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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 9 mai 1996, n° 9406252

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Outilacier (SA)

Défendeur :

Tardy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvire

Conseillers :

M. Chauvet, Mme Meallonnier

Avocat :

Me Pagnon.

Cons. prud'h. Lyon, sect. encadr., du 1e…

1 septembre 1994

EXPOSE DU LITIGE

Au service de la SA Outilacier en qualité de représentant de commerce depuis le 1er janvier 1978 et indisponible pour maladie depuis, en dernier lieu, le 13 février 1989, Monsieur Tardy a, par lettre du 6 février 1992, fait parvenir à son employeur une copie de la décision de la Caisse primaire centrale d'assurance maladie de Lyon, en date du 5 février 1991, lui attribuant, à compter du 1er mars 1991, une pension d'invalidité dont le montant était déterminé en fonction d'un classement en deuxième catégorie et indiqué que, de ce fait, son contrat de travail se trouvait rompu.

La SA Outilacier ayant contesté devoir l'indemnité de clientèle dont Monsieur Tardy réclamait le paiement, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon qui, par jugement du 1er septembre 1994, a condamné la SA Outilacier à lui payer la somme de 100.000 F au titre de ladite indemnité, outre intérêts légaux à compter du jugement, ainsi que celle de 2.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et débouté la SA Outilacier de sa demande fondée sur ce même texte.

Ayant interjeté appel de ce cette sentence par un pli recommandé expédié le 28 septembre 1994, la SA Outilacier fait valoir au soutien de son recours que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le classement en invalidité n'a pas d'incidence sur la relation contractuelle entre l'employeur et le salarié qui demeure suspendue du fait de la maladie tant que le médecin du travail n'a pas déclaré le salarié définitivement inapte à son emploi de sorte que, Monsieur Tardy ayant été classé en invalidité deuxième catégorie par la décision de la caisse d'assurance maladie du 5 février 1991 sans qu'aucune des parties ait, dans un premier temps, manifesté l'intention de résilier le contrat de travail, la rupture des relations de travail est en fait intervenue à l'initiative de Monsieur Tardy lorsqu'il a pris sa retraite le 1er mai 1992.

Elle indique encore qu'en dépit de ce que prétend Monsieur Tardy, les dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail ne peuvent en outre lui permettre de bénéficier d'une indemnité de clientèle dans la mesure où, ce texte mettant à la charge de l'employeur le paiement d'une telle indemnité en cas de cessation du contrat de travail par suite d'un accident ou d'une maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail de l'employé, les conditions qu'il requiert pour l'ouverture du droit à l'indemnité ne sont pas réunies en l'espèce, Monsieur Tardy ne démontrant pas le caractère permanent de son incapacité puisque, aux termes de l'article L. 341-9 du Code de la sécurité sociale, la pension résultant d'un classement en invalidité de deuxième catégorie est concédée à titre provisoire.

Elle précise enfin que Monsieur Tardy ne justifie pas du montant de l'indemnité demandée puisqu'il n'apporte pas la preuve de la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, observation étant faite que lors de son entrée au service de l'entreprise, la clientèle avait déjà été développée par plusieurs représentants.

Elle sollicite en conséquence la réformation de la décision entreprise.

Elle demande en outre la condamnation de Monsieur Tardy à lui payer la somme de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Tardy réplique que son classement en invalidité de deuxième catégorie l'a mis dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations contractuelles et que, dans ces conditions, c'est à bon droit que, se fondant sur les dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes a jugé qu'il avait droit à une indemnité de clientèle.

Il répond également que le chiffre d'affaires réalisé sur son secteur, qui était de 195.911 F en 1978, n'a par la suite jamais cessé de croître jusqu'à atteindre en 1988, dernière année où il a pu exercer normalement son activité professionnelle, 1.552.703 F, ce qui démontre l'augmentation de la clientèle.

