CCE, 5 décembre 1983, n° 83-610
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Murat
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de la Grèce, et notamment son article 2, vu la demande d'attestation négative ainsi que la notification, à titre subsidiaire, effectuées le 1er juin 1982 par l'entreprise Murat SA, fabrique française d'articles de bijouterie à Viry-Chatillon, concernant un projet de contrat-type de distribution par les détaillants des produits diffusés par elle, en particulier dans différents pays du marché commun, vu la publication (2) de l'essentiel du contenu de cette demande faite en application de l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et d'abus de positions dominantes, considérant ce qui suit :
I. LES FAITS
A. L'entreprise
(1) La Société Murat est une société anonyme française dont le siège est à Viry-Chatillon et dont les principaux actionnaires sont des particuliers. Son activité essentielle est la fabrication de bijoux en or, en argent et en plaqué-or, surtout en plaqué-or laminé à forte proportion d'or réalisé selon un procédé utilisé par Murat depuis 1847. Cette société, qui possède trois usines en France occupant environ 450 personnes, est un des plus gros employeurs français du secteur de la bijouterie qui reste encore assez dispersé malgré une tendance à la concentration. Elle diffuse également, de façon accessoire, sous la marque Murat des articles de bijouterie et d'horlogerie non fabriqués par elle.
(2) Murat vend ses produits pour la plus grande partie en France où elle réalise environ 90 % de son chiffre d'affaires annuel. La part de marché qu'elle y détient varie selon les produits : environ 4 % pour l'or, 14 à 15 % pour l'argent, 30 % pour le plaqué-or, ce qui lui donne la première place, et 60 % pour la sous-classe du plaqué-or laminé. Dans la Communauté, Murat exporte essentiellement vers l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, mais sa position sur ces marchés est relativement faible. Son implantation au Royaume-Uni, en Irlande et aux Pays-Bas est très récente et encore limitée ; elle ne vend qu'occasionnellement en Italie et en Grèce. Ses exportations hors de la Communauté, vers la Suisse et récemment vers l'Autriche, l'Espagne et vers les autres continents, sont peu importantes.
(3) Pour promouvoir la vente des produits portant sa marque, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du marché commun, Murat a organisé la distribution de ses produits de la façon suivante. L'approvisionnement des détaillants diffère selon les pays. En France et en Allemagne, ils sont approvisionnés par l'intermédiaire de représentants employés par la société Murat.
Pour le territoire couvrant la Belgique et le Luxembourg, les produits sont distribués aux détaillants par un concessionnaire exclusif lié à Murat par un contrat de concession notifié en 1963 et bénéficiant de l'exemption de catégorie prévue par le règlement n° 67-67-CEE de la Commission (1) et par le règlement (CEE) n° 1983-83 de la Commission (2). Des concessionnaires exclusifs ont également été désignés, depuis moins de deux ans, pour le territoire couvrant le Royaume-Uni et l'Irlande, aux Pays-Bas et, hors de la Communauté, en Autriche et en Espagne.
Pour les autres continents, Murat dispose de deux inspecteurs de vente effectuant des tournées annuelles dans divers pays.
(4) Pour le commerce de détail, Murat dispose d'un réseau d'environ 7 000 détaillants en France, 1 000 en Allemagne, 650 pour la Belgique et le Luxembourg, réseau qu'elle compte également développer dans les pays où elle s'est récemment implantée.
B. L'accord notifié
(5) Le projet de contrat notifié est l'accord-type destiné à régir les relations entre Murat et ses distributeurs détaillants. Il traduit de façon uniforme, pour l'ensemble des pays où Murat est implantée, les conditions actuellement appliquées par elle et que les détaillants doivent remplir pour pouvoir revendre ses produits.
(6) Pour être admis comme distributeur détaillant Murat, le revendeur doit satisfaire aux conditions suivantes :
- exercer la profession d'horloger-bijoutier détaillant soit en boutique, soit dans un département spécialisé isolé,
- posséder la compétence nécessaire justifiée par un diplôme d'une école de bijouterie ou d'horlogerie ou par une expérience de la vente ou de la réparation d'au moins quatre années dans la profession,
- disposer d'une surface à usage commercial exclusivement de bijouterie, horlogerie, orfèvrerie, art de la table et objets de luxe destinés à être offerts comme cadeaux.
(7) Le revendeur s'engage en outre :
- à passer des commandes correspondant tout à la fois à ses propres besoins et à l'importation habituelle des livraisons de la maison Murat. Le stock minimal ainsi constitué par le distributeur doit représenter au moins trois mois de ventes de produits portant la marque Murat. Ce stock minimal est nettement inférieur au stock habituel moyen de la profession. Les distributeurs détaillants font en général deux ou trois commandes par an, soit de quatre à six mois de stocks,
- à maintenir le stock dans de bonnes conditions de conservation et d'exposition,
- à ne pas mêler les produits Murat à des produits d'aspect semblable mais de qualité différente,
- à utiliser sur le lieu de vente, pour la présentation des articles Murat, les appuis publicitaires et les matériels de publicité fournis par Murat,
- pour la réparation des bijoux de marque Murat, soit à effectuer les remises en état lui-même ou par l'intermédiaire d'une personne dont il peut contrôler la compétence, soit à retourner les produits au service après-vente de Murat, s'il s'agit d'une opération risquant de détériorer le bijou.
