CA Paris, 5e ch. A, 23 février 2000, n° 1998-05555
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gersim (SARL)
Défendeur :
Levi Strauss Continental (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mme Jaubert, Mme Percheron
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Fanet-Serra
Avocats :
Mes Coudrier, Cohen, Me Meunier.
La société Levi Strauss Continental (la société Levi Strauss) a conclu le 26 août 1988 avec la société Gersim un contrat de franchise accordant à cette société l'exploitation d'une boutique Levi's Shop à Toulouse pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction d'année en armée avec une clause de résiliation réciproque. Elle a résilié le contrat à effet du 26 août 1995 par lettre recommandée du 24 février 1995. Estimant notamment que le non-renouvellement était abusif, la société Gersim a assigné la société Levi Strauss devant le Tribunal de Commerce d'Evry qui par jugement du 25 novembre 1997 a :
- condamné la société Gersim à payer à la société Levi Strauss la somme de 486.560,04 francs au titre des factures impayées compensables en deniers ou quittances ainsi que celle de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamné la société Levi Strauss à payer à la société Gersim la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts "compensables en deniers ou quittances",
- condamné la société Gersim aux dépens.
La société Gersim a interjeté appel de cette décision.
Sur ce
Vu les conclusions du 3 janvier 2000 par lesquelles la société Gersim :
- soutient que la rupture est abusive pour non respect du délai contractuel de préavis, absence de motivation de la lettre de rupture alors que le contrat est un contrat d'intérêt commun, absence du sérieux des griefs formés par la société Levi Strauss antérieurement à la résiliation du contrat, manque de loyauté du franchiseur,
- prie en conséquence la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Levi Strauss avait commis une faute en la convoquant à une session d'achats et l'a condamnée à lui payer 50.000 francs à titre de dommages et intérêts, de condamner cette société à lui payer la somme de 5.000.000 francs à titre de dommages et intérêts et de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Vu les conclusions du 29 septembre 1999 lesquelles la société Levi Strauss :
- fait valoir en réplique qu'elle s'est régulièrement opposée au non-renouvellement du contrat en notifiant sa décision par lettre du 24 février parvenue dans les délais en application de l'article 642 du Nouveau Code de Procédure Civile et en ne motivant pas sa décision, que subsidiairement elle n'a commis aucune faute,
- demande donc à la Cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer à la Société Gersim la somme de 50.000 francs, de le confirmer en ce qu'il a condamné la Société Gersim à lui payer la somme de 486.560,04 francs avec intérêts de droit à compter du 21 mai 1996 et de lui allouer la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LA COUR
Sur le non-renouvellement du contrat de franchise :
Considérant qu'il convient de rappeler que les sociétés Levi Strauss et Gersim ont conclu le 26 août 1988, un contrat de franchise pour une durée de trois ans, renouvelable à son échéance d'armée en année par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée au moins six mois avant l'expiration de la période en cours.
Qu'en l'espèce la société Levi Strauss a notifié le non-renouvellement par lettre recommandée envoyée le 24 février 1995 que la société Gersim soutient avoir reçue le 27 février ;
Qu'en l'absence d'accusé de réception, la date du 27 février doit être tenue pour exacte ;
Que la société Levi Strauss qui se prévaut à tort des dispositions de l'article 642 du Nouveau Code de Procédure Civile applicables aux délais de procédure, n'a donc pas respecté le délai contractuellement fixé ;
Considérant que les parties ont convenu que le contrat était conclu pour une durée déterminée et que chacune d'entre elles pouvait décider de ne pas le renouveler ce, sans qu'elles n'aient à assortir cette faculté de conditions de fond - elles se sont limitées à des conditions de forme et de délai - ;
Que le franchiseur, pas plus au demeurant que le franchisé en une hypothèse inverse, n'avait en conséquence à motiver la lettre de dénonciation du contrat ;
II - Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Gersim
Considérant que la société Gersim qui invoque une baisse de son chiffre d'affaires entre 1994 et 1997, prétend avoir subi un préjudice qu'elle chiffre à 5.000.000 de francs, résultant du comportement déloyal de la Société Levi Strauss ;
Qu'elle lui reproche notamment de lui avoir imposé la réalisation de travaux, d'avoir violé la clause d'exclusivité en accordant la distribution de ses produits à de nombreux points de vente proche du sien et en ouvrant en juillet 1992 une boutique Degriff-Jean's ;
Qu'elle lui fait également grief de l'avoir, au moment de la rupture, invitée à une session d'achats en lui laissant la charge des frais ;
Qu'enfin elle prétend que durant le préavis, elle a bloqué les livraisons de commandes passées en septembre 1996 et a lancé dès le 20 août 1996 une campagne de publicité pour l'ouverture de sa nouvelle franchise ;
Considérant que les parties ont convenu (article 3 du contrat) que dans les 90 jours qui suivront chacune des dates anniversaires du contrat, le franchisé devra procéder, à ses propres frais, à tous les travaux de rénovation et de modernisation ainsi qu'au remplacement des équipements ou de tous autres éléments qui seront jugés nécessaires par le franchiseur pour amener la boutique Levi's Shop aux standards de qualité et de décoration du moment et la rendre conforme aux exigences de la réglementation ;
