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Décisions

CA Versailles, ch. soc., 21 octobre 1991, n° 1210-91

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hirel

Défendeur :

Offices d'annonces (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berlamont

Conseillers :

Mme Bellamy, M. Lagarde

Avocats :

Mes Alessandri, Meyer.

Cons. prud'h. Nanterre, sect. encadr., d…

6 juin 1989

Monsieur Claude Hirel a régulièrement interjeté appel d'un jugement contradictoirement rendu le 6 juin 1989 par le Conseil de Prud'hommes de Nanterre qui l'a débouté de ses demandes et réformant l'Ordonnance rendue par le Bureau de Conciliation le 16 juin 1987 lui a ordonné de restituer à la société Offices d'Annonces la somme de 35 000 F perçue en exécution de ladite Ordonnance à titre de provision sur l'indemnité de licenciement.

Monsieur Hirel a été engagé en qualité de VRP par l'Offices d'Annonces selon contrat écrit du 12 janvier 1970 pour assurer, conformément aux instructions qui lui seront remises, la prospection publicitaire des supports qui lui sont confiés quelle que soit la position géographique et économique des zones de travail qui lui sont imparties et quel que soit le nombre de représentants affectés à ces zones ; il était prévu au contrat que sa rémunération était calculée sur un taux de commissionnement variable selon les départements et qu'il avait un portefeuille minimum individuel garanti. A la fin de l'année 1986, la société Offices d'Annonces a réorganisé les structures de sa force de vente ainsi que la répartition des secteurs des représentants lesquels se sont vu attribuer des secteurs proches de leur domicile.

Monsieur Hirel ayant refusé de travailler aux nouvelles conditions fixées par son employeur, ce dernier l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 15 janvier 1987 et a mis fin à son contrat par lettre recommandée AR du 23 janvier 1987 avec un préavis de trois mois pour "refus pur et simple" des conditions du nouveau contrat.

Considérant le contrat rompu du fait de son employeur, Monsieur Hirel a saisi le Conseil des Prud'hommes de 28 avril 1987 pour voir condamner celui-ci à lui verser les sommes suivantes :

- 153 645, 86 F à titre d'indemnité de licenciement en application de l'article 24 de la Convention d'entreprise Offices d'Annonces, avec intérêts de droit à compter du 25 avril 1987,

- 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par décision rendue le 16 juin 1987, le Bureau de Conciliation a ordonné à la société Offices d'Annonces de lui verser une somme de 35 000 F à titre de provision.

Pour le débouter de ses demandes et réformer l'Ordonnance rendue le 16 juin 1987, le Conseil des Prud'hommes a considéré que les modifications apportées aux conditions de travail des employés l'avaient été dans le cadre des usages de l'entreprise et de dispositions insérées dans le contrat individuel et en concertation avec les représentants du personnel, que l'employé n'alléguait pas que lesdites modifications aient altéré en quoi que ce soit un des éléments essentiels de son contrat et que l'employeur qui dans la convocation à l'entretien préalable et dans la lettre de rupture n'avait pas usé du mot "licenciement" mais de l'expression mettre fin au contrat de travail" n'était pas responsable de la rupture. Il a fait observer qu'en toute hypothèse, l'article 24 de la Convention interne Offices d'Annonces excluait les VRP et qu'ainsi même si la rupture avait été imputée à la société Offices d'Annonces, l'employé n'aurait pu être que débouté.

A l'appui de son recours, Monsieur Hirel soutient d'une part que la réorganisation des secteurs entraînait une baisse de sa rémunération qu'il était en droit de refuser, s'agissant d'une modification substantielle de son contrat et qu'ainsi la rupture est imputable à son employeur; d'autre part qu'ayant renoncé à percevoir l'indemnité de clientèle il a le choix entre l'indemnité prévue par la Convention Collective des VRP ou par une autre Convention plus avantageuse et a choisi celle prévue par la Convention Collective de la Publicité laquelle n'exclut pas les représentants de son champ d'application.

Il demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau, de condamner l'Offices d'Annonces à lui verser l'indemnité prévue par la Convention Collective de la publicité soit 242 641, 28 F, subsidiairement celle prévue par la Convention des VRP soit 181 599, 50 F et à défaut l'indemnité légale de licenciement égale à 35 200 F; de lui allouer en outre une indemnité de 8 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, le tout avec intérêts au taux légal à compter de la citation.

La société Offices d'Annonces réplique que les demandes présentées par Monsieur Hirel sont nouvelles et en conséquence irrecevables en cause d'appel et qu'en tout état de cause lesdites demandes sont mal fondées Monsieur Hirel ayant refusé de façon particulièrement hâtive la modification de son contrat nécessitée par les besoins de l'entreprise alors qu'au surplus la possibilité de modifier les zones était contractuellement prévue ; elle ajoute qu'en toute hypothèse Monsieur Hirel a perçu une indemnité spéciale qui a la même nature juridique que l'indemnité de clientèle et qui ne peut en conséquence se cumuler avec l'indemnité conventionnelle de licenciement pas plus qu'avec l'indemnité légale de licenciement. Elle conclut à la confirmation du jugement et sollicite la restitution de la somme de 35 000 F versée en exécution de l'Ordonnance du 16 juin 1987 majorée des intérêts de droit ainsi que l'allocation d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES

Considérant qu'il est prévu par l'article R. 516-2 du Code du Travail que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables en tout état de cause même en appel ;

Que les demandes présentées par Monsieur Hirel en cause d'appel sont donc recevables ;

SUR LE FOND

SUR L'IMPUTABILITÉ DE LA RUPTURE :

Considérant qu'il était indiqué dans le contrat de travail de l'employé que la Direction se réservait le droit de modifier la répartition des zones de prospection ou l'affectation de ses représentants à tel ou tel support, lesdits représentants s'interdisant toutes réclamations au sujet de ces affectations ou répartitions lesquelles sont faites à titre précaire et révocable au mieux des intérêts des supports ;

Considérant qu'il est constant que désirant modifier les secteurs géographiques attribués à ses VRP, la société Offices d'Annonces a soumis son projet de modification au Comité d'Entreprise lequel a émis un avis favorable tout en constatant qu'il n'était pas certain qu'il en résulterait une augmentation de la production et qu'il serait nécessaire de s'assurer de l'absence de dégradation des rémunérations de l'ensemble de la force de vente ;

qu'ainsi la société Offices d'Annonces qui s'était réservée la possibilité de modifier les secteurs géographiques attribués à ses représentants et avait reçu pour cette modification l'approbation du Comité d'Etablissement, était fondée sans qu'aucun abus ne puisse être relevé contre elle, à modifier les conditions de travail de ses représentants;

Maisconsidérant que la modification de secteurs proposés avait pour conséquence de faire varier la rémunération desdits représentants, les taux de commission étant variables selon les départements et les types d'ordre;

Qu'il ressort notamment du rapport du Conseiller Rapporteur désigné par jugement du Conseil de Prud'hommes du 12 avril 1988, que la nouvelle répartition des secteurs entraînait pour Monsieur Hirel une réduction des taux de ses commissions ;

Et considérant que l'employeur ne peut imposer à un salarié de poursuivre un contrat dont il a modifié un des éléments essentiels de façon désavantageuse pour lui;

Qu'il s'ensuit, la rémunération étant un des éléments essentiels du contrat de travail, que Monsieur Hirel était fondé à refuser de poursuivre son contrat sans que pour autant la rupture ne lui soit imputable.

SUR LES CONSÉQUENCES DE LA RUPTURE :

Considérant que Monsieur Hirel ne conteste pas ne pouvoir cumuler l'indemnité de clientèle prévue par la loi en cas de rupture de son contrat et l'indemnité conventionnelle ou légale de licenciement ;

Considérant que par courrier du 21 mars 1987 il a sollicité le paiement d'une indemnité de licenciement précisant dans ses conclusions qu'il optait pour l'indemnité prévue par la Convention Collective de la Publicité, subsidiairement pour celle prévue par l'article 14 de l'Accord National Interprofessionnel des VRP et à défaut pour l'indemnité légale de licenciement ;

Considérant qu'il ressort des constatations des Conseillers Rapporteurs que la Convention Collective de la Publicité est applicable au personnel sédentaire et l'Accord National Interprofessionnel applicable aux VRP ;

Considérant que l'article 14 de cet accord prévoit que lorsque le représentant se trouve dans l'un des cas de cessation de contrat prévus à l'article L. 751-9 alinéa 1 et 2 du Code de Travail, alors qu'il est âgé de moins de 65 ans et sauf opposition de l'employeur exprimée par écrit ce représentant, à la condition d'avoir renoncé au plus tard dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle à laquelle il pouvait avoir droit en vertu de l'article L. 751-9 précité, bénéficiera d'une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit...,

Considérant qu'il n'est pas contesté que Monsieur Hirel, qui a renoncé à l'indemnité de clientèle en réclamant l'indemnité de licenciement le 21 mars 1987, remplit les conditions fixées par cet article pour bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture;

Qu'il s'ensuit que l'intéressé a droit au versement de l'indemnité sollicitéedont le montant est déterminé par l'article 14 précité, à savoir pour une ancienneté de 17 ans 3 mois 26 jours, et un salaire mensuel moyen de 20 347 F duquel doivent être déduits les frais professionnels, une indemnité de 127 180 F ;

Considérant par ailleurs que le fait pour Monsieur Hirel d'avoir perçu au cours d'exécution de son contrat une rémunération spéciale ayant pour objet de rémunérer le développement et la création de la clientèle ne saurait le priver du droit prévu par l'accord interprofessionnel des VRP d'opter en fin de contrat pour le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture prévue par cet accord ;

Que la somme de 127 180 F sera donc allouée à Monsieur Hirel à titre d'indemnité spéciale de rupture et la société Offices d'Annonces déboutée de sa demande de restitution de la somme de 35 000 F.

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties les frais non compris dans les dépens ;

Qu'il n'y aura pas lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare les demandes recevables ; Infirme la décision entreprise ; Condamne la société Offices d'Annonces à payer à Monsieur Hirel la somme de 127 180 F (cent vingt sept mille cent quatre vingt francs), dont à déduire celle de 35 000 F (trente cinq mille francs) déjà versée, à titre d'indemnité spéciale de rupture, outre les intérêts au taux légal à compter du 28 avril 1987 ; Déboute la société Offices d'Annonces de sa demande de remboursement ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Offices d'Annonces aux entiers dépens de Première Instance et d'Appel.