CJCE, 5e ch., 16 janvier 1992, n° C-373/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procédure pénale contre X
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Sir Gordon Slynn (faisant fonction)
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
MM. Grévisse, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Zuleeg
Avocat :
Me Reynaud.
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par lettre du 12 décembre 1990, parvenue à la Cour le 17 décembre suivant, le juge d'instruction auprès du Tribunal de grande instance de Bergerac a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l'interprétation de la directive 84-450-CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse (JO L 250, p. 17).
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une plainte contre X déposée avec constitution de partie civile par M. Jean-Pierre Richard, président du conseil d'administration de la société anonyme Richard-Nissan, qui bénéficie d'un contrat d'importation exclusif sur le territoire français des véhicules de la marque Nissan. Cette plainte, fondée sur l'article 44 de la loi française n° 73-1193, du 27 décembre 1973, sur l'orientation du commerce et de l'artisanat, dite loi "Royer", vise des actes de publicité mensongère et illicite.
3 La disposition en cause de la loi française est, selon la communication faite par le Gouvernement français à la Commission, la mesure législative qui met en œuvre la directive précitée.
4 La plainte susmentionnée met en cause un garage de Bergerac, lequel a fait paraître dans la presse des placards publicitaires portant l'inscription "achetez votre véhicule neuf moins cher", suivie de la mention "garantie 1 an constructeur". Il ressort, par ailleurs, de la lettre de renvoi que cette publicité a trait à des véhicules importés de Belgique et immatriculés pour les besoins de l'importation, n'ayant jamais circulé, et vendus en France à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les concessionnaires locaux, du fait du nombre moindre d'accessoires équipant les modèles de base belges, par rapport aux modèles de base vendus en France.
5 C'est au vu de ces éléments que le juge d'instruction auprès du Tribunal de grande instance de Bergerac, saisi du litige, a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur la question de savoir "si une telle pratique de vente est conforme aux normes européennes actuelles".
6 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7 Il convient de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence désormais constante, l'obligation des États membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir, en vertu de l'article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles et que, par conséquent, en appliquant le droit national, la juridiction nationale est tenue de l'interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité (arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26, 14-83, Rec. p. 1891, et du 13 novembre 1990, Marleasing, point 8, C-106-89, Rec. p. I-4135).
8 La question posée par la juridiction nationale doit donc être comprise comme visant à savoir si la directive 84-450 du Conseil, précitée, fait ou non obstacle à une publicité du type de celle en cause dans l'affaire au principal.
9 Cette directive, adoptée en vertu de l'article 100 du traité, vise, ainsi qu'il résulte de ses considérants, à améliorer la protection des consommateurs ainsi qu'à mettre fin aux distorsions de concurrence et aux entraves à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services découlant des disparités entre les législations des États membres en matière de publicité trompeuse. A ces fins, elle entend fixer des critères minimaux et objectifs sur la base desquels il soit possible de déterminer qu'une publicité est trompeuse.
10 Aux termes de l'article 2, point 2, de cette directive, on entend par "publicité trompeuse" : "toute publicité qui, d'une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse ou qu'elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d'affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent."
11 L'interprétation de cette disposition, au regard des caractéristiques d'une publicité telle que celle qui est en cause dans l'affaire au principal, exige que soient examinés successivement les trois éléments mentionnés dans ladite publicité, à savoir que les voitures dont il s'agit sont des voitures neuves, moins chères et qui bénéficient de la garantie du constructeur.
12 Avant de procéder à cet examen, il convient de souligner que ces éléments de publicité sont d'une grande importance pratique pour l'activité des importateurs parallèles de voitures et que, comme l'avocat général l'a relevé aux paragraphes 5 et 6 de ses conclusions, les importations parallèles bénéficient d'une certaine protection en droit communautaire en tant qu'elles favorisent le développement des échanges et le renforcement de la concurrence.
13 En ce qui concerne, en premier lieu, l'indication du caractère neuf des voitures en cause, il y a lieu de constater qu'une telle publicité ne saurait être considérée comme trompeuse au sens de l'article 2, précité, au seul motif que ces voitures ont été immatriculées préalablement à l'importation.
14 En effet, c'est la mise en circulation et non pas l'immatriculation qui fait perdre à une voiture sa qualité de véhicule neuf. En outre, ainsi que la Commission l'a relevé, l'immatriculation préalable à l'importation facilite considérablement les opérations d'importations parallèles.
15 Il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier, au vu des circonstances de l'espèce, si, compte tenu des consommateurs auxquels elle s'adresse, cette publicité peut avoir un caractère trompeur dans la mesure où, d'une part, elle aurait pour objet de cacher la circonstance que les véhicules annoncés comme neufs sont immatriculés avant l'importation et où, d'autre part, cette circonstance aurait été de nature à faire renoncer un nombre significatif de consommateurs à leur décision d'achat.
16 Pour ce qui est, en second lieu, de la publicité sur le prix moins élevé des voitures, on ne saurait qualifier cette publicité de trompeuse que dans l'hypothèse où il serait établi que la décision d'achat d'un nombre significatif de consommateurs auxquels la publicité en cause s'adresse est prise dans l'ignorance de ce que le prix réduit des véhicules s'accompagne d'un nombre moindre d'accessoires équipant les voitures vendues par l'importateur parallèle.
17 En ce qui concerne, en troisième et dernier lieu, la mention relative à la garantie du constructeur, il y a lieu de relever qu'une telle indication ne saurait être considérée comme une publicité trompeuse dès lors qu'elle correspond à la réalité.
18 A cet égard, il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 10 décembre 1985, ETA/DK Investment, point 14 (31-85, Rec. p. 3933), la Cour a jugé qu'un système de garantie dans lequel le fournisseur de biens réserve la garantie aux seuls clients de son concessionnaire exclusif place celui-ci et ses revendeurs dans une situation privilégiée par rapport aux importateurs et distributeurs parallèles et doit, par conséquent, être considéré comme ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
19 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que la directive 84-450-CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne fait pas obstacle à ce qu'une publicité présente des véhicules comme étant neufs, moins chers et bénéficiant de la garantie du constructeur, lorsque ces véhicules sont immatriculés pour les seuls besoins de l'importation, qu'ils n'ont jamais circulé et qu'ils sont vendus dans un État membre à un prix inférieur à celui pratiqué par les concessionnaires établis dans ledit État membre, du fait que le nombre des accessoires qui les équipent est moindre.
Sur les dépens
20 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le juge d'instruction auprès du Tribunal de grande instance de Bergerac, par lettre du 12 décembre 1990, dit pour droit :
La directive 84-450-CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne fait pas obstacle à ce qu'une publicité présente des véhicules comme étant neufs, moins chers et bénéficiant de la garantie du constructeur, lorsque ces véhicules sont immatriculés pour les seuls besoins de l'importation, qu'ils n'ont jamais circulé et qu'ils sont vendus dans un État membre à un prix inférieur à celui pratiqué par les concessionnaires établis dans ledit État membre, du fait que le nombre des accessoires qui les équipent est moindre.