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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 15 mars 1996, n° 9406084

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Modex (SARL), Vestra (SA)

Défendeur :

Chabert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

MM. Chauvet, Simon

Avocats :

Mes Alexandre, Conraux, Arrue, Duflot.

Cons. prud'h. Bourg-en-Bresse, sect. enc…

12 septembre 1994

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

Monsieur Chabert a été engagé par la société Vestra le 1er septembre 1981 en qualité de voyageur-représentant-placier (VRP) et le 1er janvier 1987 par la société Modex en la même qualité, son activité s'exerçant pour les deux sociétés, spécialisées dans la vente de vêtements.

Le 7 décembre 1993, ces deux sociétés lui ont fait connaître sa mise à la retraite compte tenu du fait qu'il avait atteint l'âge de soixante ans depuis 1990 et qu'il avait cotisé pendant plus de 150 trimestres.

Soutenant qu'il ne pouvait être placé en retraite avant l'âge de 65 ans, il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bourg-en-Bresse qui, par jugement en date du 12 septembre 1994, a condamné les société Vestra et Modex à lui payer les sommes de 146 000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, de 192 915,20 F à titre d'indemnité spéciale de rupture et de celle de 168 693 F à titre de préavis outre 1 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le 21 septembre 1994, les société Vestra et Modex ont relevé appel de cette décision pour en solliciter l'infirmation.

Elles exposent que lors de sa mise à la retraite, Monsieur Chabert était âgé de plus de 60 ans et que l'accord national interprofessionnel des VRP fixe uniquement à 65 ans l'âge d'accès aux indemnités conventionnelles et spéciales de mise à la retraite et n'interdit nullement qu'avant cet âge, la mise à la retraite selon les conditions de l'article L. 122-14-13 du code du travail est exclue.

Soulignant que leur salarié avait cotisé pendant la durée prévue au texte, elles soutiennent que les conditions de la mise à la retraite étaient remplies, ce qui exclut le bénéfice de tous dommages-intérêts et de l'allocation spéciale de rupture réservée aux ruptures du fait de l'employeur et soumise à la renonciation par le salarié - non acquise en l'espèce - à l'indemnité de clientèle.

Les sociétés appelantes critiquent enfin la décision en ce qu'elle a accordé un préavis de six mois à Monsieur Chabert, par une lecture erronée de l'article 11 du contrat alors d'une part que ses dispositions ne s'appliquent pas à la mise à la retraite et d'autre part que la rupture a été notifiée au mois de décembre 1993, donc "le 1er mai au plus tard" et qu'il devait prendre fin "à la fin de la campagne de vente automne" soit le 30 avril, ce qui ne laisserait en litige que la période du 7 mars au 30 avril 1994.

Elles contestent enfin être redevables de commissions à Monsieur Chabert dont elles sollicitent au contraire la condamnation au paiement de la somme de 2 422,22 F (société Vestra) et de celle de 199,72 F (société Modex) ainsi qu'à celle de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur Chabert a répliqué que l'article 15 de la convention collective fixe à 65 ans l'âge auquel il est possible de mettre un VRP à la retraite et que la rupture avant cet âge doit s'analyser en un licenciement.

Il sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Vestra à lui payer la somme de 140 000 F à titre de dommages-intérêts et la société Modex à verser celle de 6 000F.

Monsieur Chabert relève que le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture n'est subordonné à aucune démarche sacramentelle et conclut à la condamnation de la société Vestra à payer la somme de 187 150 F et à celle de la société Modex à la somme de 5 765,20 F au titre de l'article 14 de la convention collective.

Il ajoute que compte tenu des termes du contrat quant aux dates possibles de sa dénonciation par rapport aux campagnes de vente, le congé notifié le 7 décembre n'était valide que le 1er mai pour prendre fin le 30 octobre : la société Vestra est redevable de la somme de 138 630 F et la société Modex de celle de 5 964 F.