Il ajoute que si le premier juge doit être approuvé pour avoir décidé de lui allouer l'indemnité de clientèle, il encourt cependant la critique en ce qu'il a évalué le montant de l'indemnité seulement à la somme de 100.000 F qui est très inférieure à celle à laquelle il peut prétendre eu égard au montant des commissions qu'il a perçues au cours de ses deux dernières années d'activité pleine.

Il demande donc que, l'appel incident qu'il forme étant accueilli, la SA Outilacier soit condamnée à lui payer la somme de 196.946 F à titre d'indemnité de clientèle, outre intérêts au taux légal.

Il réclame par ailleurs la condamnation de la SA Outilacier à lui payer la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que, relevé dans les forme et délai légaux, l'appel principal de la SA Outilacier est recevable ; que l'appel incident de Monsieur Tardy l'est également ;

Attendu qu'il ressort des lettres échangées par les parties en février et mai 1992 que celles-ci ont l'une et l'autre considéré que le contrat de travail avait pris fin à réception par la SA Outilacier du pli de Monsieur Tardy du 6 février 1992 si bien que, contrairement à ce qu'affirme maintenant la SA Outilacier, le contrat de travail ne s'est pas poursuivi jusqu'au jour où Monsieur Tardy a, sur sa demande, bénéficié du droit à une pension de vieillesse ; qu'il convient en conséquence de rechercher si Monsieur Tardy peut prétendre à une indemnité de clientèle au regard des dispositions de l'article L. 751-9 du Code du travail ;

Attendu, selon ce texte, qu'en cas de résiliation du contrat de travail du fait de l'employeur non provoquée par la faute grave du salarié ainsi qu'en cas de cessation du contrat de travail par suite d'accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de travail de l'employé, celui-ci a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ;

Qu'il résulte de ces dispositions qu'en dehors du cas de résiliation du contrat à l'initiative de l'employeur, l'indemnité de clientèle ne peut être accordée que lorsqu'il est avéré que le salarié est définitivement inapte, par suite d'une maladie ou d'un accident, à exercer une activité professionnelle de quelque nature qu'elle soit;

Or attendu que si le classement en invalidité de deuxième catégorie d'un assuré social par un organisme de sécurité sociale suppose que, aux yeux de ce dernier, l'assuré soit dans l'impossibilité absolue d'exercer une profession quelconque, en revanche il n'implique pas que cette incapacité totale de travail soit permanentepuisque aussi bien, ainsi que cela résulte des articles L. 341-9, L. 341-11 et L. 341-13 du Code de la sécurité sociale, une pension d'invalidité, qui est accordée à titre temporaire, peut toujours être supprimée ou révisée en raison de la disparition ou de la modification de l'état d'invalidité de l'intéressé ;

Que Monsieur Tardy en était d'ailleurs pleinement conscient comme le montre le fait qu'il a informé la SA Outilacier de son état d'invalidité et indiqué qu'il considérait le contrat de travail comme rompu seulement un an après que lui eut été notifiée la décision lui accordant une pension ;

Attendu, dans ces conditions, que Monsieur Tardy ne peut prétendre à une indemnité de clientèleet qu'il convient de réformer en ce sens le jugement entrepris ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire supporter à Monsieur Tardy les frais engagés par la SA Outilacier pour les besoins du procès ;

Attendu que Monsieur Tardy qui succombe doit être condamné aux dépens et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement ; Déclare recevables tant l'appel principal de la SA Outilacier que l'appel incident de Monsieur Tardy ; Réformant le jugement déféré ; Déboute Monsieur Tardy de sa demande tendant au paiement d'une indemnité de clientèle ; Le déboute également de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en ce qu'elle porte sur les frais engagés par lui pour assurer la défense de ses intérêts devant le Conseil de prud'hommes ; Déboute Monsieur Tardy de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en ce qu'elle porte sur les frais par lui exposés pour assurer la défense de ses intérêts en cause d'appel ; Déboute la SA Outilacier de sa demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Tardy aux dépens de première instance et d'appel.