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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 15 janvier 1992, n° 592-91

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Demoy (Epoux)

Défendeur :

Comptoirs Modernes Economique de Rennes (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

MM. Roy, Froment

Avocats :

SCP Garnier, Arion, Guyot, Guvot Garnier, Lozachmeur Bois, Person, SCP Jaigu, Chevallier.

T. com. Rennes, du 17 sept. 1991

17 septembre 1991

FAITS ET PROCEDURE :

Le 1er septembre 1980, les époux Demoy ont conclu avec la société Comptoirs Modernes Économique de Rennes un contrat de gérance non salariée d'un magasin d'alimentation au détail sis, à Binic (Côtes d'Armor), dans le cadre de la loi du 5 juillet 1944 reprise par les articles L. 782-1 et suivants du Code du travail.

Par lettre recommandée du 7 juin 1989 revêtant la forme d'un licenciement pour cause économique motivé par la transformation du statut de la succursale, la société Comptoirs Modernes a mis fin au contrat susvisé à compter du 30 juin 1989.

L'inventaire des marchandises se trouvant dans les lieux, opéré au cours des jours suivants, a fait apparaître un manquant d'abord chiffré à 115.292,54 F, somme ultérieurement ramenée à 104.640,50 F après diverses rectifications.

La société Comptoirs Modernes ayant cru pouvoir dans un premier temps compenser cette somme avec le solde, d'un montant supérieur, des commissions et indemnités de rupture par elle dues aux époux Demoy, ces derniers ont saisi du différend la juridiction prud'homale, en suite de quoi la société s'est inclinée avant le jugement et a procédé le 21 novembre 1990 au règlement intégral des sommes revenant à ces titres à ses anciens gérants.

Toutefois, par acte d'huissier du 12 mars 1991, la société Comptoirs Modernes a assigné les époux Demoy en paiement de la somme susvisée de 104.640,50 F représentant le montant du déficit d'inventaire constaté début juillet 1989.

Les époux Demoy ayant soulevé l'incompétence de la juridiction consulaire saisie en soutenant que la convention les liant aux Comptoirs Modernes constituait un véritable contrat de travail, le Tribunal de commerce de Rennes, par jugement du 17 septembre 1991, a rejeté cette exception et s'est déclaré compétent, renvoyant les débats au fond à une date ultérieure.

Le 27 septembre 1991, les époux Demoy ont régulièrement formé contredit motivé à cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ce contredit, les époux Demoy font valoir que le litige est du ressort exclusif du Conseil de prud'hommes de Rennes, en indiquant qu'ils ne sont pas commerçants et qu'eu égard à l'absence de toute liberté d'action dans leurs rapports avec la société les Comptoirs Modernes, ils se trouvaient dans un lien étroit de subordination caractérisant l'existence d'un contrat de travail, leur licenciement ayant d'ailleurs été effectué dans les formes prescrites par le Code du travail en faveur des salariés.

Selon ses conclusions, du 30 octobre 1991, la société Comptoirs Modernes sollicite la confirmation du jugement en soulignant le caractère légal du statut des gérants non salariés de magasins d'alimentation au détail, qui selon l'article L. 782-5 du Code du travail relèvent des tribunaux de commerce, pour ce qui concerne l'exploitation commerciale de la succursale et des conseils de prud'hommes pour ce qui concerne leurs conditions de travail.

DISCUSSION :

Considérant d'abord que la convention de gérance librement conclue le 1er septembre 1980 entre les époux Demoy et les Comptoirs Modernes, conformément aux dispositions de l'article L. 782-1 du Code du travail, constitue par elle-même un contrat de mandat rémunéré à la commission et non un contrat de travail pouvant donner lieu à la mise en œuvre de l'interdiction prévue à l'article L. 122-42 du même Code, la notion de faute lourde, seule susceptible d'engager la responsabilité pécuniaire du salarié envers son employeur, étant ainsi sans application en la présence espèce ;

Que par ailleurs, il n'est nullement établi, en dehors de l'obligation de vendre aux prix imposés qui n'est pas anormale dans le cadre contractuel susvisé, que les Comptoirs Modernes aient en la circonstance fait dériver cette convention initiale en contrat de travail par l'instauration d'un véritable lien de subordination découlant notamment d'ordres donnés et de contrôles fréquents et minutieux quant au fonctionnement et au mode de gestion du magasin, de nature à priver en fait les gérants de leur liberté d'action expressément stipulée à l'article II de ladite convention ;

