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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 25 octobre 1994, n° 29204856

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chevrel

Défendeur :

Giacomini (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loriferne

Conseillers :

MM. Chauvet, Simon

Avocats :

Mes Dragon, Lion.

Cons. prud'h. Lyon, du 8 juill. 1992

8 juillet 1992

Exposé du litige :

Par arrêt mixte en date du 25 mai 1993, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la 5e Chambre Sociale de la Cour d'appel de Lyon, après avoir considéré que le licenciement de Monsieur Jean-Paul Chevrel par la SA Giacomini procédait d'un motif économique réel et sérieux, a ordonné, avant dire droit, une expertise confiée à Monsieur Michel Charlon et destinée à déterminer le montant de l'indemnité de clientèle qui pourrait revenir à Monsieur Jean-Paul Chevrel, par application de l'article L. 751-9 du Code du travail.

L'expert désigné a déposé son rapport le 23 mars 1994 aux termes duquel il estime que l'indemnité de clientèle peut être fixée à 582 730 F, eu égard aux commissions perçues par Monsieur Chevrel déduction faite d'un taux de 30 % pour frais professionnels et compte-tenu du fait que Monsieur Chevrel a poursuivi l'exploitation d'une partie de la clientèle prospectée antérieurement et qu'il a été aidé par des campagnes publicitaires financées par la SA Giacomini. L'expert indique que l'incidence des groupements ou centrales d'achats sur le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Chevrel, servant de base au calcul de l'indemnité de clientèle, sera négligée d'un commun accord entre les parties, "le rôle de l'entreprise et du commercial ne pouvant être déterminé avec précision".

Monsieur Jean-Paul Chevrel approuve l'expert qui a retenu pour base de calcul de l'indemnité de clientèle, deux années de commissions soit 1 050 535 F. Il combat toutefois la démonstration de l'expert, en ce qu'elle procède à un abattement de 30 % pour frais professionnels alors qu'un abattement de 15 % prendrait en compte les frais réellement exposés. Monsieur Chevrel discute également la retenue opérée par l'expert à concurrence de 15 % pour prendre en compte les effets publicitaires consentis par la SA Giacomini, les sommes consacrées par la SA Giacomini étant, selon Monsieur Chevrel, d'un niveau normal pour une entreprise de ce type. Monsieur Chevrel ne critique pas l'expertise en ce qu'elle a opéré une retenue pour tenir compte du fait qu'il a, dans une petite mesure, continué à exploiter la clientèle précédemment prospectée. Il fixe à 797 890 F le montant de l'indemnité de clientèle devant lui revenir. Il fait observer que VRP multicartes il a pu conserver une partie de la clientèle qu'il démarchait précédemment, mais dans des proportions modestes comme le montre d'une part la chute de ses revenus entre 1990 (dernière année d'activité complète pour le compte de la SA Giacomini : 1 068 073 F) et 1992 (première année où il n'a pas perçu de commissions de retour sur échantillonnage liées à son activité révolue : 287 822 F) d'autre part la progression du chiffre d'affaires réalisé sur son secteur, selon les indications mêmes de la SA Giacomini (1990 : 11 798 000 F et 1992 : 13 600 000 F soit une augmentation de 15 %). Monsieur Chevrel considère enfin qu'il jouait un rôle, non contesté par la SA Giacomini, pour obtenir auprès des Centrales ou Groupements d'Achats des référencements, de produits de la SA Giacomini qu'il contribuait à faire connaître auprès des adhérents des Centrales et Groupements d'Achats.

La SA Giacomini conteste que le droit de Monsieur Chevrel à percevoir une indemnité de clientèle soit ouvert dès lors qu'il n'a pas perdu le bénéfice de la clientèle qu'il démarchait et qu'il a continué de prospecter pour le compte d'entreprises concurrentes (Eurob commercialisant des produits également de marque italienne Pettinaroli, Riquier-Adrien et Pro-Therm). Subsidiairement, la SA Giacomini estime que l'expert n'a pas assez tenu compte d'éléments influant sur la détermination du montant de l'indemnité de clientèle : 1°) le rôle très effacé du VRP auprès des Groupements d'Achats représentant 86 % pour 1990 du CA sur lequel Monsieur Chevrel était commissionné. 2°) l'effort très supérieur à la norme consenti par la SA Giacomini pour promouvoir ses produits par des campagnes de publicité 3°) l'étendue importante de la clientèle que Monsieur Chevrel a de fait retrouvée par le biais de cartes de représentation portant sur des produits concurrents. La SA Giacomini conclut au débouté de Monsieur Chevrel et subsidiairement à une fixation réduite du montant de l'indemnité de clientèle ;

