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Décisions

CA Agen, ch. soc., 2 mars 1994, n° 93000601

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lux Pyrénées (SNC)

Défendeur :

Borthelle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Michaux

Présidents de chambre :

MM. Fourcheraud, Simonin

Conseillers :

M. Bastier, Mme Coleno

Avocats :

Mes Baque, Tourniquet.

Cons. prud'h. Tarbes, du 17 nov. 1989

17 novembre 1989

FAITS ET PROCEDURE

P. Borthelle a été Voyageur Représentant Placier, à titre exclusif et à plein temps, pour la société Electrolux devenue depuis la SNC Lux Pyrénées, du 1er février 1988 au 29 avril 1989, le 24 mai 1989 il a saisi la formation des référés du Conseil des Prud'hommes de Tarbes, d'une demande de rappel de salaire ;

Le litige porte sur la rémunération minimale garantie aux VRP par la convention collective nationale, dans son article 5-1, et sur l'imputation du calcul des frais professionnels ;

Il a obtenu une provision représentant une partie de ses demandes, puis le Conseil a tranché le fond du litige, par jugement du 17 novembre 1989 condamnant la société à lui payer 7.327,17 F de complément de salaire brut, 427,42 F de dommages et intérêts et 250 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur appel de la société, la Cour d'appel de Pau, par arrêt du 23 mai 1990 a confirmé ce jugement et y ajoutant a condamné la société à payer 4.000 F de dommages et intérêts à son ancien salarié, estimant que la rémunération minimale devait être calculée déduction faite des frais professionnels, puis ceux-ci calculés ensuite sur cette rémunération minimale ;

Sur pourvoi de l'employeur la Cour de Cassation, par arrêt du 16 mars 1993, a cassé et annulé cet arrêt aux motifs que la Cour de Pau avait violé l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 en allouant au salarié, en sus du minimum conventionnel, des frais professionnels calculés sur ce minimum ; et que le dommage résultant d'un retard dans le réglement d'une dette ne peut-être réparé que par l'allocation d'intérêts moratoires, sous réserve d'un préjudice distinct causé par la mauvaise foi du débiteur ;

Devant la Cour de renvoi la SNC Lux Pyrénées estime qu'il n'y a plus de discussion possible sur l'interprétation de la convention collective depuis l'arrêt de cassation, et le jugement sera réformé, M. Borthelle devant rembourser la somme de 12.081,87 F versée indûment au titre de l'exécution provisoire attachée aux décisions prononcées ; et la demande de dommages intérêts sera jugée sans objet ; par contre au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, M. Borthelle sera condamné à payer 10.000 F ;

L'intimé demande la confirmation du jugement, car seule l'interprétation du Conseil et de la Cour de Pau de la convention collective, est conforme à son esprit, à la commune intention des signataires, (ainsi qu'en attestent les cinq organisations syndicales), et à la pratique des juridictions, (selon attestations de défenseurs syndicaux et de conseillers prud'homaux) ; et il développe ses arguments sur chacun de ces points ;

Il estime que les deux conditions imposées pour une condamnation à des dommages et intérêts sont réunies, et demande par appel incident une nouvelle somme de 4.000 F à ce titre et une indemnité de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 5 de la convention collective applicable, et l'article 5-1, ajouté par avenant du 12 janvier 1992, prévoient une "ressource minimale forfaitaire", pour les VRP travaillant à temps complet, et à titre exclusif, qui est progressive en début d'exécution du contrat, selon les modalités précisées au second de ces articles, puis, à partir du second trimestre d'emploi à plein temps," ne pourra être inférieure, déduction faite des frais professionnels, à 520 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance" ;

L'expression "déduction faite des frais professionnels" ne peut avoir qu'une seule signification : il convient de les retrancher de la rémunération à la commission du VRP pour contrôler ses ressources, sur un trimestre, et les compléter, si nécessaire, pour parvenir à 520 fois le SMIC;

Si les frais professionnels sont strictement remboursés sur justificatifs, l'employeur les remboursera indépendamment du calcul précédemment exposé ;

Mais s'ils sont forfaitairement remboursés, comme c'est le cas en l'espèce, et lorsque le salarié a droit à la ressource minimale forfaitaire, sur quelle base calculer le remboursement des frais professionnels ?

Si les trente pour cent en cause sont calculés sur la rémunération à la commission, et alors que le salarié n'a pas eu assez de commissions pour atteindre le seuil de ressource minimale, il devra, après avoir perçu ce minimum, garder à sa charge une partie de ses frais professionnels et ne disposera plus dès lors de cette ressource minimale, que la convention et l'accord paritaire, par le concours de volontés des salariés et des employeurs ont entendu pourtant lui garantir ;

Dans cette hypothèse, le calcul des frais professionnels ne peut donc être fait que sur la ressource minimale garantie, sans cumul avec une éventuelle avance sur frais ou autre procédure qui aurait déjà permis au salarié d'être partiellement remboursé, et dont il faudrait alors tenir compte ;

Ainsi que le souligne l'intimé, cette interprétation est la seule en accord avec le préambule de la convention collective, où il est écrit que les signataires "décident dans ces conditions, que les représentants bénéficieront désormais de garanties de même nature que celles accordées aux autres salariés de l'entreprise en les adaptant aux conditions spécifiques d'exercice de leur métier" ; et lorsqu'une garantie de ressource est accordé à un salarié, quelque soit son activité, cette ressource n'est jamais amputée de frais qui n'incombent pas normalement à ce salarié ;

S'agissant d'une convention collective, il est intéressant de citer la lettre du 6 juin 1993, produite par M. Borthelle, signée par les représentants des cinq organisations syndicales ayant participé aux travaux de rédaction qui affirment que cette interprétation est la seule qu'ils avaient négociée avec les représentants du CNPF ;

Enfin la société appelante avait fait la même interprétation dans une circulaire "à tous les cadres du réseau" du 27 janvier 1982, dont elle prétend qu'elle n'aurait jamais été mise en application, où elle annonçait la mise en application au 1er avril 1982 de l'avenant signé quelques jours plus tôt, et où elle écrivait : "après les trois premiers mois d'essai, le VRP aura la garantie de percevoir par trimestre, 520 fois le SMIC horaire ... somme à laquelle il faut ajouter l'équivalent de l'abattement fiscal de 30 % ; et la suite de cette circulaire préconisait des mesures draconiennes pour que les vendeurs dépassent ces minima ;

Une autre circulaire, adressée "à tout le personnel vendeur" du 15 avril 1982 annonçait également cette ressource garantie, mais sans parler des frais professionnels ; elle utilisait par contre l'expression "le salaire effectif trimestriel devra être au moins égal à 520 fois ..." ce qui allait bien dans le même sens que les informations plus détaillées données aux cadres, car pour que le salaire soit effectivement de 520 fois le SMIC horaire, il fallait nécessairement que le salarié soit déchargé des frais professionnels ;

Il résulte de cet ensemble de motifs que la commune intention des parties contractantes a bien été, dans le cadre des dispositions d'ordre public de la législation du travail, d'assurer aux VRP rattachés à cette convention collective une rémunération minimum correspondant à 520 fois le SMIC, excluant les frais professionnels devant être payés en sus.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Tarbes, sur ce point ;

Par contre sur les dommages et intérêts, rien n'établit que l'employeur ait agi de mauvaise foi, dans l'intention de nuire à son salarié démissionnaire, et le retard mis à lui payer son dû, sera suffisamment réparé par le paiement des intérêts à compter de son départ puisque la somme due pouvait être calculée dès cette époque et qu'il s'agissait de salaire ou accessoires de salaire ;

Au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il reviendra à P. Borthelle une indemnité de 5.000 F pour le dédommager, au moins partiellement, des frais qu'il a engagé pour faire reconnaître ses droits ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant sur renvoi de la Cour de Cassation, en matière sociale, et en dernier ressort ; Reçoit l'appel de la société en nom collectif Lux Pyrénées, le dit partiellement bien fondé ; Réforme le jugement, en ce qu'il a condamné la société à payer des dommages et intérêts à P. Borthelle ; Dit que les intérêts au taux légal seront décomptés à partir du calcul de la ressource minimale ; Le confirme en toutes ses autres dispositions ; Condamne la SNC Lux Pyrénées à payer 5.000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à P. Borthelle ; Condamne la SNC Lux Pyrénées aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé.