Livv
Décisions

CA Besançon, ch. soc., 29 octobre 1996, n° 951410

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

New Charmes (SARL)

Défendeur :

Cesco Resia

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gauthier (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Deglise, Valtat

Avocats :

Mes Pagnon, Angel.

T. com. Bobigny, du 7 févr. 1991

7 février 1991

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

La SARL New Charmes est régulièrement appelante d'un jugement rendu en départition le 17 mars 1995 par le Conseil de Prud'hommes de Besançon qui, statuant sur la requête de Serge Cesco Resia :

- dit son licenciement fondé sur une faute réelle et sérieuse mais ne constituant pas une faute grave privative de toute indemnité de préavis et de clientèle,

- condamne la SARL New Charmes à payer à Serge Cesco Resia :

* 93.421,25 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois),

* 9.242,12 F à titre de congés payés sur préavis,

* 522.000 F à titre d'indemnité de clientèle

* 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonne à la SARL New Charmes de fournir sous astreinte une fiche de paie d'avril 1993 sur laquelle aucune mention ne sera portée,

- ordonne la réouverture des débats pour statuer sur l'indemnité réclamée à la suite de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 octobre 1991 rendu dans un litige opposant la SARL New Charmes à la société Oakley pour refus de vente.

Elle conclut à la réformation de cette décision en ce qu'elle a dit que Serge Cesco Resia n'avait pas commis de faute grave et au débouté de celui-ci de toutes ses prétentions.

La SARL New Charmes rappelle que Serge Cesco Resia a été victime du vol de son véhicule et de la quasi-totalité des collections qui s'y trouvaient dans la nuit du 16 au 17 mars 1993.

Elle lui reproche d'avoir laissé lesdites collections dans son véhicule en stationnement la nuit, sans gardiennage, au mépris des instructions qu'il avait reçues et des clauses de sa police d'assurance, faisant preuve ainsi d'une grave négligence.

Selon elle, il était facile pour l'intimé de trouver un garage gardé et il lui appartenait de ne pas laisser les collections dans sa voiture compte tenu notamment de la valeur de celles-ci évaluées à plus de 100.000 F.

Sur le rappel de commissions, elle fait valoir que l'intimé a travaillé pour la société Helvera et la SARL New Charmes respectivement du 1er novembre 1972 au 31 décembre 1977 et du 1er avril 1977 au 19 avril 1993 ; elle reprend les motivations des premiers juges en soulignant que Serge Cesco Resia discute les conditions de sa rémunération après plus de seize années d'activité alors qu'il n'avait jamais protesté auparavant.

Sur l'affaire Oakley, elle soutient que les conditions de son engagement ne se sont pas trouvées remplies dans la mesure où elle n'a pas obtenu l'indemnisation de son préjudice.

Sur les autres chefs de demandes, elle fait observer que le licenciement pour faute grave exclut leur bien-fondé, que l'intimé n'a pas créé de clientèle et n'établit pas la part qu'il aurait prise dans le développement de celle-ci.

Serge Cesco Resia conclut au débouté de la SARL New Charmes, à l'infirmation du jugement du 17 mars 1995, dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; il réclame paiement des sommes suivantes :

- 400.376,79 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis contractuelle,

- 40.037,68 F à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur cette somme,

- 1.812.173,93 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 2.000.000 F à titre de dommages-intérêts,

- 1.636.669,93 F à titre de rappel de commissions pour les années 1988 à 1993,

- 163.666,99 F à titre de congés payés sur ladite somme,

- 100.000 F à parfaire ou à diminuer en paiement de sa quote-part sur le préjudice Oakley,

- 4.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

et sollicite la délivrance d'un bulletin de paie au titre du mois d'avril 1993 sous astreinte définitive de 100 F par jour de retard, omettant le commentaire "licenciement au 19 avril 93".

Il affirme avoir été embauché par la SARL Helvera par contrat du 25 octobre 1972 et que, à compter du mois de mai 1977, ses salaires furent payés par la SARL New Charmes qui a repris son contrat de travail sans le moindre avenant et en abaissant son commissionnement de 15 % à 10 %.

Il soutient n'avoir commis ni faute grave ni négligence sérieuse.

Après rappel des principes applicables lors du licenciement il fait valoir :

- que la procédure de licenciement est irrégulière, aucun débat ne s'étant instauré lors de l'entretien préalable,

- qu'un délai d'un mois s'est écoulé entre le fait reproché et la notification du licenciement, de 15 jours entre ce même fait et la convocation à l'entretien préalable, sans qu'intervienne une mesure de mise à pied conservatoire : ces circonstances sont selon lui incompatibles avec l'existence d'une faute grave qui suppose impossible la continuation du contrat de travail,

- qu'aucune négligence ne peut lui être reprochée, la collection était assurée pour 75.400 F, seuls des échantillons ont été dérobés, un autre salarié, victime d'un vol en 1991, n'a pas été licencié, il avait pris toutes les précautions utiles, la serrure du coffre de sa voiture était bloquée si bien qu'il n'a pas pu en retirer les collections, cet élément de force majeure excluant sa responsabilité ; il n'existait pas de parking gardienné à Lyon au moment du vol.

- qu'il s'agit d'un fait isolé survenant après plus de vingt années d'ancienneté.

Il prétend que l'appelante s'est emparée de cet incident pour procéder à son licenciement sans frais alors que d'autres salariés, victimes de vols, n'ont pas été licenciés. Il souligne que son remplaçant a été embauché avec un taux de commissionnement de 8 %.

