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Décisions

CA Douai, ch. soc., 30 septembre 1992, n° 3407-91

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Petit

Défendeur :

Caquant (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tredez

Conseillers :

MM. Morel, Demerens

Avocats :

Mes Caille, Vandermaesen.

Cons. prud'h. Tourcoing, du 8 avr. 1991

8 avril 1991

Attendu que par jugement rendu le 8 avril 1991, le conseil de prud'hommes de Tourcoing a :

- pris acte de l'offre de la société Caquant de payer à Jacques Petit l'indemnité de départ à la retraite équivalente à deux mois et demi de salaire ;

- dit qu'en cas de désaccord entre les parties sur le montant de celle-ci, il y aurait lieu de ressaisir le conseil ;

- débouté Jacques Petit du surplus de ses demandes ;

Attendu que le salarié a interjeté appel de cette décision le 2 mai 1991 et demande à la Cour :

- de condamner la société Caquant à lui payer :

* à titre de commissions : 70.000 F ;

* à titre de préavis : 50.000 F ;

* à titre de congés payés sur ces chefs de demande (4.900 + 5.000 F) : 9.900 F ;

Subsidiairement

et seulement au cas où il serait jugé qu'il a été mis à la retraite le 30 septembre 1989, à une indemnité de mise en retraite de 50.000 F ;

* à titre de retour sur échantillonnages : 60.000 F ;

* à titre d'indemnité de clientèle : 300.000 F ;

* à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 90.000 F ;

* à titre de commissions sur les ordres en cours : 18.919 F ;

* à titre de congés payés sur ce chef de demande (4.200 +1.324) : 5.525 F ;

* au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile : 4.000 F ;

Qu'il fait valoir au soutien de son appel qu'il n'est nullement parti volontairement en retraite le 30 septembre 1984, que c'est l'employeur qui ne lui a pas permis de continuer sa prospection, qui a rompu unilatéralement le contrat de travail, que la date de résiliation doit être fixée au 31 décembre 1989, qu'il a droit au préavis, au retour sur échantillonnage, à une indemnité de clientèle, que cette mise à la retraite sans aucun motif constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que l'employeur a conclu à la confirmation du jugement déféré et demande de lui donner acte de ce qu'il offre de payer la somme de 14.208 F à tire de commission sur les ordres en cours et 1.421 F au titre des congés payés ;

Qu'il soutient que le salarié a cessé volontairement de travailler le 30 septembre 1989 et a perçu sa retraite à compter du 1er octobre 1989, qu'il n'apporte pas la preuve de ce que l'employeur lui a imposé de partir en retraite, qu'aucune négociation n'avait été engagée avant le 30 septembre, qu'il n'a pas droit au préavis, ni à l'indemnité de clientèle, mais seulement à l'indemnité de départ en retraite, prévue par la convention collective ;

Attendu que Jacques Petit a été embauché selon contrat du 21 janvier 1975 non signé par les parties en qualité de représentant par la société d'exploitation des établissements Caquant ;

Que le 30 septembre 1989 le salarié cessait ses fonctions et percevait à compter du 1er octobre 1989 une pension de retraite calculée sur 158 trimestres de cotisations, l'intéressé ayant eu 60 ans au 26 juillet 1989 ;

Que le 5 octobre, il adressait à son employeur une lettre aux termes de laquelle il indiquait :

" vous avez exprimé le souhait qu'ayant atteint mes 60 ans je cesse ma représentation pour votre compte. Rien de définitif n'a été fixé sur les modalités de mon départ. Dans ces conditions, je vous indique que je me tiens entièrement à votre disposition pour agir dans le sens que vous souhaitez " ;

Qu'aucune réponse n'était faite par l'employeur mais par la suite le conseil du salarié adressait le 29 novembre un projet de transaction suite à un entretien téléphonique, projet non versé aux débats ;

Que le 7 décembre, l'employeur faisait savoir que le départ du salarié était le fait du simple souhait de départ volontaire en retraite de l'intéressé et non selon le désir manifesté par la société Caquant et que par conséquent le salarié ne pouvait prétendre qu'à l'indemnité prévue par la convention collective des VRP soit 2,5 mois de salaire compte tenu de son ancienneté ;

Que divers courriers étaient encore échangés entre les parties le 22 décembre 89 et le 8 janvier 1990 ;

Que le salarié confirmait notamment le 22 décembre sa lettre précédente du 5 octobre et indiquait que si l'employeur avait pris la décision de mettre fin au contrat de travail, il lui appartenant de la lui notifier ;

Attendu que c'est dans ces conditions que le salarié saisissait le conseil de prud'hommes le 10 avril 1990 ;

SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Attendu qu'il résulte des dispositions des articles L. 122-14-12 et L. 122-14-13 du code du travail que la mise à la retraite comme le départ volontaire en retraite constitue un mode spécifique de cessation du contrat de travail distinct du licenciement et de la démission ;

Que la mise à la retraite est une décision prise par l'employeur unilatéralement dès lors que les conditions fixées par l'article L. 122-14-13 du code du travail sont remplies à savoir le bénéfice d'une pension de vieillesse à taux plein et les conditions d'ouverture à la pension de vieillesse ou les conditions d'âge ;

Que le départ volontaire en retraite résulte de la volonté exprimée par le salarié sans qu'il puisse être considéré comme démissionnaire ;

Que dans les deux cas, le salarié a droit à une indemnité de départ en retraite prévue par la loi du 30 juillet 1987 sauf dispositions conventionnelles plus favorables ;

Qu'il appartient à l'employeur qui se prévaut du départ volontaire du salarié de démontrer que celui-ci a bien pris l'initiative de la rupture sauf à lui démontrer que sa volonté exprimée ne correspond pas à la réalité et qu'il s'agit d'un licenciement déguisé ou que son employeur lui a imposé de partir en retraite ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte des diverses attestations versées aux débats, non contredites par les pièces adverses et dont l'objectivité de signatures ne peut être sérieusement mise en doute pour le seul fait qu'il s'agit de proches du dirigeant, que Jacques Petit n'a jamais caché à ses collègues de travail qu'il n'envisageait pas de travailler au delà de ses 60 ans, qu'il faisait le compte à rebours des jours qui lui restaient "à tirer" dans la société (attestation de Patricia Dettaene, Roland Brenbrouck, Arthur Toussaint) ;

Qu'il est établi en outre que dès le 1er février 1989 Jean-Marc Vanrullen a été embauché pour remplacer M. Petit et qu'il a tourné en clientèle avec lui de mars à juillet pour parfaire sa connaissance de la clientèle ;

Qu'il n'est pas contesté que le salarié a annulé tous ses congés payés afin d'épuiser ses droits avant son départ, qu'il a aussi travaillé jusque fin juillet puis a pris six semaines de congés payés au titre de l'année 1988-89, puis onze jours au titre de l'année 1989-90 pour reprendre le travail le 27 septembre juste avant son départ ;

Attendu que son intention de partir en retraite le 30 septembre est confortée par la liquidation de ses droits à retraite à compter du 1er août 1989 par la CPAM du Nord Picardie, et du 1er octobre 1989 pour les autres caisses de retraite spécifiques aux VRP à savoir la CIRRIC et la CAVCIC ;

Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont dit que le salarié était bien parti volontairement en retraite le 30 septembre 1989, le fait qu'il ait été vu en clientèle encore quelque temps pour terminer des affaires en cours étant inopérant alors qu'il n'est pas contesté que l'intéressé s'était occupé personnellement de son dossier de retraite au cours du mois de septembre 1989 (attestation de Michèle Holvoet) ;

Attendu que le salarié est mal fondé dans sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

SUR LE PREAVIS

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 122-14-13 du code du travail, l'employeur ou le salarié, selon que l'initiative du départ à la retraite émane de l'un ou de l'autre est tenu de se conformer aux dispositions de l'article L. 122-3 du dit code relatives au préavis ;

Que le salarié quittant volontairement l'entreprise pour partir en retraite doit donc respecter le délai de préavis ; que Jacques Petit n'établit nullement que l'employeur s'est opposé à ce qu'il exécute son travail jusqu'au terme du préavis ; qu'au contraire, la perception de sa pension à compter du 1er octobre établit sans équivoque qu'il n'avait plus l'intention de travailler à cette date ;

Qu'il est donc mal venu de réclamer une indemnité compensatrice de préavis ;

Que sur ce point la cour considère qu'il est inopérant que son conseil ait fait savoir par note en délibéré au conseil de prud'hommes le 7 mars 1991 que le salarié ne pouvant cumuler un salaire ou un préavis et une retraite, envisageait de rembourser aux organismes de retraite la pension perçue au cours du quatrième trimestre 1989 et du premier trimestre 1990, la cour devant apprécier la situation au 30 septembre 1989 et l'intention du salarié à cette date ;

Qu'il convient donc de rejeter la demande d'indemnité de préavis et de congés payés y afférents ;

SUR LES COMMISSIONS

Que le salarié ne peut pas davantage prétendre à des commissions pour la période du 30 septembre au 31 décembre 1989, date à laquelle il voudrait bien voir fixer la rupture du contrat de travail alors qu'il est établi qu'il n'a plus fourni de travail à compter du 1er octobre ;

Qu'il convient de rejeter sa demande de commission d'un montant de 70.000 F outre les congés payés ;

SUR LES RETENUES SUR ECHANTILLONNAGES

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 751-8 du code du travail, le VRP a droit aux commissions sur les ordres non encore transmis à la date de son départ et qui sont la suite directe des échantillonnages et des prix, faits antérieurs à l'expiration du contrat ;

Que Jacques Petit réclame à ce titre une somme de 60.000 F au vu d'états informatiques selon lesquels " il y avait dans son secteur 111 clients qui ont dû normalement passer commande dans les trois mois suivant son départ susceptibles d'avoir généré un chiffre d'affaires de 2.000.000 F ouvrant droit à une indemnité de retour sur échantillonnages de 60.000 F " selon les termes de ses écritures ;

Attendu que si le représentant a droit aux commissions sur les commandes transmises après son départ, il lui appartient cependant d'établir la réalité de sa prospection auprès des clients qui ont transmis postérieurement à la rupture du contrat de travail les commandes consécutives à ses démarches;

Qu'en l'espèce force est de constater que le salarié n'établit nullement avoir prospecté les derniers temps, alors qu'il n'est pas contesté qu'il a cumulé tous ses congés payés à la fin du contrat de travail, les seules attestations de la communauté urbaine de Lille et de Michel Menez étant insuffisantes à cet égard;

SUR LES COMMISSIONS SUR LES ORDRES EN COURS

Attendu que l'employeur offre de régler la somme de 14.208 F outre les congés payés 1.421 F ;

Que le salarié établit cependant par un relevé manuscrit non sérieusement contesté avoir droit à des commissions pour un montant de 18.919 F outre les congés payés 1.324 F ;

Qu'il convient de faire droit à ses demandes ;

SUR L'INDEMNITE DE MISE A LA RETRAITE OU L'INDEMNITE DE CLIENTELE

Attendu que Jacques Petit réclame une indemnité de clientèle évaluée à 300.000 F et subsidiairement une indemnité de mise à la retraite de 50.000 F ;

Attendu que l'employeur a offert et payé une indemnité de départ en retraite prévue par la convention collective des VRP égale à deux mois et demi de salaire soit en l'espèce une somme de 34.619,93 F ;

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 122-14-13 du code du travail résultant de la loi du 30 juillet 1987, tout salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse a droit, sous réserve des dispositions plus favorables d'une convention ou d'un accord collectif de travail à l'indemnité de départ en retraite prévue à l'article 6 de l'accord annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978 relatives à la mensualisation et à la procédure conventionnelle ;

Qu'en application de ce texte l'indemnité de départ en retraite est fixée à un mois de salaire après quinze ans d'ancienneté en cas de départ volontaire ;

Attendu cependant que ces dispositions sont à comparer à celles prévues par l'article L. 751-9 du code du travail et par la convention collective nationale des VRP ;

Qu'en application de ces textes et en particulier de l'article 3 de l'accord national interprofessionnel du 29 mai 1978 concernant l'indemnité de retraite des VRP complété par l'avenant n° 2 du 12 janvier 1982, lorsque le représentant âgé d'au moins de 60 ans fait valoir ses droits à la garantie des ressources instituée par l'accord du 13 juin 1977, il peut prétendre au versement d'une indemnité de départ en retraite fixée à 2,5 mois après quinze ans d'ancienneté calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des douze derniers mois déduction faite des frais professionnels ;

Que cette indemnité étant plus favorable, c'est à juste titre que l'employeur a alloué au salarié une indemnité égale à 34.619,93 F par application des dispositions de l'article L. 122-14-13 alinéa 1 du code du travail ;

Qu'en effet ne s'agissant pas d'une mise à la retraite mais d'un départ volontaire en retraite, le salarié ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité de clientèle non prévue par les dispositions de l'article L. 751-9 du code du travail aux termes desquelles l'indemnité de clientèle n'est due qu'en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur, relevant par ailleurs que ces dispositions n'ont pas été abrogées par la loi du 30 juillet 1987 qui laisse intactes celles plus favorables au salarié prévues par une convention ou un accord collectif de travail ou un contrat de travail ;

SUR LA DEMANDE AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Attendu que le salarié succombant en son recours, il n'y a pas lieu de lui allouer une indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Donne acte à la société d'exploitation des établissements Caquant du paiement de l'indemnité de départ en retraite fixée à 34.619,93 F (trente quatre mille six cent dix neuf francs et quatre vingt treize centimes) ; Condamne la société d'exploitation des établissements Caquant à payer à Jacques Petit la somme de 18.919 F (dix huit mille neuf cent dix neuf francs) et 1.324 F (mille trois cent vingt quatre francs) pour les commissions sur les ordres en cours ; Déboute le salarié du surplus de ses demandes ; Partage les dépens par moitié entre les parties.