CA Paris, 4e ch. A, 12 décembre 1994, n° 92-026115
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Primistères (SA)
Défendeur :
Pointin (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouge
Conseillers :
Mmes Mandel, Marais
Avoués :
SCP Narrat Peytavi, Me Ribaut
Avocats :
Mes Brunois, Fargier.
M. et Mme Martial Pointin ont conclu avec la société Primistères, le 7 décembre 1984, un contrat de " Co-Gérance Mandataire non salarié" soumis aux dispositions des articles L. 782 et suivants du Code du Travail, pour l'exploitation du magasin à l'enseigne Félix Potin, sis 42, rue Volta à Paris 3e.
Le contrat s'est poursuivi et exécuté normalement jusqu'en 1988, donnant lieu à l'établissement d'inventaires contradictoires réguliers.
Des difficultés d'approvisionnement ayant surgi par suite de la mise en redressement judiciaire de la société Primistères, les époux Pointin ont décidé le 15 juillet 1988, de résilier leur contrat à effet du 17 août 1988, respectant ainsi le délai de préavis contractuellement prévu.
Prenant acte de leur démission, la société Primistères a avisé les époux Pointin de ce qu'elle considérerait l'inventaire de départ en congés payés du 15 juillet 1988 comme constituant l'inventaire de fin de gestion.
Après notification des comptes et se prévalant de l'absence de réclamations, la société Primistères a mis en demeure les époux Pointin de leur payer la somme de 23.492,07 F.
N'obtenant pas satisfaction, elle a saisi le Tribunal de Commerce de Paris qui, par jugement du 21 septembre 1992, estimant qu'elle ne versait aux débats " aucun document contradictoire permettant d'établir la réalité et le quantum des manquants d'inventaire invoqués ", l'a déboutée purement et simplement de sa demande de paiement et l'a reconventionnellement condamnée à payer aux époux Pointin la somme de 75.942,60 F au titre d'un crédit en compte, outre la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile.
La société Primistères a interjeté appel de cette décision.
Au soutient de son appel, la société Primistères fait essentiellement valoir :
- que les comptes présentés n'ayant fait l'objet d'aucune réserve ou d'aucune réclamation chiffrée de la part des époux Pointin leur sont parfaitement opposables et ne peuvent plus être remis en question ;
- que ces comptes laissant apparaître un manquant en marchandises ou recettes de 23.492,07 F apparu au cours de leur gérance, les époux sont tenus d'en rembourser le montant.
Contestant qu'une quelconque irrégularité puisse lui être reprochée dans l'établissement des comptes et prétendant que les époux Pointin ont disposé de tous les éléments comptables afférents à la gestion de leur succursale pour formuler en temps utiles leurs réclamations, la société Primistères estime que les comptes sont devenus définitifs et sa demande, justifiée.
Sur la demande reconventionnelle des adversaires, elle invoque les dispositions de l'article 24-3 de " l'Accord d'Entreprise des Gérants Mandataires Non Salariés " pour prétendre que l'excédent d'inventaire, s'il est bien porté au crédit du compte du gérant, n'a pas vocation à lui être réglé financièrement.
Elle soutient enfin qu'à défaut de démontrer l'absence ou le retard dans les livraisons de marchandise, les époux Pointin ne peuvent prétendre à l'octroi de dommages-intérêts, rappelant, s'il en était besoin, qu'en vertu de l'article 4 du contrat et de l'article 25 des Accords d'Entreprise, elle ne peut en aucun cas être tenue pour responsable d'une non- livraison.
Concluant en conséquence à l'infirmation de la décision dont appel, elle demande, outre les paiements de sa créance, la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile.
Dénonçant les irrégularités commises dans l'établissement de l'inventaire du 15 juillet 1988 pour avoir été effectué hors la présence contractuellement prévue de l'inspecteur de la société Primistères et avoir été notifié tardivement, et se prévalant des dysfonctionnements dans l'établissement des factures qui l'ont précédé, les époux Pointin, qui prétendent avoir été contraints de donner leur démission en raison de la " chute vertigineuse " de chiffre d'affaire imputable, selon eux, à leur partenaire, estiment avoir été privés, par la transformation de l'inventaire de congés payés en inventaire de fin de gestion, des éléments comptables indispensables pour procéder aux vérifications nécessaires.
Estimant que les premiers juges ont à bon droit écarté, comme non probante, la comptabilité établie par la société Primistères postérieurement à l'inventaire du 17 mars 1988, et réfutant point par point l'argumentation opposée à leur demande reconventionnelle, les époux Pointin sollicitent la confirmation pure et simple de la décision entreprise et réclame paiement de la somme de 10.000 F de dommages-intérêts pour appel abusif et de la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile.
