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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 9 novembre 2000, n° 99-00281

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Centrale de Parfumerie (SA)

Défendeur :

Rose de France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

Mme Brumeau, M. Perignon

Avoués :

SCP Greff-Curat, SCP Gallière-Lejeune-Marchand-Gray

Avocats :

Mes Fourgoux, Ben Soussen.

T. com. Rouen, du 7 déc. 1998

7 décembre 1998

Les faits et la procédure

Le 6 mai 1995, la société Rose de France a conclu un contrat ce franchise avec la Société Centrale de Parfumerie pour une durée de 5 ans, la convention prévoyant l'exploitation de l'enseigne "Mireille Clerc".

En 1997, le groupe Marionnaud a acquis la Société Centrale de Parfumerie.

Par lettre du 20 février 1998, la société Rose de France a refusé la résiliation amiable du contrat proposée par la Société Centrale de Parfumerie.

Par acte en date du 29 juillet 1998, la société Rose de France a assigné la Société Centrale de Parfumerie en nullité du contrat et subsidiairement, en résiliation du contrat aux torts du franchiseur.

Par jugement rendu le 7 décembre 1998, le tribunal de commerce de Rouen a :

- prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la Société Centrale de Parfumerie,

- condamné la Société Centrale de Parfumerie à payer à la société Rose de France la somme de 327 600 Francs avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- débouté la société Rose de France de ses demandes de dommages-intérêts,

- débouté la société Rose de France de sa demande de remboursement des sommes versées (78 653,41 Francs),

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la Société Centrale de Parfumerie à payer à la société Rose de France la somme de 15 000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Société Centrale de Parfumerie a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 12 avril 1999, la Société Centrale de Parfumerie expose notamment que :

- elle n'a en aucun cas pris l'initiative de la rupture et qu'aucune résiliation n'est intervenue,

- elle a continué à livrer la société Rose de France jusqu'en juillet 1998, époque à laquelle cette dernière a cessé unilatéralement de passer ses commandes,

- contrairement aux affirmations de la société Rose de France, elle a continué de lui fournir l'assistance et le savoir-faire, conformément à la convention de franchise,

- enfin, la société Rose de France qui a poursuivi l'exécution du contrat, n'apporte pas la preuve d'un quelconque préjudice.

La Société Centrale de Parfumerie demande en conséquence à la Cour d'infirmer la décision déférée et de :

- statuant à nouveau, faire injonction à la société Rose de France d'exécuter ses obligations, sous astreinte de 1000 Francs par jour, à compter de l'arrêt, et notamment de communiquer les déclarations de chiffres d'affaires permettant de connaître le montant de la participation de 4 % sur le chiffre d'affaires due par le franchisé conformément aux dispositions de l'article 4 du contrat de franchise,

- condamner la société Rose de France à lui payer la somme de 20 000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 31 mai 2000, la société Rose de France soutient essentiellement que :

- la Société Centrale de Parfumerie a modifié unilatéralement les modalités d'exécution du contrat en obligeant les franchisés à passer leur commande directement, alors qu'auparavant les commandes étaient groupées au sein de la centrale d'achat, en sorte que l'assistance, élément essentiel du système, est devenue inexistante.

- l'abandon de l'enseigne "Mireille Clerc" au profit de l'enseigne " Marionnaud " a eu pour conséquence directe d'isoler son fonds et de rendre inexistants l'assistance et le savoir-faire qui lui étaient fournis auparavant,

- du fait des manquements de la Société Centrale de Parfumerie à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat, sa résolution aux torts du franchiseur doit être constatée par la Cour,

- subsidiairement et pour les mêmes raisons, le contrat doit être résilié et le préjudice subi par la société Rose de France, réparé par l'allocation de dommages-intérêts correspondants à la perte du droit d'entrée, aux investissements et à la baise du chiffre d'affaires.

La Société Rose de France demande donc à la Cour de :

A titre principal :

- débouter de l'ensemble de ses demandes,

- prononcer la résolution du contrat de franchise aux torts du franchiseur,

- condamner en conséquence la Société Centrale de Parfumerie à restituer la somme de 150 000,00 Francs HT au titre du droit d'entrée,

- la condamner à lui payer les sommes de 318 000 Francs au titre de l'indemnisation des investissements réalisés et de 600 000,00 Francs à titre de dommages-intérêts,

A titre subsidiaire :

- prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur,

- condamner en conséquence la Société Centrale de Parfumerie à lui payer une somme de 1 068 000,00 Francs à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues,

En toute hypothèse,

- condamner la Société Centrale de Parfumerie à lui payer une somme de 50 000,00 Francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Sur ce, LA COUR

- Sur la rupture du contrat de franchise :

Attendu que le contrat de franchise signé le 6 mai 1996 entre la société Rose de France, exploitant un fonds de commerce de parfumerie à Creil et la Société Centrale de Parfumerie pour une durée de 5 ans prévoyait notamment :