Motifs de la décision :

Attendu que l'indemnité de clientèle prévue à l'article L. 715-9 du Code du Travail, ayant pour objet de réparer le préjudice causé pour l'avenir au représentant par la perte de la clientèle qu'il avait apportée, créée ou développée au profit de son employeur, ne peut être allouée au représentant, non lié par une clause de non-concurrence, qui a conservé la clientèle qu'il continue à prospecter au profit d'autres employeurs ;

Attendu qu'en l'espèce, Monsieur Chevrel fait la preuve qu'il a subi un préjudice résultant de la part d'une grande partie de la clientèle qu'il démarchait pour le compte de la SA Giacomini.

Attendu qu'il fait observer justement que la SA Giacomini se targue d'avoir, sur le secteur qu'il avait en charge, augmenté le chiffre d'affaires entre 1990 et 1992, ce qui contredit l'assertion selon laquelle il aurait conservé la clientèle qu'il prospectait sur les six départements de son secteur géographique ;

Attendu que la baisse importante de ses revenus démontre également qu'il n'a pu conserver la clientèle qu'il prospectait pour le compte de la SA Giacomini ;

Attendu que Monsieur Chevrel ne saurait être privé du bénéfice de l'indemnité de clientèle dès lors qu'il établit qu'il subit une perte de clientèle en dépit de son activité de représentation dans le même secteur de distribution pour le compte d'autres employeurs (Pro-Therm France, Riquier Adrien SA et Eurob SA) ;

Attendu qu'il convient de fixer le montant de l'indemnité de clientèle revenant à Monsieur Chevrel en considération des divers éléments sujets de la discussion des parties;

Attendu que la SA Giacomini ne disconvient pas qu'il existe "une action conjuguée de Monsieur Chevrel et de la SA Giacomini" auprès des Groupements d'Achats qui représentent 86 % du chiffre d'affaires sur lequel Monsieur Chevrel est commissionné;

Attendu que la SA Giacomini a toujours incité Monsieur Chevrel et les autres représentants à démarcher les adhérents du groupements d'achats, afin que ces adhérents obtiennent de leur groupement, le référencement des produits de la SA Giacomini;

Attendu que le rôle de VRP dans l'obtention de référencements, même négociés au niveau national, est actif et reconnu par la SA Giacomini(cf. des nombreuses circulaires adressées aux représentants soulignant l'importance de leur rôle pour permettre l'obtention des référencements nationaux, selon ses propres termes) ;

Attendu que l'effort financier consenti par la SA Giacomini à l'occasion de campagnes publicitaires pour la promotions de ses produits contribue au développement des ventes, en complément de l'activité du représentant;

Attendu que cet élément a facilité le développement de la clientèle prospectée par Monsieur Chevrel;

Attendu qu'il convient de fixer à la somme de 450 000 F le montant de l'indemnité de clientèle revenant à Monsieur Chevrel et réparant le préjudice réel subi par Monsieur Chevrel du fait de la perte d'une partie de la clientèle qu'il avait créée et développée et qu'il n'a pu continuer à prospecter avec résultats ensuite de son licenciement;

Attendu que ce montant tient compte de 1'incidence des campagnes de publicité effectuées par l'employeur, de l'abattement pour frais professionnels, de la part de la clientèle que Monsieur Chevrel a continué d'exploiter et démarcher avec succès et de l'organisation particulière du système de ventes par le biais de centrales ou de groupements d'achats;

Attendu que s'agissant d'une indemnité réparant un préjudice f fixé par décision de justice, les intérêts au taux légal court à compter de la fixation judiciaire ;

Attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt mixte en date du 25 mai 1993, Condamne la SA Giacomini à porter et payer à Monsieur Jean Chevrel la somme de 450 000 F, déduction non faite de la provision de 100.000 F allouée précédemment, à titre d'indemnité de clientèle outre intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et la somme de 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SA Giacomini aux dépens de première instance et d'appel, dans lesquels seront compris les frais d' expertise.