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Décisions

CA Aix-en-Provence, 17e ch. soc., 11 janvier 2000, n° 97-03015

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Riche

Défendeur :

Henri Maire (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zavaro

Conseillers :

MM. Grand, Bourgeois

Avocats :

Mes Grolée, Moreuil.

Cons. prud'h. Grasse, sect. encadr., du …

22 janvier 1997

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat du 10 mars 1977 modifié par avenant du 29 septembre 1978, M. Riche a été engagé par la société Tradition du Grand Vin, filiale de la SA Henri Maire, en qualité de VRP pour les vins et spiritueux.

Par lettre du 15 décembre 1993, il a déclaré démissionner de ses fonctions.

Imputant la rupture du contrat à l'employeur, il a saisi le 3 mars 1994 de demandes de rappels de salaire et d'indemnités de rupture le Conseil des Prud'hommes de Grasse qui, par jugement du 22 janvier 1997, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a reconventionnellement condamné à payer à la société Henri Maire la somme de 124.802 F en application de la clause pénale contractuelle pour violation de son obligation de non-concurrence.

M. Riche a régulièrement relevé appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation.

Il soutient en premier lieu que la rupture du contrat de travail est imputable à la société Henri Maire qui lui a fait, par l'entremise d'autres VRP une concurrence déloyale sur le secteur qu'elle lui avait personnellement confié. Il verse aux débats de nombreuses attestations, correspondances et fiches de commandes pour étayer ses dires.

Il insiste sur l'importance du préjudice qu'il a subi, soulignant que, pendant le préavis que lui a imposé la société Henri Maire, il a été confronté à une campagne de dénigrement systématique orchestrée par celle-ci.

Il ajoute qu'à compter du mois de novembre 1993, la société Henri Maire ne lui a plus versé ses salaires sur des ordres antérieurement pris.

Il prétend enfin, en l'absence de toute faute grave de sa part, à une indemnité de clientèle.

Il fait plaider en second lieu qu'est inapplicable la clause de non-concurrence insérée dans le contrat conclu avec la société Tradition du Grand Vin car la société Henri Maire y a renoncé dans le nouveau contrat du 23 septembre 1985 et, de surcroît, elle n'a pas respecté le délai de 15 jours fixé pour s'en prévaloir.

Il se prévaut en outre du fait qu'elle ne lui a jamais versé la contrepartie pécuniaire prévue à l'article 17 de la Convention Collective des VRP.

Il soulève par ailleurs la nullité de ladite clause.

Il affirme en toute hypothèse ne pas l'avoir violée, l'interdiction devant être limitée à ses anciens clients demeurant dans le secteur n° 448 non démarchés par d'autres représentants.

Il allègue en troisième lieu que la clause pénale insérée dans un avenant du 10 janvier 1990 et sanctionnant la violation de son obligation de fidélité est nulle car elle contrevient aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-42 du Code du Travail prohibant les sanctions pécuniaires.

Il sollicite en conséquence de voir commettre expert pour évaluer son préjudice résultant de la concurrence déloyale de l'employeur et demande à la Cour de condamner la société Henri Maire à lui payer les sommes de :

- 100.000 F à titre d'indemnité provisionnelle de ce chef,

- 72.527,40 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 58.654,15 F à titre de rappel de salaire et au titre de la participation,

- 400.000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du Travail,

- 560.000 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 232.963,68 F à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, avec intérêts légaux à compter de la demande du 3 mars 1994,

- 50.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral découlant de la volonté d'appliquer la clause pénale au mépris des dispositions de l'article L. 122-42 du Code du Travail,

- 25.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La société Henri Maire souligne que M. Riche a été engagé par la société Louis Max le 20 août 1995, soit le lendemain de la fin de son préavis ;

Que, s'il lui était loisible de démissionner, il a, en revanche, commis un abus en dénigrant son employeur pendant l'exécution de son préavis par une lettre circulaire adressée aux clients qu'il visitait jusqu'alors pour son compte ;

Que la rupture lui est imputable, le secteur n° 448 et les manifestations commerciales ne lui ayant en aucun cas été confiés à titre exclusif ;

Que M. Riche n'a eu aucune activité pendant le préavis, n'ayant passé que trois commandes dont deux ont été annulées par la suite ;

Qu'il a violé, après la rupture, son obligation de non-concurrence prévue dans le contrat du 10 mars 1977 ;

Qu'à supposer même que soit applicable le contrat, non signé par l'employeur, du 23 septembre 1985, elle a respecté la procédure prévue en demandant, dès le 24 décembre 1993, l'application du contrat de travail dans son intégralité ;

Que, dans tous les cas, la clause, limitée dans l'espace et le temps, non potestative et conforme à la Convention Collective des VRP, est licite ;

Qu'elle conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de la clause de non-concurrence et à la condamnation de M. Riche à lui payer les sommes de 100.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Qu'à titre subsidiaire, elle sollicite une expertise pour établir l'étendue de la violation par le salarié de son obligation de fidélité et qu'elle demande à la Cour de faire injonction à M. Riche de communiquer les commandes passées pour le compte de la société Louis Max pour la période d'interdiction de concurrence et ce sous astreinte définitive de 500 F par jour pour le délai d'un mois ;

MOTIFS

1) SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Attendu qu'il est constant que M. Riche a présenté sa démission le 15 décembre 1993 en déplorant la déloyauté de l'employeur qui a fait "visiter un grand nombre de (ses) clients par de jeunes VRP à domicile" ;

