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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 29 février 2000, n° 98-03393

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ozpinar, Bégault, Dufour, Facchini

Défendeur :

Direct Ménager France (SA), Leblanc (ès. qual.), Blériot (ès. qual.), UNEDIC - AGS-Nord-Est

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chollet

Conseillers :

Mlle Desous, M. Lebrun

Avocats :

SCP Sardi-Rampazzo, SCP Verbeque.

Cons. prud'h. Orléans, du 8 sept. 1998

8 septembre 1998

Madame Dominique Bégault a saisi le Conseil de prud'hommes d'Orléans des demandes suivantes à l'encontre de la SA Direct Menager France, assistée de Maître Bleriot, administrateur judiciaire, en présence de Maître Leblanc, représentant des créanciers, et de l'Assedic AGS-CGEA du Nord-Est :

- requalification de son contrat à temps partiel en un contrat à temps plein ;

- 87. 230,53 F de salaire ;

- remise de documents rectifiés sous astreinte de 200 F par jour de retard ;

- 1.300 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Cyril Facchini a présenté les demandes suivantes :

- requalification comme ci-dessus ;

- 36.099,08 F de salaire ;

- remise de documents rectifiés sous astreinte de 200 F par jour de retard ;

- 1.100 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mademoiselle de Ozpinar a présenté les demandes suivantes :

- requalification de son contrat de VRP en contrat de vendeur sédentaire à temps complet ;

- 15.011,63 F de salaire ;

- 1.325,65 F de frais d'essence ;

- remise de documents rectifiés sous astreinte de 200 F par jour de retard ;

- 1.100 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Enfin Monsieur Bruno Dufour a sollicité :

- requalification comme Mademoiselle Ozpinar ;

- 10.519,31 F de salaire ;

- 691,90 F de frais de déplacement à Bourges ;

- remise de documents rectifiés sous astreinte de 200 F par jour de retard ;

- 1.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société a réclamé reconventionnellement 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à chaque demandeur, et 30.000 F de dommages et intérêts à Madame Bégault.

Un jugement du 8 septembre 1998, à la lecture duquel il est référé pour l'exposé des faits et des moyens initiaux des parties, a rejeté les demandes principales, ainsi que les demandes reconventionnelles.

Cette décision a été notifiée le 11 septembre 1998 à Madame Bégault, le 22 septembre 1998 à Mademoiselle Ozpinar, et le 8 octobre 1998 à Messieurs Facchini et Dufour.

Ils ont interjeté appel le 14 octobre 1998.

Le 4 novembre 1999, un jugement du tribunal de commerce de Senlis a prononcé la liquidation judiciaire de la société et a nommé Maître Leblanc comme liquidateur.

Madame Bégault réitère ses demandes, telles qu'exposées ci-dessus, les documents rectifiés réclamés étant un bulletin de paie et une attestation Assedic, et la somme réclamée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile étant de 2.500 F.

Elle expose qu'ayant travaillé du 2 janvier 1996 au 21 mars 1997 afin de vendre des machines à coudre, la société lui a fait signer un contrat VRP à temps partiel à seule fin d'éviter d'avoir à lui verser le salaire minimum, alors que, pour respecter les normes de production qui lui étaient imposées, elle devait travailler à temps complet, comme il résulte de ses rapports d'activités, d'attestations et des horaires de travail.

Elle souligne les difficultés de son travail et observe que, selon l'article 212-4-3 du Code du travail, un contrat de travail à temps partiel doit préciser le nombre d'heures effectuées, par semaine ou par mois, ce qui n'était pas le cas.

Elle démontre par deux attestations que, du 22 au 31 mars 1996, elle a dû participer à la foire d'Orléans, où elle a travaillé 11 ou 14 heures par jour, incluant deux samedis et deux dimanches consécutifs, en violation de l'article L. 212-1 du Code du travail ;

Elle invoque le bénéfice de plusieurs décisions jurisprudentielles et souligne que, si elle n'assurait pas les quotas convenus, il appartenait à l'employeur de la licencier, et non de la sanctionner financièrement.

Monsieur Facchini maintient également ses demandes, sollicitant 2.100 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

II expose qu'il a travaillé du 25 janvier au 4 septembre 1996 et invoque les mêmes moyens que Madame Bégault.

