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Décisions

CA Grenoble, 2e ch. civ., 9 février 1987, n° 1438-83

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Trouvé (Epoux), Compagnie UAP, Banque Populaire de la Région Dauphinoise

Défendeur :

Compagnie de Raffinage et de Distribution Total France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacob

Conseillers :

MM. Barnezet, Leblet

Avoués :

SCP Manhes, de Fourcroy, SCP Grimaud, Me Ramillon, SCP Borel, Calas

Avocats :

Mes Jourdan, Chanet, Novel, Guillermain.

T. com. Romans, du 25 mai 1983

25 mai 1983

Depuis 1969 pour le mari, et depuis le 1er mai 1973 pour la femme également, les époux Trouvé ont eu la qualité de gérants non salariés de la Compagnie de Raffinage et de Distribution Total France qui leur a confié l'exploitation de la station service "Le relais du Viennois" sis en bordure de l'autoroute A7 Lyon Marseille sur la commune de St-Rambert d'Albon.

Courant 1976, par suite d'un trou qui s'était formé dans une cuve, des fuites de supercarburant se sont produites qui, selon rapport d'expertise, ont commencé en avril 1976 et, par à coups successifs, se sont amplifiées jusqu'à atteindre 20.000 Litres par jour dans les derniers jours de septembre 1976.

Ces fuites ont eu pour effets, d'une part, de polluer la nappe phréatique et de provoquer une action en dommages-intérêts de la commune de St-Rambert d'Albon et du syndicat mixte d'aménagement rural de la Drôme, dit SMARD, contre les sociétés Total (Cie Française de Raffinage dite CFR et Cie Française de Distribution dite CFD) et d'autre part, de perturber les excellents rapports ayant jusqu'alors existé entre les époux Trouvé et les sociétés Total, les premiers ayant assigné les secondes devant le Tribunal de Commerce de Romans pour obtenir le paiement de la valeur du carburant perdu, le remboursement du découvert bancaire qui s'en est suivi pour eux dès lors que les ventes de supercarburant ne couvraient plus le prix des approvisionnements, ainsi que les frais financiers entraînés par ce découvert, le remboursement de leur déficit d'exploitation pour 1976 et celui des pertes de carburant postérieures au 30 septembre 1976, dues aux écarts entre les quantités livrées et celles facturées, les sociétés Total ayant riposté par des demandes reconventionnelles en paiement du supercarburant livré et non payé ou payé par chèque non approvisionné, des frais d'administration d'un administrateur judiciaire nommé après les faits et du déficit d'exploitation de cette administration judiciaire.

Dans les instances engagées devant le Tribunal de Grande Instance de Valence par la commune de St-Rambert d'Albon et par le SMARD, les sociétés Total ont appelé en garantie les époux Trouvé et leur assureur la Caisse Industrielle d'Assurance Mutuelle dite CIAM ainsi que la SA Fournier, fabricant de la cuve, et l'assureur de cette société la Compagnie "Le Monde", étant précisé que l'UAP, assureur des sociétés Total qui ne figurait pas en nom dans les procédures, les dirigeait néanmoins au titre de son contrat "défense recours" et ne contestait pas la prise en charge de la responsabilité de Total à l'égard des collectivités demanderesses ;

Dans l'instance engagée devant le Tribunal de Commerce de Romans, les seules parties en présence ont été les époux Trouvé et les sociétés Total, ainsi que l'UAP assureur de Total appelé par les sociétés Total pour les garantir le cas échéant des condamnations pouvant être prononcées contre elles au bénéfice des époux Trouvé.

Ces différentes procédures ont abouti à 3 jugements, à savoir 2 jugements du Tribunal de Grande Instance de Valence en date du 18 janvier 1983 et un jugement du tribunal de commerce de Romans daté du 25 mai 1983.

Ces 3 jugements ont été frappés d'appel et usant d'un amalgame peut-être profitable à leurs intérêts mais qui a pour inconvénient essentiel d'embrouiller les affaires, les sociétés Total demandent la jonction des 3 procédures et pour tenter de mettre la Cour devant le fait accompli ont traité les 3 affaires dans des conclusions uniques alors même que la jonction n'avait pas été demandée au Conseiller de la Mise en Etat.

