Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 23 novembre 2000, n° 1997-25000

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Semne Val d'Yerres (SA), Bresson, Gema (SA), Semne Amphion (SA), Cora (SA)

Défendeur :

Parisienne des Hypermarchés (Sté), Lyonnaise des Hypermarchés (Sté), Auchan France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

SCP Threard-Bourgeon-Léger-Meresse, SCP Deprez-Dian-Guignot.

T. com. Paris, 2e ch., sect. A, du 7 oct…

7 octobre 1997

LA COUR statue sur l'appel formé par les sociétés Semne Amphion, Semne Arcueil et Semne Val d'Yerres, la société Gema et Messieurs Charles et Michel Bresson contre le jugement rendu le 7 octobre 1997 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a donné acte à Messieurs Bresson de leurs déclarations, déclaré la société Gema irrecevable, débouté les parties de toutes leurs demandes et partagé les dépens par moitié entre les demandeurs (les six appelants sus indiqués) et les défendeurs (les sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel).

Les trois sociétés Semne, exploitant chacune un hypermarché - Semne Arcueil et Semne Val d'Yerres en 11e de France, Semne Amphion à Thonon-les-Bains - ont, le 20 décembre 1991, conclu avec la société Docks de France Paris, pour les deux premières, avec la société Docks de France Cofradel pour la dernière, des contrats de franchise identiques comportant notamment la concession d'utilisation de l'enseigne "Mammouth".

A la suite de la prise de contrôle, en août 1996, de la société Docks de France, dont les deux sociétés franchiseurs étaient des filiales, par la société Auchan, qui exploitait elle même sous cette enseigne des hypermarchés concurrents, les trois sociétés franchisées, estimant que ce changement dans le capital, la direction et la politique du groupe Docks de France, marquée notamment par l'abandon progressif de l'enseigne Mammouth, affectait les conditions d'exécution des contrats de franchise de manière telle que la poursuite des relations contractuelles était rendue de fait impossible, leurs résultats se dégradant rapidement, ont, le 26 mars 1997, dénoncé "pour motif légitime" les contrats de franchise pour l'échéance du 30 septembre 1997 sur le fondement de l'article 13, alinéas 8 et 9 de l'avenant n° 1 aux contrats.

Puis, le 12 mai 1997, les trois sociétés Semne, la société Gema et Messieurs Charles et Michel Bresson ont fait assigner les sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel en résiliation, à leurs torts exclusifs, des contrats de franchise à compter du 2 juillet 1996, subsidiairement du 10 janvier 1997 ou encore du jour de l'assignation et paiement de dommages intérêts aux sociétés franchisées, les frères Bresson requérant acte de ce qu'ils réservaient leurs droits à une action ultérieure en réparation du préjudice lié aux pertes en capital ayant pu résulter pour le "groupe familial" des fautes des franchiseurs.

Les sociétés Semne Amphion et Semne Arcueil, la société Cora, intervenant à l'instance comme venant aux droits de la société Semne Arcueil par suite d'une fusion absorption, la société Gema et Messieurs Michel et Charles Bresson, appelants, demandent à la Cour de :

- résilier aux torts exclusifs des franchiseurs, aux droits desquels se trouve aujourd'hui la société Auchan France, les contrats de franchise signés le 20 décembre 1991, ce à compter du 22 juillet 1996, date à laquelle Auchan a pris le contrôle de Docks de France Paris et Docks de France Cofradel, subsidiairement à compter de septembre 1996, date à laquelle a commencé le démantèlement de la franchise Mammouth, ou du 26 mars 1997, date de dénonciation des contrats, ou encore du 12 mai 1997, date de l'assignation valant mise en demeure et au plus tard du 30 septembre 1997, date de prise d'effet de la résiliation,

- condamner la société Parisienne des Hypermarchés, aux droits de Docks de France Paris (aujourd'hui Auchan France) à payer :

* au titre des marges brutes perdues de juillet 1996 à septembre 1997, la somme de 7.227.000 francs à la société Semne Val d'Yerres et 3.667.000 francs au profit de la société Semne Arcueil (en réalité de la société Cora qui l'a absorbée),

