CA Paris, 21e ch. A, 5 décembre 1995, n° 94-38115
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Homar
Défendeur :
Papeteries Sill (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Marc
Conseillers :
Mmes Tauveron, Panthou-Renard
Avocats :
Mes Laforcade, Gerardin.
Monsieur James Homar a été embauché par la société SA Papeteries Sill le 22 août 1988 en qualité de VRP exclusif.
Il a été licencié par lettre expédiée du 24 janvier 1994 en ces termes :
"Pour faire suite à notre entretien du 20 janvier 1994 à Saint-Ouen, nous vous informons, par la présente, de notre intention de vous licencier pour le motif suivant :
Absences de votre travail pour cause de maladie depuis plus de 3 mois (selon l'article 11 de votre contrat de travail) ayant pour conséquence la désorganisation de votre secteur.
Nous vous rappelons que, préalablement à cette décision, il vous a été demandé si vous aviez une idée de la date à laquelle vous seriez susceptible de reprendre votre travail.
Or, vous nous avez informé que le remède, pour soigner la maladie dont vous souffrez, était extrêmement long à trouver et qu'en conséquence, vous n'aviez aucune date proche à nous communiquer mais, que cela pourrait prendre beaucoup de temps.
Fort de cette information complémentaire et à notre grand regret, nous avons donc été amenés à prendre la décision indiquée ci-dessus.
Celle-ci prendra effet à réception de la présente, avec dispense d'effectuer votre préavis ce dont nous avons convenu."
A la suite de ce licenciement Monsieur James Homar a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris de diverses demandes.
Ce conseil par jugement en date du 20 juin 1994 a condamné la société SA Papeteries Sill à payer à Monsieur James Homar la somme de 58.500 F à titre d'indemnité de préavis et celle de 5.850 F à titre de congés payés sur préavis et l'a débouté du surplus de ses prétentions.
Monsieur James Homar a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Il demande à la Cour de condamner son ex-employeur à lui payer outre les sommes que lui ont allouées les premiers juges les sommes suivantes :
- indemnité compensatrice de clause de non-concurrence : 308.000 F,
- rappel de complément de salaire maladie : 3.554,62 F,
- rappel de salaire novembre 1991 : 3.879,20 F,
- indemnité de clientèle : 288.000 F (soit deux ans de commissions),
- dommages-intérêts pour résistance abusive : 20.000 F,
A titre subsidiaire en cas de rejet de sa demande d'indemnité de clientèle :
- 9.750 F au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il demande enfin que soit ordonné sous astreinte de 500 F par jour de retard la remise par la société SA Papeteries Sill du certificat de travail d'attestation Assedic et du bulletin de salaire rectifié "selon les condamnations à intervenir".
La société SA Papeteries Sill, intimée, forme un appel incident pour être déchargée de toutes condamnations.
Elle sollicite la restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 1994 date de règlement et conclut en outre sur le fondement des articles 1325 et 1376 du code civil [à] la condamnation de Monsieur James Homar à lui payer la somme de 53.099 F montant d'un trop perçu sur l'indemnité de licenciement.
Elle sollicite enfin l'allocation d'une somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ceci étant exposé :
SUR L'INDEMNITE DE PREAVIS :
Considérant que pour être déchargée de cette indemnité la société SA Papeteries Sill fait valoir qu'il résulte du texte même de la lettre de licenciement, que le préavis n'a pas été effectué en raison de l'état de santé du salarié ;
Mais considérant qu'à juste titre celui-ci réplique que quelque soit le motif de cette dispense, le fait qu'il ait été dispensé d'exécuter son préavis implique paiement de l'indemnité de préavis ;
Qu'il s'ensuit que les dispositions du jugement déféré relatives au préavis et aux congés payés sur préavis ne peuvent qu'être confirmées ;
SUR L'INDEMNITE COMPENSATRICE DE CLAUSE DE NON-CONCURRENCE :
Considérant qu'il est constant que la société SA Papeteries Sill qui s'en était expressément réservé la faculté, a conformément aux dispositions de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP dénoncé la clause de non-concurrence par acte de Maître Mocci, huissier de Justice à Paris en date du 11 février 1994 ;
Que pour prétendre à l'indemnité qu'il sollicite Monsieur James Homar allègue que cette dénonciation aurait été faite hors délai, puisque le délai dont le point de départ était selon lui le lendemain de l'envoi de la lettre de licenciement soit le 26 juin à 0 heures se serait terminé le 9 février à minuit en application de l'article 641 du code de procédure civile ;
Mais considérant qu'à juste titre la société SA Papeteries Sill réplique que le point de départ du délai n'est pas le jour de l'envoi de la lettre de licenciement mais celui de sa réception, ladite réception étant constitutive de la notification prévue par l'article 17 susvisé;