Cette jonction contraire aux intérêts de certaines parties en cause qui sont étrangères au différend existant entre Total et les époux Trouvé est d'autant plus inopportune que chaque instance met en présence des parties différentes et a des fondements juridiques différents, à telle enseigne que deux d'entre elles relèvent du droit commun et des juridictions civiles alors que la troisième relève du droit commercial et de la juridiction commerciale ;

Il sera par conséquent statué sur les appels par 3 arrêts séparés.

Il est indiqué par ailleurs que par conclusions du 7 février 1986 la "Compagnie de Raffinage et de Distributions Total de France" née de la fusion des 2 sociétés Total Compagnie Française de Raffinage et Cie Française de Distribution, a déclaré intervenir dans les 3 instances aux lieu et place de Total CFD et Total CFR et reprendre à son compte les conclusions déjà déposées par elles, en précisant comme suit ses coordonnées "direction juridique - Département Contentieux et Contrats Commerciaux - 84 rue de Villiers Levallois Ferret Cedex".

Le jugement du Tribunal de Commerce de Romans du 25 mai 1983 dont la Cour est saisie :

- a condamné les époux Trouvé :

* à conserver à leur charge le montant des découverts consentis par leur banque,

* à conserver à leur charge le montant des agios perçus sur leur compte en banque,

* à prendre en charge 50 % des frais engagés par Total pour prendre en charge les honoraires et frais de l'administrateur judiciaire Me Champion à savoir 227.734,47 F divisés par deux soit à payer au total 191.367,23 F,

* à prendre en charge à concurrence de 50 % avec Total l'ensemble des honoraires de l'expert Laporte ainsi que 50 % des dépens de toutes les instances,

- a condamné la société Total :

* à conserver à sa charge l'ensemble des factures de combustible livré aux époux Trouvé et non réglées par ceux-ci,

* à prendre en charge à concurrence de 50 % les honoraires de l'expert Laporte ainsi que 50 % de tous les dépens des différentes instances,

- a condamné le Compagnie UAP :

* à prendre en charge 50 % des factures non réglées par les époux Trouvé à Total et prises en charge par elle au dire du présent jugement.

Appel de cette décision a été interjeté par les époux Trouvé contre les 2 sociétés Total CFD et CFR, ainsi que par la Compagnie UAP contre les époux Trouvé et les 2 sociétés Total.

Les sociétés Total ont pour leur part fait appel incident tant contre l'UAP que contre les époux Trouvé.

La BPRD (Banque Populaire de la Région Dauphinoise) qui avait consenti aux époux Trouvé l'important découvert dont ceux-ci réclament le montant à Total est intervenue pour la première fois en appel, tout d'abord pour y surveiller ses droits puis pour demander la condamnation des sociétés Total à lui payer le montant du découvert et des agios. Il est expressément renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour connaître leurs demandes et moyens auxquels il va être ci-après répondu.

I- LES FAITS

Attendu que les rapports d'expertise contradictoirement établis et discutés par les parties en cause permettent de considérer comme acquis, compte-tenu de l'importance du déficit résultant de la comparaison entre le stock réel et le stock comptable, que les premières pertes de supercarburant se sont produites en avril 1976 pour atteindre en juin 1976 un niveau suffisamment anormal (environ 1.000 litres par jour) pour alerter les époux Trouvé ; que ceux-ci pensant que ces pertes pouvaient provenir d'un mauvais réglage des volucompteurs les ont signalées à la société Total par lettre du 2 juin 1976 ; qu'un technicien de la société M. Landric a vérifié les installations, de façon assez sommaire, et le 22 juin 1976 la société Total a rassuré les époux Trouvé en leur écrivant que "les installations étaient en parfait état de fonctionnement et que les écarts constatés devaient provenir d'une erreur de comptabilisation".