- la concession de l'enseigne " Mireille Clerc " au bénéfice du franchisé ;

- la transmission d'un savoir-faire et en particulier l'accès au réseau de distribution des grandes marques de parfums ;

- la fourniture d'une assistance : formation professionnelle avant la prise de possession du point de vente, et une assistance permanente en cours d'exécution du contrat ;

Qu'en particulier, aux termes de ce contrat, le franchisé se trouvait exonéré des contraintes liées aux quotas imposés par les marques de parfums, le réseau "Mireille Clerc", qui jouait le rôle de centrale d'achats, garantissant à celles-ci une présentation du fonds de commerce et des méthodes de vente conformes à leurs exigences ainsi qu'un volume de vente suffisamment important ;

Que l'article 7.2, relatif aux obligations du franchiseur, stipulait que celui-ci s'engageait à approvisionner le franchisé dans les délais les plus rapides J-1 en port dû sauf rupture d'approvisionnement de la marque, cas de force majeure ou rupture de contrat liant le franchisé à la marque et à supporter les coûts de traitement et de gestion du système d'approvisionnement ;

Attendu que postérieurement à la reprise, en décembre 1997, de la Société Centrale de Parfumerie par le Groupe Marionnaud, dirigé par M. Frydman, celui-ci a, le 17 février 1998, adressé à la société Rose de France une lettre ainsi libellée :

" Suite à notre entretien du 6 février dernier, je vous confirme que les contrats qui vous lient aux fournisseurs stipulent tous que le chiffre d'affaires minimum contractuel doit être réalisé par des approvisionnements directs auprès des Maisons.

Si vous ne remplissez pas cette condition, vous risquez de devoir faire des achats massifs en fin d'année ou de constater le retrait de certaines marques parmi les plus importantes.

Les approvisionnements étant l'activité la plus importante de la SCP dans le cadre du contrat de franchise qui vous lie à elle, je vous propose de mettre fin à ce contrat à l'amiable.

Si ma suggestion vous paraît sage, veuillez nous l'écrire ou nous renvoyer copie de la présente avec la mention."

" Bon pour résiliation réciproque et anticipée du contrat de franchise, daté et signé " ;

Attendu qu'il résulte clairement des termes de ce courrier que la Société Centrale de Parfumerie entendait ne plus jouer à l'avenir son rôle de centrale d'achats, privant ainsi la société Rose de France de la contrepartie ayant justifié son intégration dans le réseau ;

Qu'en effet celle-ci se retrouvait, comme avant la signature du contrat de franchise, directement soumise aux quotas d'approvisionnement des grands parfumeurs ainsi qu'à la menace d'un retrait de leurs marques, sans que la Société Centrale de Parfumerie ne joue son rôle de "tampon" comme dans le cadre de l'accord de franchise ;

Attendu que par lettre du 20 février 1998, Madame Prach, gérante de la SARL Rose de France, a refusé la proposition de Monsieur Frydman, lui précisant bien que si elle s'était "franchisée, c'était pour ne pas rester seule face aux marques" ;

Attendu que la cessation de l'activité de centrale d'achat de la Société Centrale de Parfumerie ressort encore de ses propres écritures (page 5) qui indiquent que de février à juillet 1998, la valeur des produits livrés à la SARL Rose de France est passée de 78 000 F à 2 265,F ;

Attendu qu'à la même époque, M. Frydman a pris directement contact avec les clients du franchisé pour les informer - chèque de remise de 50 F à valoir dans le Groupe Marionnaud à l'appui - que les parfumeries "Mireille Clerc" avaient "décidé de rejoindre le groupe de parfumerie Marionnaud dont elles porteraient désormais le nom" et ce, alors même qu'il n'est pas discuté que le rachat de la Société Centrale de Parfumerie par le Groupe Marionnaud n'impliquait nullement la disparition de la marque "Mireille Clerc" et qu'il n'est pas établi que les franchisés de la SCP avaient émis la volonté de rejoindre l'enseigne Groupe Marionnaud ;

Que par ailleurs, il résulte des lettres adressées à la société Rose de France par plusieurs grandes marques de parfumerie - notamment Kenzo le 2 mars 1998, Lancôme le 3 mars, Azzaro le 26 mars - que M. Frydman a informé unilatéralement ces marques de l'arrêt des relations entre la Société Centrale de Parfumerie et le réseau de franchise dont celle-ci fait partie ;

Que pour ces marques, ainsi que le précise notamment la société Kenzo dans son courrier, la société Rose de France est redevenue un point de vente totalement indépendant ;