* au titre de la perte de valeur des fonds de commerce sur la même période, la somme de 19.500.000 francs à la société Semne Val d'Yerres et celle de 13.900.000 francs au profit de Semne Arcueil (Cora),

* à titre de dommages-intérêts à raison de la perte des contrats de franchise trois ans avant leur terme, la somme de 59.910.000 francs à la société Semne Val d'Yerres et celle de 44.312.000 francs au profit de Semne Amphion en réalité Semne Arcueil (Cora), l'indication du nom Semne Amphion dans les écritures pour ce chef de demande procédant d'une erreur matérielle manifeste,

* au titre de la pénalité contractuelle la somme de 1.498.000 francs au profit de Semne Val d'Yerres et 1.065.000 francs au profit de Semne Arcueil (Cora),

- condamner la société Lyonnaise des hypermarchés , aux droits de Docks de France Cofradel (aujourd'hui Auchan France) à payer à la société Semne Amphion :

* au titre des marges brutes perdues de juillet 1996 à septembre 1997 la somme de 4.814.000 francs,

* au titre de la perte de valeur du fonds de commerce la somme de 16.800.000 francs,

* au titre de la rupture anticipée du contrat la somme de 52.210.000 francs,

* au titre de la pénalité contractuelle la somme de 1.265.000 francs,

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, avec capitalisation,

- condamner les Sociétés Parisiennes des hypermarchés et Lyonnaise des hypermarchés (aux droits desquelles se trouve Auchan France) à payer 100.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

- donner acte à la société Gema et Messieurs Michel et Charles Bresson de leur intervention accessoire, conformément aux articles 31 et 330 du nouveau Code de procédure civile, et de la réserve de leurs droits.

Les appelants soutiennent pour l'essentiel que les deux sociétés Docks de France - Paris et Cofradel - sont responsables de la rupture des relations contractuelles du fait de la violation de "l'intuitu personae", ayant résulté de la prise de contrôle par Auchan du groupe Docks de France, de la méconnaissance de la loi du 1er décembre 1989, dite loi Doubin, les nouveaux actionnaires de Docks de France n'ayant pas établi le nouveau document d'information pré-contractuel qu'imposait la substitution au franchiseur initial d'un nouveau partenaire ayant d'autres actionnaires et d'autres dirigeants, issus d'un groupe concurrent disposant d'une politique commerciale, d'un savoir faire et de méthodes différents, en raison enfin de nombreux manquements des franchiseurs, à partir de septembre 1996, à leurs obligations contractuelles en matière de richesse dans l'assortiment des produits proposés, de logistique, de procédures et de services commerciaux, de défense et de promotion de l'enseigne, de non discrimination, d'exclusivité d'approvisionnement en produits de la gamme "Mammouth", de non-concurrence et de respect de l'indépendance juridique des sociétés franchisées.

Ces fautes du "groupe franchiseur" sont, selon les appelants, à l'origine d'une chute brutale du chiffre d'affaires des magasins exploités en franchise par les trois sociétés Semne et de la perte de valeur des fonds de commerce qui en a résulté et ont fait perdre aux dites sociétés, dont les résultats étaient en nette progression jusqu'à l'offre publique d'achat faite par Auchan en juin 1996, le bénéfice des trois armées supplémentaires d'exécution du contrat sur lesquelles elles étaient en droit de compter.

La société Auchan France, qui est intervenue à l'instance comme venant aux droits de la société Parisienne des Hypermarchés et de la société Lyonnaise des Hypermarchés, elles-mêmes aux droits respectivement des sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel, intimées, soulèvent l'irrecevabilité tant de l'appel des sociétés Semne Val d'Yerres et Semne Amphion que de l'intervention de la société Cora, à défaut de communication des accords conclus entre celle-ci et les sociétés Semne, et de l'action de la société Gema et de Messieurs Michel et Charles Bresson, faute de preuve de leur intérêt à agir. Elle conclut encore à l'irrecevabilité des demandes en réparation de préjudices résultant de fautes prétendument commises par la société Auchan, non attraite dans la cause à titre personnel, ainsi que des demandes indemnitaires formées par les sociétés appelantes au titre de la rupture anticipée des contrats de franchise, s'agissant de demandes nouvelles prohibées par l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.

