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Décisions

CA Aix-en-Provence, 9e ch. soc., 27 mars 1996, n° 92-13622

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gondran

Défendeur :

STS (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fayolle

Conseillers :

MM. Labignette, Blanc

Avocats :

Mes Garcia, Carlini, Houillot.

Cons. prud'h. Marseille, sect. encadr., …

10 avril 1992

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur Jean Gondran est régulièrement appelant d'un jugement en date du 10 avril 1992 rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille lequel l'a débouté de l'ensemble de ses demandes présentées à l'encontre de son ancien employeur, la Société Thermodynamique Service dite STS.

Par des moyens qui seront analysés dans le corps du présent arrêt, l'appelant conclut à la réformation du jugement déféré, et demande la condamnation de la société intimée à lui payer les sommes suivantes :

- 11 550 F à titre d'indemnité de préavis ;

- 1 155 F à titre de congés payés afférents ;

- 65 000 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

- 75 000 F à titre de rappel de commissions ;

- 7 500 F à titre de congés payés afférents ;

- 95 000 F à titre d'indemnité de clientèle ;

- 15 400 F au titre de la clause de non-concurrence, les dites sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de la rupture et avec capitalisation des intérêts ; il demande également la condamnation de l'intimée à lui remettre les listings des commandes directes et indirectes sous astreinte de 500 F par jour de retard, et, à titre subsidiaire, demande la désignation d'un expert pour déterminer le montant des commissions qui lui sont dues.

Il demande, en tout état de cause, la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'intimée conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 150 000 F au titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et celle de 20 000 F sur le fondement du même article 700.

MOTIFS ET DECISION DE LA COUR

SUR LA RUPTURE

Attendu que Monsieur Gondran a été engagé le 5 octobre 1976 en qualité de VRP multicartes par la société sus visée ;

Attendu que, pour prétendre à la réformation du jugement qui a estimé que le licenciement était fondé sur une faute lourde, Monsieur Gondran soutient que la rupture des relations contractuelles était survenue le 11 décembre 1990, avant la lettre de licenciement seulement datée du 9 janvier 1991, et que cette rupture était imputable à l'employeur qui n'avait pas respecté ses obligations contractuelles en ne réglant pas les commissions auxquelles il prétendait ;

Qu'il soutient, en outre, que la lettre de licenciement est circonstancielle et fait état de faits imprécis et non établis ;

Attendu que, pour conclure à la confirmation du jugement de ce chef, la société intimée soutient que le grief basé sur les agissements déloyaux et concurrentiels du salarié appelant sont parfaitement établis et constitutifs d'une faute lourde ;

Attendu que, des éléments de la cause, il ressort que Monsieur Gondran a, dans le courant des années 1988 et 1989, attiré l'attention de son employeur sur le fait qu'il ne recevait pas le double des devis de son secteur ;

que, par lettre du 18 juillet 1989, il a sollicité de son employeur le paiement des commissions dues pour le premier et le deuxième trimestre de l'année 1989 ainsi que des congés payés ;

que la société STS lui a répondu que leur collaboration était " devenue anormale ou nulle " précisant que " depuis plusieurs années, (elle pensait) qu'il serait nécessaire de (se) rencontrer pour une éventuelle mise au point " (sic) et lui adressait les commissions pour le premier trimestre 1989 et les congés payés ;

que, par lettre recommandée du 18 décembre 1989, Monsieur Gondran demandait des explications quant aux termes " collaboration anormale ou nulle " et réclamait le paiement des commissions dues pour les deuxième, troisième et quatrième trimestres 1989 ;

qu'il lui était répondu par lettre du 30 janvier 1990 qu'un chèque de 4 633,45 F à titre de solde de commissions au 31 décembre 1989 lui était adressé par ce même courrier ;

qu'il était soutenu par la société STS, dans le même courrier, que Monsieur Gondran représentait une maison commercialisant des échangeurs à plaque sans avoir demandé son accord alors qu'elle n'avait plus aucun renseignement sur ses cartes de représentation ;

que, par télécopie du 11 juillet 1990, Monsieur Gondran prétendait qu'il n'avait toujours pas reçu le règlement des commissions à titre de solde pour 1989, pour le premier et le deuxième trimestre 1990 ainsi que pour une affaire " IBM " ;

que, par lettre du 24 juillet 1990, l'employeur répondait qu'il lui était adressé un acompte de 20 000 F sur 26 947,50 F de commission brute sur l'affaire IBM ;

que le 31 juillet 1990, le salarié réclamait le solde de commission pour l'affaire " IBM " et ajoutait qu'il attendait toujours le règlement des soldes précédemment réclamés, prétendant que certaines commissions, sans préciser lesquelles, étaient dues depuis deux ans ;

que, par télécopie datée du 15 octobre 1990, le salarié soutenait qu'il n'avait toujours pas reçu la " régularisation des commissions réclamées depuis plus d'un an " sauf celle concernant l'affaire " IBM " réglée en totalité ;

qu'enfin, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 décembre 1990, il s'adressait à son employeur en ces termes :

" Je constate avec regret que vous n'avez toujours pas daigné régulariser ma situation, en dépit de mes multiples revendications ainsi que de l'intervention de mon syndicat.

Je ne puis donc qu'à nouveau constater que vous manquez systématiquement à vos obligations contractuelles en refusant de me verser mes commissions.

Vous comprendrez aisément que je ne puis tolérer davantage le grave préjudice financier que vous m'infligez.

En conséquence, je vous informe que je prends acte de la rupture de mon contrat à vos torts et griefs exclusifs.

Je vous rappelle ou informe que ce mode de rupture est juridiquement assimilable à un licenciement, avec toutes les conséquences indemnitaires qui s'ensuivent " ;

Attendu que, par lettre recommandée n° LA 0431 8725 0FR du 14 décembre 1990, l'employeur a répondu à Monsieur Gondran qu'il préconisait " une solution amiable compte tenu des préjudices causés par (sa) concurrence déloyale " et qu'il souhaitait lui " laisser une possibilité de collaborer dans les conditions qu'ils avaient convenues par ailleurs " ;

que, par lettre dans les mêmes formes du même jour n° LA 0431 8726 0FR, l'employeur accusait réception de la lettre de rupture de Monsieur Gondran, annulant son précédent courrier, et convoquait le salarié à un entretien préalable en vue de son licenciement pour le 19 décembre 1990, lettre à laquelle le salarié répondait qu'il la considérait sans objet en raison du fait qu'il s'estimait déjà licencié ;

qu'enfin, par lettre recommandée du 9 janvier 1991, l'employeur a notifié à Monsieur Gondran son licenciement pour concurrence déloyale, lui reprochant d'avoir, depuis 1985, voulu céder sa carte au profit de son fils et d'avoir représenté de nouvelles maisons sans autorisation, le reproche en étant également fait à son fils ;

Attendu que, des éléments de la cause, il ressort que l'initiative de la rupture est imputable au salariéet que, dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner les griefs invoqués par l'employeur, la rupture du contrat de travail étant survenue le 11 décembre 1990 ;

Attendu qu'il est constant que, selon l'article 5 du contrat de travail, les commissions sur les ordres directs et indirects du secteur du salarié devaient être payées, après encaissement des factures, tous les trimestres après accord du représentant au vu d'un relevé fourni par la société STS, le dit relevé et l'accord du représentant valant arrêté de comptes;

Attendu que, si l'employeur n'a jamais contesté les diverses réclamations énumérées ci-dessus, il prétend, dans ses écritures devant la Cour, que l'appelant ne verse aux débats aucun justificatif concernant la somme réclamée et que l'expertise sollicitée ne saurait suppléer la carence de l'appelant dans l'administration de la preuve ;

Attendu que si, dans sa lettre du 11 juillet 1990, le salarié réclamait le paiement de commissions sur des affaires Dana, Profroid, Omath, SMF, Cophoc, Sedel, IBM, celui-ci n'a jamais versé aux débats le moindre élément relatif à ces prétentions;

Attendu qu'en outre le salarié ne verse aux débats aucun bulletin de salaire permettant d'établir qu'il percevait effectivement des commissions résultant de son activité de représentationet qu'il y a lieu d'observer que l'employeur reprochait déjà à ce salarié, dans le courant de l'année 1989, une activité nulle ou anormale, le salarié n'ayant pas contesté en son temps cette affirmation s'étant borné à demander des précisions sur les termes employés par l'employeur ;

Attendu, d'autre part, que le salarié ne fournit aucun élément de référence ni mode de calcul relatif au montant de la somme réclamée à titre de commissions restant dueset qu'une mesure d'expertise ne saurait pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve;

que, dès lors, les premiers juges ont fait une inexacte appréciation des éléments de la cause en estimant que l'appelant avait été licencié pour concurrence déloyaleet que le jugement sera réformé de ce chef ; qu'il ressort en effet des mêmes éléments que la rupture est imputable au salarié et injustifiée, le jugement étant cependant confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de ses demandes en paiement de commissions, d'indemnité de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de clientèle et de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Attendu que, des termes de l'article 15 du contrat de travail, il ressort que Monsieur Gondran s'engageait dans le cas de cessation dudit contrat à ne pas représenter directement ou indirectement dans le secteur qui lui avait été confié, pendant une durée d'un an, une maison fabriquant des articles similaires à ceux de la société STS;

qu'il était précisé au dit contrat que le salarié représentait déjà les sociétés Bayardon, Europair et ACC;

que, par lettre du 18 mars 1981, à laquelle l'employeur n'a pas répondu, le salarié informait ce dernier qu'il venait de conclure un contrat avec la société Sapca, constructeur de chaudières et d'incinérateurs;

que, par lettre du 30 janvier 1985, à laquelle l'employeur n'a pas répondu, le salarié informait ce dernier de la conclusion d'un contrat avec la société Smart dont l'activité concernait les matériels de chauffage et producteurs d'eau chaude sanitaire;

Attendu que, pour prétendre à la concurrence déloyale et à la condamnation de Monsieur Gondran à lui payer une somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts, la société STS soutient que Monsieur Gondran s'est, selon ses écritures devant la Cour, rendu coupable d'agissements concurrentiels à son préjudice, sans autorisation, avec contre-publicité à l'égard des produits de la société alors que, dès le 24 avril 1989, elle avait conclu un contrat avec la société Alfa-Laval Industrie pour la commercialisation de produits similaires à ceux commercialisés par la société Smart ;

Attendu que, pour soutenir qu'il n'a jamais commis un acte de concurrence déloyale, le salarié soutient, d'une part, qu'il a travaillé en connaissance de cause avec les sociétés déjà visées au contrat de travail, et, par la suite, avec la société Smart, après en avoir avisé son employeur qui ne s'y était pas opposé ;

Attendu que la société STS, pour affirmer que le salarié a commis des actes de concurrence déloyale, ne verse aux débats aucun commencement de preuve alors qu'il est établi que le salarié l'avait avisée de sa collaboration avec la société Smart dès le 30 janvier 1985;

que la société STS n'a invoqué ce grief qu'après avoir reçu la lettre de rupture ;

que, par ailleurs, le salarié verse aux débats les attestations de Messieurs Garcia, Corbin, Poet, Auzière, Lapchov et Risoul, personnes exerçant des fonctions dans le même secteur d'activité, selon lesquelles les matériels commercialisés par la société Smart concernaient le secteur industriel, les bâtiments destinés au logement ou à usage public alors que le matériel STS était un matériel artisanal destiné à un usage différent et ne pouvant entrer en concurrence avec le précédent;

qu'en tout état de cause, s'il est établi que la société STS a conclu un contrat avec la société Alfa-Laval Industrie en vue de commercialiser, à compter du 24 avril 1989, des produits pouvant être assimilés à ceux commercialisés par la société Smart, elle n'établit pas qu'à partir de cette date le salarié se soit livré à un acte concurrentiel dans le secteur de représentation des départements 13, 83 et 84 dans lesquels il continuait à la représenter ;

qu'en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société STS de ce chef de demande;

SUR LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE

Attendu que pour réclamer la somme de 15 400 F au titre de la clause de non-concurrence, l'appelant se borne à soutenir que la société STS ne rapporte pas la preuve d'une concurrence déloyale ;

Attendu que, des termes du contrat de travail, il ne résulte pas qu'une contrepartie pécuniaire ait été prévue à la clause de non-concurrence ; qu'ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de ce chef de demande ;

Attendu qu'aucun élément tiré de l'équité ou de la situation économique des parties ne commande l'application en la cause de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu qu'en raison de sa succombance, l'appelant sera condamné à supporter les entiers dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale ; Réformant le jugement, déclare la rupture imputable à Monsieur Jean Gondran et la dit injustifiée ; Confirme le jugement pour le surplus ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et condamne l'appelant à supporter les entiers dépens.