Qu'effectivement ceux-ci tenaient leur comptabilité d'une façon un peu laxiste ; que cependant aucun technicien ou responsable de la société Total ne leur en avait fait grief par le passé alors que par contrat la société Total s'était réservée expressément le droit de vérifier cette comptabilité ; que plus curieusement encore, cette société n'a pas cru devoir procéder à cette vérification lors de la visite des installations faite en juin alors que cette vérification très précise effectuée ultérieurement par l'expert a démontré que les pertes étaient réelles et ne provenaient pas d'erreurs comptables ;

que par malchance, le trou par lequel le supercarburant se répandait dans le sol se bouchait périodiquement ainsi que cela a été ultérieurement expliqué par l'expert; que les pertes ont bénéficié de ce fait d'une rémission jusqu'à fin août qui a conforté les époux Trouvé dans le sentiment de fausse sécurité qu'avait provoqué la lettre de Total du 22 juin 1976 ; qu'ils ont alors décidé fin août de prendre leurs congés payés et ont, sur les conseils de la société Total et en tous cas avec son agrément, laissé des chèques en blanc à leur chef de piste pour permettre à celui-ci de payer comptant les livraisons de carburant qui, à cette époque de l'année, étaient multi-quotidiennes et portaient sur des quantités considérables ;

Qu'à leur retour de congés payés les époux Trouvé n'ont pas immédiatement vérifié la concordance entre le stock réel et le stock comptable ; que cependant la fuite de supercarburant a repris de plus belle, atteignant 20.000 litres par jour à son apogée, en même temps que s'est gonflé le chiffre du découvert de leur compte bancaire ; qu'ils se sont alors rendus compte d'un déficit de l'ordre de 500.000 litres de supercarburant et, tout en le signalant le 30 septembre 1976 à la société Total, ont provoqué la nomination d'un expert pour connaître l'origine de cette fuite.

Attendu que l'expertise a mis en évidence un trou dans le réservoir S2, l'un des 5 réservoirs de supercarburant, d'une capacité de 60 mètres cubes ; que l'expert a expliqué la formation de ce trou par un phénomène électrochimique engendré par les chocs de la jauge en duralumin sur le fond de la cuve au droit du trou de jauge ; qu'il a formellement écarté toute incrimination de la qualité de la tôle mais également tout usage non conforme par les époux Trouvé ; qu'il a d'ailleurs indiqué que cet incident ne devait pas avoir été le premier dans une installation de la société Total puisque celle-ci qui faisait construire ses cuves sur des plans fournis par elle à la société Fournier avait dès 1972 modifié ces plans de façon à faire placer dans le fond de cuve, au droit du trou de jauge, une plaque métallique évitant le choc répété de la jauge sur le fond de la cuve ; que cependant cette modification qui eût évité le phénomène de formation du trou dans le réservoir datant de 1969, n'avait pas été faite sur le réservoir en service ;

qu'enfin l'expert notait que, contrairement à l'esprit de l'arrêté préfectoral de 1974 qui préconisait l'isolation de chaque cuve dans une fosse bétonnée, pour la rendre autonome et éviter une expansion de son contenu dans le sol, la cuve S2, installée en pleine terre à une époque où la fosse en béton n'était pas exigée, a été reliée aux cuves installées postérieurement de façon réglementaire, en sorte que les 5 cuves de supercarburant ont été solidarisées entre elles par raison de commodité des opérations de remplissage, ce qui rendait beaucoup plus difficilement décelable la fuite localisée sur la cuve S2 par l'intermédiaire de laquelle se vidaient également les autres cuves.

II- LES RAPPORTS CONTRACTUELS DES EPOUX TROUVE ET DES SOCIETES TOTAL

Attendu que depuis 1969 Monsieur Trouvé s'était vu confier la direction et l'exploitation de la station service en cause ; que le 1er mai 1973 un nouveau contrat a été signé entre la société Total CFD agissant pour le compte de la société Total CFR d'une part et Monsieur et Madame Trouvé, d'autre part ;

Qu'aux termes de ce contrat la société Total donnait en gérance au couple les éléments corporels et incorporels du fonds de commerce de la station service qui comportait outre les installations de stockage et de distribution, les ateliers de petites réparations et d'entretien, ainsi qu'un logement et un magasin pour la vente des produits Total, d'accessoires d'automobiles et de diverses marchandises de bazar.