La société Auchan prie la Cour, "en conséquence" de confirmer le jugement attaqué et de condamner solidairement "les sociétés Semne Val d'Yerres, Semne Arcueil et Semne "Bresson" (il y a manifestement lieu de lire Semne Amphion) à payer "à chacune des sociétés Parisiennes des Hypermarchés et Lyonnaise des Hypermarchés" (aux droits desquelles déclare se trouver la société Auchan France) la somme de 50.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé

Sur l'intervention de la société Auchan

Considérant qu'en l'absence de toute discussion sur ce point il y a lieu de donner acte à la société Auchan France de son intervention à l'instance comme venant aux droits, par suite d'absorption, des sociétés Parisienne des Hypermarchés et Lyonnaise des Hypermarchés, elles-mêmes venues aux droits des sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel ;

Sur la recevabilité de l'appel des sociétés Semne

Considérant que l'appel des sociétés Semne a été interjeté le 24 octobre 1997 ; qu'à cette date les dites sociétés, qui étaient parties en première instance, jouissaient de la personnalité juridique, quelles qu'aient pu être les modifications intervenues quant à leur actionnariat, aucune n'ayant été absorbée ou radiée du registre du commerce ; qu'il n'y a donc pas lieu de déclarer leur appel irrecevable ;

Sur la recevabilité de l'intervention de la société Cora

Considérant que la société Cora est intervenue à l'instance, en cause d'appel, comme venant aux droits de la société Semne Arcueil; qu'elle produit un extrait du registre du commerce et des sociétés duquel il résulte qu'elle a absorbé la société Semne Arcueil, qui lui a apporté son fonds le 1er septembre 1999 et a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 25 février 2000; que l'intervention de la société Cora est donc recevable ;

Que la cession par la société Gema et "la famille Bresson" de leurs participations respectives, au demeurant ignorées, dans le capital des sociétés Semne Val d'Yerres et Semne Amphion n'a pas fait disparaître ces sociétés, qui demeurent immatriculées au registre du commerce et des sociétés, continuent à jouir de la personnalité morale et conservent intérêt et qualité à agir ;

Sur la recevabilité de l'action de la société Gema et de Messieurs Michel et Charles Bresson

Considérant que seul un tiers peut intervenir à l'instance, qu'elle soit principale ou accessoire; que la société Gema et Messieurs Michel et Charles Bresson ne peuvent soutenir qu'ils n'ont fait qu'intervenir à l'instance à titre accessoire, alors qu' ils ont été dès l'origine parties à cette instance pour l'avoir introduite par l'assignation qu'avec les trois sociétés Semne ils ont fait délivrer le 12 mai 1997 aux sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel ; que l'article 331 du nouveau Code de procédure civile est dès lors sans application, seul devant être appliqué l'article 31 du même code, selon lequel l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ;

Considérant que, pour preuve d'un tel intérêt, les appelants produisent une attestation de la société d'expertise comptable Amyot Exco, selon laquelle, au 30 septembre 1997, la société Gema détenait directement 99,99 % du capital des sociétés Semne Amphion et Semne Val d'Yerres et 5002 des 105.000 actions composant le capital social de la société Semne Arcueil, dont elle détenait indirectement, par l'intermédiaire de la société Semne Amphion, 99.750 autres actions, cependant que la société Gema était elle-même détenue par "le groupe familial Bresson" ;

Que, comme détentrice de la quasi-totalité du capital social des sociétés Semne à l'époque où l'instance a été introduite, la société Gema avait un intérêt manifeste au succès des prétentions desdites sociétés, tendant à la réparation d'un préjudice, consistant notamment dans la perte de valeur de leurs fonds de commerce respectifs, qui serait né de l'"anéantissement" ou de la rupture, par la faute des franchiseurs, des contrats de franchise ; qu'en revanche l'intérêt à agir de Messieurs Michel et Charles Bresson qui, selon leurs écritures, serait tiré de leur qualité d'actionnaires de la société Gema, n'est pas démontré, alors que cet intérêt ne pourrait être qu'indirect et qu'au surplus l'indication que" le groupe familial Bresson" détenait la société Gema est insuffisante à établir l'existence et l'importance de la participation personnelle de Michel Bresson et Charles Bresson dans le capital de la société Gema que l'action de Messieurs Bresson doit donc être déclarée irrecevable ;