(8) Murat s'engage
- à exécuter, pour le mieux, soit directement, soit par l'entremise de ses concessionnaires exclusifs, les commandes des distributeurs détaillants Murat,
- à ne vendre ou laisser vendre qu'aux détaillants qui remplissent les conditions du contrat,
- à mettre à disposition du distributeur agréé toute sa compétence en matière technique commerciale et publicitaire afin de l'assister dans le développement de ses ventes,
- à effectuer une publicité nationale et à donner la possibilité à ses distributeurs agréés d'utiliser sur le plan local cette publicité au moyen d'affichettes, panonceaux, présentoirs et mini-catalogues,
- à mettre en œuvre sa garantie et à apporter les meilleurs soins à tout produit de sa fabrication retourné à ses ateliers pour remise en état ou transformation.
(9) Le contrat-type notifié ne prévoit aucune disposition relative à la fixation des prix. Les distributeurs détaillants sont libres de fixer leurs prix. Certains des catalogues annuels que Murat fait éditer pour que les bijoutiers détaillants les diffusent comportent des prix indicatifs. Ces prix n'ont aucun caractère obligatoire et des différences de prix parfois importantes peuvent être constatées même entre distributeurs relativement proches.
L'accord est renouvelable chaque année par tacite reconduction. Il peut être dénoncé en cas de manquement aux obligations souscrites.
(10) Le contrat notifié comportait initialement une disposition interdisant aux distributeurs agréés de " revendre hors circuit habituel des produits Murat à toute personne n'étant pas elle-même distributeur agréé ". À la suite des observations faites par les services de la Commission, Murat a limité cette interdiction de revente " à toute personne ne répondant pas aux conditions générales développées dans les critères de qualification professionnelle ", c'est-à-dire les critères visés sous (6).
(11) À la suite de la publication, faite conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17 précité, aucune observation émanant de tiers n'a été communiquée à la Commission.
II. APPRÉCIATION JURIDIQUE
(12) Le contrat-type notifié, régissant les relations entre Murat et ses détaillants, traduit les conditions du système de distribution sélective créé par Murat au niveau du commerce de détail et constitue un accord entre entreprises au sens de l'article 85 du traité.
(13) Ainsi qu'il résulte notamment de la jurisprudence de la Cour de justice, les systèmes de distribution sélective ne tombent pas dans le champ d'application de l'article 85 paragraphe 1 du traité lorsque le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, relatifs à la capacité du revendeur, de son personnel et de ses installations et en rapport avec les exigences de la distribution du produit, à condition que ces critères soient fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire.
(14) En l'occurrence, Murat n'a subordonné l'admission à son réseau de distributeurs détaillants qu'à des conditions techniques et professionnelles générales. Les critères ainsi fixés, concernant la qualification professionnelle et les connaissances techniques des détaillants, ainsi que la destination et l'aménagement des locaux de vente [voir ci-avant sous (6)] ont pour conséquence qu'en principe seuls sont exclus du système de distribution les commerçants qui ne sont pas en mesure de vendre des articles de bijouterie dans des conditions satisfaisantes pour l'utilisation ni de fournir les prestations de service liées à la distribution. En effet, la vente dans de bonnes conditions d'articles de bijouterie de qualité en or, argent et plaqué-or à forte proportion d'or, requiert que ces articles soient vendus dans des magasins spécialisés par un personnel qualifié et dans des locaux permettant un stockage et une présentation convenables. En outre, les détaillants doivent être en mesure d'assurer la garantie et le service après-vente, que ce soit par eux-mêmes ou par l'entremise de tiers.
Ces critères sont fixés de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels. De plus, la possibilité pour des détaillants répondant à ces critères d'obtenir des produits Murat n'est pas subordonnée dans tous les cas à une reconnaissance préalable de Murat [voir ci-avant sous (10)], de telle sorte que le système n'est pas susceptible d'être appliqué de manière discriminatoire.
(15) Les autres obligations imposées aux revendeurs détaillants ne sont pas non plus visées par l'article 85 paragraphe 1 du traité. En effet, l'obligation d'utiliser, pour la présentation des articles Murat, les supports publicitaires fournis par Murat et celle de ne pas mêler les articles Murat à des produits d'aspect semblable, mais de qualité différente, ne constituent pas des restrictions de concurrence. Elles ont pour but d'améliorer la présentation et l'identification des articles Murat et d'éviter toute confusion avec d'autres produits. Elles n'empêchent nullement les distributeurs détaillants de Murat de vendre des produits concurrents. L'obligation pour le distributeur agréé de constituer un stock minimal de trois mois de vente d'articles Murat ne restreint pas de manière sensible la concurrence en l'espèce puisqu'elle reste en-deçà de la pratique courante dans la profession [voir ci-avant sous (7) premier tiret].
(16) Les engagements souscrits par Murat, et en particulier celui de ne vendre ou de ne laisser vendre qu'à des détaillants remplissant les conditions prévues, représentent la contrepartie, normale et conforme aux règles de concurrence communautaires, des obligations souscrites par les distributeurs détaillants.
(17) L'accord-type notifié ne comportant aucune obligation ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et susceptible d'affecter le commerce entre États membres, il n'y a pas lieu pour la Commission, sur la base des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu de l'article 85 paragraphe 1 du traité. En conséquence, la Commission peut délivrer à son égard l'attestation négative prévue par l'article 2 du règlement n° 17,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
La Commission constate qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE à l'égard du contrat-type entre Murat et des distributeurs détaillants.
Article 2
La société Murat SA, à Viry-Chatillon, France, est destinataire de la présente décision.
(1) JO n° 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(2) JO n° C 155 du 14. 6. 1983, p. 2.
(1) JO n° 57 du 25. 3. 1967, p. 849/67.
(2) JO n° L. 173 du 30. 6. 1983, p. 1.