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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch., 2 juillet 1992, n° 4857-90

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sellan

Défendeur :

Raigaut

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouscharain

Conseillers :

Mmes Ellies-Thoumieux, Vergez

Avoués :

SCP Casteja-Clermontel, SCP Julia

Avocats :

Mes Lecoq, Delthil.

TGI Libourne, du 3 juill. 1990

3 juillet 1990

Par jugement du 3 juillet 1990, le Tribunal de grande instance de Libourne a condamné Monsieur Sellan à payer à Madame Françoise Raigaut la somme de 41 250 F en rémunération des actes accomplis par elle en exécution du mandat dont il a été retenu que Monsieur Sellan l'avait investie pour la gestion de son restaurant. Madame Raigaut a été déboutée de sa demande d'indemnité.

Le 5 novembre 1990, Monsieur Sellan a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 6 décembre 1990, il demande le débouté de Madame Raigaut et l'allocation de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il indique qu'ayant eu l'intention de donner son fonds de restaurant en location-gérance, il avait permis à Madame Raigaut, qui avait manifesté de l'intérêt pour ce projet, de venir à sa guise dans les lieux, sans contrainte ni fonction précise, et indique qu'elle y est venue dans la période du 1er juin au 22 juillet 1983, date à laquelle il a décidé de ne pas donner suite au projet. Madame Raigaut a alors engagé une instance prud'homale au terme de laquelle l'existence d'un contrat de travail n'a pas été admise.

Elle a alors agi en paiement d'une rémunération de mandataire.

Il fait valoir que les actes accomplis par Madame Raigaut ne l'ont pas été à son bénéfice, mais dans l'intérêt de Madame Raigaut, comme future directrice du restaurant. Il invoque en outre l'article 1986 du Code civil selon lequel le mandat est gratuit s'il n'y a convention contraire et soutient que la preuve de cette convention doit être rapportée par écrit. Il reproche à Madame Raigaut d'avoir commis des actes indélicats, ce qui l'a amené à renoncer au projet.

Madame Raigaut a conclu le 6 décembre 1991 à la confirmation du jugement, formant appel incident pour obtenir une indemnité de 150 000 F et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle affirme rapporter la preuve de l'existence d'un mandat à caractère onéreux donné par Monsieur Sellan, ainsi que cela résulte des propres écrits de celui-ci dans la procédure prud'homale les ayants opposés. En outre, elle estime avoir été trompée par les promesses de Monsieur Sellan qui l'ont amenée à abandonner l'emploi qu'elle occupait précédemment et dont la violation l'a plongée dans une situation financière critique qu'elle n'a pu redresser qu'après plusieurs années.

Elle conteste les imputations d'indélicatesse que Monsieur Sellan formule à son encontre et relève qu'après le classement de sa plainte par le Ministère Public, Monsieur Sellan n'a pas pris l'initiative des poursuites pénales à son encontre.

L'instruction a été close le 1er juin 1992.

Sur quoi

Attendu qu'il est constant que du 1er juin au 22 juillet 1983, Madame Françoise Raigaut a assuré la direction de l'hôtel restaurant appartenant à Monsieur Joseph Sellan, exploité à Libourne sous la dénomination "Backgammon" ; qu'il est irrévocablement jugé que le contrat ayant lié Madame Raigaut à Monsieur Sellan n'est pas un contrat de travail ;

Attendu que selon les termes de la plainte adressée par Monsieur Sellan au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Libourne, Madame Raigaut a effectivement géré et s'est conduite "comme la patronne", notamment en ce qui concerne les encaissements, les règlements de dépenses et l'embauche des salariés ; que selon ses propres déclarations recueillies par procès-verbal de police du 23 novembre 1983, Monsieur Sellan expose qu'il voulait confier la gérance de son établissement à une personne, que Madame Raigaut s'est présenté pour cet emploi qui lui a été confié à compter du 1er juin pour apprécier si elle pouvait donner suite au projet de location prévu à compter du 1er août 1983 ;

Attendu que ces éléments constituent des commencements de preuve par écrit qui, rendant vraisemblable le fait allégué, permettent en l'absence d'écrit prouvant l'existence du mandat invoqué, de recourir aux autres moyens de preuve légalement admissibles ;