Que dans un document élaboré le 16 octobre 1992 par la société Levi Strauss dont elle a expressément approuvé les termes en y apposant la mention lue et approuvée suivie de la signature de son gérant, la société Gersim a reconnu que son magasin ne correspondait plus aux nonnes et qu'elle devait entreprendre des travaux ;
Que les travaux ont été réalisés en 1993 et 1994 pour la somme de 156.728,79 francs et les travaux destinés à faire disparaître les signes distinctifs se sont élevés à 22.167.01 francs de sorte que la société Gersim (hormis le fait qu'elle s'était contractuellement engagée à supporter le coût des travaux) a pu conserver le bénéfice des premiers d'entre eux sauf pour la somme de 22.167.01 francs qui, en tout état de cause, devait être à sa charge (article XVI du contrat) quelle que soit la date du non-renouvellement du contrat ;
Que de surcroît la société Gersim qui ne justifie pas, contrairement à ce qu'elle prétend, avoir acquis et agencé sa boutique pour la somme de 4.000.000 francs continue à exploiter ladite boutique sans avoir dû faire de nouveaux travaux hormis ceux susvisés ;
Considérant qu'il est stipulé à l'article II du contrat de franchise que ce dernier est conclu pour l'exploitation d'une boutique Levi's Shop située 34 rue Saint Rome à Toulouse, que le franchiseur s'interdit d'exploiter ou de faire exploiter une boutique Levi's Shop dans le périmètre décrit en annexe et considère que dans la ville de Toulouse intra muros, il ne pourra exister plus de deux boutiques Levi's Shop avant d'avoir au préalable proposé au franchisé de conclure un contrat de franchise ;
Que la clause d'exclusivité concerne donc les boutiques Levi's Shop régies par le contrat de franchise et n'interdit pas l'ouverture dans le périmètre l'exclusivité de magasins vendant des produits Levi's dès lors que comme en l'espèce il n'est pas démontré que la société Levi Strauss ait encouragé le développement de ces magasins et en ait été le fournisseur ni d'une boutique sous l'enseigne "Degriff Jean's" qui, suivant les constatations de Maître Darbon requis le 8 mars 1995 par la société Gersim, vend des vêtements dégriffés de plusieurs marques dont la marque Levi Strauss composés de deux catégories - des seconds choix et des fins de séries -, observation étant de plus faite que suivant les termes du courrier du 16 octobre 1992 la société Gersim a, le 16 octobre 1992 (soit postérieurement à l'ouverture de cette boutique), préféré "la continuation du contrat de franchise" ;
Considérant qu'il ressort des courriers échangés entre les parties notamment de ceux des 16 octobre 1992, 27 avril et 5 mai 1995, 7 août 1995, 9 avril 1996, 3 juin 1996 et 16 décembre 1996 que la société Gersim n'a pas réglé à plusieurs reprises à leur échéance les produits livrés ; que les parties ont à deux reprises convenu d'un plan d'apurement des dettes de la société Gersim avec déchéance du terme et que la société Levi Strauss a suspendu les livraisons les 27 avril 1995, 7 août 1995 et 16 décembre 1996 au motif que sa cocontractante n'avait pas respecté les conditions de paiement ;
Que si l'interruption des livraisons du 7 août 1995 est justifiée - la société Gersim ne démontre pas avoir réglé la somme de 187.410,51 francs aux échéances des 20 juin et 20 juillet 1995 celles des 27 avril 1995 et 16 décembre 1996 sont discutables puisqu'elles sont fondées sur le non paiement de factures à échéance respectivement des 28 avril 1995 et 20 décembre 1996 pour les dates les plus proches ;
Mais considérant que la société Gersim ne rapporte pas la preuve d'avoir réglé les sommes dues aux dates convenues, que bien plus elle a reconnu n'avoir pas versé la somme de 486.560,04 francs réclamée le 16 décembre 1996 dans le cadre de l'exécution d'un contrat de distribution sélective conclu entre les parties en novembre 1996 (courriers des 7 août 1998 et 27 décembre 1999) ;
Qu'elle est donc mal fondée à se prévaloir d'un préjudice né de la suspension des livraisons intervenue quelques jours trop tôt ;
Considérant qu'en produisant une note interne de la société Levi Strauss demandant une livraison au nouveau franchisé et d'une "bobine de la nouvelle Pub'radio" pour le 20 août, la société Gersim n'établit pas que la campagne radio de publicité a débuté avant le 26 août ;
Considérant qu'en invitant le 16 janvier 1995 la société Gersim en tant que franchisé à assister à une session d'achats du 19 février 1995 au 23 février 1995 alors que le 24 février 1995 elle ne renouvelait pas le contrat de franchise, la société Levi Strauss a manqué de loyauté à l'égard de son cocontractant et lui a causé un préjudice correspondant aux seuls frais de transport et d'hébergement et perte de temps dès lors que le contrat devait se poursuivre pendant au minimum la période de préavis et que la société Levi Strauss a accepté de reprendre les marchandises ;
Que le jugement sera confirmé de ce chef.
III - Sur la demande reconventionnelle de la société Levi Strauss
Considérant que par des motifs que la Cour adopte la société Gersim sera condamnée à payer à la société Levi Strauss la somme de 486.560,04 francs ;
Que cette somme sera assortie des intérêts de droit à compter du 21 mai 1996 date de l'assignation ;
IV - Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser les parties supporter leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Gersim à payer à la société Levi Strauss Continental la somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant : Dit que les intérêts moratoires devront courir à compter du 21 mai 1996 ; Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Gersim aux dépens d'appel ; Admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.