Mademoiselle Ozpinar maintient également ses demandes, réclamant la rectification des bulletins de salaire et de l'attestation Assedic, ainsi que 2.100 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle a travaillé comme VRP à temps partiel en novembre et en décembre 1996, observant qu'en méconnaissance de l'article L. 212-4-3 du Code du travail le contrat n'indiquait pas le nombre d'heures à effectuer par semaine ou par mois, et précisant qu'elle ne pouvait être reconnue comme VRP que si son activité de démarchage était prépondérante, ce qui n'était pas le cas, puisqu'elle ne consacrait que 30,8 % de son temps à la représentation.

Elle estime donc que l'intégralité des heures effectuées doit lui être rémunérées, sur la base du SMIC (204,30 heures en novembre 1996 et 185,30 heures en décembre 1996), invoquant les horaires qui lui étaient imposés et plusieurs attestations pour en conclure qu'elle était en réalité vendeur sédentaire.

Elle demande également le remboursement de frais de déplacement.

Monsieur Dufour réclame désormais 2.100 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il expose qu'il a travaillé du 6 mars au 2 avril 1996 et que pour sa part il n'a consacré que 25 % de son temps de travail à la représentation.

Maître Leblanc demande la confirmation du jugement, et la condamnation de chacun des appelants à lui payer 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir que, compte-tenu de ce que les VRP ne sont pas soumis à des horaires fixes, l'article L. 212-4-3 du Code du travail ne leur est pas applicable.

Il ajoute que les appelants ont signé des contrats à temps partiels réguliers, et que les quotas qui leur étaient fixés en nombre de points étaient parfaitement réalisables.

Il estime que les appelants, qui ne fournissaient pas de rapports d'activité, ou des rapports très incomplets, et dont les résultats étaient nettement inférieurs à ceux d'autres VRP à temps partiel, ne démontrent pas qu'ils travaillaient à temps plein, invoquant également plusieurs décisions de jurisprudence.

Il précise que les témoignages produits sont de complaisance, et que les VRP étaient libres d'assister ou non aux foires expositions, ceux l'ayant fait ne démontrant pas qu'ils y étaient présents en permanence puisque d'autres VRP étaient présents ;

Il observe que le mode de calcul des rappels de salaire est erroné car il ne déduit pas les frais professionnels.

L'AGS/CGEA adopte la même argumentation que Maître Leblanc, et fait subsidiairement valoir les limites et plafonds de sa garantie.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que le jugement a été notifié aux salariés les 21 septembre, 22 septembre et 8 octobre 1998 ; que leur appel, interjeté le 14 octobre 1998 est recevable ;

Que les quatre appelants ont signé avec la société Direct Menager France des contrats par lesquels ils étaient engagés comme représentants exclusifs à temps partiel, l'article 2 précisant qu'ils avaient choisi d'exercer à temps partiel et que, la profession de VRP n'étant pas assujettie à une notion d'horaire de travail, ils demeuraient libres d'organiser leur temps de travail comme ils l'entendaient;

Que la conclusion de ce type de contrat n'avait pas pour but d'éluder les dispositions d'ordre public de statut de VRP;

Que, comme le précise au surplus, la circulaire DRT n° 9 du 17 mars 1993, les règles légales sur la durée du travail ne sont pas applicables aux VRP, du fait que leur activité n'est pas quantifiable en termes de durée et d'horaires, et que les conditions de son exercice ne permettent pas à l'employeur d'exercer un contrôle sur les horaires effectivement réalisés, et ce qu'il s'agisse d'un temps complet ou d'un temps partiel ;

Que dès lors l'article L. 212-4-3 du Code du travail, selon lequel le contrat d'un salaire à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue est inapplicable aux contrats des appelants, la société ne pouvant se voir reprocher de ne pas avoir spécifié lesdits horaires ;

Que, selon l'article 5 de la convention nationale interprofessionnelle du 3 octobre 1975, la ressource minimale forfaitaire égale à 520 fois le SMIC s'applique à "chaque trimestre d'emploi à temps plein" ;

Que, par une note éclairant le sens de ce texte, les partenaires sociaux ont indiqué que l'expression "à temps plein" a pour objet, non d'introduire une notion d'horaire de travail généralement inadaptée à la profession de représentant de commerce, mais d'exclure de cette disposition les représentants qui, bien qu'engagés à titre exclusif, n'exercent qu'une activité réduite à temps partiel ;