Que les époux Trouvé à qui le matériel et les installations étaient sensés être remis en bon état avaient la charge de l'entretien avec toutefois cette obligation de faire immédiatement appel à Total pour la réparation et l'entretien du matériel de stockage et distribution ;

que par ailleurs ils avaient l'obligation de se fournir exclusivement en carburants et produits pétroliers auprès de la société Total et l'interdiction de vendre les produits de la concurrence ;

que les modalités de commande, de livraison et de distribution étaient stipulées avec précision ; qu'il était notamment stipulé que les livraisons étaient payables au comptant et qu'aucune réclamation concernant les quantités livrées n'était admise passé le délai de 48 heures ;

Que le contrat stipulait encore que les époux Trouvé devaient périodiquement vérifier le débit des volucompteurs au moyen de la jauge et la concordance entre les états de stocks et les stocks réels en s'obligeant à signaler immédiatement à Total les anomalies.

Qu'enfin le loyer comportait pour l'essentiel un pourcentage de la différence entre le prix d'achat hors taxe des carburants et le prix de vente hors taxe fixé par Total, avec toutefois la précision que les époux Trouvé pouvaient vendre effectivement à un autre prix.

Attendu que dans le cadre des procédures prud'homales menées postérieurement à l'année 1976, il a été jugé définitivement par la Cour d'Appel de Grenoble (arrêt du 8 novembre 1977 de la chambre sociale devenu définitif à la suite du rejet des pourvois formés par Total) ainsi que par la Cour d'Appel de Paris (Arrêt du 22 juin 1983) que le contrat ci-dessus analysé conférait aux époux Trouvé la qualité de salariés correspondant à la définition donnée par l'article L. 781-1- 2 du Code du travail et leur conférait les droits reconnus à cette catégorie de salariés ;

Attendu que s'appuyant sur ces arrêts, les époux Trouvé estiment que toutes les demandes dirigées contre eux par la société Total sont irrecevables et mal fondées puisqu'elles les priveraient du bénéfice du salaire garanti en leur faisant supporter les risques d'exploitation du commerce géré par eux sous la surveillance de la société Total ;

que par contre cette société, ignorant totalement les obligations qui découlent pour elle de la qualité de salariés des époux Trouvé, ne veut voir en eux que des commerçants tenus comme tels à son égard des risques de leur exploitation et par conséquent des fautes par eux commises en ne vérifiant pas correctement la concordance de leurs stocks réels et de leurs stocks comptables ;

Que pour ce faire elle s'appuie sur les stipulations contractuelles selon lesquelles les époux Trouvé se sont engagés à exploiter à leurs risques et périls et profits exclusifs toutes les branches d'activité du fonds, à maintenir les éléments mobiliers et immobiliers en bon état de présentation et de fonctionnement et à contracter des assurances en s'interdisant tout recours contre la société Total pour quelque cause que ce soit ; qu'elle invoque en outre l'arrêt susvisé de la Cour d'Appel de Grenoble qui a jugé définitivement que la réclamation des époux Trouvé concernant la prise en charge par Total de leur déficit d'exploitation n'était pas de la compétence prud'homale mais ressortait de leur activité commerciale.

Attendu qu'en réalité le statut particulier des gérants non salariés de stations services dont les installations restent la propriété des sociétés pétrolières, et plus particulièrement celui des époux Trouvé, relève d'une part, du droit du travail pour tout ce qui a trait à la législation sociale et implique un lien de subordination économique qui les met dans la dépendance des sociétés pétrolières, et d'autre part du droit commercial pour ce qui a trait aux actes de commerce qu'ils sont appelés à faire, en achetant et vendant des marchandises, étant précisé que les règles d'ordre public du droit du travail, pour tout ce qui touche à la condition du salarié, prévalent sur toutes les clauses contractuelles du contrat signé par les parties et sur le protocole d'accord de 1973 auquel il est fait référence dans le contrat ; qu'il convient d'examiner successivement les demandes principales des époux Trouvé et les demandes reconventionnelles de la société Total à la lumière des faits et principes sus rappelés ;