Sur l'irrecevabilité des demandes des appelants en ce qu'elles viseraient des fautes prétendument commises par la société Auchan ;

Considérant que contrairement à ce que soutient l'intimée, les demandes en dommages intérêts formées par les appelants sont fondées sur des fautes, certes consécutives à la prise de contrôle de Docks de France par Auchan, mais qui seraient imputables, selon les sociétés Semne, aux sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel; que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur la recevabilité des demandes des appelants tendant à la réparation du préjudice causé par la rupture anticipée des contrats de franchise

Considérant que, selon l'intimée, ces demandes seraient irrecevables comme nouvelles, n'ayant pas été soumises aux premiers juges ; que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'intimée est recevable à opposer cette fin de non recevoir, encore qu'elle ne soit pas d'ordre public, dès lors qu'elle peut être proposée en tout état de cause, alors même qu'il a été conclu sur le fond ;

Mais considérant que ces demandes étaient virtuellement comprises dans les prétentions originaires, dont elles ne sont que le complément, puisque, devant le Tribunal, les sociétés Semne, qui demandaient réparation de la perte de marge brute et de la perte de valeur de leurs fonds de commerce consécutives à la prise de contrôle de Docks de France par Auchan, avaient requis acte de ce qu'elles ne pouvaient "mesurer aujourd'hui toutes les conséquences des dommages" ; que ces demandes sont donc recevables en vertu de l'article 566 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur le fond

Considérant que les contrats de franchise ont été conclus pour une durée fixée par l'article 13 de l'avenant n° 1, daté du même jour que les contrats eux mêmes, à cinq années, avec faculté de reconduction par périodes de 3 ans, à défaut de dénonciation six mois avant la date d'expiration, le franchisé s'obligeant toutefois à ne pas s'opposer à un premier renouvellement pour 3 ans, sauf dans le cas où il aurait des " motifs légitimes résultant de l'exploitation de l'hypermarché objet du présent contrat (tels que défaut de rentabilité suffisante)" ; que, par un avenant n° 2, commun aux trois contrats et daté du 10 février 1992, les parties ont convenu de fixer au 30 septembre 1997 la date d'expiration de la première période de cinq ans, durée normale du contrat prévue à l'article 13 de l'avenant n° 1 ;

Considérant que les sociétés Semne, en invoquant les dispositions des alinéas 8 et 9 de l'article 13 de l'avenant n° 1, notifié aux franchiseurs" la dénonciation des contrats de franchise... pour leur échéance du 30 septembre 1997", se sont ainsi opposées à la reconduction pour 3 ans des dits contrats, lesquels, en l'absence de contestation par les franchiseurs de ce refus de renouvellement, ont donc pris fin à leur terme normal, tel que fixé par l'avenant n° 2 ;

Qu'il échet donc seulement d'examiner si, par des fautes personnelles, les franchiseurs ont contraint les sociétés franchisées à notifier une dénonciation à défaut de laquelle les relations contractuelles se seraient poursuivies pendant au moins trois années ou encore si, comme le soutiennent les appelants, ils ont en fait rompu les contrats avant même leur dénonciation, laquelle n'aurait fait que tirer les conséquences d'une situation de fait préexistante ;

Considérant qu'il convient d'écarter en premier lieu comme non fondé le moyen que les appelants prétendent tirer du défaut de contestation par les franchiseurs de la dénonciation des contrats notifiés le 26 mars 1997, qui vaudrait reconnaissance de la réalité des griefs articulés dans l'acte de dénonciation; qu'en effet, par un acte de "protestation à sommation" du 28 avril 1997 les sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel ont fait connaître aux sociétés franchisées qu'elles acceptaient que les contrats de franchise prennent fin au 30 septembre 1997, sans pour autant reconnaître le bien fondé des griefs invoqués, mais "en considération du fait que les contrats de franchise doivent être exécutés de bonne foi et que tel (n') est manifestement pas l'état d'esprit des requis et de leur société mère la Compagnie Bresson" ;

