CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 18 décembre 1997, n° 96-05985
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nuzedis (SARL)
Défendeur :
STGGP (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
MM. Cousteaux, Charras
Avoués :
SCP Boyer Lescat Merle, SCP Nidecker Prieu
Avocats :
Me Gauclere, SCP Larroque, Rey, Melliorat-Birkholz.
Suivant contrats en date des 26 octobre 1993, la SARL Nuzedis a passé commande à la SARL STGGP d'un centre de lavage automatique pour le prix de 889 500 F TTC et de cinq kiosques à pizzas pour le prix de 1 334 250 F; en septembre 1994, un seul kiosque était livré à Saint-Gratien dans le Val d'Oise.
Prétendant avoir été trompée par une étude de marché remise par la SARL STGGP qui n'a pas respecté l'obligation d'information prévue par la loi du 31 décembre 1989 et le décret du 30 avril 1991, la SARL Nuzedis l'a fait assigner en demandant sa condamnation à procéder à ses frais à une nouvelle implantation, à lui payer à titre provisionnel une somme de 200 000 F correspondant au manque à gagner, outre 80 000 F en complément de rémunération, 50 000 F pour le préjudice moral et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement en date du 25 septembre 1996, le Tribunal de commerce de Montauban a débouté la SARL Nuzedis de ses demandes et l'a condamné à payer à la SARL STGGP la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Nuzedis a interjeté appel de cette décision dont elle sollicite l'infirmation ainsi que la condamnation de la SARL STGGP à lui payer la somme de 252 618 F, valeur d'acquisition du kiosque majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1994, contre remise du kiosque déposé depuis juillet 1995, et actuellement entreposé dans un hangar, la somme de 330 000 F à titre de dommages et intérêts, selon la ventilation développée en première instance, et la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'appelante sollicite la résolution du contrat en faisant valoir que le comportement de la SARL STGGP relève du dol caractérisé, que son gérant était un néophyte alors que la SARL STGGP est un professionnel, que les informations communiquées par la SARL STGGP sur le site de Saint-Gratien ont présenté un caractère trompeur, qu'au surplus, la SARL STGGP n'a pas respecté les obligations d'information mises à sa charge par la loi du 31 décembre 1989 applicable en l'espèce; à titre subsidiaire, l'appelante demande qu'il soit constaté que les conventions liant la SARL STGGP à la SARL Nuzedis sont caractéristiques d'un contrat de franchise et que la SARL STGGP a notamment manqué à son devoir d'assistance.
La SARL STGGP conclut à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de la SARL Nuzedis à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée soutient que les parties ne sont liées que par un contrat de vente portant sur un centre de lavage automatique et cinq kiosques à pizzas, que le contrat d'enseigne n'a pas été signé, que la SARL Nuzedis a choisi l'emplacement du kiosque, qu'il n'est pas prouvé que l'étude de marché soit inexacte et qu'en toute hypothèse, elle n'était pas due contractuellement, que la commande ayant été passée par une société commerciale et les études de marché étant postérieures à la signature du contrat, le consentement n'a pu être vicié, que même si le contrat d'enseigne avait été signé, la loi Doubin n'étant pas applicable au contrat de vente du kiosque, qu'au demeurant le contrat d'enseigne n'entraîne aucune obligation d'une exclusivité d'exercice de l'activité, le commerçant restant libre de ses activités, qu'enfin la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé s'explique par des absences anormales de l'exploitant.
Dans un deuxième jeu de conclusions, la SARL Nuzedis réplique que le contrat d'enseigne a été signé par son représentant, que plusieurs éléments créent une présomption lourde d'existence de ce contrat, que la SARL STGGP a effectué le choix de l'emplacement du kiosque, le plan annexé au bail émanant de la société qui a procédé à l'étude de marché pour le compte de la SARL STGGP, que la loi Doubin ne s'applique pas qu'en matière de franchise, que la SARL STGGP ne rapporte pas la preuve de fermetures anormales du kiosque.
