Cass. com., 30 janvier 1996, n° 94-13.799
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
But International (Sté)
Défendeur :
Nova (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
Me Guinard, SCP Lesourd, Baudin.
LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 3 février 1994), que la société anonyme Nova meubles (le franchisé), exploitant un commerce de meubles à Boulogne, a en 1989 engagé des pourparlers, dans la perspective de la conclusion d'un contrat de franchisage avec la société But international (le franchiseur) qui a fait procéder à une étude de marché ; qu'en avril 1989 cette étude a conclu à la possibilité de la réalisation du projet et à un chiffre d'affaires prévisionnel compris entre 120 000 000 de francs et 101 000 000 de francs sous réserve d'installations matérielles et d'un apport de fonds ; qu'après un échange de correspondance ayant conduit à une augmentation du capital de la société, un aménagement des locaux et une réduction à quatre vingt dix millions du chiffre d'affaires annuel envisagé, les parties ont conclu un contrat de franchisage le 3 novembre 1989 ; que dès l'année 1990, le chiffre d'affaires a été inférieur aux prévisions ; que le 20 juin 1991, a été ouvert le redressement judiciaire de la société Nova meubles et le 9 juillet 1992 le plan de redressement a été adopté ; que le 20 juillet 1990, la société But international a rompu le contrat de franchisage ; que la société Nova et M. Goulletquer, en qualité de commissaire à l'exécution du plan ont assigné le franchiseur en réparation du préjudice financier résultant de fautes commises dans l'étude de marché et l'établissement du compte prévisionnel ;
Sur le premier moyen pris en ses trois branches et le deuxième moyen pris en ses sept branches, les moyens étant réunis : - Attendu que la société But international fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en s'abstenant de préciser sur quel fondement juridique elle devrait répondre d'une " erreur de base fondamentale " qui entacherait l'étude réalisée préalablement au contrat de franchisage par un tiers consultant dont elle soulignait l'indépendance et l'autorité dans ses conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en rangeant parmi les " fautes commises par But sur le plan contractuel " ladite " erreur de base fondamentale qui ne peut s'imputer à faute qu'à la seule société But ", cependant qu'elle constatait elle-même qu'elle avait fait procéder à cette étude de marché " avant de s'engager ", la cour d'appel a méconnu le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, en violation des articles 1147 et 1382 du Code civil ; alors, en outre, que le franchiseur qui s'adresse à un consultant indépendant pour réaliser une étude de marché servant de base à la conclusion du contrat avec le franchisé, ne répond envers ce dernier des erreurs commises par ce consultant, qui n'est pas son préposé, que dans le cas où il a commis une faute, soit dans le choix de celui-ci, soit dans l'approbation d'une étude qui contiendrait des erreurs manifestement évidentes pour lui et indécelables pour le franchisé ; qu'en " imputant à faute à la société But " l'erreur qui entacherait l'étude préalable de M. Coutant, sans relever une telle faute personnelle à sa charge, ni un quelconque lien de préposition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil ; alors, de plus, que le franchiseur qui n'est pas tenu d'une obligation de résultat dans l' établissement des prévisions d'activité de son franchisé, ne peut être déclaré responsable à raison de résultats inférieurs à ceux prévus qu'en présence d'une faute prouvée à sa charge ; qu'en déduisant du seul écart de 30 % entre le chiffre d'affaires prévisionnel et le chiffre d'affaires réalisé et de la prétendue absence de faute du franchisé l'existence " d'une erreur de base fondamentale qui ne peut s'imputer à faute qu'à la société But ", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 1315 et 1382 du Code civil ; alors, au surplus, qu'en retenant sa responsabilité sans nullement caractériser en quoi l'étude n'aurait pas été réalisée avec compétence et diligence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, de plus, qu'en s'abstenant de préciser en quoi la société Nova meubles, dont la qualité de professionnelle du marché du meuble était constante, n'aurait pas disposé des éléments nécessaires pour contrôler le sérieux de la prévision faite, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, qu'en énonçant, pour écarter toute imputabilité des résultats à la société Nova meubles, qui n'a pas adapté sa gamme à sa clientèle, qu'elle se serait " heurtée à l'opposition de But ne voulant pas porter atteinte à son système de vente discount ", sans aucunement préciser en quoi aurait consisté et par quels éléments serait établie " cette opposition " formellement contestée par elle qui, dans ses conclusions, faisait au contraire valoir, preuves à l'appui, la totale liberté du franchisé dans le choix des produits mis en vente et sa politique commerciale, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, qu'en retenant encore, pour écarter toute imputabilité des résultats à la société Nova meubles, l'absence de toute faute de cette société, sans répondre à ses conclusions relatives au défaut de formation, de compétence et d'attitude commerciale du personnel, ainsi qu'aux défaillances de la logistique, la cour d'appel a une nouvelle fois violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, encore, que la société Nova meubles n'ayant jamais prétendu dans ses conclusions que ses interventions et conseils auraient présenté un caractère tardif, la cour d'appel, en relevant d'office l'existence d'une telle faute sans provoquer les observations préalables des parties, a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi elle pouvait se rendre compte encore plus vite qu'elle ne l'a fait des mauvais résultats et des mesures à prendre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que la société But a, pour faire procéder à une étude de marché, à laquelle n'avait pas participé le président du conseil d'administration de la société Nova meubles, autrement que pour fournir les renseignements demandés, sollicité l'avis d'une personne compétente qui a conclu qu'il serait nécessaire, pour tenir compte du contexte dans lequel se trouverait le magasin, d'accroître l'approvisionnement en produits dits de haut de gamme, que le chiffre d'affaires réalisé s'est révélé être inférieur de trente pour cent à la prévision résultant de ladite étude, et que la société But s'est refusé à modifier son système de vente dit " discount " touchant une clientèle à revenu modeste et ne correspondant pas aux goûts de celle du lieu d'implantation du franchisé ; qu'il relève en outre que le franchiseur avait, par lettres des 26 juin et 26 juillet 1990, demandé au franchisé la réduction des frais généraux et que le franchisé avait aussitôt pris des mesures importantes en ce sens ; que la cour d'appel, par une décision motivée et sans méconnaître le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, a pu déduire de ces constatations, dont il résulte que la tardiveté de l'intervention du franchiseur était dans le débat, que la société But international avait demandé trop tard au franchisé une réduction des charges qui ne pouvait être que limitée et que l'échec du franchisé résultait de l'erreur ayant consisté à adopter dans un environnement défavorable les méthodes de vente du franchiseur et du refus de ce dernier d'adapter la politique commerciale à ce contexte;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel qui a retenu, sans mettre en cause le sérieux et la compétence de l'étude préalable, que l'échec du franchisé résultait de l'inadaptation de la politique commerciale du franchiseur, n'avait pas à établir l'existence d'un lien de préposition avec la personne ayant participé, à la demande de la société But, à la réalisation de l'étude ;
Attendu, enfin, qu'en relevant, à la fois, que l'échec commercial résultait du seul fait du franchiseur qui avait procédé seul à l'étude préalable et avait maintenu une politique commerciale inadaptée au contexte dans lequel se situait le magasin concerné et que la société Nova avait pris dès que cela lui avait été demandé les mesures préconisées par le franchiseur pour tenter d'améliorer les premiers résultats, la cour d'appel a répondu, en les rejetant, aux conclusions prétendument délaissées ;
D'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
Et sur le troisième moyen pris en ses quatre branches : - Attendu que la société But international fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Nova meubles une indemnité alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en se bornant à affirmer " qu'il a été démontré que les fautes commises par But international ont amené Nova meubles à déposer son bilan ", sans fournir aucune explication sur cette prétendue démonstration, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le lien de causalité retenu, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui admet elle-même " que But international invoque avec raison pour expliquer en partie le préjudice invoqué les effets néfastes de la guerre du Golfe et de la perte d'enseigne du magasin Leclerc à côté duquel la société Nova meubles était implantée, que ces faits, ont contribué pour partie à la chute du chiffre d'affaires " ne pouvait s'abstenir de rechercher si le dépôt de bilan eût été nécessaire sans ces faits, circonstance de nature à écarter le lien de causalité qu'elle retient ; qu'elle a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et suivants du Code civil ; alors, en outre, qu'après avoir énoncé elle-même que le préjudice réparable était celui " lié aux démarches et aux difficultés financières " de la société Nova meubles, la cour d'appel ne pouvait, pour évaluer le préjudice, se référer à la nécessité où serait la société Nova meubles de " combler le passif imputable à ses fautes avec ses bénéfices futurs résultats de sa seule activité " sans méconnaître la limite qu'elle avait elle-même précédemment fixée tenant au " préjudice lié aux démarches et aux difficultés financières " ; qu'en méconnaissant ainsi les conséquences de ses propres constatations elle a violé de plus fort les articles 1147 et suivants du Code civil ; alors, enfin, qu'après avoir écarté les chiffres avancés par chacune des deux parties, la cour d'appel ne pouvait arrêter celui de 120 000 000 millions de francs sans aucune justification, méconnaissant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir retenu que le franchiseur avait laissé le franchisé s'engager financièrement pour réaliser une installation jugée tardivement inadéquate par rapport à la clientèle concernée compte tenu de la politique commerciale imposée a donc motivé, après avoir procédé à la recherche prétendument omise, l'existence d'un lien de causalité entre la faute du franchiseur et le dépôt de bilan du franchisé ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que les fautes commises par le franchiseur ont conduit le franchisé à déposer son bilan ;
Que la cour d'appel a donc pu décider que le préjudice était lié aux démarches et difficultés financières qui en sont résultées ;
Attendu, en troisième lieu, que c'est souverainement que la cour d'appel a fixé le montant de la réparation du préjudice causé au franchisé ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que la société Nova meubles demande l'allocation d'une somme de 30 000 F par application de ce texte ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
Et sur la demande présentée au titre de l'article 628 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que la société Nova meubles demande l'allocation d'une somme de 20 000 F par application de ce texte ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.