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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 15 juin 2000, n° 98-02270

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CGEA, Unedic, AGS Ile de France, Penet-Weiller (ès qual.)

Défendeur :

Alminoff

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Chollet

Conseillers :

M. Lebrun, Mlle Desous

Avocats :

SCP Verbecque, Mes Dufrenois, Laussucq, Trinquet.

Cons. prud'h. Orléans, du 22 juin 1998

22 juin 1998

Monsieur James Alminoff a saisi le Conseil de Prud'Hommes d'Orléans d'une demande tendant à voir fixer sa créance à l'encontre de la SA Docks de Blois, représentée par Maître Penet-Weiller, mandataire liquidateur, en présence du CGEA d'Ile de France Ouest, à 100.000 F sollicitant également 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Maître Penet-Weiller a soulevé l'incompétence du Conseil des Prud'Hommes.

Un jugement du 22 juin 1998, à la lecture duquel il est renvoyé pour l'exposé des faits et des moyens initiaux des parties, s'est déclaré compétent, et a fixé la créance de Monsieur Alminoff à 100.000 F de dommages-intérêts, prononçant la compensation avec une somme de 313.374,45 F à laquelle les époux Alminoff avaient été condamnés par une décision définitive, et l'opposabilité au CGEA, dans la limite de sa garantie.

Cette décision a été notifiée à Maître Penet-Weiller le 30 juillet 1998. Elle en avait interjeté appel dès le 23 juin 1998. Elle a été notifiée au CGEA le 29 juillet 1998. Il en a interjeté appel le 07 août 1998.

Maître Penet-Weiller conclut au débouté de Monsieur Alminoff.

Elle expose qu'aux termes d'un contrat de gérance conclu avec la société Docks de Blois le 15 juin 1982, et qui prit fin le 24 novembre 1988, les époux Alminoff étaient co-gérants d'un magasin Pic et Pac sis à Vitry aux Loges, la société Docks de Blois étant mise en liquidation judiciaire le 20 février 1995.

Elle estime que c'est à tort que le Conseil de Prud'Hommes s'est reconnu compétent, dès lors que, selon l'article L. 511-1 du Code du travail, il ne peut connaître que des litiges survenant à l'occasion d'un contrat de travail, alors que Monsieur Alminoff était gérant non salarié, la rupture du contrat ne pouvant s'analyser en un licenciement, les impératifs de la concession ne pouvant constituer un lien de subordination.

Elle ajoute que c'est en leur qualité de gérant que les époux Alminoff ont été condamnés à payer 313.374,45 F par une décision définitive, ce qui est incompatible avec le fait qu'ils peuvent être salariés, ajoutant que Monsieur Alminoff ne démontre pas le préjudice qu'il allègue.

Monsieur Alminoff demande la confirmation du jugement, ainsi que 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il expose qu'en application de l'article L. 782-5 du Code du travail et de la jurisprudence, le Conseil de Prud'Hommes est compétent pour connaître de la résiliation d'un contrat de gérance non salarié d'une succursale de coopérative, la clause contraire insérée au contrat étant nulle en application de l'article L. 782-6. Il ajoute qu'il existait un lien de subordination puisqu'il n'avait aucune liberté dans le choix du magasin, des produits vendus et dans leurs prix.

Il ajoute que le motif de rupture invoqué, à savoir sa contestation persistante de l'arrêté de compte qui a révélé un écart d'inventaire, ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse, et que privé d'emploi jusqu'à ce jour, il a subi un préjudice important.

Le CGEA d'Ile de France Ouest demande que Monsieur Alminoff soit renvoyé à se pourvoir devant le Tribunal de Commerce d'Orléans, et subsidiairement qu'il soit jugé qu'il n'existe aucun lien de subordination ce qui doit entraîner sa mise hors de cause. Il fait subsidiairement valoir les limites et plafonds de sa garantie.

Il expose que Monsieur Alminoff n'avait pas la qualité de salarié et que le litige, ayant pour origine la découverte de manquants à l'inventaire, pour lesquels Monsieur Alminoff a fait l'objet d'une condamnation définitive, concerne les modalités commerciales d'exploitation, et relève donc de la compétence du Tribunal de Commerce.

Sur ce, LA COUR :

Attendu que le jugement a été notifié à Maître Penet-Weiller le 30 juillet 1998, et au CGEA le 29 juillet 1998 ; que leurs appels, interjetés respectivement dès le 27 juin 1998 et le 07 juillet 1998, sont recevables ;

SUR LA COMPETENCE DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES

Que, par un contrat de " co-gérance " du 15 juin 1982, la société Docks de Blois a donné mandat aux époux Alminoff d'assurer la gestion de l'exploitation de l'un de ses magasins de ventes au détail, les intéressés étant indépendants dans leur gestion, dans la limite de leur mandat ; qu'il s'agissait d'un magasin " Pic à Pac " sis à Vitry aux Loges ;

Que ce contrat précisait qu'il était régi par les articles L. 782-1 à L. 782-7 du Code du travail, constituant un chapitre intitulé " Gérants non salariés des succursales de maisons d'alimentation de détail " ;

Que, selon, l'article L. 782-5 ainsi visé, de ce Code :

" Les différends survenus entre les entreprises mentionnées à l'article L. 782-1 et leurs gérants non salariés relèvent, lorsqu'ils concernent les modalités commerciales d'exploitation des succursales, de la compétence des tribunaux de commerce.