Sur la violation de l'intuitu personae ou le changement dans la personne des franchiseurs

Considérant que la prise de contrôle par la société Auchan, en juillet 1996, de la société Docks de France, à la suite d'une offre publique d'achat ne peut être regardée comme constitutive d'une faute contractuelle imputable aux sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel, filiales de la société Docks de France et n'a pas eu pour effet de substituer à chacune de celles-ci un nouveau franchiseur, les changements intervenus dans la répartition du capital de la société mère n'affectant pas la permanence de la personne morale concernée, moins encore celle de ses filiales ;

Qu'aucune clause des contrats de franchise, au demeurant conclus respectivement avec la société Docks de France Paris et la société Docks de France Cofradel, non avec la société holding Docks de France ou avec le "groupe Docks de France", ne prévoyait qu'un changement dans le contrôle des sociétés ayant la qualité de franchiseur ou de leur société mère entraînerait, sauf accord des franchisés, la caducité ou la résiliation des dits contrats et serait regardé comme équivalant à un changement dans l'identité du franchiseur, retirant à des conventions conclues de part et d'autre "intuitu personae" un élément essentiel et constitutif par là d'une rupture contractuelle ;

Qu'ainsi l'événement invoqué par les sociétés Semne n'a par lui même entraîné aucune modification dans l'identité de leurs cocontractants respectifs ni constitué une violation quelconque des clauses des contrats, même s'il pouvait laisser présager des changements, à terme, dans les conditions de leur exécution, spécialement dans la politique commerciale du franchiseur, dès lors que l'exploitation de la marque et de l'enseigne "Mammouth" passait sous le contrôle d'une société exploitant une marque et une enseigne concurrentes dans le domaine de la grande distribution, et faire naître des craintes raisonnables quant à l'avenir de l'enseigne "Mammouth", et, par suite, de la franchise elle-même ;qu'au demeurant les deux franchiseurs ont admis que le changement important intervenu dans la répartition du capital de leur société-mère, passée sous le contrôle d'un concurrent, pouvait constituer pour les sociétés franchisées un juste motif de refuser le renouvellement des contrats de franchise ;

Sur la violation alléguée de la loi Doubin

Considérant que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le changement du contrôle de la société Docks de France aurait dû entraîner la communication d'un nouveau document d'information pré-contractuel, mentionnant en particulier l'identité des nouveaux actionnaires et dirigeants de "Docks de France", alors que la loi du 31 décembre 1989, dite loi Doubin, n'impose qu'une information préalable à la conclusion du contrat, que l'événement invoqué par les sociétés Semne n'a pas eu pour effet de substituer un nouveau franchiseur au cocontractant initial, moins encore un nouveau contrat à celui conclu par chacune d'elles le 20 décembre 1991, et que les sociétés Semne n' avaient pas contracté avec la société Docks de France, mais avec des sociétés filiales de celle-ci, juridiquement indépendantes ;

Qu'ainsi le défaut de communication d'un nouveau document d'information pré contractuel par les sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel aux sociétés franchisées Semne à la suite de l'offre publique d'achat de la société Auchan, alors que les contrats de franchise, conclus en 1991, continuaient de recevoir exécution, ne peut être considéré comme un manquement aux dispositions d'ordre public de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, qui visent à éclairer le consentement de la partie qui contracte un engagement d'exclusivité "préalablement à la signature de tout contrat" ;

Sur les autres manquements contractuels allégués

Considérant que les appelants reprochent aux franchiseurs d'avoir progressivement réduit la collection de produits spécifiques "Mammouth" au profit d'une collection commune aux enseignes Auchan et Atac, faisant ainsi disparaître l'identité commerciale de la franchise "Mammouth" et violant l'exclusivité d' approvisionnement en produits "Mammouth" ;