Qu'il est constant que la lettre de licenciement a été reçue par Monsieur James Homar le 27 janvier 1994;
Qu'il s'ensuit que la dénonciation signifiée le 15e jour suivant la notification du licenciement a été régulière;
Que dès lors la décision des premiers juges rejetant ce chef de demande ne peut qu'être confirmée ;
RAPPEL DE COMPLEMENT SALAIRE MALADIE (1er octobre 1er novembre 1993) :
Considérant que pour prétendre avoir intégralement rempli de ses droits son salarié pendant cette période, la société SA Papeteries Sill allègue qu'elle était fondée en application de l'article 8 de l'accord national interprofessionnel des VRP de déduire les sommes éventuellement perçues par le représentant sur les ordres passés depuis le premier jour d'absence indemnité soit en l'espèce 2.950,32 F ;
Mais considérant que Monsieur James Homar ne conteste pas cette déduction ; qu'il fonde sa demande sur le fait que l'indemnisation maladie doit porter sur l'intégralité du salaire fixe plus commission ;
Qu'en l'espèce il résulte des pièces communiquées (pièce n° 28) que l'indemnisation n'a porté que sur les commissions ;
Que compte tenu du fixe Monsieur James Homar aurait dû toucher non 14.231,70 F mais 17.766,32 F ;
Qu'il convient dès lors confirmant sur ce point la décision déférée de condamner la société SA Papeteries Sill à payer à Monsieur James Homar à ce titre la somme de 3.554,62 F ;
SUR LA DEMANDE DE RAPPEL DE SALAIRE DE NOVEMBRE 1991 :
Considérant qu'il n'est pas discuté par la société SA Papeteries Sill qu'il est d'usage dans la profession de restituer au client 3% du chiffre d'affaire de l'année et qu'il est retenu au VRP 10 % de cette ristourne prévue par un tableau que le VRP doit transmettre à l'employeur ;
Considérant que la société SA Papeteries Sill tout en dénonçant le caractère peu lisible des documents fournis par Monsieur James Homar à l'appui de sa demande de restitution, admet qu'elle a effectivement retenu une participation publicitaire à Monsieur James Homar en novembre 1991 ;
Qu'elle ne justifie nullement que cette retenue a été d'un montant inférieur à celui énoncé par Monsieur James Homar et que figure au moins lisiblement sur un des documents produits (pièce n° 4) ;
Qu'elle allègue que cette retenue était justifiée par le fait que Monsieur James Homar aurait négligé au mépris de ses engagements de l'informer de l'ensemble des participations consenties au cours de l'exercice social et de lui fournir tous justificatifs ;
Mais considérant qu'à bon droit Monsieur James Homar qui ne conteste pas la faute qui lui est reprochée, réplique que la retenue qui a été opérée constitue une sanction pécuniaire prohibée ;
Qu'il convient d'accueillir sa demande de restitution à concurrence de 3.491,28 F puisqu'il est constant que les ristournes accordées à la clientèle sont pour un dixième de leur montant à la charge du représentant ;
SUR L'INDEMNITE DE CLIENTELE :
Considérant que pour contester ce chef de demande la société SA Papeteries Sill fait valoir qu'une indemnité de licenciement a été payée à Monsieur James Homar même si une erreur a été commise dans le calcul de son montant, 62.849 F au lieu de 9.750 F ;
Mais considérant qu'à juste titre Monsieur James Homar fait valoir que la différence entre ces deux sommes est telle qu'on ne peut admettre qu'en lui adressant une somme de 62.849 F la société SA Papeteries Sill qui est une société importante ait entendu payer l'indemnité légale de licenciement ;
Que la circonstance non contestée qu'une tentative de transaction ait eu lieu entre les parties conduit la Cour à interpréter le terme indemnité de licenciement utilisé dans la lettre de transmission de paiement et dans l'attestation ASSEDIC comme signifiant non pas indemnité légale de licenciement mais indemnité volontairement payée par l'employeur ;
Que le fait que le salarié ait accepté ce paiement, dès lors qu'il n'a pas signé un reçu pour solde de tout compte, ne saurait s'analyser en une renonciation pour lui à solliciter l'indemnité de clientèle ;
Considérant que la société SA Papeteries Sill allègue en second lieu qu'il n'y aurait pas possibilité en l'espèce d'indemnité de clientèle, ses représentants démarchant exclusivement des grandes surfaces lesquelles sont rattachées à des sous-centrales puis à des centrales d'achat qui négocient directement les commandes et les prix avec sa direction commerciale de telle sorte qu'ils sont dans l'incapacité d'accroître par eux-mêmes la clientèle;
Maisconsidérant que si la particularité de gestion ci-dessus définie interdit au représentant de recruter de nouveaux clients par l'acceptation directe de commande, elle n'implique nullement que l'action de représentant ne puisse pas accroître les commandes des clients agréés et ainsi contribuer au développement de la clientèle de son employeur;
Qu'en serait-il autrement on voit mal l'intérêt qu'aurait l'entreprise à recourir aux services de représentants;
Considérant que l'existence d'un droit à indemnité de clientèle est d'autant moins discutable que le 4 mars 1991 la société SA Papeteries Sill sous la signature de son secrétaire général a adressé à Monsieur James Homar une lettre ainsi rédigée :
"Nous avons le plaisir de vous remettre sous ce pli un chèque de 10.039 F représentant l'indemnité de clientèle pour le département Loiret conformément à votre contrat de travail et l'avenant du 5 novembre 1990"
étant observé que le contrat de travail définissait le secteur initial du VRP et que l'avenant du 5 novembre 1990 avait pour objet de soustraire le département du Loiret de ce secteur ;
Considérant que la lettre du 4 mai 1991 est dépourvue de toute ambiguïté, que la circonstance que la somme de 10.039 F ait été ultérieurement portée sur un décompte de commissions ne permet nullement comme le soutient l'intimée de prétendre qu'il y a eu une erreur de sa part sur la cause de ce paiement ;
Considérant qu'il est constant que la somme de 10.039 F représente un an de commissions pour le Loiret ;
Que Monsieur James Homar n'a jamais protesté contre la fixation à un an de commission l'indemnité de clientèle pour ce département ;
Que cette fixation conforme aux usages dans la majorité des professions s'explique par le fait qu'ainsi qu'il a été dit plus haut le VRP n'a qu'un rôle limité en raison de l'existence des centrales d'achats dans le développement de la clientèle ;
Considérant que Monsieur James Homar justifie de l'augmentation des commandes des clients du secteur dont il avait conservé la représentation ;
Qu'il s'ensuit qu'il a droit à une indemnité de clientèle qui eu égard à la spécificité de la représentation rappelée ci-dessus et du précédent qui constitue la fixation de l'indemnité de clientèle pour le Loiret le montant de cette indemnité sera fixé à un an de commissions soit 144.000 F ;
Qu'à cette somme il convient de déduire le montant de l'indemnité qualifiée de licenciement et qui ne constituait en réalité qu'une avance sur indemnité de clientèle comme le reconnaît l'appelant ;
Que la créance de Monsieur James Homar au titre de l'indemnité de clientèle s'élève donc à la somme de 81.151 F ;
Que la société SA Papeteries Sill sera condamnée au paiement de cette somme ;
Considérant que les condamnations ci-dessus prononcées impliquent le rejet des demandes de restitutions de la société SA Papeteries Sill ;
Que la résistance de la société SA Papeteries Sill n'a pas été abusive ;
Que la demande de dommages-intérêts de ce chef ne saurait prospérer ;
Considérant qu'il y a lieu par ailleurs d'ordonner à la société SA Papeteries Sill de délivrer dans le mois qui suivra la notification du présent arrêt la délivrance d'une attestation Assedic et de bulletins de paies conformes aux dispositions de cet arrêt ;
Qu'il ne sera pas fait droit à la demande de délivrance d'un certificat les dispositions de la présente décision n'imposant pas la rédaction d'un tel document ;
Que la demande d'astreinte n'est pas en l'état justifiée ;
Considérant que la société SA Papeteries Sill qui succombe pour l'essentiel sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande faite au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que l'équité commande que sur ce même fondement elle paye à Monsieur James Homar la somme de 10.000 F ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf celles relatives au rappel de salaire maladie, au rappel de salaire pour novembre 1991 à l'indemnité de clientèle et à la remise d'attestation Assedic et de bulletins de paie modifiés. L'infirme de ces chefs. Et statuant à nouveau : Condamne la société SA Papeteries Sill à payer à Monsieur James Homar les sommes de : - 3.554,62 F (trois mille cinq cent cinquante quatre francs et soixante deux centimes) à titre de complément de salaire maladie, - 3.491,28 F (trois mille quatre cent quatre vingt onze francs et vingt huit centimes) à titre de complément de salaire pour novembre 1991, - 81.151 F (quatre vingt un mille cent cinquante et un francs) à titre de rappel d'indemnité de clientèle. Déboute la société SA Papeteries Sill de ses demandes de restitution. Lui ordonne de délivrer dans le mois qui suivra la notification du présent arrêt de délivrer à Monsieur James Homar une nouvelle attestation Assedic et de nouveaux bulletins de paie conformes aux dispositions du présent arrêt. Rejette la demande d'astreinte. Condamne la société SA Papeteries Sill aux dépens et la déboute de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La condamne sur ce même fondement à payer la somme de 10.000 F (dix mille francs) à Monsieur James Homar.