Ils relèvent de celle des tribunaux habilités à connaître des litiges survenus à l'occasion de louages de services lorsqu'ils concernent les conditions de travail des gérants non salariés telles qu'elles résultent du présent titre " ;

Que les conditions de travail, par opposition aux modalités commerciales d'exploitation prévues par l'alinéa 1 de cet article, incluent la rupture du contrat, le litige opposant à son employeur un gérant non salarié d'une succursale de maison d'alimentation, relatif à la résiliation du contrat de gérance, relevant de la compétence de la juridiction prud'homale, quelle qu'ait été la cause de la rupture ;

Que cette disposition particulière déroge à la règle générale posée par l'article L. 511-1 du Code du travail, qui ne peut donc être utilement invoquée par Maître Penet-Weiller ;

Que le litige porte sur le bien fondé de la rupture, et, en conséquence, sur l'octroi de dommages-intérêts à ce titre, et non sur les modalités commerciales d'exploitation, alors au surplus que ce n'est pas le défaut d'inventaire lui-même qui est à l'origine de cette rupture, mais sa contestation par Monsieur Alminoff ;

Que l'article XVIII du contrat ne constitue pas une clause attributive de compétence à une autre juridiction que le Conseil des Prud'Hommes, une telle disposition étant en tout état de cause, selon l'article L.782-6 du Code du travail, nulle et de nul effet ;

Qu'en conclusion c'est à juste titre que le Conseil des Prud'Hommes s'est déclaré compétent ;

SUR LE FOND

Que, selon l'article L. 782-7 du Code du travail :

" Les gérants non salariés visés par le présent titre bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, notamment en matière de congés payés. Les obligations mises par cette législation à la charge des employeurs incombent alors à l'entreprise propriétaire de la succursale " ;

Qu'il en résulte que ces gérants bénéficient en tant que tels du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture du contrat, et qu'il est dès lors inutile de rechercher si Monsieur Alminoff était en fait soumis à un lien de subordination caractérisant un emploi salarié ;

Que la rupture doit donc reposer sur une cause réelle et sérieuse ;

Que, dans une lettre du 16 décembre 1988, les Docks de Blois expliquent que :

- l'inventaire de 1987 fait ressortir un déficit très important,

- après différentes rectifications comptables, opérées à la demande de Monsieur Alminoff, il a été arrêté définitivement à 80.494,31 F le 18 août 1998,

- depuis, Monsieur Alminoff persiste à contester cet arrêté de compte en alléguant qu'il avait relevé différentes anomalies comptables mais en refusant toutefois d'en apporter la preuve ou d'en communiquer la nature ou l'origine, ce dont il résulte que les relations ne peuvent se poursuivre sans préjudice pour la bonne marche de l'enseigne ;

Qu'il en résulte clairement, ce qui est d'ailleurs confirmé par l'audition de Monsieur Michel Kault, directeur des ventes, par les services de police, le 26 mai 1989, que le motif de la rupture n'est pas constitué par le déficit, mais par la persistance de la contestation de Monsieur Alminoff, bien que celui-ci n'apporte pas les éléments de nature à en justifier le bien fondé ;

Que Maître Penet-Weiller n'apporte aucune justification de ce que cette contestation ait été fondée dans des termes injurieux ou inacceptables et que son seul caractère infondé ne saurait en faire une cause sérieuse de rupture, le jugement ayant considéré à bon droit que celle-ci était abusive ;

Que c'est par une juste motivation, que la Cour adopte, celle-ci étant confortée par les avis d'imposition produits à nouveau en cause d'appel, que le Conseil des Prud'Hommes a constaté qu'après la rupture Monsieur Alminoff avait subi, pendant plusieurs années, une perte de revenu très importante, et a évalué son préjudice à 100.000 F ;

Qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'opérer compensation entre cette créance, qui fait l'objet d'une fixation en raison de la procédure collective et qui sera garantie par le CGEA, et la somme de 313.374,45 F, que les époux Alminoff avaient été condamnés à payer à la société Docks de Blois selon jugement du 3 juin 1992, confirmé par arrêt du 9 août 1994 ;

SUR LA GARANTIE DU CGEA

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la garantie du CGEA, la Cour précisant qu'elle s'exercera dans les limites et plafonds prévus par les textes en la matière, du fait que, selon l'article L. 782-7 du Code du travail, les gérants non salariés bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, ce qui met à la charge de l'entreprise propriétaire de la succursale les obligations mises par cette législation à la charge des employeurs, et notamment celle prévue à l'article L. 143-11-1 du Code du travail d'assurer la salariée contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes dues en application du contrat de travail ;

SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Qu'il n'est pas inéquitable que Monsieur Alminoff supporte ses frais irrépétibles ;

SUR LES DEPENS

Que les dépens d'appel seront passés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire;

Par ces motifs : La Cour, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement du 22 juin 1998, sauf sur le point ci-après ; Dit n'y avoir lieu à compenser la créance de 100.000 F fixée au bénéfice de Monsieur James Alminoff avec la dette de 313.374,45 F due à la société Docks de Blois ; Dit que la garantie de l'AGS-CGEA d'Ile de France Ouest s'exercera dans les limites et plafonds prévus par les articles 5 et 123 de la Loi du 25 janvier 1985, L. 143-11-1 alinéa 5, D.143-1 et suivants du Code du travail ; Déboute Monsieur James Alminoff de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel ; Dit que les dépens d'appel seront passés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.