III - DEMANDES DES EPOUX TROUVE

Attendu qu'en vertu de ses obligations contractuelles la société Total qui vendait du supercarburant aux époux Trouvé et le leur livrait dans des cuves mises par elle à leur disposition, avait le devoir de maintenir ces moyens de stockage en état de servir à l'usage auquel ils étaient destinés, alors que par contrat elle obligeait les époux Trouvé à maintenir à leur frais des stocks déterminés et que ceux-ci n'avaient aucun moyen technique de déceler le vice dont pouvaient être affectés les réservoirs enterrés, mais seulement la possibilité de s'apercevoir qu'il y avait des pertes inexpliquées.

Que non seulement il a été démontré que le réservoir 42 était percé parce que sa conception n'était pas adaptée au mode de jaugeage imposé par la société et alors que les époux Trouvé n'avaient fait qu'user normalement de cette cuve, mais encore que par suite d'une légèreté coupable de ses services techniques alertés par les époux Trouvé dès le 2 juin 1976, la société Total n'a pas recherché et découvert la fuite alors que celle-ci était techniquement décelable et n'avait pas encore pris des proportions catastrophiques.

Que les pertes de supercarburant dont les époux Trouvé ont été victimes trouvent ainsi leur origine dans les manquements de la société Total à ses obligations contractuelles.

Que cependant la négligence dont ont fait preuve les époux Trouvé dans la surveillance de leurs stocks à un moment où les fuites étaient considérables a contribué à l'aggravation de leur préjudice.

Qu'il est équitable dans ces conditions de faire supporter le préjudice des époux Trouvé à concurrence des 4/5 par la société Total et de laisser à leur charge le dernier cinquième.

Attendu que ce préjudice est essentiellement constitué par la valeur marchande du produit perdu, valeur que l'expert a pu estimer à 994.681,21 F toutes taxes comprises et qui a fait l'objet d'une sommation de payer à la date du 19 janvier 1977 ; que pour actualiser l'indemnité réparant ce préjudice, il convient d'augmenter cette somme des intérêts échus depuis le 19 janvier 1977, et ce au besoin à titre de dommages-intérêts pour compenser la perte de jouissance de cette somme depuis 9 ans.

Que le découvert du compte bancaire des époux Trouvé est la conséquence directe de cette perte de carburant puisque les achats de supercarburant n'étaient plus couverts par les ventes ; que la demande des époux Trouvé en paiement de ce découvert fait donc double emploi avec l'indemnité qui remplacera dans leur patrimoine le supercarburant perdu.

Qu'il en est de même de leur déficit d'exploitation dans la mesure où ce déficit est dû essentiellement à la perte d'une partie de la marchandise.

Que ces 2 derniers chefs de demande seront en conséquence écartés.

Attendu toutefois qu'en l'absence des pertes continues de supercarburant, le compte bancaire qui enregistrait d'importants mouvements alternés ne restait à découvert que pendant le court laps de temps qui s'écoulait entre le paiement comptant des achats de carburant et celui où le prix de vente était reversé à la banque ; que cette alternance a été rompue lorsque les ventes ne compensaient plus les achats ; que la perte de supercarburant a donc eu pour conséquence directe le découvert et les agios sur ce découvert ; que le montant de ces agios qui ne peut être connu avec précision dès lors qu'il est engendré partiellement par le fonctionnement normal du compte et que l'administration des époux Trouvé a été suivie d'une administration provisoire également déficitaire, sera indemnisé par la somme forfaitaire de 400.000 F

Attendu en conséquence que le préjudice indemnisable s'élève à 994.651 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 1977 jusqu'à la date du présent arrêt, outre 400.000 F pour frais financiers.