Que la réalité de ces visites est établie par plusieurs attestations, étant toutefois observé que MM. Cohen et Pignard ont affirmé avoir agi avec l'accord de M. Riche ;

Qu'il ressort cependant de l'examen du contrat de travail conclu le 10 mars 1977 entre M. Riche et la société Tradition du Grand Vin (transféré "avec des conditions de travail inchangées" le 23 septembre 1985 à la société Henri Maire) que le secteur n° 448, non plus que les manifestations commerciales, n'ont pas été confiées à titre exclusif à M. Riche ;

Qu'aux termes de l'article III du contrat de travail, l'exclusivité concerne seulement les clients pour lesquels le représentant a enregistré une commande et cela pendant deux ans à compter de leur dernière commande ;

Qu'il s'ensuit, contrairement à ce que soutient M. Riche, qu'un démarchage du secteur n° 448 par d'autres représentants de la société n'est pas constitutif d'une violation des dispositions contractuelles en dehors des cas (non démontrés) d'exclusivité résultant de la passation récente d'une commande ;

Attendu, par ailleurs, que M. Riche ne peut sérieusement soutenir que la société Henri Maire avait développé depuis deux ans "une nouvelle politique commerciale visant à attaquer tous ses clients" alors que, ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, d'une part ses revenus ont augmenté en 1991 et, d'autre part "il a déménagé dans les Alpes-Maritimes en 1992, ce qui lui a pratiquement interdit de visiter sa clientèle à compter de cette période", en tout cas de façon régulière ;

Attendu, en particulier, que M. Riche est bien mal placé pour dénoncer les annulations de commandes de MM. Montaigne, de Foly et de Mme Roussel en y voyant la main de la société Henri Maire alors que les trois personnes susvisées ont ensuite passé des commandes auprès de la société Louis Max qui a engagé l'appelant ;

Attendu, en conséquence, que la rupture du contrat de travail incombe à M. Riche dont l'argumentation est infondée tant en droit qu'en fait, sa démission n'ayant pas été provoquée par la société Henri Maire ;

Qu'il s'ensuit que M. Riche doit être débouté de ses demandes de dommages-intérêts et d'indemnité de clientèle ;

Que sa demande d'expertise est sans objet, de même que sa demande d'indemnité provisionnelle ;

Qu'enfin, soit du fait de l'absence de prestation de travail au service de la société Henri Maire, soit en vertu de la prescription édictée par l'article L. 143-14 du Code du Travail, les demandes de rappels de préavis et de salaire sont infondées ;

2) SUR LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE

Attendu que la clause de non-concurrence insérée à l'article 10 du contrat du 17 mars 1977, dont la société Henri Maire revendique l'application, prévoit que : "en cas de rupture du contrat pour faute grave ou en cas de démission du représentant, ce dernier s'interdit pendant une durée qui ne saurait être supérieure à deux ans et inférieure à trois mois, de représenter, directement ou indirectement toute personne physique ou morale distribuant des vins, en provenance directe ou indirecte des régions viticoles d'origine des vins vendus actuellement par la société Henri Maire (...) et ce dans le secteur dont il est question à l'article III et dans le département du Jura";

Que cette clause contrevient à l'article 17 de la Convention Collective Nationale des VRP qui dispose que "l'interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n'est valable que pendant une durée maximale de deux années à compter de cette rupture et qu'en ce qui concerne les secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat";

Qu'il est constant que le département du Jura n'a jamais fait partie du secteur de M. Riche, de sorte que la clause susvisée est frappée de nullité;

Attendu, à titre surabondant, que l'employeur ne peut se prévaloir de la clause de non-concurrence, rédigée en termes différents, insérée dans le contrat du 27 mai 1985 (non signé par la société Henri Maire qui l'a seulement transmis au salarié) car elle n'en pas expressément réclamé l'application dans le délai de 15 jours prévu par l'article 12 dudit contrat, sa lettre du 24 décembre 1993, relative l'exécution du préavis, ne la visant pas spécifiquement ;

Qu'au surplus, elle ne peut se prévaloir d'une clause de non-concurrence dès lors qu'elle n'a pas offert de verser la contrepartie financière mise à sa charge par l'accord collectif applicable ;

Attendu, enfin, qu'en l'état des attestations et pièces contradictoires versées par les parties, la violation, dommageable pour la société, par M. Riche de son obligation de fidélité avant la rupture des relations contractuelles n'est pas démontrée et qu'il n'appartient pas au juge de suppléer les parties dans l'administration de la preuve ; qu'il n'y a donc pas lieu à expertise de ce chef ;

Attendu que l'examen des autres moyens soulevés par les parties est sans intérêt pour la solution du litige ;

Attendu, en conséquence, que la société Henri Maire sera déboutée de ses demandes d'application de la clause pénale et de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Que les autres demandes des parties sont sans objet ;

Attendu qu'aucune considération d'équité n'impose de faire droit aux demandes des parties sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'en raison de la succombance respective des parties, il convient de partager par moitié les dépens entre elles ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale ; Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. Riche à payer à la société Henri Maire les sommes de 124.802 F en application de la clause pénale et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Réforme de ces chefs et, statuant à nouveau ; Déboute la société Henri Maire de ses demandes ; Rejette toutes autres conclusions contraires ou plus amples des parties ; Partage par moitié les dépens entre les parties.