CA Lyon, 3e ch., 3 mars 2000, n° 96-5106
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Covemat (SA)
Défendeur :
Delfour, Lebrun (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bailly
Conseillers :
Mme Robert, M. Santelli
Avocats :
Mes Durand, Nicole.
Exposé du litige - procédure - prétention des parties
Par contrat du 31 mars 1994, la société Covemat a donné en location un ensemble de matériel pour laverie et pressing à M. Frédéric Delfour, pour une durée de cinq ans, moyennant un loyer de 9.434,24 F HT (11.189 F TTC) par mois.
Il était inséré une clause résolutoire en cas de non exécution d'une clause du contrat, de même qu'en cas de non paiement d'un terme de loyer à son échéance, ainsi qu'une clause d'attribution de compétence au profit du Président du Tribunal de Grande Instance de Lyon, statuant en matière de référé.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 29 novembre 1994, la SA Covemat mettait en demeure M. Delfour de payer 22.378 F et rappelait la clause résolutoire. Puis une seconde fois, par un courrier du 27 janvier 1995, lui demandait de restituer le matériel - la somme due s'élevait alors à 55.944 F.
Le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de Lyon, saisi le 28 février 1995 par la SA Covemat, rendait le 31 août 1995 une ordonnance estimant que la saisine par M. Delfour du Tribunal de Commerce de Lyon par exploit du 31 mars 1995, constituait une contestation sérieuse et renvoyait les parties devant le Juge du fond.
Par jugement du 15 novembre 1995, le Tribunal de Commerce de Bayeux prononçait la liquidation judiciaire de M. Delfour et la SA Covemat déclarait une créance de 167.834 F le 18 décembre 1995 pour loyers impayés du 27 janvier 1995 au 30 novembre 1995, tandis que le liquidateur judiciaire reprenait l'action en nullité engagée par M. Delfour et que la SA Covemat faisait une demande pour voir constater la résiliation du contrat.
Par jugement du 1er juillet 1996, le Tribunal de Commerce de Lyon prononçait la nullité du contrat de location et condamnait la SA Covemat à payer la somme de 335.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par déclaration du 12 juillet 1996, la SA Covemat a interjeté appel de cette décision.
Elle soutient que la réformation s'impose et qu'il convient de constater la résiliation du contrat de location du 31 mars 1994, ainsi que déclarer l'action en nullité engagée par M. Delfour et poursuivie par son mandataire irrecevable et en tout cas mal fondée.
Elle fait état de la mise en demeure du 29 novembre 1994 pour affirmer que le contrat était résilié le 12 décembre 1994 et que le Juge se devait de constater ce fait dès lors qu'aucune demande en suspension de la clause n'avait été sollicitée.
Elle réclame les loyers depuis septembre 1994, soit quinze mensualités, soit 167.834 F et la restitution du matériel.
Elle estime que l'action en nullité introduite le 31 mars 1995 est irrecevable, dès lors que le contrat était anéanti à cette date et qu'il ne pouvait être rétabli.
Elle ajoute que le mandataire est hors d'état de restituer le matériel puisqu'il a été mis en vente aux enchères publiques, par la faute du mandataire.
Elle affirme que la demande est aussi mal fondée puisqu'il lui était fait reproche du choix erroné de l'implantation du commerce et de la nature du contrat, de sorte que son consentement avait été vicié.
Elle rappelle que le choix de l'implantation est sans incidence sur le contrat de location, d'autant que M. Delfour avait déjà acquis un droit au bail le 18 février 1994 - qu'il appartenait à M. Delfour seul - que ce moyen n'a été invoqué que tardivement à la demande en paiement des arriérés de loyers.
Elle observe que M. Delfour n'a pu être abusé en contractant et qu'il est surprenant qu'il ait attendu une année pour s'interroger sur le contrat qu'il avait signé.
