CA Nancy, ch. soc., 20 mars 2000, n° 99-00771
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sonnefrand
Défendeur :
Pahvo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Eichler
Conseillers :
Mme Conte, M. Schamber
Avocats :
Mes Rattaire, Leuvrey.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Philippe Sonnefrand, né en novembre 1945, a été engagé, le 1er février 1979, en qualité de VRP par la société Ulosi aux droits de laquelle vient, en application de l'article L. 122-12 du Code du Travail, la SARL Pahvo qui occupe moins de onze salariés et qui appartient au groupe Girompaire.
Suivant convention du 8 juillet 1988, Monsieur Sonnefrand a cédé à la SARL Pahvo une partie de sa clientèle au prix de 157 604 F.
Le 22 décembre 1989 les parties convenaient d'une modification du contrat de travail en stipulant les clauses suivantes :
" 1°) Monsieur Philippe Sonnefrand remplira les fonctions de Directeur Commercial et à ce titre il bénéficiera de rémunération mensuelle brute de : 36.370 F qui sera revalorisée en fonction du point 100 de la Convention Collective de l'Imprimerie.
La prime conventionnelle semestrielle habituellement versée en fin de chaque semestre sera versée mensuellement, soit : 36370/12 = 3.030 F par mois. "
" 5°) Monsieur Philippe Sonnefrand autorise la société Pahvo à faire visiter sa clientèle actuelle par d'autres représentants et attachés commerciaux de la société ou par lui-même sans que les ventes effectuées donnent lieu à versement de commission.
Cette clientèle restera propriété de Monsieur Philippe Sonnefrand, la valeur de cette clientèle sera calculée d'après le montant des commissions reçues par Monsieur Philippe Sonnefrand au cours des deux derniers exercices diminuée des frais professionnels (30 %). "
Le 1er janvier 1991, Monsieur Sonnefrand cédait le solde de sa clientèle à la société Pahvo moyennant le prix de 558 000 F.
L'intéressé percevait en dernier lieu un salaire brut mensuel de 49 023 F.
Par lettres datées des 15 octobre et 15 décembre 1997, la société Pahvo proposait à Monsieur Sonnefrand, qui refusait successivement, une modification substantielle de son contrat de travail par voie de réduction de rémunération et concession de fonctions à la fois d'attaché commercial ainsi que d'agent commercial, le tout assorti d'une clause de non-concurrence.
Après avoir été convoqué dans les formes de droit à un entretien préalable, Monsieur Sonnefrand a reçu par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mars 1998 notification de son licenciement pour cause économique avec le motif ainsi libellé :
" Très mauvais résultats enregistrés depuis le début de l'exercice 97 (- 486 982 F au 31 octobre 1997) provenant :
* d'une diminution du chiffre d'affaires ;
* d'une baisse de la marge ;
* et d'une augmentation des frais. "
Contestant la légitimité de la rupture, Monsieur Sonnefrand a introduit une demande tendant à obtenir paiement des sommes suivantes :
- Solde de l'indemnité de licenciement prévue par la Convention Collective de l'Imprimerie : 384 948,91 F ;
- Dommages et intérêts pour licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse 600 000 F ;
- Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 1 500 F.
La société Pahvo s'est opposée à la demande.
DECISION FRAPPEE D'APPEL
Jugement du Conseil de Prud'Hommes de Remiremont en date du 21 janvier 1999 qui a accueilli les prétentions de Monsieur Sonnefrand dans les limites suivantes, le déboutant pour le surplus :
- Complément d'indemnité de licenciement : 384 948,91 F ;
- Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile : 3 000 F.
Monsieur Sonnefrand qui a interjeté appel de ce jugement le 9 février 1999, forme les mêmes demandes qu'en première instance sauf à élever à 15 000 F celle au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ayant également relevé appel principal le 2 février 1999, la société Pahvo a conclu au rejet de toutes les prétentions de Monsieur Sonnefrand.
MOYENS DES PARTIES
Soutenant oralement leurs conclusions déposées respectivement le 29 décembre 1999 et 21 février 2000 auxquelles la Cour se réfère expressément, les parties ont fait valoir :
- pour Monsieur Sonnefrand qu'il avait été licencié de manière abusive, sans remise d'une lettre dûment motivée, sans recherche de reclassement, sans respect de l'ordre des licenciements et que par l'effet de l'article L. 122-12 du Code du Travail il était bénéficiaire depuis le début de la relation contractuelle de la Convention Collective de l'Imprimerie ;
- pour la société Pahvo, que ses difficultés économiques justifiaient le licenciement de Monsieur Sonnefrand qui avait refusé son reclassement et qui ne pouvait prétendre cumuler une indemnité de clientèle avec une indemnité de licenciement.