Que de même, les Comptoirs Modernes n'ont fait que se conformer strictement aux dispositions de l'article L. 782-7 alinéa 1er du Code du travail en appliquant à la rupture des relations contractuelles les règles de forme et de fond du licenciement économique, afin de faire bénéficier leurs gérants non salariés de tous les avantages, tant individuels que collectifs, accordés aux salariés par la législation sociale selon les termes mêmes de ce texte et que les époux Demoy ne peuvent donc tirer de cet élément de fait aucun argument en faveur de leur thèse ;

Considérant ensuite qu'aux termes combinés des articles III, VII et VIII du contrat dont s'agit, les époux Demoy se sont reconnus dépositaires des marchandises se trouvant dans le magasin, avec mandat de les vendre, et se sont engagés à couvrir immédiatement tout déficit dûment constaté à l'occasion des inventaires opérés dans les lieux, ces stipulations librement acceptées ne revêtant en elles-mêmes aucun caractère illicite ou excessif ;

Que ce déficit d'inventaire, constitué mathématiquement par la différence entre d'une part la valeur du stock initial ou résultant du précédent inventaire augmentée de celle des marchandises livrées par la suite et d'autre part la valeur des marchandises en dépôt lors de l'inventaire augmentée du montant des versements du gérant représentant celle des produits vendus, est sans lien direct avec le compte d'exploitation du magasin qui fait apparaître le montant des ventes effectives servant de base au calcul des commissions, remises et annexes dues aux gérants sauf à appliquer en cas d'insuffisance sur ce dernier point les dispositions réglementaires relatives à leur rémunération minimum ;

Qu'en conséquence et indépendamment de la question de cette rémunération, qui est étrangère à la présente procédure et qui est d'ailleurs réglée entre les parties selon leurs indications concordantes, les époux Demoy sont en principe débiteurs du déficit ayant pu être relevé dans leur magasin à l'occasion de l'inventaire de sortie, dans la mesure où il est établi, ce différend ayant trait aux modalités commerciales d'exploitation dudit magasin et relevant donc de la compétence des tribunaux de commerce, aux termes exprès de l'article L. 782-5 alinéa 1er du Code du travail qui porte en ce cas attribution de compétence même si ces gérants ne sont pas commerçants en titre ;

Qu'il s'en suit que l'exception d'incompétence soulevée par eux n'est pas fondée et que le jugement doit être confirmé en son principe ;

Considérant néanmoins que la cour, qui doit désigner la juridiction qu'elle estime compétente, relève à cet égard que la compétence du Tribunal de commerce de Rennes résulte en l'espèce de la seule clause attributive de juridiction incluse au contrat conclu entre les parties, alors d'une part que cette clause est frappée de nullité par les dispositions d'ordre public de l'article L. 782-6 du Code du travail et d'autre part qu'aussi bien le domicile des époux Demoy, défendeurs à l'action, que le lieu d'exécution de leur prestation de service se situent à Binic (Côtes d'Armor) dans le ressort du Tribunal de commerce de Saint Brieuc, d'où il suit que le renvoi à la juridiction primitivement saisie ne peut pas être ordonné ;

Que dans ces conditions, la cour, qui est juridiction d'appel relativement au tribunal de Saint Brieuc, estime de bonne justice d'évoquer le fond afin de donner à l'affaire une solution définitive, cette faculté d'évocation n'étant pas soumise au consentement préalable des parties ;

Qu'il convient donc d'inviter les parties à constituer avoué, puis à conclure au fond dans le cadre de la mise en état ;

Considérant qu'il y a lieu de réserver les dépens ;

Par ces motifs, Rejette le contredit des époux Demoy et Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la juridiction commerciale compétente pour statuer sur le litige ; L'émendant pour le surplus, constate que le Tribunal de commerce de Saint Brieuc était territorialement compétent pour en connaître ; Evoquant le fond de ce litige, invite les parties à constituer avoué dans le mois de la notification du présent arrêt et renvoie l'affaire à la mise en état pour être ensuite conclu par elles sur le fond ; Surseoit à statuer sur les demandes pour frais non taxables et réserve les dépens.