Monsieur Chabert forme une demande d'expertise comptable afin d'établir le montant des commissions qui lui restent dues pour le quatrième trimestre 1994 et sollicite de plus la condamnation de la société Vestra au paiement de la somme de 138 630 F et la société Modex à celle de 5 964 F à titre de congés payés qui ne lui ont jamais été réglés et qui n'ont jamais figuré sur ses fiches de salaire.

A titre subsidiaire, pour le cas où il ne serait pas fait droit à sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif, il demande à chacune des deux sociétés, le paiement d'un mois de salaire en réparation du préjudice subi du fait du non-respect de la procédure (23 105 F et 994 F).

Monsieur Chabert fixe enfin à la somme de 10 000 F l'indemnité qu'il réclame en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS ET DECISION

Attendu que l'appel est recevable comme régulier en la forme ;

SUR LA NATURE DE LA RUPTURE :

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-14-13 alinéa 3 du code du travail, que la mise à la retraite d'un salarié, même s'il peut bénéficier d'une pension de retraite à taux plein au sens du chapitre 1er du titre V du livre III du code de la sécurité sociale, ne peut avoir lieu, lorsqu'il existe une convention collective prévoyant une condition d'âge pour la mise à la retraite, que s'il a atteint l'âge fixé par cette convention ;

Attendu qu'aux termes de l'article 15 de la convention collective nationale des représentants (la convention), lorsque le représentant de commerce âgé d'au moins 65 ans se trouve dans l'un des cas de cessation du contrat prévus à l'article L. 751-9 alinéa 1 et 2 du code du travail, il a droit à une indemnité conventionnelle de départ en retraite fixée selon son ancienneté dans l'entreprise ;

Que cette convention ne prévoit pas un âge minimum de mise à la retraite mais se borne à fixer les conditions d'attribution au représentant âgé de plus de 65 ans, d'une indemnité spéciale de mise à la retraite en cas de rupture par l'employeur de son contrat de travail ;

Attendu en l'espèce, que Monsieur Chabert était âgé de plus de 60 ans lors de la rupture et pouvait bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et que dès lors la rupture intervenue dans les conditions de l'article L. 122-14-13 du code du travail ne constitue pas un licenciement ;

Qu'il convient de réformer le jugement en ce qu'il a condamné les société Vestra et Modex à payer des dommages-intérêts à Monsieur Chabert ;

SUR LE PRÉAVIS :

Attendu que l'article 11 du contrat dispose qu'outre le délai prévu par l'article L. 751-5 du code du travail, il est expressément stipulé que tout congé devra être notifié le 1er mai au plus tard pour prendre fin au plus tôt à la fin de la campagne de vente Automne, ou le 1er novembre pour prendre effet à la fin de la campagne de vente d'été ;

Attendu que la mise à la retraite du salarié par l'employeur prévue par l'article L. 122-14-13 du code du travail constitue un mode de résiliation du contrat de travail par le fait de l'employeur ;

Que l'alinéa 4 de cet article prévoit que le salarié ou l'employeur, selon que l'initiative du départ à la retraite émane de l'un ou de l'autre, est tenu de se conformer aux dispositions de l'article L. 122-6 du code du travail lequel réserve la possibilité de dérogations conventionnelles ou contractuelles dès lors qu'elles sont plus favorables au salarié ;

Attendu que les société Vestra et Modex ne peuvent ainsi soutenir que l'article 11 du contrat ne s'applique pas alors de plus qu'elles ont fait bénéficier Monsieur Chabert d'un préavis ;

Attendu qu'il est constant que la campagne de vente d'automne a lieu du 10 janvier au 30 avril et celle d'été du 14 juillet au 30 octobre ;

Qu'en l'espèce, les sociétés appelantes devaient notifier la rupture soit le 1er novembre 1993 pour prendre fin le 30 avril 1994 soit le 1er mai 1994 pour prendre fin le 30 octobre 1994 ;

