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 19 septembre 1994, Condamne la SARL Dispar à verser à Madame Andrée Caille : 4.232,92 F brut au titre de rappel de commissions sur la période d'octobre 1990 à mars 1991, 7.756,42 F brut au titre de l'indemnité maladie, 19.807,04 F brut au titre de l'indemnité de préavis, 5.118,80 F brut au titre de l'indemnité de congés payés, 39.615 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, 38.293,57 F à titre d'indemnité spéciale de rupture, 3.000,00 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne la SARL Dispar aux dépens.