Dénonçant en réplique la mauvaise foi de ses adversaires, la société Primistères maintient l'intégralité de ses prétentions sollicitant de surcroît la capitalisation des intérêts.
Sur ce,
I- SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DE LA SOCIETE PRIMISTERES
Considérant que pour s'opposer à la demande de paiement formulée à leur encontre, les époux Pointin, sans méconnaître que les gérants mandataires non salariés de succursales de maison d'alimentation de détail, sont tenus, sauf convention contraire, d'assurer la charge de tout déficit d'inventaire, contestent le "déficit" qui leur est opposé à défaut, pour la société Primistères, d'avoir fait procéder à un inventaire régulier et d'avoir fourni des éléments comptables suffisants pour permettre de vérifier le bien fondé de celui auquel il a été procédé le 15 juillet 1988 ;
Considérant que, contrairement à ce qu'affirment les époux Pointin, l'inventaire du 15 juillet 1988 est contradictoire pour avoir été effectué en leur présence et être revêtu de la signature de l'un d'entre eux ;
Qu'ils ne sauraient valablement se prévaloir de l'absence de l'inspecteur de la société Primistères pour prétendre à la nullité des opérations d'inventaire alors qu'ils n'ont formulé aucune réserve sur ce point au moment desdites opérations et ont accepté en toute connaissance de cause de signer ou parapher les documents dressés à cette occasion ;
Qu'établi au moment même où, faisant coïncider congés payés et préavis d'usage, les co-gérants venaient de remettre leur démission à effet du 17 août 1988, un tel inventaire pouvait légitimement constituer un inventaire de fin de gestion dès lors que les formalités, notamment du triple exemplaire, en étaient respectées ;
Considérant que les époux Pointin ne sauraient non plus valablement se prévaloir de la notification tardive des comptes d'inventaire pour prétendre à la nullité de celui-ci, le délai de deux mois stipulé à l'article 7 du contrat pour procéder à une telle notification n'étant assortie d'aucune sanction ;
Mais considérant en revanche que contrairement à ce qu'affirme la société Primistères les époux Pointin ont, par lettre recommandée du 8 novembre 1988, reçue le 18 novembre 1988, manifesté leur désaccord quant au déficit qui leur était reproché, motif pris de ce qu'ils ne disposaient pas des factures nécessaires pour procéder aux vérifications qui s'imposent ;
Que la société Primistères ne peut dans ces conditions valablement prétendre (comme elle l'a fait dans sa lettre du 20 décembre 1988, si ce n'est de toute mauvaise foi, à tout le moins de façon erronée) qu'elle n'aurait reçu aucune réclamation de leur part dans les délais impartis, elle aurait été bien fondée à poursuivre le remboursement de sa créance sans autre formalité à l'encontre des co-gérants ;
Considérant, en effet, qu'en raison des difficultés d'approvisionnement et des erreurs ou manques de livraison que les nombreuses " rectifications en compte " attestent, les époux Pointin pouvaient légitimement prétendre procéder à des vérifications dès lors que l'inventaire du 15 juillet 1988, contrairement à ceux antérieurement établis, révélait un important déficit en marchandises ou recettes ;
Que ceux-ci ayant quitté les lieux en raison de la démission qu'il venaient de remettre, il appartenait à la société Primistères, dès lors qu'elle en était requise et que les comptes de fin de gestion, loin d'être acceptés, étaient contestés, de remettre auxdits époux les éléments nécessaires à la vérification des livraisons effectuées, et par voie de conséquence, des chiffres retenus dans la comptabilité au titre des " livraisons nettes ", et ce quel que soit le résultat auquel devait aboutir de telles vérifications ;
Qu'en ne permettant pas aux époux Pointin de procéder à de telles vérifications, la société Primistères ne peut se prévaloir d'une quelconque acceptation des comptes et doit, en conséquence, être déboutée de ses prétentions afférent à l'inventaire du 15 juillet 1988 ;
Qu'elle ne saurait, en effet, se référer aux seuls comptes récapitulatifs par elle établis et aux écritures rectificatives qu'ils comportent au profit des époux Pointin pour valablement prétendre avoir fait le nécessaire quant aux réclamations qui lui auraient été adressées dès lors qu'elle ne démontre pas, faute de produire les documents de base, que ces écritures rectificatives seraient exhaustives;
Qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté les comptes relatifs à l'inventaire du 15 juillet 1988 et débouté la société Primistères de sa demande en paiement ;
II- SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DES EPOUX POINTIN :
Considérant que les comptes d'inventaires antérieurs au 15 juillet 1988, qui n'ont fait l'objet d'aucune réclamation, sont devenus définitifs ;
Mais considérant que les époux Pointin ne sauraient pour autant valablement prétendre que l'excédent d'inventaire dégagé par ces comptes pour un montant de 74.801,92 F leur serait dû ;
Que l'article 24-3 de l'Accord d'Entreprise des gérants non salariés en disposant :
" En cas d'excédents d'inventaire (stock réel plus important que le stock théorique) et considérant que cette éventualité ne peut provenir que d'un décalage comptable ou une erreur du gérant dans la gestion de sa trésorerie, cet excédent sera porté au crédit du compte résultat d'inventaire pendant 2 gestions concrétisées par trois inventaires d'arrêté de compte.