Elle demande la réformation du jugement déféré et la condamnation du liquidateur, Me Le Brun - Busquet à lui payer 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ses écritures, Me Le Brun-Busquet rappelle les circonstances qui ont amené M. Delfour à acquérir un droit au bail de 85.000 F et à s'engager dans le projet d'installation d'une laverie automatique financée - après refus des banques - au moyen d'un contrat de leasing proposé par la SA Covemat, avec un loyer de 9.434,24 F pendant 59 mois et le versement d'un premier loyer de 80.000 F.
Il ajoute que l'exploitation s'est révélée immédiatement déficitaire à raison d'une activité très réduite et alors même que la SA Covemat avait procédé à des études très favorables.
Elle souligne qu'ainsi des difficultés sont apparues et que la SA Covemat a prononcé la résiliation du contrat après mise en demeure de payer les 29 novembre 1994 et 27 janvier 1995.
Il soutient que la question de la nullité du contrat s'impose avant que ne soit examinée la question de la résiliation, car un contrat nul n'a plus d'effet.
Il affirme ensuite que le contrat est atteint d'erreurs qui ont vicié le consentement :
- parce que les documents d'information sur les conditions préliminaires à l'implantation étaient erronés mais l'ont déterminés à contracter d'autant que la SA Covemat acceptait de financer l'opération,
- parce que l'étude elle-même est fausse non seulement sur les ressources mais sur les charges retenues (il n'a pas été tenu compte d'une implantation en zone rurale et il manque au moins 40.000 F dans les dépenses annuelles).
Il indique qu'en outre, le contrat avait été présenté comme un contrat leasing sur la durée d'amortissement du matériel, alors qu'en réalité il s'agit d'une simple location sur 5 ans, sans option d'achat.
Il fait observer que s'il avait été informé, il n'aurait pas acquis un pas de porte, ni contracté un emprunt pour aménager le bail commercial, ni investi 200.000 F personnellement.
Il conclut à l'existence d'un dol commis par la SA Covemat et au moins d'une erreur sur les qualités substantielles du contrat.
Il demande la confirmation du jugement déféré, sauf à porter à 400.000 F le montant des dommages et intérêts qu'il réclame (avec intérêts à compter du 31 mars 1995) et à ajouter 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ses écritures en réponse, la SA Covemat soutient que c'est en toute connaissance de cause que M. Delfour a contracté et qu'il savait pertinemment qu'il signait un contrat de location - que toutes les informations lui avaient été données - que la publicité n'était pas mensongère - que l'étude était valable - qu'ainsi elle n'est pas à l'origine du dépôt de bilan de M. Delfour - que contrairement à ce que dit M. Delfour, il n'a pas versé 193.210,84 F mais 94.880 F TTC, outre quatre loyers de 11.189 F TTC chacun.
Elle rappelle qu'un contrat anéanti par la résiliation ne peut être annulé ultérieurement.
Elle réclame le paiement de sa créance de 167.834 F admise au passif de M. Delfour et sollicite subsidiairement la compensation pour le cas où il serait fait droit à la demande de Me Le Brun-Busquet.
Dans de nouvelles écritures, Me Le Brun-Busquet porte sa demande en dommages et intérêts à 700.000 F et insiste sur les fautes commises par la SA Covemat au titre de son obligation de conseil et d'information.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 1999.