Attendu dès lors que le congé notifié le 7 décembre 1993 n'a pu être valable qu'au 1er mai 1994 pour prendre fin le 30 octobre 1994 ;

Que la société Vestra reste redevable d'un solde de préavis de 138 630 F et la société Modex d'un solde de 5 964 F correspondant à six mois de salaire ;

SUR LA DEMANDE DE CONGÉS PAYÉS :

Attendu que dans le cas de salariés payés à la commission, il est loisible à l'employeur d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération sauf pour lui de démontrer l'existence d'une convention de forfait prévoyant de manière explicite l'incorporation de l'indemnité dans la rémunération principale ;

Attendu que l'article 9 du contrat prévoit de manière expresse que l'indemnité compensatrice de congés payés est incluse dans le taux de commission et que c'est à juste titre que les Premiers Juges ont débouté Monsieur Chabert de ces chefs de demandes ;

SUR LA DEMANDE D'INDEMNITÉ SPÉCIALE DE RUPTURE :

Attendu qu'aux termes de l'article 14 de la convention, lorsque le représentant se trouve dans l'un des cas de cessation de contrat prévus à l'article L. 751-9 alinéa 1 et 2 du code du travail alors qu'il est âgé de moins de 65 ans et qu'il ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 16 de la convention, il bénéficie d'une indemnité spéciale de rupture, à condition d'avoir renoncé au plus tard dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle ;

Attendu que la mise à la retraite du salarié par l'employeur prévue par l'article L. 122-14-13 du code du travail constitue un mode de rupture du fait de l'employeuret que Monsieur Chabert ayant saisi le Conseil de Prud'hommes le 24 février 1994, avant la fin de son préavis, de la seule demande de l'indemnité spéciale de l'article 14 de la convention, sans formuler de demande au titre de l'indemnité de clientèle, renonçant ainsi de manière expresse au paiement de celle-ci, c'est à juste titre que les Premiers Juges ont fait droit à sa réclamationet qu'il convient de condamner la société Vestra à lui payer la somme de 187 150 F et la société Modex celle de 5 765,20 F ;

SUR LA DEMANDE DE PAIEMENT DE COMMISSIONS :

Attendu que Monsieur Chabert ne produit aux débats aucun commencement de preuve ni aucun élément de nature à permettre de considérer qu'il demeure créancier de commissions et que de même les société Vestra et Modex se limitent à invoquer un décompte - qu'elles ont personnellement établi - pour alléguer que l'intimé a bénéficié d'un trop-perçu de rémunération ;

Que la demande d'expertise formée par Monsieur Chabert et celles en paiement de la société Vestra et de la société Modex sont infondées et doivent être écartées ;

Attendu enfin, que Monsieur Chabert ne se propose pas d'indiquer en quoi la "procédure de licenciement" n'a pas été respectée, alors que s'agissant d'une mise à la retraite par l'employeur - qui n'a pas à être spécialement motivée - les dispositions de l'article L. 122-14-13 du code du travail ne nécessite pas l'application des dispositions des articles L. 122-14-1 et 2 du code du travail ;

Que la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement est rejetée ;

Attendu que l'équité commande d'allouer à Monsieur Chabert la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement ; Reçoit l'appel comme régulier en la forme ; Confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lyon en date du 12 septembre 1994 en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur Chabert en paiement de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, celle en paiement de congés payés et celle en paiement de commissions ; Réforme le jugement pour le surplus ; Condamne la société Vestra à payer à Monsieur Chabert la somme de 138 630 F à titre de préavis et celle de 187 150 F à titre d'indemnité spéciale de rupture ; Condamne la société Modex à payer à Monsieur Chabert la somme de 5 964 F à titre de préavis et celle de 5 765,20 F à titre d' indemnité spéciale de rupture ; Condamne in solidum la société Vestra et la société Modex à payer à Monsieur Chabert la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette les autres demandes ; Condamne in solidum la société Vestra et la société Modex aux dépens.