Que l'article 2 précité disposait que, si les appelants demeuraient libres d'organiser leur temps de travail comme ils l'entendaient, il leur était demandé d'exercer une activité constante, définie par les quotas fixés ;

Que ces quotas, résultant de points attribués selon chaque appareil vendu, étaient fixés ainsi qu'il suit :

Que Madame Bégault et Mademoiselle Ozpinar, qui vendaient des machines à coudre, devaient attendre 30 points par mois ;

Que Monsieur Facchini, qui vendait des appareils destinés à l'entretien des sols, devait réaliser au moins 40 démonstrations par mois, et atteindre 45 points les deux premiers mois, puis 30 points par mois ;

Que Monsieur Dufour, qui vendait les mêmes appareils que Monsieur Facchini, avait les mêmes quotas que Madame Bégault et Mademoiselle Ozpinar ;

Que les quotas ainsi fixés n'étaient pas tels qu'ils nécessitaient, pour être atteints, une activité à temps plein, les points servant de base à la rémunération étant répartis en tranches allant de 0 à 24 à 100 et plus ;

Que par ailleurs l'article 2 indiquait que, pour justifier de leur activité constante, les salariés s'engageaient à remettre des rapports hebdomadaires établis de façon exacte et complète;

Que ces rapports seraient de nature à apporter la preuve que, contrairement aux termes du contrat, les appelants ont exercé en fait une activité à temps plein;

Que Madame Bégault, qui a travaillé du 2 janvier 1996 au 21 mars 1997, a certes fourni des rapports d'activité pour cette période mais que l'imprécision de ceux-ci et le fait qu'aucun travail n'a été fourni certains jours (notamment les mercredis) n'apportent pas la preuve qu'elle a travaillé à temps complet;

Que ni l'imprimé intitulé "organisation d'une équipe", qui mentionne des horaires débutant à 8 heures pour la matinée et de 14 heures à 19 heures 30 ("au moins deux à trois fois par semaine") mais dont rien ne démontre qu'il avait un caractère impératif pour les VRP à temps partiel et qu'il puisse refléter le travail effectivement réalisé par madame Bégault, ni les attestations produites (qui émanent pour partie des autres appelants, qui n'apportent aucun élément sur le temps de travail de Madame Bégault, qui sont particulièrement imprécises en ce qui concerne celle de Madame Lefèvre, qui n'explique pas ce qui lui permet d'affirmer que Madame Bégault travaillait à temps partiel) n'apportent davantage une telle preuve ;

Qu'au contraire, au cours de l'année 1996, Madame Bégault a réalisé des ventes correspondant à 10, 56 points, alors que son quota était de 30 ;

Que la moyenne de son chiffre d'affaires a été de 9.536 F par mois en 1996, alors qu'un autre VRP à temps partiel a réalisé 40.032 F et qu'un VRP à temps partiel a obtenu un chiffre de 70.591 F ;

Que ces éléments objectifs confirment que, conformément à son contrat, madame Bégault travaillait à temps partiel, et qu'elle ne saurait donc revendiquer le bénéfice de la rémunération minimum;

Que Monsieur Facchini a travaillé du 25 janvier au 4 septembre 1996 ;

Qu'il ne produit des rapports d'activité détaillée, indiquant le nombre de contrats, de visites, de démonstrations et de ventes, sans indication d'horaires, que jusqu'en avril 1996, rapports dont il ne résulte que la preuve d'un travail à temps plein, son activité, certains jours, étant plus que réduite ;

Que le document institué "organisation d'une équipe", pour les raisons indiquées ci-dessus, de même que les attestations imprécises produites, ne sont pas davantage probantes ;

Que, s'il lui a été remis un document lui indiquant les horaires de la foire d'Orléans, il n'en résulte pas pour autant qu'il lui ait été demandé d'être présent tous les jours pendant l'intégralité des horaires, cette demande ayant été faite à plusieurs VRP qui pouvaient se relayer sur le stand ;

Que le nombre des points obtenus par lui est également très en deçà des quotas qui lui avaient été fixés (8,28 au lieu de 30) ;

Que si, compte tenu de ses très bons mois de février et mars 1996, la moyenne de son chiffe mensuel était de 19.733 F, elle restait comparable à celle d'autres VRP à temps partiel et très inférieure à celle du VRP à temps complet cité ;

Que ses demandes seront également rejetées ;