Motifs et décision
I) Sur la recevabilité de l'action en nullité
Attendu que M. Frédéric Delfour entend invoquer la nullité du contrat intervenu le 31 mars 1994 avec la SA Covemat, au motif qu'il n'aurait pu se former à raison d'erreur sur la qualité substantielle de la chose et du fait de manœuvres dolosives commises par la SA Covemat, pour l'amener à contracter, lesquelles seraient constitutives d'un vice du consentement ;
Que pour s'opposer à cette demande, la SA Covemat fait état de la résiliation du contrat dont elle peut se prévaloir à effet du 12 décembre 1994, consécutivement à la mise en demeure régulièrement notifiée par courrier du 29 novembre 1994 à M. Frédéric Delfour, visant la clause résolutoire applicable en cas de non respect des engagements contractuels et que cette résiliation étant acquise, la demande postérieure en nullité du contrat est manifestement irrecevable ;
Attendu qu'il est constant que la SA Covemat a régulièrement déclaré sa créance de loyers impayés par M. Delfour entre les mains de Me Le Brun-Busquet en qualité de mandataire liquidateur et que cette créance a été admise sans contestation au passif de la liquidation judiciaire pour 167.834,00 F ;
Que de la sorte, cette reconnaissance d'un droit qui ne peut plus être remis en cause au profit de la SA Covemat au titre des obligations nées du contrat avec cette société, interdit au co-contractant de poursuivre en nullité le contrat sans qu'il y ait lieu d'examiner le bien fondé de la demande ;
Que la demande sera déclarée, en conséquence, irrecevable et le jugement déféré reforme en conséquence ;
II) Sur la responsabilité de la SA Covemat
Attendu que pèse sur tout négociateur à un contrat l'obligation d'avertir son partenaire de toute information susceptible d'être déterminante de sa décision de contracter notamment en lui signalant les risques de l'opération, ainsi que les contraintes qu'elle impose compte tenu de la spécificité et de la nature des prestations proposées, ainsi que de la connaissance que chacune des parties devait en avoir ;
Qu'il n'est pas contestable que l'implantation d'une laverie automatique requiert de la part d'un non professionnel une compétence particulière des caractéristiques propres à cette activité que le recours aux services d'un professionnel, comme ceux offerts par la SA Covemat, avait précisément pour objet de fournir au candidat à ce projet ;
Que l'examen des documents publicitaires versés aux débats fait apparaître que la SA Covemat se présente comme leader français dans le domaine de la laverie automatique, et comme partenaire privilégié qui guide et conseille à tous les stades de l'investissement en apportant par le choix et la situation des locaux, l'établissement d'un dossier de financement et l'étude de faisabilité son savoir faire ;
Attendu qu'il est, dès lors, bien téméraire pour la SA Covemat de soutenir qu'elle n'a été en l'espèce qu'un bailleur de matériel au titre d'un contrat de location, alors qu'elle a établi une étude "préalable" (sic) d'implantation de laverie remise à M. Delfour, en vue du contrat et qu'elle s'est présentée comme un prestataire de savoir faire, de sorte que le contrat liant les parties s'apparente à un contrat de franchise, que cette étude ait été ou non incluse dans le contrat de location ;
Qu'il résulte, en effet, des circonstances de la cause que cette étude a constitué pour M. Delfour ainsi que le compte d'exploitation produit l'élément déterminant sans lequel elle n'aurait pas souscrit le contrat de location de matériel ;
Qu'il résulte de constatations dont les éléments ont été produits par l'intimé que cette étude comporte cependant des lacunes et des approximations ;
Que d'une part, le chiffre d'affaires prévisionnel a été calculé sur une référence théorique de chiffre d'affaires prétendument réalisé par 540 laveries, sans indiquer selon quel critère elles ont été retenues, alors qu'il était indispensable de prendre comme base de calcul des indicateurs relevés dans la population du secteur considéré et des besoins de cette population dans cette branche d'activité ;
Qu'il s'est ainsi révélé que les recettes encaissées ont été inférieures de 45 % aux prévisions de l'étude ;
Que d'autre part, les charges ont été retenues à partir d'éléments erronés puisque le loyer a été fixé à la moitié de son montant - que le coût de la comptabilité était du double et surtout qu'ont été omises les dépenses se rapportant aux charges personnelles de l'exploitant ;
Que l'écart entre les charges réellement engagées soit 329 156 F et celles prévues dans l'étude soit 236 048 F est significatif ;
Que les éléments comparatifs utilisés dans l'étude sont sujet à caution et n'ont donc qu'une fiabilité incertaine ;
Qu'il doit en être déduit que les conclusions de l'étude et les énonciations du compte d'exploitation prévisionnel n'étaient pas pertinentes mais au contraire de nature à induire en erreur le co-contractant sur les objectifs de l'opération ou à tout le moins ne pas l'éclairer suffisamment sur la décision à prendre ;
Attendu la SA Covemat a, dans ces conditions, manqué à son obligation d'information à l'égard de M. Delfour et par conséquent, doit être tenu à réparation du préjudice qu'elle lui a causé de son fait ;
Que M. Delfour réclame une somme de 700.000 F, tous préjudices confondus ;
Qu'il est établi qu'il a dû emprunter une somme de 250.000 F pour réaliser des travaux d'aménagement dans les locaux commerciaux, ainsi que pour acquitter la TVA ;
Qu'il a au surplus, acquis au prix de 85.000 F de droit au bail lui permettant de créer le fonds de commerce ;
Que le dépôt de bilan dû aux manquements de la SA Covemat lui a fait perdre une partie de son investissement et a constitué de ce fait une perte de chance pour lui ;
Attendu que toutefois d'autres facteurs - comme le comportement de M. Delfour - ont nécessairement concouru à la réalisation de cet échec qui n'est dès lors imputable que partiellement à la SA Covemat ;
Que dans ces conditions, la Cour peut faire une exacte appréciation du montant des préjudices subis - au vu des éléments versés aux débats et des circonstances qui ont entraîné la situation incriminée - en retenant une indemnisation à hauteur de 250 000 F à la charge de la SA Covemat ;
Que le jugement déféré sera réformé sur le quantum alloué ;
III) Sur la compensation
Attendu qu'il s'attache à l'admission définitive de la créance de la SA Covemat déclarée au passif de M. Delfour pour un montant de 167.834,00 F, l'autorité de la chose Jugée ;
Que par conséquent, cette somme dont l'origine se trouve dans la résiliation du contrat de location le 12 décembre 1994, a un caractère certain et exigible ;
Attendu que la SA Covemat réclame à titre subsidiaire pour le cas où elle serait condamnée à des dommages et intérêts que soit ordonnée la compensation avec sa créance à l'encontre de M. Delfour ;
Attendu que la compensation des créances connexes a été consacrée par l'article 24 de la loi du 10 juin 1994 qui complète l'alinéa 1er de l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Que dans ces conditions les créances nées d'obligations réciproques dérivant d'un même contrat répondent à l'exigence de ce texte dès lors que d'une part, la créance de la SA Covemat sur le débiteur - M. Delfour - est née antérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de M. Delfour intervenu le 15 novembre 1995 et que d'autre part, celle du débiteur - M. Delfour - résultant du présent arrêt a pris naissance postérieurement à ce jugement ;
Qu'ainsi la compensation doit être ordonnée entre le montant des condamnations ;
IV) Sur les autres demandes
Attendu que l'équité ne commande pas d'allouer d'indemnité judiciaire et qu'il convient de rejeter les demandes faites au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que les dépens seront supportés par la société Covemat ;
Par ces motifs, LA COUR, Réforme partiellement le jugement déféré ; Statuant à nouveau ; Déclare l'action en nullité de contrat du 31 mars 1994 engagée par M. Frédéric Delfour à l'encontre de la SA Covemat irrecevable ; Confirme, pour le surplus, mais en limitant les dommages et intérêts alloués à Me Le Brun-Busquet, ès qualités de mandataire liquidateur de M. Frédéric Delfour à la somme de 250.000 F à la charge de la SA Covemat ; Y ajoutant ; Constate que la SA Covemat est titulaire d'une créance à l'encontre de Me Le Brun-Busquet, représentant ès qualités M. Frédéric Delfour, admise définitivement pour 167.834 F ; Ordonne la compensation entre lesdites sommes ; Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SA Covemat à payer les dépens qui seront recouvrés par Me De Fourcroy, Avouée, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.