CA Amiens, 2e ch. soc., 13 octobre 1988, n° 2281-87
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sapi (Sté)
Défendeur :
Martin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin
Conseillers :
Mmes Trochain, Leseigneur
Avocats :
Mes Firmin, Talet.
Attendu que la société anonyme Sapi a régulièrement en la forme interjeté appel d'un jugement du Conseil de Prud'hommes de Friville-Escarbotin du 6 juillet 1987 qui l'a condamnée à payer à son représentant démissionnaire Jean-Claude Martin une contrepartie mensuelle spéciale de 4.731,66 F pendant l'exécution de l'interdiction contractuelle de concurrence, soit à compter du 1er novembre 1986 jusqu'au 31 octobre 1988 et qui a dit que la somme de 37.853,28 F se rapportant à la période de huit mois écoulée du 1er novembre 1986 au jour du jugement était immédiatement exigible et que tout retard dans les règlements échus ou à échoir porterait intérêt au taux légal, déboutant les parties du surplus de leurs prétentions ;
Qu'elle demande à la Cour d'infirmer cette décision en la déchargeant de toutes les condamnations prononcées lesquelles sont, selon elle, dénuées de fondement quant à leur principe et injustifiées dans leur montant ;
Attendu que M. Martin, relevant appel incident, demande à la Cour de condamner la société Sapi à lui payer la somme principale de 113.559,84 F au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence qui était insérée dans son contrat de travail, de dire que cette somme représentant 24 indemnités mensuelles portera intérêts au taux légal à compter de chacune de ses échéances et de condamner en outre la société Sapi à lui payer la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et vexatoire et appel abusif et la somme de 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu qu'il est constant que M. Martin est entré au service de la société Sapi en qualité de représentant exclusif statutaire sur cinq départements à compter du 1er novembre 1983 suivant contrat écrit du 28 octobre 1983 lui interdisant, en cas de rupture du contrat pour quelque cause que ce soit, de s'intéresser directement ou indirectement ou pour le compte d'un tiers à une entreprise concurrente ou d'entrer au service d'une telle entreprise en qualité d'employé ou de représentant ou à tout autre titre, cette interdiction étant stipulée pour deux ans à compter du jour de la rupture et étendue au secteur de représentation précité, et étant assortie d'une sanction pécuniaire égale à la rémunération par lui perçue pendant les deux dernières années ;
Attendu qu'à l'appui de sa réclamation M. Martin invoque les dispositions de la convention collective nationale des voyageurs représentants qui, en son article 17, prévoit que pendant l'exécution de l'interdiction contractuelle de concurrence l'employeur versera une contrepartie mensuelle spéciale dont le montant sera égal à deux tiers de mois de rémunération si la durée est supérieure à un an, étant précisé que ce montant devra être réduit de moitié en cas de rupture du contrat de représentation consécutive à une démission ;
Attendu que pour s'opposer à cette prétention la société Sapi, qui ne peut sérieusement contester l'applicabilité de la convention collective précitée, expressément visée dans le contrat de travail, fait valoir qu'en démissionnant sans préavis M. Martin s'est placé de lui-même en dehors du champ d'application des dispositions légales et conventionnelles ;
Que par ailleurs la clause de non-concurrence est dans une certaine mesure liée à la notion d'indemnité de clientèle et qu'il n'a apporté aucune espèce de clientèle en succédant à un autre représentant, qu'enfin elle a en première instance par conclusions additionnelles et subsidiaires renoncé à se prévaloir de la clause litigieuse ;
Mais attendu que l'inexécution du préavis, en la supposant fautive, ouvre droit au profit de l'employeur à une indemnité compensatrice sans le dispenser pour autant de ses propres obligations ;
Que force est de surcroît de constater qu'en l'espèce M. Martin, se référant à un entretien du même jour, a donné sa démission par lettre du 23 septembre 1986 en exprimant qu'il souhaitait qu'elle prenne effet au 31 octobre 1986 au lieu du 23 novembre 1986 et demandant ainsi d'être libéré "au plus tôt" ;
Que tout laisse penser que les parties se sont mises d'accord sans équivoque sur cette inexécution partielle du préavis puisque l'employeur, loin de s'y opposer ou d'exprimer la moindre réserve, s'est toujours gardé d'en réclamer la moindre indemnisation ;
Attendu par ailleurs que la Sapi n'explique pas en quoi il y aurait "dans une certaine mesure" un quelconque lien entre l'indemnité de clientèle et la contrepartie pécuniaire d'une clause de non-concurrence;
Qu'il suffit à cet égard de souligner le caractère indemnitaire de la première, destinée à réparer le cas échéant la perte pour l'avenir par le représentant du bénéfice de la clientèle par lui apportée, créée ou développée, et le caractère salarial de la seconde, destinée à restreindre dans certaines limites l'activité professionnelle du représentant, après l'expiration de son contrat de travail, auprès de la clientèle de l'employeur indépendamment de tout droit à indemnité de clientèle;
Attendu qu'enfin l'employeur était mal fondé, pour tenter de se soustraire à la contrepartie pécuniaire prévue par la convention collective, à renoncer tardivement en cours d'instance, par conclusions déposées à l'audience de jugement du 11 mai 1987, à la clause litigieuse, alors que la convention collective lui imposait de le faire dans les quinze jours suivant la notification de la rupture;
Que ladite contrepartie est donc due dès lors qu'il n'est pas allégué que M. Martin a méconnu l'interdiction contractuelle;
Attendu, sur le calcul de la contrepartie, qu'il doit prendre en considération la rémunération moyenne mensuelle des douze derniers mois, frais professionnels exclus ;
Qu'il résulte du contrat de travail que les frais professionnels de M. Martin, qui disposait d'un véhicule de fonction, étaient remboursés distinctement sur présentation de justificatifs selon un barème convenu, ce qui exclut l'indemnisation du salaire fixe et des commissions, nets de cotisations sociales, servant de base au calcul de la contrepartie ;
Attendu que la somme principale réclamée par M. Martin est dès lors justifiée par les documents produits aux débats ;
Attendu cependant que les intérêts au taux légal sur les mensualités échues ne peuvent courir avant l'introduction de la demande en justice, soit du 24 janvier 1987 date de la citation en conciliation ;
Attendu qu'il n'est pas démontré que la résistance de la société Sapi ait revêtu un caractère abusif ou particulièrement téméraire ;
Qu'il est toutefois équitable d'allouer à M. Martin la somme de 3.000 F au titre de ses frais hors dépens ;
Par ces motifs, LA COUR : Reçoit les appels tant principal qu'incident ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, exception faite en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Précise toutefois que les intérêts, au taux légal ne courent qu'à compter du 24 janvier 1987 pour les mensualités échues avant cette date et courent à compter de leur échéance pour les autres mensualités ; Y ajoutant, condamne la société Sapi à payer à M. Martin la somme de trois mille francs au titre de ses frais hors dépens ; Déboute M. Martin de sa demande de dommages-intérêts et la société Sapi de sa demande reconventionnelle ; Condamne cette dernière aux dépens d'appel.