Que Mademoiselle Ozpinar a travaillé du 4 novembre au 27 décembre 1996 ;

Qu'elle n'a fourni que deux rapports hebdomadaires détaillés, qui n'établissement pas la réalité d'un travail à temps plein ;

Qu'elle n'a d'ailleurs réalisé aucune vente, ce qui est une présomption plus que sérieuse en faveur d'une activité à temps partiel ;

Qu'il ne résulte que de ses propres décomptes, non probants, qu'elle aurait travaillé 240 heures 30 en novembre 1996 et 185 heures 30 en décembre 1996, dont seulement 61 heures et 60 heures 30 de prospection, l'intéressée ne justifiant donc pas que son contrat doive être requalifié en un contrat sédentaire, du fait que son activité de représentation ait été minoritaire ;

Que cette requalification n'étant pas fondée, elle ne peut obtenir le remboursement de ses frais d'essence, l'article 4 du contrat stipulant que la rémunération comprend le remboursement de la totalité des frais professionnels exposés ;

Qu'enfin Monsieur Dufour a travaillé du 11 mars au 2 avril 1996 ;

Qu'il n'a quant à lui produit aucun rapport d'activité ;

Que les attestations produites par lui ne sont pas probantes, y compris celle de Monsieur N'Goma, dont l'hostilité à l'encontre de la société transparaît lorsqu'il emploie les termes "j'ai moi même travaillé plus de 39 heures par semaine pour un salaire de misère" ;

Que si, par une note du 18 mars 1996, la société a confirmé à Monsieur Dufour sa participation à la foire d'Orléans, du vendredi 22 au dimanche 31 mars 1996, en indiquant les horaires, cette note ne lui indiquait pas pour autant que sa présence était indispensable tous les jours pendant l'intégralité des horaires, l'envoi de cette note à plusieurs VRP permettant à ceux-ci d'assurer une présence permanente sur le stand en s'y relayant ;

Qu'au surplus, le chiffre réalisé par Monsieur Dufour (15. 679 F) correspond à un travail à temps partiel ;

Qu'il ne démontre pas plus que Mademoiselle Ozpinar que son temps de travail sédentaire ait été plus important que son temps de prospection ;

Que toutefois, dans sa réponse à l'inspecteur du travail du 2 août 1996, la société a indiqué que le remboursement des frais de déplacement sur l'agence de Bourges du 11 au 15 mars 1996 était subordonné à établissement d'une note de frais ;

Que la réalité de ce déplacement, pour une opération dite "commando", et au cours duquel Monsieur Dufour a transporté des collègues dans sa voiture, n'est pas discutée ;

Qu'il a établi une fiche d'un montant de 691,90 F représentant 251,60 Kms, ce qui correspond au trajet la Chapelle Saint Mesmin Bourges et retour, sur la base du barème fiscal (2,75 Km) ;

Que, ne s'agissant pas de frais de déplacement pour aller démarcher des clients, mais de frais exposés pour transporter des collègues sur le lieu d'une action spécifique décidée par l'employeur, ils doivent lui être remboursés ;

Que le CGEA ne devra sa garantie que dans les limites et plafonds prévus par les textes en la matière ;

Qu'il n'est pas inéquitable que les parties supportent leurs frais irrépétibles ;

Que les appelants, y compris Monsieur Dufour, dont seule une demande d'un très faible montant est justifiée, supporteront les dépens d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare les appels recevables ; Constate que la SA Direct Menager France est maintenant en liquidation judiciaire, et qu'elle est représentée par Maître Leblanc, mandataire liquidateur ; Met hors de cause Maître Bleriot ; Confirme le jugement du 8 septembre 1998 en toutes ses dispositions, à l'exception du point ci-après ; Fixe la créance de Monsieur Bruno Dufour à l'encontre de la liquidation de la société Direct Menager France à Six cents quatre vingt onze francs et quatre vingt dix centimes (691,90) de frais de déplacement ; Ordonne la remise d'un bulletin de salaire mentionnant cette somme ; Dit que l'AGS/CGEA du Nord Est sera tenue à garantie, dans les limites et plafonds prévus par les articles 5 et 123, L. 143-11- 1 et 5, D. 143-1 et suivants de Code du travail ; Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne Madame Dominique Bégault, Monsieur Cyril Facchini, Mademoiselle Ede Ozpinar et Monsieur Bruno Dufour aux dépens d'appel.