A l'issue de cette période, cet excédent, s'il n'a pas été compensé par un manquant, sera soldé définitivement et passé au compte de pertes et profits de la société sans que cela puisse être un sujet de contestation ultérieure. "
ne prévoit nullement que " l'excédent d'inventaire " non compensé par un manquant apparu lors des deux " gestions " suivantes, devrait être passé au crédit du compte des gérants, mais prévoit uniquement, au titre d'une simple écriture comptable, sa passation au compte des " pertes et profit " de la société permettant l'équilibre du bilan ;
Que la société Primistères fait observer à juste titre qu'une telle disposition n'a d'autre objet que de permettre la mise en attente de " l'excédent d'inventaire " pour compenser le " manquant " ultérieurement apparu dont la charge financière incombe au gérant,
Qu'il s'ensuit que la décision entreprise, en ce qu'elle a condamné la société Primistères à payer aux époux Pointin l'excédent susvisé, doit être infirmée ;
Considérant en revanche qu'il résulte des pièces produites aux débats qu'en raison des difficultés rencontrées par la société Primistères et reconnues par elle, les approvisionnements ont été gravement perturbés à compter de mai 1988 ;
Que ces perturbations résultent suffisamment des rectifications auxquelles la société Primistères a dû se livrer et des deux bordereaux des 30 mai et 7 juin 1988 établissant de nombreux manquants ;
Qu'à supposer même qu'il ait pu être donné suite, dans un délai relativement bref, aux commandes non satisfaites, le retard apporté ne pouvait que gravement préjudicier à l'exploitation du magasin dit de " proximité ", dont la vocation première est de répondre au besoin ponctuel, souvent de dépannage, des consommateurs de quartiers, clientèle particulièrement mouvante s'il en est ;
Que s'il n'est pas contesté que la société Primistères ne peut être tenue pour responsable d'une non-livraison, dans un contexte normal d'activité régulière, il n'en demeure pas moins que la réitération des difficultés d'approvisionnement du magasin des époux Pointin telle qu'elle résulte des pièces produites, et dénoncée par lettre du 30 juin 1988, a causé à ces derniers un préjudice certain dont la diminution du chiffre d'affaire, comparaison étant faite à l'année précédente, n'est qu'un des aspects ;
Qu'en allouant aux époux Pointin la somme de 50.000 F en raison du trouble apportée dans l'exploitation de leur commerce, les premiers juges ont fait une juste appréciation des données de la cause ;
Considérant que la société Primistères ne pouvant, de son fait, valablement se prévaloir des résultats d'inventaire du 15 juillet 1988, n'est pas fondée à s'opposer au paiement de la prime de bonne gestion ;
Qu'à défaut de produire des éléments contraires, l'octroi de la somme de 1.140,92 F à ce titre, doit être confirmée ;
Considérant qu'en raison de la solution apportée au litige, il n'y a lieu de faire application de l'article [au titre de l'article] 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Que les dépens devront en revanche être mis à la charge de la société Primistères qui se trouve à l'origine de la procédure et succombe sur sa demande principale ;
Par ces motifs, Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 21 septembre 1992 en ce qu'il a débouté la société Primistères de sa demande en paiement formée à l'encontre des époux Pointin ; Le confirme en ce qu'il a condamné la société Primistères à payer aux époux Pointin, outre la somme de 1.140,92 F à titre de prime, la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts et sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; L'infirmant pour le surplus, et statuant à nouveau, Déboute les époux Pointin de leur demande en paiement de la somme de 74.801,68 F ; Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article [au titre de l'article] 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel ; Condamne la société Primistères aux dépens dont le recouvrement sera poursuivi conformément à la Loi sur l'Aide Juridictionnelle.