Il réclame 6 mois de commissionnement brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis contractuelle, chiffre l'indemnité de clientèle, au regard du préjudice subi, à trois années de commissionnement, souligne qu'il est toujours demandeur d'emploi alors qu'il a des engagements financiers importants, d'où sa demande fondée sur l'article L. 122-14-4 du Code du Travail.

Sur les rappels de commissions, il soutient qu'il n'a pas accepté la modification de son taux de commissionnement qui doit être déclarée nulle et de nul effet.

Sur l'indemnité Oakley, il s'appuie sur l'engagement de l'appelante en date du 22 mars 1990 et les notes qui ont suivi.

DISCUSSION :

La fiche de paie rectifiée a été remise en cours d'instance : tout contentieux de ce chef est donc vidé.

SUR LE LICENCIEMENT

Serge Cesco Resia ne démontre nullement l'existence d'une irrégularité entachant la procédure de licenciement, notamment la preuve de ce que l'employeur avait déjà arrêté définitivement sa décision à l'issue de l'entretien préalable n'est pas rapportée étant noté qu'il s'est accordé un délai de réflexion de six jours avant d'envoyer la lettre de licenciement.

La Cour fait sienne la motivation des premiers juges sur l'absence de mise à pied conservatoire et sur le délai écoulé entre les faits reprochés à Serge Cesco Resia et la sanction prise.

Les faits à l'origine du licenciement sont constants ; seule est discutée la qualification à leur donner.

En droit, la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations contractuelles d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée limitée du préavis.

En l'espèce, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, Serge Cesco Resia a stationné son véhicule Renault 21 Turbo, la nuit, sur la voie publique, alors qu'il contenait une collection d'une valeur supérieure à 100.000 F, malgré les consignes réitérées de son employeur et les clauses de son contrat d'assurance.

A supposer réel le blocage de l'ouverture du coffre de son véhicule, l'intimé ne conteste pas qu'il eut été facile de rabattre le siège arrière pour accéder à la collection et l'extraire du coffre ou de faire appel à un service de dépannage pour ouvrir celui-ci. En outre, le risque de vol n'a pu lui échapper, les faits s'étant déroulés dans une grande ville, Lyon, particulièrement touchée par les actes de délinquance.

Partant de ces considérations, et contrairement aux conclusions auxquelles aboutissent les premiers juges, Serge Cesco Resia a commis une négligence consciente dont la gravité, eu égard aux obligations que lui imposait l'article 6 de la convention collective nationale des VRP, est telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, qui a souffert d'un préjudice important, même pendant la durée du préavis.

L'infirmation du jugement critiqué est dès lors justifiée en ce qu'il retient seulement une faute non suffisamment grave pour entraîner la privation de tout préavis.

Le bien fondé du licenciement pour faute grave exclut celui des demandes de l'intimé formulées au titre des indemnités compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, de clientèle et à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive.

SUR LE RAPPEL DE COMMISSIONS :

Les premiers juges, par des motifs pertinents que la Cour adopte, ont procédé à une exacte analyse des éléments de la cause et justement débouté Serge Cesco Resia de cette prétention.

SUR L'AFFAIRE OAKLEY :

Après avoir informé l'intimé de ce qu'elle engagerait une action "pour obtenir d'Oakley un dédommagement, notamment à son profit, dans la mesure où Oakley déciderait de rompre ses relations avec New Charmes", cette dernière a saisi le Tribunal de commerce d'une demande d'indemnisation en réparation de son préjudice causé par un refus de vente, une tentative de débauchage de salariés, des dénigrements auprès de sa clientèle et une rupture abusive et injustifiée du contrat de concession.

Par arrêt en date du 30 octobre 1991, la Cour d'appel de Paris condamne la société de droit californien Oakley Inc. à payer à la SARL New Charmes la somme de 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant du refus de vente et de la brusque rupture des relations commerciales.

Ainsi, contrairement à la thèse soutenue par l'appelante, elle a bien obtenu l'indemnisation de son préjudice consécutif à la rupture des relations Oakley SARL New Charmes et doit dédommager à son tour Serge Cesco Resia, son engagement à ce titre n'étant pas sérieusement discutable. Sur le principe de l'indemnisation du préjudice de l'appelant, la décision critiquée doit donc être confirmée.

La Cour estimant de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, il convient d'évoquer le point relatif au montant de ladite indemnisation.

Serge Cesco Resia évalue arbitrairement son préjudice à 100.000 F mais ne fournit aucun élément susceptible d'en faciliter le chiffrage précis ; il ne communique ainsi aucune donnée sur le chiffre d'affaires qu'il réalisait sur les produits "Oakley".

Il ne peut dès lors être fait droit à l'intégralité de ses prétentions ; une somme forfaitaire de 10.000 F lui sera allouée.

La succombance pour la plus grande part de Serge Cesco Resia justifie sa condamnation aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR : statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel de recevable en la forme, la SARL New Charmes, le dit bien fondé, Infirme le jugement critiqué, Statuant à nouveau, Dit que le licenciement de Serge Cesco Resia est fondé sur une faute grave, Deboute Serge Cesco Resia de ses demandes d'indemnités diverses, Constate que la fiche de paie réclamée par Serge Cesco Resia lui a été remise en cours d'instance, Evoquant, sur le préjudice résultant de l'affaire Oakley - SARL New Charmes ; Condamne la SARL New Charmes à verser à Serge Cesco Resia une somme de dix mille francs (10.000 F) à titre de dommages-intérêts. Condamne Serge Cesco Resia aux dépens.