MOTIFS
SUR L'INDEMNITE DE LICENCIEMENT
Attendu que d'évidence, par l'effet de l'article L. 122-12 du Code du Travail, la relation contractuelle s'est exécutée sans interruption depuis le 1er février 1979, pas plus une démission qu'un licenciement n'en ayant provoqué la rupture ;
Que la société Pahvo tente vainement de soutenir que l'avenant contractuel du 22 décembre 1989 qui a seulement modifié les conditions d'exécution du contrat de travail initial aurait emporté novation, voire rupture de celui-ci ;
Qu'il échet à cet égard de rappeler que par le seul effet de l'article L. 122-12 du Code du Travail d'ordre public, qui s'impose à l'employeur comme au salarié sans qu'il puisse y être dérogé par voie contractuelle, le contrat de travail de Monsieur Sonnefrand a été transféré à la société Pahvo avec conservation de plein droit pour celui-ci d'une ancienneté remontant au 1er février 1979 ;
Qu'il importe dès lors peu que l'avenant du 22 décembre 1989 soit muet sur les conditions d'ancienneté ;
Qu'à compter de cette date les parties ont convenu de soumettre leur relation contractuelle à la Convention Collective de l'Imprimerie et ceci sans la moindre restriction ou réserve ;
Qu'en conséquence, en application du principe général de droit du Travail dit "de faveur" qui impose d'interpréter cette stipulation contractuelle dans le sens le plus favorable au salarié, il convient de constater que la société Pahvo a bien entendu concéder à Monsieur Sonnefrand le bénéfice de la Convention Collective de l'Imprimerie depuis le 1er février 1979, date de son embauche ;
Attendu que le moyen tiré du non-cumul de l'indemnité de clientèle et de l'indemnité de licenciement dont argue la société Pahvo pour tenter de réduire son obligation de payer l'indemnité prévue par l'article 509 de la Convention Collective de l'Imprimerie calculée sur une durée totale d'exercice par l'intéressé d'une fonction de cadre à compter du 1er février 1979, s'avère en l'espèce inopérant;
Qu'en effet en exécution des conventions des 8 juillet 1988 et 1er février 1991 Monsieur Sonnefrand n'a perçu que le prix de cession d'une partie, puis de la totalité, de ses droits de propriété sur sa clientèle dont la nature juridique ne se confond pas avec l'indemnité prévue par l'article L. 751-9 du Code du Travail qui a pour vocation d'indemniser le VRP, exclusivement à l'occasion de la résiliation du contrat de travail par le fait de l'employeur, de la perte pour l'avenir de l'exploitation de la clientèle créée, apportée ou développée par celui-là;
Attendu que Monsieur Sonnefrand est fondé en sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement dont le montant, calculé conformément aux prescriptions de l'article 509 précité, n'est pas subsidiairement discuté ;
Que la confirmation du jugement entrepris s'impose sur ce point.
SUR LE LICENCIEMENT
Attendu qu'en se bornant à énoncer dans la lettre de licenciement des prétendues difficultés économiques avec imprécision sans spécifier quelle était leur incidence sur l'exécution du contrat de travail de Monsieur Sonnefrand, suppression ou transformation de son poste, la société Pahvo n'a pas satisfait à l'obligation légale de motivation découlant des articles L. 122-14-2 et L. 321-1 du Code du Travail ;
Que cette insuffisance de motifs, qui équivaut à une absence de motifs, suffit à priver le licenciement litigieux de toute légitimité ;
Attendu qu'au surplus et à titre surabondant, il échet de constater que les éléments épars de comptabilité produits aux débats s'avèrent insuffisants pour établir que la compétitivité et la pérennité de l'entreprise auraient été compromises alors que Monsieur Sonnefrand n'est pas sérieusement contredit lorsqu'il observe que les difficultés de trésorerie de la société ont été opportunément créées par le moyen d'une provision correspondant au montant de son indemnité de licenciement ainsi que par l'abandon de créances au profit de la Holding du groupe et par des mouvements de comptes courants d'actionnaires ;
Que la société Pahvo qui, après avoir eu recours successivement le 15 octobre 1997 et 15 décembre 1997 à la procédure prévue par l'article L. 321-1-2 du Code du Travail et aménagée par l'article 507 de la Convention Collective, n'était pas dispensée de tenter avant la notification de la rupture de procéder au reclassement de son salarié, notamment au niveau du groupe, s'abstient d'exciper du moindre élément prouvant qu'elle aurait satisfait à cette obligation ;
Qu'il appert de plus fort de cette analyse que le licenciement était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse économique ;
Attendu que Monsieur Sonnefrand observe enfin avec pertinence que la société Pahvo ne prouve en aucune façon qu'elle aurait défini des critères et qu'elle les aurait objectivement appliqués à tous les salariés de l'entreprise ressortissant de la même catégorie professionnelle que lui ;
Attendu que Monsieur Sonnefrand, principalement du fait de son licenciement illégitime, et subsidiairement du fait de la violation des règles afférentes à l'ordre des licenciements, a subi la perte injustifiée de son emploi ;
Qu'eu égard à son âge, à son ancienneté et à sa situation toujours actuelle de demandeur d'emploi, ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 600 000 F ;
Attendu que l'équité commande d'ajouter à l'indemnité accordée par les premiers juges en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile le somme de 7000 F.
Par ces motifs : Et adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté Monsieur Sonnefrand de sa demande d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse économique ; Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant, Condamne la SARL Pahvo à payer à Monsieur Philippe Sonnefrand les sommes suivantes : Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement pour violation des règles afférentes à l'ordre des licenciements : 600 000 F ; Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en appel : 7 000 F ; Condamne la SARL Pahvo aux dépens de première instance et d'appel.