Attendu qu'au vu de ces éléments, il apparaît que postérieurement à son rachat par le Groupe Marionnaud, la Société Centrale de Parfumerie a unilatéralement modifié les termes du contrat de franchise ci-dessus rappelés et a cessé de remplir son rôle de centrale d'achat et d'approvisionnement qui était, ainsi que l'a rappelé Mme Prach dans ses correspondances, une qualité essentielle pour la société Rose de France qui s'est dès lors retrouvée dans la position nettement moins avantageuse de point de vente indépendant ;

Qu'en outre, une telle modification des termes de l'accord initial à la seule initiative de la Société Centrale de Parfumerie a nécessairement abouti à la suppression d'éléments essentiels et nécessaires du contrat de franchise, en l'absence desquels la qualification juridique de franchise ne peut être retenue, en l'espèce l'assistance technique et commerciale telle que précisément définie au contrat ;

Qu'au surplus, l'envoi par M. Frydman, se présentant comme président de Marionnaud, sur papier à entête commun "Mireille Clerc" et "Marionnaud" de lettres circulaires à la clientèle de la société Rose de France lui faisant savoir contre toute vérité que l'enseigne " Mireille Clerc " disparaissait au profit du Groupe Marionnaud, est particulièrement révélateur de la volonté unilatérale du repreneur de délaisser totalement la marque "Mireille Clerc" et ainsi, de violer les obligations découlant du contrat de franchise ;

Que le chèque cadeau assortissant cette lettre, uniquement valable dans les points de vente de Groupe Marionnaud, démontre également la volonté du repreneur de diriger la clientèle des franchisés "Mireille Clerc" vers les points de vente du Groupe Marionnaud ;

Attendu qu'en agissant ainsi, la Société Centrale de Parfumerie, reprise par le Groupe Marionnaud, a gravement violé ses obligations contractuelles et a manifesté sans équivoque sa volonté de rompre unilatéralement le contrat de franchise ;

Que c'est donc à juste raison que le tribunal a considéré que ces fautes sont de nature à entraîner la résiliation du contrat de franchise (et non sa résolution, celui-ci ayant été exécuté sans difficultés pendant environ 18 mois) aux torts exclusifs de la Société Centrale de Parfumerie, aucune faute n'étant par ailleurs établie ni même soutenue à l'encontre de la société Rose de France ;

Que le jugement sera donc confirmé sur ce point et la Société Centrale de Parfumerie, déboutée de ses demandes ;

- Sur le préjudice :

Attendu que la société Rose de France sollicite l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de 1 068 000,00 Francs, représentant d'une part, le montant de son droit d'entrée, des investissements effectués pour remplir ses obligations de franchisée et des frais afférents, soit 468 000 Francs, et d'autre part, le préjudice résultant de la perte de chiffre d'affaires qui, selon elle, serait directement liée à la rupture du contrat, soit 600 000 Francs ;

Mais attendu que ces demandes portent sur la durée totale du contrat de franchise (5 ans) alors qu'ainsi que l'a justement relevé le tribunal, le contrat a été exécuté normalement pendant 18 mois et que dès lors, les mises de fonds perdues doivent être calculées au prorata temporis, sur la base de 42/60 mois ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué à la société Rose de France la somme de 468 000 x 42/60 = 327 600,00 Francs au titre du droits d'entrée et des investissements, ces somme n'étant par ailleurs justifiées en leur montant par les pièces versées aux débats ;

Attendu, s'agissant des pertes liées au chiffre d'affaires, que la société Rose de France établit l'existence d'une baisse au cours des années 1997 (1 358 739 Francs), 1998 (1 273 925 Francs) et 1999 (1 047 506 Francs) ;

Que si contrairement à ce qu'elle allègue, il est impossible d'imputer la totalité de ces baisses aux difficultés résultant de l'inexécution puis de la rupture du contrat de franchise, il apparaît toutefois certain que la perte du statut de franchisé et de ses avantages ci-dessus décrits, est constitutive pour elle d'un préjudice qui, au vu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la Cour, doit être évalué à 100 000,00 Francs ;

Qu'il sera donc alloué à la société Rose de France une somme totale de 427 600,00 Francs à titre de dommages-intérêts ;

- Sur les demandes annexes :

Attendu qu'il y a lieu de mettre les dépens d'appel à la charge de la Société Centrale de Parfumerie ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société Rose de France les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel ; qu'en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, il y a donc lieu de lui allouer une somme qu'au vu des éléments de la cause, la Cour arbitre à10 000,00 Francs ;

Par ces motifs : LA COUR : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions excepté celles relative au montant des dommages-intérêts allouées à la société Rose de France ; Dit que la Société Centrale de Parfumerie sera tenue de payer à la société Rose de France une somme de 427 600,00 Francs à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Dit que la Société Centrale de Parfumerie devra payer à la société Rose de France la somme de 10 000,00 Francs par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Confirme les dispositions de la décision entreprise relatives aux dépens de première instance et à l'indemnité allouée en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Met les dépens d'appel à la charge de la Société Centrale de Parfumerie, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile ;