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Décisions

CA Pau, ch. soc., 19 avril 1991, n° 1990-90

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cruchandeau (Epoux)

Défendeur :

Epargne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Larque

Conseillers :

MM. Suquet, Laville

Avocats :

Mes Tafall, de Caunes.

Cons. Prud'h. Dax, du 31 mai 1990

31 mai 1990

Monsieur Joseph Cruchandeau et Madame Yvette Cruchandeau ont été engagés par la Société L'Epargne, respectivement les 15 février 1968 et 1er décembre 1975, en qualité de gérants mandataires non salariés d'une succursale Epargne.

Après entretien du 11 septembre 1986, la Société L'Epargne a résilié le contrat de gérance des époux Cruchandeau au motif qu'ils auraient pratiqué des majorations de prix sur les produits Epargne qu'ils étaient chargés de vendre, et ce en violation du contrat de gérance.

Les époux Cruchandeau, qui contestaient la résiliation de leur contrat de gérance, et qui estimaient avoir été licenciés sans motif réel et sérieux, ont saisi le Conseil des Prud'hommes de Dax de différentes demandes (indemnité de licenciement, préavis dommages-intérêts et congés payés).

Par jugement en date du 31 mai 1990 le Conseil des Prud'hommes, en constatant la faute des époux Cruchandeau a estimé qu'aucun élément ne permettait d'établir l'existence d'un lien de subordination juridique ou économique, et les époux Cruchandeau jouissaient d'une totale autonomie et indépendance, dans le cadre du contrat établi. Il a en conséquence débouté les époux Cruchandeau de leurs demandes.

Dans des conditions de forme qui ne sont pas contestées, les époux Cruchandeau ont interjeté appel de cette décision.

A l'appui de leur appel, ils soutiennent que toutes les dispositions du Code du Travail leur sont applicables et qu'ils ont été licenciés sans cause réelle et sérieuse.

Ils demandent en conséquence à la Cour de condamner la Société L'Epargne à verser :

- à Monsieur Cruchandeau

129 795 F à titre d'indemnité de licenciement ;

51 918 F à titre d'indemnité de préavis ;

207 672 F à titre de dommages-intérêts ;

5 191,80 F à titre de rappel de congés payés ;

5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.

- à Madame Cruchandeau

- 11 126,95 F à titre d'indemnité de licenciement ;

- 22 254,00 F à titre d'indemnité de préavis ;

- 89 016,00 F à titre de dommages-intérêts

- 2 225,40 F à titre de rappel de congés payés ;

- 5 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Intimée, la Société l'Epargne forme appel incident et demande à la Cour de :

Sur l'appel principal

- Dire irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel principal formé par les époux Cruchandeau contre le jugement rendu par le Conseil des Prud'hommes de Dax le 31 mai 1990 ; l'en débouter ;

- Constater en effet que le contrat de gérance liant les époux Cruchandeau à la Société L'Epargne n'est pas un contrat de travail ;

Constater que les prétentions judiciaires des appelants amènent la Cour à s'interroger sur les causes de la résiliation du contrat de co-gérance ;

Dire et Juger qu'en conséquence les époux Cruchandeau sont irrecevables et en tout cas mal fondés à formuler des demandes fondées sur les dispositions du Code du Travail relatives à la résiliation des contrats de travail à durée indéterminée, contrats qui n'existent pas en l'espèce ;

Dire et Juger que la responsabilité des époux Cruchandeau dans la rupture du contrat de mandat-dépôt est pleine, entière et exclusive ;

Dire et Juger que la violation de la clause de vente à prix imposés entraîne de convention expresse entre les parties (art. 16 paragr. 2 du contrat de co-gérance) une résiliation immédiate du contrat de co-gérance, sans préavis ni indemnité ;

En conséquence, confirmant la décision déférée, rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des époux Cruchandeau.

SUR L'APPEL INCIDENT

Infirmer sur ce point le jugement entrepris, condamner les époux Cruchandeau solidairement au paiement des entiers dépens dans lesquels seront compris pour ceux d'appel les droits de plaidoirie, d'une indemnité de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre une somme supplémentaire de 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir en justice sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.

MOTIFS

Attendu que Monsieur Cruchandeau a conclu le 12 février 1968 avec la Société l'Epargne un contrat de gérance de la succursale de cette société à Auch, sous le régime du statut de gérant non salarié ;

Que le 1er décembre 1975, les époux Cruchandeau sont devenus co-gérants, avec le même statut, d'une succursale située à Hossegor.

Attendu que l'article 3 du contrat signé par les parties prévoit notamment que les co-gérants ne devront pas changer les prix de vente des marchandises fixées par L'Epargne ; que l'article 16 sanctionne toute infraction à la convention par la résiliation immédiate, sans préavis et sans indemnité, du contrat liant les parties.

Attendu en l'espèce que par acte de Maître Baudiffier-Darmaillacq en date du 18 septembre 1986, la Société L'Epargne invoquant " une pratique constante et répétitive de changement des prix de vente fixés ", a résilié le contrat la liant aux époux Cruchandeau ;

Attendu que la Société L'Epargne, pour établir la faute des époux Cruchandeau, verse aux débats plusieurs constats dressés par Maître Baudiffier-Darmaillacq ; que pour procéder à ces constats, l'huissier a demandé soit à un tiers, soit à un clerc assermenté, d'effectuer des achats dans le magasin et a comparé les prix pratiqués par les gérants à ceux qui étaient imposés par la Société l'Epargne ;

Attendu que ces constats établissent que les époux Cruchandeau pratiquaient des prix très supérieurs à ceux fixés : + 15,80 % le 15 juin 1986, + 14,7 % le 13 juillet 1986, + 18,6 % le 6 août 1986, + 31 % le 30 août 1986, + 5 % le 12 septembre 1986 et + 4,5 % le 13 septembre 1986 ;

Attendu que les époux Cruchandeau soutiennent que ces constats sont dépourvus de toute force probante, aux motifs qu'ils auraient été effectués non contradictoirement, et qu'ils seraient fondés sur les seuls éléments de référence fournis par la Direction et par des tiers.

Mais attendu que l'huissier dans une lettre du 10 juin 1988, précise qu'il a comparé les prix pratiqués à ceux portés sur les bordereaux de commande et de prix, qu'il a personnellement vérifiés ;

Attendu en outre que Monsieur Cruchandeau a reconnu les majorations qu'il pratiquait, en signalant être dans l'obligation de le faire pour équilibrer sa gestion ; que dans leurs écritures de première instance les époux Cruchandeau ont reconnu la matérialité des faits qui leur sont reprochés, tentant uniquement d'en atténuer la portée ;

Attendu que cette pratique des prix excessifs et interdits est également confirmée par l'arrêté de compte établi après l'inventaire de reprise, qui laisse apparaître une balance créditrice du compte de marchandise de 17 292,20 F ; que ce compte créditeur ne peut pas s'expliquer comme le soutiennent les époux Cruchandeau, par le système des freintes mis en place, qui ne permet pas aux gérants de faire des bénéfices supplémentaires, mais de compenser leurs pertes.

Attendu que ces éléments établissent donc la faute des époux Cruchandeau.

Attendu que ces manquements à leurs obligations contractuelles sont d'autant moins tolérables qu'à la suite de semblables pratiques interdites constatées en 1984 et 1985, la Société l'Epargne leur avait indiqué par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 août 1985, et après entretien que les majorations de prix tout à fait abusives constatées les mettaient en infraction avec les termes du contrat de co-gérance, constituaient une faute lourde, et pourraient entraîner la rupture du contrat s'il n'y était mis fin immédiatement.

Attendu que les époux Cruchandeau soutiennent que ces éléments de fait doivent en tout état de cause être appréciés en application des dispositions du Code du Travail ;

Attendu que l'article L. 782-1 alinéa 2 du Code du Travail relatif aux gérants non salariés des succursales de maison d'alimentation de détail précise que les dispositions du chapitre 1 du présent titre sont applicables aux gérants non salariés sous réserve des dispositions du présent chapitre.

Attendu que le renvoi aux dispositions du chapitre l'implique, sous réserve des dispositions spécifiques contenues dans le chapitre 2, l'application aux gérants non salariés de l'ensemble des dispositions du Code du Travail qui visent les salariés, dès lors que les textes du Code du Travail ne sont pas incompatibles ou inconciliables avec leur indépendance.

Attendu en l'espèce que les époux Cruchandeau pouvaient déterminer leurs conditions de travail et engager du personnel, qu'ils étaient rémunérés par des commissions sur le chiffre d'affaire.

Attendu que ces éléments établissent qu'ils jouissaient d'une totale autonomie et indépendance dans la gestion de leur succursale, dans le cadre du contrat établi ;

Attendu en conséquence que la faute des époux Cruchandeau ne doit pas être sanctionnée par référence aux dispositions sur le licenciement prévues dans le Code du travail, mais par l'application de l'article 16 du contrat de co-gérance, selon lequel le cas de vente au dessus du prix fixé peut donner lieu à résiliation immédiate sans préavis et sans que les co-gérants puissent prétendre à aucune indemnité.

Attendu qu'il convient dans ces conditions de confirmer la décision entreprise et de débouter les époux Cruchandeau de leurs demandes.

Attendu que l'action engagée par les époux Cruchandeau ne présente aucun caractère abusif ; qu'il convient donc de débouter la Société l'Epargne de sa demande de dommages-intérêts.

Attendu enfin qu'il ne parait inéquitable de laisser à la charge de la Société L'Epargne les sommes par elle exposées et non comprises dans les dépens ; qu'il convient donc de la débouter de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière prud'homale et en dernier ressort ; Déclare régulier en la forme l'appel interjeté ; au fond, Le Déclare non fondé ; Confirme dans toutes ses dispositions la décision entreprise ; Déboute la Société l'Epargne de sa demande de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne les époux Cruchandeau aux dépens.