Attendu qu'à cet égard il résulte des pièces produites que Madame Raigaut avait pour le compte de Monsieur Sellan pouvoir de réaliser les achats nécessaires au fonctionnement de l'établissement hôtelier, tels que victuailles et fournitures diverses comme linge et vaisselle, de recruter le personnel nécessaire, comme un cuisinier et une employée de cuisine, et de payer, en tirant des chèques sur le compte bancaire personnel de Monsieur Sellan auprès de l'agence libournaise du Crédit du Nord, suivant l'autorisation verbalement donnée au banquier par Monsieur Sellan ainsi que l'atteste le directeur de cette agence ; qu'au surplus, il résulte des procès-verbaux de l'enquête diligentée à la suite de la plainte de Monsieur Sellan et de certaines pièces produites pour Madame Raigaut rendait compte à Monsieur Sellan de sa gestion et lui faisait raison des sommes par elle reçues en vertu du mandat, comme notamment les recettesd'exploitation du restaurant et de l'hôtel ;

Qu'ainsi, même si la période en cause avait pour objet, comme l'affirme Monsieur Sellan, de permettre à Madame Raigaut de mesurer la pertinence de son projet de prise en location-gérance de l'établissement, il demeure que les actes juridiques et matériels qu'elle a accomplis l'ont été dans l'intérêt, pour le compte et au nom de Monsieur Sellan, ce qui caractérise l'existence, entre les parties, d'un contrat de mandat ;

Attendu que si le mandat est gratuit s'il n'y a convention contraire et s'il apparaît que Madame Raigaut ne prouve pas qu'il était, ainsi qu'elle l'allègue, convenu qu'elle percevrait une rémunération mensuelle de 20 000 F, il résulte du propre aveu de Monsieur Sellan, consigné au procès-verbal de police du 23 novembre 1983, qu'il était convenu que pendant la période préalable à la souscription du contrat de location-gérance, par lui dénommée période d'essai, Madame Raigaut percevrait, pour les mois de juin et juillet une rémunération égale à la moitié des bénéfices ; qu'en l'absence de tout élément de preuve permettant de déterminer l'importance des bénéfices d'exploitation du fonds de commerce pour la période considérée, il y a lieu de recourir à une mesure d'expertise dont Madame Raigaut, dans l'intérêt de laquelle elle est ordonnée, avancera les frais ;

Attendu qu'imputant à faute à Monsieur Sellan d'avoir brutalement mis fin au mandat, Madame Raigaut entend recevoir indemnisation du dommage qui est résulté de ce que, placée dans une situation financière difficile, elle n'a pu honorer les pactes de remboursement d'un emprunt qu'elle avait contracté pour acquérir un immeuble ;

Mais attendu à cet égard que le préjudice allégué n'est pas la conséquence directe de la rupture des relations contractuelles mais celle de l'imprudence de Madame Raigaut qui, en dépit d'une situation dont, quel que soit le sérieux de son projet, elle ne pouvait manquer de réaliser la précarité, a contracté des obligations à long terme qu'elle n'avait alors aucune certitude raisonnable de pouvoir satisfaire ;

Qu'au surplus, alors qu'il n'est pas clairement établi qu'elle avait procuration pour régler ses dépenses personnelles à l'aide des fonds détenus pour la gestion de l'hôtel restaurant, elle ne peut reprocher à Monsieur Sellan d'avoir, sur cette seule constatation, mis immédiatement fin au mandat ;

Qu'à juste titre, Madame Raigaut a été déboutée de sa demande d'indemnité ;

Par ces motifs : LA COUR, Déclare partiellement fondé l'appel principal de Monsieur Joseph Sellan et mal fondé l'appel incident de Madame Françoise Raigaut contre le jugement rendu le 3 juillet 1990 par le Tribunal de grande instance de Libourne, Confirme ce jugement en ce qu'il a décidé que Madame Raigaut était liée à Monsieur Sellan par un mandat rémunéré et a débouté Madame Raigaut de sa demande d'indemnité, Avant dire droit sur la demande de rémunération présentée par Madame Raigaut, Commet pour y procéder Monsieur Adrien Mio, demeurant à Bordeaux 19, rue de Lasseppe, lequel aura pour mission, après avoir entendu les parties, dûment convoquées, et s'être fait remettre les documents par lui estimés utiles à l'exécution de sa mission en quelques mains qu'ils se trouvent, de déterminer le montant du bénéfice d'exploitation qu'a pu réaliser l'hôtel-restaurant dénommé Backgammon pour la période du 1er juin au 22 juillet 1983, Dit que l'expert dressera rapport de ses opérations et le déposera au greffe de la cour d'appel dans les trois mois de sa saisine, Ordonne que Madame Raigaut consignera, à la Régie d'Avances et de Recettes de la cour d'appel la somme de 2 000 F à valoir sur les frais d'expertise dans le mois du prononcé du présent arrêt, Désigne le Conseiller de la Mise en Etat de la chambre pour surveiller les opérations d'expertise, Réserve les dépens.