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Décisions

Cass. com., 3 mai 1995, n° 93-12.981

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bata (SA)

Défendeur :

Castelin (Époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, Me Blanc.

T. com. Nantes, du 7 sept. 1992

7 septembre 1992

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Rennes, 20 janvier 1993), que le 13 février 1986, la société Bata a, aux termes d'un contrat intitulé " franchise ", concédé aux époux Castelin, propriétaires d'un fonds de commerce, l'exclusivité de la vente des chaussures et accessoires portant sa marque ; qu'à la suite de difficultés financières, les époux Castelin ont été dans l'impossibilité de payer les marchandises fournies par la société Bata ; que les époux Castelin ont assigné la société Bata devant le tribunal de commerce pour requalification du contrat, paiement d'un salaire et d'une indemnité de congés payés et dommages-intérêts ; que la société Bata a opposé l'incompétence de la juridiction consulaire ;

Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense : - Attendu que les époux Castelin soulèvent l'exception d'irrecevabilité du pourvoi au motif que la décision déférée n'a pas mis fin à l'instance ;

Mais attendu que l'arrêt, en requalifiant le contrat litigieux et en désignant le conseil de prud'hommes pour statuer sur la demande des époux Castelin, met fin à l'instance autonome introduite devant elle et peut être frappé de pourvoi en cassation ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Bata fait grief à l'arrêt d'avoir requalifié le contrat de franchise en contrat de gérance salariée et d'avoir renvoyé la cause devant le conseil de prud'hommes alors, selon le pourvoi, d'une part, que les articles 9 et 10 du contrat de franchise déterminaient le prix d'achat des fournitures par les époux Castelin et non le prix de revente, ainsi que l'a pourtant énoncé l'arrêt, en dénaturant les termes desdits articles, violant de ce fait l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que, dans ses conclusions d'appel, elle avait soutenu que la marge dont jouissaient les époux Castelin après déduction du prix d'achat des marchandises fournies par elle, ne les privait pas, contrairement à ce qu'avaient admis les premiers juges, de la possibilité de pratiquer une politique personnelle des prix, dès lors que cette marge, avoisinant trente pour cent du prix de revente pratiqué dans des succursales, était nette de toutes charges afférentes aux fournitures et à la gestion de stocks assumées exclusivement par le franchiseur ; qu'en se bornant à affirmer que les prix de vente étaient déterminés par le franchiseur sans s'expliquer sur les conclusions de nature à faire apparaître au contraire que les époux Castelin jouissaient d'une importante liberté pour la fixation de leur prix de vente, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, encore, et en toute hypothèse, qu'en adoptant les motifs du jugement qui avait déduit le caractère insuffisant de la marge des réclamations présentées en vue de son augmentation par les franchisés, lesquels avaient intérêt à les formuler, sans rechercher par (lui-même) si ces réclamations étaient objectivement fondées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 781-1-2 du code du travail ; alors, enfin, que tout accord de franchise a, par nature, pour objet d'imposer au commerçant un ensemble d' obligations destinées à assurer l'identité du réseau ; que la cour d'appel qui, d'un côté, a constaté, par ses motifs adoptés des premiers juges, que les franchisés du réseau Bata conservaient à leur charge les risques d'exploitation, et qui s'est bornée d'un autre côté, pour décider que le contrat litigieux devait être requalifié en gérance-salariée, à relever qu'elle avait agréé le local, qu'elle imposait aux époux Castelin le prix de revente des marchandises ainsi que les conditions d'exploitation selon les normes par elle mises au point, sans rechercher si les obligations lui incombant excédaient celles auxquelles peut être tenu tout franchiseur en vue d'assurer l'unité du réseau, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 781-1 du Code du travail et 1 à 4 du règlement de la commission des Communautés européennes n° 4087/88 du 30 novembre 1988 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève, d'un côté, que les époux Castelin n'étaient autorisés à vendre que des marchandises en provenance de la société Bata, n'étaient que les dépositaires des marchandises dont la vente était enregistrée au fur et à mesure sur une caisse spéciale fournie par la société Bata et leur était facturée, seulement après, au prix de vente de détail fixé par la société Bata dans ses succursales, sous déduction d'une remise de 27 %, et, d'un autre côté, par motifs adoptés, qu'à supposer que ce prix de vente soit un prix plafond, les deux demandes de révision et de hausse de la marge bénéficiaire faites par les époux Castelin font apparaître que ce taux de marge était insuffisant pour laisser à ces derniers une réelle liberté de fixation des prix ; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a déduit, par l'interprétation nécessaire de clauses ambiguës, et en répondant aux conclusions prétendument délaissées, que les époux Castelin n'avaient aucune liberté pour l'exploitation de leur commerce et que le prix de vente des marchandises était déterminé par la société Bata ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a retenu que le contrat prévoyait que la société Bata autorisait les époux Castelin à vendre, dans un local agréé par elle, les marchandises qu'elle leur fournissait exclusivement et dont elle fixait unilatéralement le prix de vente en en demeurant propriétaire jusqu'à la vente, et qui a déduit que les conditions d'application de l'article L. 781-1 du Code du travail se trouvaient réunies, n'avait pas à rechercher, le contrat n'étant pas un contrat de franchise, si les obligations incombant à la société Bata dépassaient celles d'un franchiseur en vue d'assurer l'unité de son réseau;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen : - Attendu que la société Bata fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la juridiction commerciale était incompétente pour statuer sur les demandes en résiliation de contrat, de restitution des stocks et documents, paiement des fournitures et dépose de l'enseigne alors, selon le pourvoi, que la juridiction consulaire a seule compétence pour trancher les litiges relatifs aux modalités commerciales d'exécution du contrat de franchise ; qu'en décidant que l'ensemble des demandes dont avait été saisi le tribunal de Nantes, parmi lesquelles, celles afférentes à de telles modalités (résiliation du contrat, paiement des fournitures, restitution des stocks, documents et enseigne) présentées par elle, devait être examiné par la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé ensemble les articles 631 du Code de commerce, L. 511-1 du Code du travail, 86, 92 et 96 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel qui relève, d'un côté, qu'elle est saisie par les époux Castelin d'une demande de requalification du contrat, de paiement de salaires, d'indemnités de congés payés et de dommages-intérêts, et, d'un autre côté, que le juge des référés commerciaux de Metz a été saisi par la société Bata d'une demande de résiliation du contrat, de restitution de marchandises et de documents, de dépose de l'enseigne et paiement d'une certaine somme, n'a donc renvoyé devant le conseil de prud'hommes de Nantes que la demande dont elle était saisie ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé

Par ces motifs : rejette le pourvoi.