Sur quoi, LA COUR,
Attendu que la loi du 31 décembre 1989 dispose notamment, dans son article premier que toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité est tenu préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties à fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause et que ce document et le projet de contrat doivent être communiqués au minimum vingt jours avant la signature du contrat;
Que l'article premier du décret du 4 avril 1991 détaille les informations que doit contenir le document susmentionné;
Attendu que cette réglementation s'applique tant à un contrat de franchise qu'à un contrat de concession;
Qu'il est inutile de qualifier le contrat liant les parties dès lors que les conditions posées par la loi du 31 décembre 1989 seraient remplies;
Que la condition de l'intérêt commun des parties n'est ni discutée ni discutable en l'espèce;
Attendu qu'en octobre 1993, l'appelante a passé commande de cinq concepts Pizzamania auprès de la SARL STGGP qui en accusait réception le 18 novembre 1993;
Qu'une facture intitulée "concept Pizzamania" en date du 27 septembre 1994, était émise par la SARL STGGP ;
Que la SARL Nuzedis a signé un bail pour la location de l'emplacement devant recevoir le kiosque à compter du 1er octobre 1994 ;
Que les parties ne fournissent aucun élément sur les raisons de l'abandon des quatre autres kiosques, ni sur le délai d'un an nécessaire à la réalisation d'une partie de la commande ;
Attendu d'une part que d'après les termes mêmes de la facture, le concept vendu ne concerne pas seulement un kiosque aménagé pour la fabrication et la vente de pizzas mais aussi une formation technique et commerciale ainsi que le lancement publicitaire de l'installation;
Attendu d'autre part que s'il n'est pas établi que les parties ont signé un contrat d'enseigne, plusieurs des mentions de l'exemplaire versé aux débats par la SARL Nuzedis étant restées en blanc, il résulte des pièces produites que d'octobre 1994 à juillet 1995, la SARL Nuzedis a vendu des pizzas Pizzamania confectionnées avec la sauce tomate achetée à la SARL STGGP et emballées dans des boîtes achetées à la SARL STGGP, respectant en cela l'obligation de quasi-exclusivité prévue dans le contrat d'enseigne;
Qu'à l'évidence, pour tenter d'échapper à son obligation précontractuelle, la SARL STGGP a imaginé de scinder en deux l'opération par laquelle elle met à disposition une enseigne à charge pour le co-contractant de se fournir quasi-exclusivement auprès d'elle;
Que le contrat de vente du concept qui ne se limite pas à la vente d'un kiosque de conception et réalisation sommaires, ne serait-ce qu'à raison du montant de la facture, étant le préalable nécessaire à la signature du contrat d'enseigne, la SARL STGGP avait l'obligation de fournir à la SARL Nuzedis tous les renseignements prévus par le décret du 4 avril 1991 avant de signer le bon de commande des concepts Pizzanania;
Qu'en ne le faisant pas, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la sincérité de l'étude de marché établie à la demande de la SARL STGGP, l'intimée a vicié le consentement de la SARL Nuzedis par une attitude dolosive qui doit entraîner la résolution de la vente du concept Pizzanania, et le remboursement de la somme réglée par la SARL Nuzedis à charge de plus pour la SARL STGGP de reprendre le kiosque;
Attendu en conséquence que le jugement entrepris doit être infirmé et la SARL STGGP condamnée à payer à la SARL Nuzedis la somme de 252 618 F qui portera intérêt au taux légal à compter du présent arrêt qui fixe la créance de la SARL Nuzedis;
Attendu que la comparaison de l'étude de marché et des résultats réalisés ainsi que la lecture du procès-verbal de constat établissant que plusieurs commerces du centre commercial sur le parking duquel était installé le kiosque sont fermés entre 12 heures et 14 heures, alors que ne sont pas prouvées des absences anormales de l'exploitant, permettent de fixer à 50 000 F le montant du préjudice subi par la SARL Nuzedis;
Que la SARL STGGP sera condamnée à payer à l'appelante cette somme à titre de dommages et intérêts;
Attendu enfin que la partie qui succombe sera condamnée aux dépens;
Que l'équité justifie la condamnation de la SARL STGGP à payer à la SARL Nuzedis la somme de 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Montauban en date du 25 septembre 1996 ; Condamne la SARL STGGP à payer à la SARL Nuzedis la somme de 252 618 F qui portera intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ; Condamne la SARL STGGP à payer à la SARL Nuzedis la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts ; Condamne la SARL STGGP aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Boyer-Lescat, avoué sur son affirmation de droit ; Condamne la SARL STGGP à payer à la SARL Nuzedis la somme de 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.