Attendu que les époux Trouvé réclament en outre à la société Total le coût du carburant facturé qui pour diverses raisons ne leur a pas été réellement livré, notamment en raison des variations de volume dues aux variations de température par rapport à la température de référence de 15° ;

Mais attendu que cette demande se heurte aux stipulations contractuelles ainsi rédigées : " les quantités livrées seront reconnues contradictoirement dans la citerne du camion transporteur ou mesurées par les compteurs installés sur celui-ci. Pour être recevable toute contestation devra faire l'objet d'un écrit signé par le preneur et le chauffeur et transmis par le preneur à Total par pli recommandé dans les 48 heures de sa date à peine de forclusion. " ;

Qu'en effet les écrits contractuellement prévus en cas de contestation n'ont pas été établis ; qu'au surplus aucune référence à la température de 15 degrés n'a été prévue entre les parties pour la facturation du carburant livré ; qu'enfin les pertes normales évaluées par l'expert, en dehors des périodes de fuite, n'ont pas dépassé le seuil de tolérance de 2,2 pour mille ;

Que cette réclamation sera en conséquence écartée.

IV - DEMANDES DE LA SOCIETE TOTAL CONTRE LES EPOUX TROUVE

Attendu que la société Total réclame en premier lieu le paiement des factures de carburant restées impayées (296.600,77 F) avec intérêts légaux à compter de la date de la sommation de payer (13 novembre 1976) ou payées avec un chèque sans provision (160.970,55 F) avec intérêts à compter de la date de protestation du chèque (25 novembre 1976). Que ces demandes sont recevables et fondées puisque la marchandise facturée a été effectivement livrée sans que les livraisons aient fait l'objet de contestations dans les délais de forclusion contractuellement prévus ;

Attendu que la société Total réclame aussi le remboursement par les époux Trouvé du déficit d'exploitation enregistré postérieurement aux fuites, pendant l'administration de l'administrateur provisoire désigné judiciairement, (143.900,17 F), de même que le coût de cette administration (227.734,17 F) ;

Attendu que la désignation d'un administrateur judiciaire a été rendue nécessaire pour permettre la continuation de l'exploitation de la station, conformément au cahier des charges des autoroutes, malgré la carence des époux Trouvé qui, faute de trésorerie, ne pouvaient plus faire face aux frais d'exploitation ;

Que cette administration était donc encore une conséquence indirecte des pertes de supercarburant et était faite dans l'intérêt des époux Trouvé et de celui de la société Total ; qu'il parait équitable d'en faire supporter la charge dans la même proportion que ces pertes, soit 4/5 par Total et 1/5 par les époux Trouvé ;

Que par contre il résulte des énonciations d'un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de Grenoble en date du 31 janvier 1985 que les époux Trouvé se sont immiscés indûment dans la gestion de l'administrateur et ont par leurs agissements provoqué l'apparition d'un déficit constamment aggravé au fil des mois ; que ce comportement jugé fautif par la société Total et reconnu tel par l'arrêt susvisé a été sanctionné dans le cadre du droit du travail puisqu'il a été retenu avec d'autres motifs comme une cause réelle et sérieuse du licenciement des époux Trouvé par la société Total ; qu'il ne peut donc être sanctionné une deuxième fois par la juridiction commerciale, le comportement fautif des époux Trouvé ne relevant pas de leur activité commerciale mais d'un manquement à leurs obligations de salariés ;

Que la société Total sera en conséquence déboutée de ce chef de demande ;

Attendu enfin qu'en conséquence de la pollution engendrée par les pertes de carburant, la société Total a dû payer des factures de travaux pour permettre le contrôle de la lentille de supercarburant dans le sol afin de satisfaire aux demandes des experts ; qu'elle en réclame le remboursement aux époux Trouvé "au titre de la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Romans le 25 mai 1983" (Sic) ; que cette demande est sans rapport avec les relations commerciales des parties et ne saurait être examinée dans le cadre de cette instance ;

Attendu que le présent arrêt rend exigibles et certaines les condamnations réciproques des parties ; qu'il y a lieu d'en ordonner la compensation.