Mais considérant que les contrats de franchise énoncent seulement que le franchiseur s'oblige à livrer les marchandises figurant au catalogue de ses centres d'éclatement et d'approvisionnement; que l'évolution de la collection de produits du franchiseur et la circonstance que certains, voire beaucoup de ces produits- les sociétés Semne ne l'établissent au demeurant que pour un nombre d'articles limité- aient été également offerts à la vente dans les hypermarchés exploités sous les enseignes "Auchan" ou "Atac", ne sont pas constitutifs d'une faute contractuelle, traduisant seulement le regroupement entre les mêmes mains du contrôle d'entreprises concurrentes et de la recherche d'une meilleure rentabilité à travers une politique commerciale globale permettant de réduire les coûts d'approvisionnement pour un plus grand volume de commandes ; que la perte d'identité alléguée n'est pas établie, le recul du chiffre d'affaires pouvant avoir de multiples causes autres que celle-ci, alors au surplus que, les produits offerts à la vente ne portant pas la marque du distributeur "Mammouth" ou "Auchan", mais, par exemple , "Elea" ou "Milfrais", s'agissant de fromages frais, l'existence d'une gamme pour partie commune aux magasins Auchan n'était pas de nature à créer une confusion, dans l'esprit du consommateur, entre les magasins "Mammouth" et "Auchan", dont les identités commerciales pouvaient résulter de beaucoup d'autres éléments, tels que l'accueil, la présentation des produits, l'organisation et l'esthétique des magasins, la formation du personnel ;

Considérant que la même réponse vaut pour ce qui est de la logistique, des procédures d'approvisionnement et des services commerciaux, qui ont fait l'objet d'un regroupement, dans un souci d'efficacité, avec les magasins exploités sous l'enseigne "Auchan"; que, sauf à considérer ce regroupement comme constitutif en lui-même d'une violation par le franchiseur de ses obligations, ce qui n'est pas en l'espèce, l'évolution qui en a résulté quant aux conditions techniques d'exécution des contrats de franchise ne peut être imputée à faute aux franchiseurs ;

Considérant que les sociétés Semne n'établissent pas que les franchiseurs auraient délibérément restreint le budget publicitaire en faveur de la marque "Mammouth", par rapport à ce qu'il était avant que la société Auchan ne prenne le contrôle de la société Docks de France ; que la comparaison doit se faire par référence à cette période antérieure et non, comme le font les sociétés Semne, par rapport aux moyens publicitaires consacrés à la promotion de l'enseigne Auchan, qui ne dépendait aucunement des sociétés Docks de France Paris et Docks de France Cofradel; qu'il ne peut davantage être reproché à celles-ci d'avoir édité des catalogues moins riches que les catalogues "Auchan", alors au surplus qu'il est établi que les magasins "Auchan" offraient à la vente, dès avant l'offre publique d'achat, un nombre d'articles ou "références" très supérieur à celui offert par les magasins "Mammouth" ;

Que la note de Docks de France du 3 novembre 1996, citée par les appelants comme illustrant une politique discriminatoire à l'égard des sociétés Semne, énonce seulement - que, si les "grands hypers" - parmi lesquels ne sont pas rangés les magasins exploités par les sociétés Semne- "auront la communication Auchan dans sa globalité", les "hypers" auront la communication Mammouth initialement prévue" ce qui fait apparaître que la promotion de la marque Mammouth est, dans l'hypothèse la moins favorable, demeurée à un niveau au moins égal au niveau antérieur; que l'exécution loyale du contrat de franchise n'imposait pas au franchiseur de porter son budget de promotion de la marque Mammouth au même niveau que celui de la marque Auchan ;

Considérant que les sociétés Semne ne peuvent faire grief à leur franchiseur de ce que les magasins n'ont pas été classés, dans la nouvelle organisation postérieure à la prise de contrôle de Docks de France par Auchan parmi les "grands hypers", alors qu'il résulte de la lettre d'information Auchan Docks de France d'octobre 1996 que les 7 directions régionales "Grands Hypers" regroupaient exclusivement des magasins exploités directement par la société Auchan ou par les sociétés filiales de Docks de France, et alors au surplus qu'il n'en est résulté pour les sociétés franchisées aucune conséquence négative au regard des conditions antérieures d'exécution des contrats de franchise, et que les sociétés Semne ne peuvent se plaindre à la fois d'une perte d'identité liée à un affaiblissement de la concurrence avec la marque Auchan et d'une insuffisante intégration à l'organisation de l'ensemble Auchan-Mammouth-Atac, contrôlé par la société Auchan-France ;

Considérant que la convocation directe de salariés de la société Semne Arcueil à une réunion d'information du franchiseur, qui a donné lieu à un courrier de protestation du franchisé en date du 1er avril 1997, si elle constitue dans son principe une méconnaissance de l'indépendance juridique du franchisé, peut s'expliquer par une urgence ou des habitudes de collaboration au sein de l'ensemble "Mammouth" et, compte tenu de son objet, n'a pu porter atteinte au pouvoir de direction de la société Semne Arcueil sur le ou les salariés concernés ; qu'il n'apparaît pas au demeurant que cette manière de procéder ait continué postérieurement à la protestation de la société franchisée ; que cette convocation directe de caractère ponctuel, non réitérée, ne peut donc être regardée comme une faute de nature à entraîner la résiliation du contrat de franchise conclu par Semne Arcueil, moins encore de ceux conclus par les deux autres sociétés Semne, non concernées par cet incident ;

Considérant qu'enfin l'existence d'un hypermarché Auchan sur le territoire concédé à la société Semne Val d'Yerres ne peut être considéré comme devenue constitutive en elle-même d'une violation par le franchiseur de son obligation de non-concurrence par le seul fait que la société Auchan a pris le contrôle de la société mère de la société Docks de France Paris, franchiseur de Semne Val d'Yerres ; qu'en effet la société Docks de France Paris n'a pas accordé de franchise pour l'exploitation de l'hypermarché Auchan Bois Senart et n'a pas elle-même exploité ce magasin, cependant que le changement de contrôle invoqué n'a pas eu pour effet de faire passer l'hypermarché Auchan considéré sous le contrôle de la société Docks de France Paris ni même de sa société mère; que la poursuite de l'exploitation de l'hypermarché Auchan Bois Senart par la société Auchan ne peut donc d'aucune manière être regardée comme équivalant à l'ouverture par la société Docks de France Paris d'un "nouvel hypermarché" dans la zone d'exclusivité du magasin "Mammouth" exploité par la société Semne Val d'Yerres ;

Considérant que les demandes en dommages-intérêts formées par les sociétés Semne Amphion, Semne Val d'Yerres et Cora ne sont donc pas fondées que le jugement sera, quant au fond, confirmé en toutes ses dispositions, ainsi que le requiert l'intimée, les demandes nouvelles, recevables formées devant la Cour par les sociétés appelantes étant également rejetées ;

Considérant que les appelants qui succombent, devront supporter les dépens d'appel, ce qui entraîne le rejet de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'équité ne commande pas de faire application de ce texte en faveur de l'intimée.

Par ces motifs : Donne acte à la société Auchan France de son intervention comme venant aux droits des sociétés Parisienne des Hypermarchés et Lyonnaise des Hypermarchés, Reçoit la société Cora en son intervention comme venant aux droits de la société Semne Arcueil, Déclare les sociétés Semne Amphion, Semne Arcueil et Semne Val d'Yerres recevables en leur appel, Réforme le jugement attaqué en ce qu'il a donné acte à Messieurs Bresson de leurs déclarations et dit la société Gema irrecevable à agir et, statuant à nouveau, Déclare Messieurs Michel et Charles Bresson irrecevables en leur action et la société Gema recevable en son action, Confirme pour le surplus le jugement déféré, Y ajoutant, Déboute les sociétés Semne Amphion, Semne Val d'Yerres, Cora et Gema de toutes leurs demandes formées en cause d'appel, Déboute la société Auchan France de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne les appelants aux dépens d'appel et admet la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.