VI - SUR LE RECOURS DE TOTAL CONTRE L'UAP

Attendu que la société Total a demandé la garantie de son assureur l'UAP pour les condamnations prononcées en faveur des époux Trouvé ;

Que l'UAP conteste sa garantie ; que cette contestation doit être admise dès lors que les dommages que Total est condamnée à réparer découlent non pas de sa responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle seule garantie, mais sont d'origine contractuelle et exclus de la garantie ;

Que le jugement déféré sera en conséquence réformé sur ce point encore.

VII - SUR LES DEMANDES DE LA BPRD

Attendu que l'intervention pour la première fois en cause d'appel de la BPRD est recevable dans la seule mesure où elle est faite pour permettre à cet établissement bancaire de surveiller ses intérêts ; qu'elle ne l'est plus lorsqu'elle est faite pour obtenir une condamnation contre la société Total, dès lors que celle-ci s'oppose à l'examen de cette demande nouvelle.

VIII - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Attendu que les parties principales succombent partiellement dans leurs demandes respectives ; qu'il convient dans ces conditions de laisser à chacune la charge des dépens afférents à ses demandes et de débouter les époux Trouvé de leur demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme Reçoit les appels principaux et incident des époux Trouvé, de la Compagnie d'Assurances UAP et des sociétés Total CFR et CFD contre le jugement susvisé du Tribunal de Commerce de Romans rendu le 25 mai 1983 ; Reçoit l'intervention en cause d'appel de la société anonyme compagnie de raffinage et de distribution Total de France, née de la fusion des sociétés Total CFR et CFD et lui donne acte de ce qu'elle reprend à son compte toutes les écritures déposées par ces sociétés auxquelles elle se substitue. Reçoit l'intervention de la BPRD mais seulement dans la mesure où cette intervention est justifiée par la surveillance de ses intérêts concernés par les demandes des époux Trouvé contre Total en paiement du montant du découvert de leur compte et des agios. Dit par contre la BPRD irrecevable en son intervention pour demander pour la première fois en cause d'appel la condamnation des sociétés Total à lui payer diverses sommes. Au fond Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau : Dit que la société Total est contractuellement responsable, à concurrence de 4/5, du préjudice commercial subi par les époux Trouvé par le fait des fuites de supercarburant échappé de la cuve S2 entre Avril 1976 et le 30 septembre 1976. Laisse à la charge des époux Trouvé 1/5 de ce préjudice. Fixe ce préjudice à la somme de 994.651 F augmentée des intérêts au taux légal depuis le 19 janvier 1977 jusqu'à la date du présent arrêt, ladite somme compensant la valeur du supercarburant perdu, et à celle forfaitaire de 400.000F compensant les frais financiers entraînés par le découvert en banque engendré par la perte de supercarburant. Condamne la société Total de France à payer aux époux Trouvé 4/5 des sommes ci-dessus, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Déboute les époux Trouvé du surplus de leurs demandes. Condamne les époux Trouvé à payer à la société Total de France : - au titre des factures de carburant impayées la somme de 296.600,77 F avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 1976, - au titre du chèque sans provision émis en paiement de livraisons de carburant, la somme de 160.970,55 F avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 1976, - Au titre des frais d'administration de l'administrateur judiciaire Me Champion la somme de 45.546,83 F représentant le 1/5 de ces frais, Outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, le surplus de ces frais restant à la charge de la société Total. Ordonne la compensation entre les sommes dues par les époux Trouvé à la société Total et celles dues par la société Total aux époux Trouvé en exécution des condamnations ci-dessus prononcée. Déboute la société Total de France du surplus de ses demandes contre les époux Trouvé. La déboute de sa demande tendant à se faire garantir par l'UAP des condamnations prononcées contre elle au profit des époux Trouvé. Déboute les époux Trouvé de leur demande en paiement de 50.000 F fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Laisse à la charge de la BPRD les dépens afférents à son intervention et à la charge respective des époux Trouvé et de la société Total ceux afférents à leurs demandes respectives. Condamne la société Total aux dépens de la mise en cause de l'UAP et autorise la SCP d'avoué Grimaud à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.